Cours 2°- Les incipit du roman

L'incipit

LES DEBUTS DE ROMAN

 

Qu’est-ce qu’un incipit ? Quel est son rôle ?

Définition : Incipit vient du latin incipio, is, ere « commencer » et signifie les premiers mots d’un texte. 

Il permet au lecteur de pénétrer dans le « quasi-monde » du texte créé par l’auteur.  Donc d’entrer dans un monde qui n’existe pas encore.C’est un lieu stratégique du texte. 

Il doit à la fois informer et intéresser.

Le début du roman (ou de la nouvelle) est donc traditionnellement destiné à répondre aux questions : Qui ? Quand ? Où ? Quoi ? Comment ?

L’Incipit peut marquer à la fois le début d’une vie et le début d’une intrigue. (Le livre et les évènements commencent en même temps)

Mais quelquefois, quand le roman commence, l’histoire, elle, a déjà commencé : c’est un début « in media res » (« Au milieu des choses)

Ainsi dans le texte de Zola, Germinal, (L.A 3) le lecteur découvre un personnage en train de marcher sur une route, par une nuit glaciale. Le lecteur ne sait pas qui est cet homme ni ce qu’il fait là.  

Certains auteurs jouent avec les codes de l’incipit et cherchent à surprendre le lecteur. Il s’agit de déconcerter le lecteur. C’est le cas dans l’incipit de Jacques le fataliste de Diderot (XVIII°) :

« Comment s’étaient-ils rencontrés ? Par hasard, comme tout le monde. Comment s’appelaient-ils ? Que vous importe? D’où venaient-ils ? Du lieu le plus prochain. Où allaient-ils ? Est-ce que l’on sait où l’on va? Que disaient-ils ? Le maître ne disait rien ; et Jacques disait que son capitaine disait que tout ce qui nous arrive de bien et de mal ici-bas était écrit là-haut » 

Dans La Modification de Michel Butor au XX° :

« Vous avez mis le pied gauche sur la rainure de cuivre, et de votre épaule droite vous essayez en vain de pousser un peu plus le panneau coulissant.

Vous vous introduisez par l’étroite ouverture en vous frottant contre ses bords, puis, votre valise couverte de granuleux cuir sombre couleur d’épaisse bouteille, votre valise assez petite d’homme habitué aux longs voyages, vous l’arrachez par sa poignée collante, avec vos doigts qui se sont échauffés, si peu lourde qu’elle soit, de l’avoir portée jusqu’ici, vous la soulevez et vous sentez vos muscles et vos tendons se dessiner non seulement dans vos phalanges, dans votre paume, votre poignet et votre bras, mais dans votre épaule aussi, dans toute la moitié du dos et dans vos vertèbres depuis votre cou jusqu’aux reins.

 

Infos incipit

Néanmoins, l’incipit doit donner un certain nombre d’informations :

 

QUI ?

  QUI ?

Le narrateur :

  • Qui parle ?
  • Personnage du roman ou non ?
  • Est-il présent dés le début ?
  • Quelle est la focalisation choisie ? (Interne, externe, zéro ?)

Le personnage :

Détails donnés immédiatement sur lui de manière claire ou énigmatique.

  • Un jeune homme sans nom dans Le Chef-d’œuvre inconnu de Balzac.
  • Un ouvrier au chômage dans Germinal de Zola
  • Un narrateur-personnage qui dit « je » au début de L’Etranger de Camus…

 

QUAND ? OU ?

Le lieu et le temps (informations spatio-temporelles)

 Où :

Type d’espace :

  • Réel ?
  • Symbolique ?

 

Quand :

  • Temps du calendrier : une date
  • Temps de l’Histoire : une époque
  • Temps romanesque : une saison, un moment du jour, de la nuit…

 

Respect des conventions d’ouverture ?

  • Y-a-t-il des écarts par rapport à la tradition du genre ?
  • En quoi le passage se détache-t-il de la forme traditionnelle du genre ?
  • Relier le texte au mouvement littéraire auquel il appartient.
  • Créer l’effet de réel ou au contraire exhiber la fiction ?

Types d’incipit :

 

 

  • Type dramatique :

A une époque et dans un lieu donné, quelqu’un fait ou a fait quelque chose…(Souvent un incipit « in media res ») : 

« Je vais encourir bien des reproches. Mais qu’y puis-je ? Est-ce ma faute si j’eus douze ans quelques mois avant la déclaration de la guerre ? Sans doute, les troubles qui me vinrent de cette période extraordinaire furent d’une sorte qu’on n’éprouve jamais à cet âge ; mais comme il n’existe rien d’assez fort pour nous vieillir malgré les apparences, c’est en enfant que je devais me conduire dans une aventure où déjà un homme eût éprouvé de l’embarras. Je ne suis pas le seul. Et mes camarades garderont de cette époque un souvenir qui n’est pas celui de leurs aînés. Que ceux qui déjà m’en veulent se représentent ce que fut la guerre pour tant de très jeunes garçons : quatre ans de grandes vacances. »

 

  • Type discursif :

Une voix parle, celle d’un narrateur qui s’adresse au lecteur.

Stendhal, La Chartreuse de Parme : 

« Le 15 mai 1796, le général Bonaparte fit son entrée dans Milan à la tête de cette jeune armée qui venait de passer le pont de Lodi, et d’apprendre au monde qu’après tant de siècles César et Alexandre avaient un successeur. Les miracles de bravoure et de génie dont l’Italie fut témoin en quelques mois réveillèrent un peuple endormi… »

 

  • Type descriptif :

Le texte s’ouvre par une description qui suspend l’action et met le lecteur en état d’attente. (Incipit statique) :

« La petite ville de Verrières peut passer pour l’une des plus jolies de la Franche-Comté. Ses maisons blanches avec leurs toits pointus de tuiles rouges, s’étendent sur la pente d’une colline, dont des touffes de vigoureux châtaigniers marquent les moindres sinuosités. Le Doubs coule à quelques centaines de pieds au-dessous de ses fortifications, bâties jadis par les Espagnols, et maintenant ruinées. »

 

  • Type suspensif :

Il donne peu d’informations et cherche à dérouter le lecteur. C’est le cas dans La Modification de M. Butor (XX°-Nouveau roman)

« Vous avez mis le pied gauche sur la rainure de cuivre, et de votre épaule droite vous essayez en vain de pousser un peu plus le panneau coulissant.

Vous vous introduisez par l’étroite ouverture en vous frottant contre ses bords, puis, votre valise couverte de granuleux cuir sombre couleur d’épaisse bouteille, votre valise assez petite d’homme habitué aux longs voyages, vous l’arrachez par sa poignée collante, avec vos doigts qui se sont échauffés, si peu lourde qu’elle soit, de l’avoir portée jusqu’ici, vous la soulevez et vous sentez vos muscles et vos tendons se dessiner non seulement dans vos phalanges, dans votre paume, votre poignet et votre bras, mais dans votre épaule aussi, dans toute la moitié du dos et dans vos vertèbres depuis votre cou jusqu’aux reins ».

 

Fonctions 

Fonctions :

  • Fonction informative : il a une valeur d’annonce et programme la suite du texte.
  • Fonction séductrice : il doit accrocher et séduire le lecteur, faire naitre un « horizon d’attente ». L’attention et la curiosité du lecteur doit être stimulée qqsoit le type employé.
  • Fonction de pacte : l’incipit par les choix de l’auteur propose un « pacte de lecture » et annonce le genre auquel le texte appartient.

 

Topos

 Topos (Quelques modèles) :

  • Topos de l’inconnu : personnage dont on perce peu à peu l’anonymat.
  • Topos du novice : Personnage placé dans un milieu nouveau pour lui.
  • Topos de la rencontre : Novice rencontre un personnage qui sait, qui peut l’initier..

 

CORPUS

LES LECTURES ANALYTIQUES

Balzac

L.A 1 : Balzac, Le Chef-d’œuvre inconnu, 1831  

Balzac (Honoré de)- (1799-1850)

 Romancier, dramaturge, critique littéraire, critique d’art, essayiste, journaliste et imprimeur, il a laissé l’une des plus imposantes œuvres romanesques de la littérature française, avec 93 romans et nouvelles parus de 1829   à 1855, réunis sous le titre  La Comédie humaine

Le Chef d’œuvre inconnu est une nouvelle de Balzac parue en 1831 qui sera plus tard intégrée à La Comédie humaine

 Un jeune peintre arrive chez un maitre pour y découvrir le secret de la peinture… Le Chef-d’œuvre inconnu constitue une réflexion sur l’art et la création.

Le texte

 

A un lord

 …………………

…..………………

……………………

 

I

Gillette

 

Vers la fin de l’année 1612, par une froide matinée de décembre, un jeune homme dont le vêtement était de très mince apparence, se promenait devant la porte d’une maison  située rue des Grands-Augustins, à Paris. Après avoir assez longtemps marché dans cette rue avec l’irrésolution d’un amant qui n’ose se présenter chez sa première maîtresse, quelque facile qu’elle soit, il finit par franchir le seuil de cette porte, et demanda si maître François PORBUS était en son logis. Sur la réponse affirmative que lui fit une vieille femme occupée à balayer une salle basse le jeune homme monta lentement les degrés, et s’arrêta de marche en marche, comme quelque courtisan de fraîche date, inquiet de l’accueil que le roi va lui faire. Quand il parvint en haut de la vis, il demeura pendant un moment sur le palier, incertain s’il prendrait le heurtoir  qui ornait la porte de l’atelier où travaillait sans doute le peintre de Henri IV délaissé pour Rubens par Marie de Médicis . /Le jeune homme éprouvait cette sensation profonde qui a dû faire vibrer le cœur des grands artistes quand, au fort de la jeunesse et de leur amour pour l’art, ils ont abordé un homme de génie ou quelque chef- d’œuvre. Il existe dans tous les sentiments humains une fleur primitive, engendrée par un noble enthousiasme qui va toujours faiblissant jusqu’à ce que le bonheur ne soit plus qu’un souvenir et la gloire un mensonge. Parmi ces émotions fragiles, rien ne ressemble à l’amour comme la jeune passion d’un artiste commençant le délicieux supplice de sa destinée de gloire et de malheur, passion pleine d’audace et de timidité, de croyances vagues et de découragements certains. À celui qui léger d’argent, qui adolescent de génie, n’a pas vivement palpité en se présentant devant un maître, il manquera toujours une corde dans le cœur, je ne sais quelle touche de pinceau, un sentiment dans l’œuvre, une certaine expression de poésie. Si quelques fanfarons bouffis d’eux-mêmes croient trop tôt à l’avenir, ils ne sont gens d’esprit que pour les sots. À ce compte, le jeune inconnu paraissait avoir un vrai mérite, si le talent doit se mesurer sur cette timidité première, sur cette pudeur indéfinissable que les gens promis à la gloire savent perdre dans l’exercice de leur art, comme les jolies femmes perdent la leur dans le manège de la coquetterie. L’habitude du triomphe amoindrit le doute, et la pudeur est un doute peut- être.

Accablé de misère et surpris en ce moment de son outrecuidance , le pauvre néophyte ne serait pas entré chez le peintre auquel nous devons l’admirable portrait de Henri IV, sans un secours extraordinaire que lui envoya le hasard.

 

 

L.A 2 : Zola, Germinal, 1885

Emile Zola 

Bio en vidéo  

Le texte

Germinal est publié en 1885, et fait partie des  Rougon-Macquart (Recueil de 20 romans dans lesquels on retrouve les mêmes personnages et leur descendance) 

Roman de la lutte des classes et de la révolte sociale, Germinal traite de la vie des mineurs dans une France en pleine industrialisation. Roman naturaliste

Fils de Gervaise Macquart et de son amant Lantier, le jeune Etienne Lantier s’est fait renvoyer de son travail pour avoir donné une gifle à son employeur. Chômeur, il part, en pleine crise industrielle, dans le Nord de la France, à la recherche d’un nouveau emploi. 

 

Dans la plaine rase, sous la nuit sans étoiles, d’une obscurité et d’une épaisseur d’encre, un homme suivait seul la grande route de Marchiennes à Montsou, dix kilomètres de pavé coupant tout droit, à travers les champs de betteraves. Devant lui, il ne voyait même pas le sol noir, et il n’avait la sensation de l’immense horizon plat que par les souffles du vent de mars, des rafales larges comme sur une mer, glacées d’avoir balayé des lieues de marais et de terres nues. Aucune ombre d’arbre ne tachait le ciel, le pavé se déroulait avec la rectitude d’une jetée, au milieu de l’embrun aveuglant des ténèbres.

L’homme était parti de Marchiennes vers deux heures. Il marchait d’un pas allongé, grelottant sous le coton aminci de sa veste et de son pantalon de velours. Un petit paquet, noué dans un mouchoir à carreaux, le gênait beaucoup ; et il le serrait contre ses flancs, tantôt d’un coude, tantôt de l’autre, pour glisser au fond de ses poches les deux mains à la fois, des mains gourdes que les lanières du vent d’est faisaient saigner. Une seule idée occupait sa tête vide d’ouvrier sans travail et sans gîte, l’espoir que le froid serait moins vif après le lever du jour. Depuis une heure, il avançait ainsi, lorsque sur la gauche, à deux kilomètres de Montsou, il aperçut des feux rouges, trois brasiers brûlant au plein air, et comme suspendus. D’abord, il hésita, pris de crainte ; puis, il ne put résister au besoin douloureux de se chauffer un instant les mains.

Germinal, le film

Mauriac

L.A 3 : Mauriac, Thérèse Desqueyroux, 1927

François Mauriac, ( 1885 – 1970)  est un écrivain français. Lauréat du Grand prix du roman de l’Académie française en 1926, il est élu membre de l’Académie française. Il reçoit le prix Nobel de littérature en 1952.

Son œuvre romanesque   révèle un analyste des passions de l’âme et un critique de la bourgeoisie provinciale (Genitrix, Le Désert de l’amour, Thérèse Desqueyroux, Le Nœud de vipères… La plupart de ses romans évoquent le conflit entre la foi et la chair, et développent plusieurs images récurrentes comme le « désert » spirituel que ses personnages doivent traverser.

 

Pour éviter le scandale et protéger les intérêts de leur fille, Bernard Desqueyroux, que sa femme Thérèse a tenté d’empoisonner son mari, Bernard. Au début du roman, elle vient de bénéficier d’un non-lieu et quitte le palais de Justice

 

Texte

L’avocat ouvrit une porte. Thérèse Desqueyroux, dans ce couloir dérobé du palais de justice, sentit sur sa face la brume et, profondément, l’aspira. Elle avait peur d’être attendue, hésitait à sortir. Un homme, dont le col était relevé, se détacha d’un platane, elle reconnut son père.

L’avocat cria __ << Non-lieu >> et, se retournant vers Thérèse : __ << Vous pouvez sortir, il n’y a personne. >>

Elle descendit des marches mouillées. Oui, la petite place semblait déserte. Son père ne l’embrassa pas, ne lui donna pas même un regard ; il interrogeait l’avocat Duros qui répondait à mi-voix, comme s’ils eussent été épiés. Elle entendait confusément leurs propos :

__ << Je recevrai demain l’avis officiel du non-lieu.

__ Il ne peut plus y avoir de surprise ?

__ Non : les carottes sont cuites, comme on dit.

__ Après la déposition de mon gendre, c’était couru.

__ Couru… couru… On ne sait jamais.

__ Du moment que, de son propre aveu il ne comptait jamais les gouttes…

__ Vous savez, Larroque, dans ces sortes d’affaires, le témoignage de la victime… >>

La voix de Thérèse s’éleva : __ Il n’y a pas eu de victime.

__ J’ai voulu dire : victime de son imprudence, madame. >>

Les deux hommes, un instant, observèrent la jeune femme immobile, serrée dans son manteau, et ce blême visage, qui n’exprimait rien. Elle demanda où était la voiture ; son père l’avait fait attendre sur la route de Budos, en dehors de la ville, pour ne pas attirer l’attention. Ils traversèrent la place : des feuilles de platane étaient collées aux bancs trempés de pluie. Heureusement, les jours avaient bien diminué. D’ailleurs, pour rejoindre la route de Budos, on peut suivre les rues les plus désertes de la sous-préfecture. Thérèse marchait entre les deux hommes qu’elle dominait du front et qui de nouveau discutaient comme si elle n’eût pas été présente ; mais, gênés par ce corps de femme qui les séparait, ils le poussaient du coude. Alors elle demeura un peu en arrière, déganta sa main gauche pour arracher de la mousse aux vieilles pierres qu’elle longeait. Parfois un ouvrier à bicyclette la dépassait, ou une carriole ; la boue jaillie l’obligeait à se tapir contre le mur. Mais le crépuscule recouvrait Thérèse, empêchait que les hommes la reconnussent. L’odeur de fournil et de brouillard n’était plus seulement pour elle l’odeur du soir dans une petite ville : elle y retrouvait le parfum de la vie qui lui était rendue enfin ; elle fermait les yeux au souffle de la terre endormie, herbeuse et mouillée ; s’efforçait de ne pas entendre les propos du petit homme aux courtes jambes arquées qui, pas une fois, ne se retourna vers sa fille ; elle aurait pu choir au bord de ce chemin : ni lui, ni Duros ne s’en fussent aperçus. Ils n’avaient plus peur d’élever la voix.

__ «  La déposition de M. Desqueyroux était excellente, oui. Mais il y avait cette ordonnance : en somme, il s’agissait d’un faux… Et c’était le docteur Pédemay qui avait porté plainte…

__ Il a retiré sa plainte…

__ Tout de même, l’explication qu’elle a donnée… cet inconnu qui lui remet une ordonnance… »

Thérèse, moins par lassitude que pour échapper à ces paroles dont on l’étourdissait depuis des semaines, ralentit en vain sa marche ; impossible de ne pas entendre le fausset de son père :

__ « Je le lui ai assez dit : “Mais, malheureuse, trouve autre chose… trouve autre chose… »

 

 

Bande annonce du film 

Camus

L.A 4 : Camus, L’étranger, 1942 

Bio en video  

L’Etranger  

Le texte

Aujourd’hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. J’ai reçu un télégramme de l’asile : « Mère décédée. Enterrement demain. Sentiments distingués. » Cela ne veut rien dire. C’était peut-être hier.

L’asile de vieillards est à Marengo, à quatre-vingts kilomètres d’Alger. Je prendrai l’autobus  à deux heures et j’arriverai dans l’après-midi. Ainsi, je pourrai veiller et je rentrerai demain soir. J’ai demandé deux jours de congé à mon patron et il ne pouvait pas me les refuser avec une excuse pareille. Mais il n’avait pas l’air content. Je lui ai même dit : « Ce n’est pas de ma faute. » Il n’a pas répondu. J’ai pensé alors que je n’aurais pas dû lui dire cela. En somme, je n’avais pas à m’excuser. C’était plutôt à lui de me présenter ses condoléances. Mais il le fera sans doute après-demain, quand il me verra en deuil. Pour le moment, c’est un peu comme si maman n’était pas morte. Après l’enterrement, au contraire, ce sera une affaire classée et tout aura revêtu une allure plus officielle.

 

J’ai pris l’autobus à deux heures. Il faisait très chaud. J’ai mangé au restaurant, chez Céleste, comme d’habitude. Ils avaient tous beaucoup  de  peine  pour  moi  et  Céleste  m’a  dit  :  «  On  n’a  qu’une  mère.  »  Quand  je  suis  parti,  ils  m’ont  accompagné  à  la  porte.  J’étais  un  peu  étourdi  parce  qu’il  a  fallu  que  je  monte  chez  Emmanuel  pour  lui  emprunter  une  cravate  noire  et  un  brassard.  Il  a  perdu  son  oncle,  il  y  a  quelques mois.

    J’ai couru pour ne pas manquer le départ. Cette hâte, cette course, c’est  à  cause  de  tout  cela  sans  doute,  ajouté  aux  cahots,  à  l’odeur  d’essence, à la réverbération de la route et du ciel, que je me suis assoupi.  J’ai  dormi  pendant  presque  tout le trajet. Et quand je me suis réveillé, j’étais tassé contre un militaire qui m’a souri et qui m’a demandé si je venais de loin. J’ai dit « oui » pour n’avoir plus à parler.

      L’asile est à deux kilomètres du village. J’ai fait le chemin à pied. J’ai voulu voir maman tout de suite. Mais le concierge m’a dit qu’il fallait que je rencontre le directeur. Comme il était occupé, j’ai attendu un peu. Pendant tout ce temps, le concierge a parlé et ensuite, j’ai vu le directeur : il m’a reçu dans son bureau. C’était un petit vieux, avec la Légion d’honneur. Il m’a regardé de ses yeux clairs. Puis il m’a serré la main qu’il a gardée si longtemps que je ne savais trop comment la retirer. Il a consulté un dossier et m’a dit : « Mme Meursault est entrée ici il y a trois ans. Vous étiez son seul soutien. » J’ai cru qu’il me reprochait quelque chose et j’ai commencé à lui expliquer. Mais il m’a interrompu : « Vous n’avez pas à vous justifier, mon cher enfant. J’ai lu le dossier de votre mère. Vous ne pouviez subvenir à ses besoins. Il lui fallait une garde. Vos salaires sont modestes. Et tout compte fait, elle était plus heureuse ici. » J’ai dit : « Oui, monsieur le Directeur. » Il a ajouté : « Vous savez, elle avait des amis, des gens de son âge. Elle pouvait partager avec eux des intérêts qui sont d’un autre temps. Vous êtes jeune et elle devait s’ennuyer avec vous. »

     C’était vrai. Quand elle était à la maison, maman passait son temps à me suivre des yeux en silence. Dans les premiers jours où elle était à l’asile,  elle  pleurait  souvent.  Mais  c’était  à  cause  de  l’habitude.  Au  bout de quelques mois, elle aurait pleuré si on l’avait retirée de l’asile. Toujours à cause de l’habitude. C’est un peu pour cela que dans la dernière  année  je  n’y  suis  presque  plus  allé.  Et  aussi  parce  que  cela  me  prenait  mon  dimanche  –  sans  compter  l’effort  pour  aller  à  l’autobus,  prendre des tickets et faire deux heures de route.

 

Albert CAMUS, L’Etranger, I, 1, 1942

Germain

L.A 5 : Germain, Magnus,   

Sylvie Germain, née en 1954

Romancière, essayiste et dramaturge française contemporaine.

Au cours des années 70, Sylvie Germain suit des études de philosophie .

Elle commence à cette époque à écrire des contes et des nouvelles.  Depuis presque trente ans, Sylvie Germain construit une oeuvre singulière, imposante et cohérente. Couronnée de nombreux prix littéraires : Prix Femina en 1989 pour Jours de colère, Grand Prix Jean Giono en 1998 pour Tobie des Marais, Prix Goncourt des lycéens en 2005 pour Magnus, Prix Jean Monnet de littérature européenne en 2012 et Grand Prix SGDL de littérature 2012 pour l’ensemble de son œuvre…

Le texte

Magnus est à la fois le nom de l’ours en peluche du héros et le nom que le héros, rebaptisé Franz-Georg, se donne à lui-même. Né avant la guerre en Allemagne, orphelin puis adopté, il est perturbé par ses origines et doit, après la guerre, supporter et comprendre son passé. Au début du roman, la narratrice précise son projet littéraire et évoque son travail d’écriture.

 

Ouverture

D’un éclat de météorite, on peut extraire quelques menus secrets concernant l’état originel de l’univers. D’un fragment d’os, on peut déduire la structure et l’aspect d’un animal préhistorique, d’un fossile végétal, l’ancienne présence d’une flore luxuriante dans une région à présent désertique. L’immémorial est pailleté de traces, infimes et têtues.

D’un lambeau de papyrus ou d’un morceau de poterie, on peut remonter vers une civilisation disparue depuis des millénaires. À partir de la racine d’un mot, on peut rayonner à travers une constellation de vocables et de sens. Les restes, les noyaux gardent toujours un infrangible[1] grain de vigueur.

Dans tous les cas, l’imagination et l’intuition sont requises pour aider à dénouer les énigmes.

D’un homme à la mémoire lacunaire, longtemps plombée de mensonges puis gauchie par le temps, hantée d’incertitudes, et un jour soudainement portée à incandescence, quelle histoire peut-on écrire ?

Une esquisse de portrait, un récit en désordre, ponctué de blancs, de trous, scandé d’échos, et à la fin s’effrangeant[2].

Tant pis pour le désordre, la chronologie d’une vie humaine n’est jamais aussi linéaire qu’on le croit. Quant aux blancs, aux creux, aux échos et aux franges, cela fait partie intégrante de toute écriture, car de toute mémoire. Les mots d’un livre ne forment pas davantage un bloc que les jours d’une vie humaine, aussi abondants soient ces mots et ces jours, ils dessinent juste un archipel de phrases, de suggestions, de possibilités inépuisées sur un vaste fond de silence. Et ce silence n’est ni pur ni paisible, une rumeur y chuchote tout bas, continument. Une rumeur montée des confins du passé pour se mêler à celle affluant de toutes parts du présent. Un vent de voix, une polyphonie de souffles.

En chacun la voix d’un souffleur murmure en sourdine, incognito — voix apocryphe[3]  qui peut apporter des nouvelles insoupçonnées du monde, des autres et de soi-même, pour peu qu’on tende l’oreille.

Écrire, c’est descendre dans la fosse du souffleur pour apprendre à écouter la langue respirer là où elle se tait, entre les mots, autour des mots, parfois au cœur des mots.

 

 

[1] Qui ne peut être détruit.

[2] Se déchiquetant.

[3] Qui n’est pas authentique.

OEUVRE CURSIVE

 Œuvre cursive

Dai Sijie,  Balzac et la petite tailleuse chinoise , 2000  ,  ( Edition Belin, BiblioLycée)              

– Recherche sur cette époque de la Révolution Chinoise par les élèves  

– Qui est D. Sijie ?  

Germain

L’auteur

Dai Sijie est né en 1954 , en Chine.    

En 1966, c’est le début de la Révolution culturelle chinoise voulue par Mao et le PCC (Parti Communiste Chinois).

Cette « révolution » consistera essentiellement à éliminer tout ce qui pourrait remettre en cause le pouvoir : la culture traditionnelle ou occidentale doivent être éradiquées…

Une véritable chasse aux intellectuels et aux « bourgeois » commence alors et durera jusqu‘en 1976, à la mort de Mao Zedong. Livres interdits, temples détruits, des millions d’”intellectuels”  emprisonnés ou envoyés dans des « camps ». C’est le cas des parents de Dai Sijie, médecins.

Il s’agit pour le pouvoir de pratiquer une “rééducation culturelle”  particulièrement destinée aux jeunes « bourgeois ».   On les envoyait  dans des campagnes lointaines pour travailler aux champs et partager la vie des paysans.

Le jeune Dai Sijie était au collège lorsqu’il fut envoyé en rééducation, dans la province du Sichuan, au centre de la Chine. Il y restera trois ans, de 1971 à 1974.

C’est cette période qu’il reprend dans  Balzac et la Petite Tailleuse Chinoise.

En 1976, Dai Sijie pourra entrer à l’université, pour y étudier l’art chinois. Il obtient  une bourse pour étudier à l’étranger. Il est envoyé en France, où il choisit d’étudier le cinéma. A partir de 1984,il s’installe en France et entame des études à l’Institut des hautes études cinématographiques.

Oeuvre

Son oeuvre

Balzac et la Petite Tailleuse Chinoise est traduit en vingt-cinq langues (dont le Chinois). Le roman reçoit de nombreux prix internationaux. Suivront Le Complexe de Di (2003, prix Femina), Par une nuit où la lune ne s’est pas levée (2007), l’Acrobatie aérienne de Confucius (2009), et Trois vies chinoises (2011).

Dai Sijie est également  réalisateur :  En 2002, il adapte lui-même  Balzac et la Petite Tailleuse Chinoise. Puis Chine ma douleur (1989, prix Jean Vigo), Les Filles du botaniste (2006)…

Thèmes

Les thèmes

  1. Les relations : amitié, amour
  2. Le contexte politique et la critique du régime
  3. Le portrait de la société paysanne
  4. L’éloge de la littérature

 

Travaux d'écriture

Travaux d’écriture : vers l’invention

  • Ecrire une préface
  • Rédiger une critique
  • Imaginer une suite (Lettre que reçoit Luo de la Petite tailleuse plusieurs années après)

Documents complémentaires

DOCUMENTS COMPLEMENTAIRES

Calum Mccann, Lettre à un jeune auteur, 2018

(extraits)

 

La première phrase doit frapper la poitrine. Entrer dans la peau et serrer le cœur.

Sous-entendre que rien ne sera jamais plus pareil.

Impulser un élan à ton histoire…

Prévenir le lecteur qu’il va apprendre quelque chose d’intéressant, d’urgent.

Lui murmurer à l’oreille que tout va changer.

Beaucoup dans un récit dépend du ton qu’on lui donne au début.

Fais-nous comprendre que nous partons quelque part.

Mets ton histoire sur les rails. Imagine que ce soit une porte.

Souvent la phrase d’ouverture ne se présente vraiment qu’au milieu de ton premier jet.

Ouvre avec élégance. Férocement. Délicatement. Etonne. Mise gros dès le départ.

Un héros du conscient

L’objet ultime de toute bonne littérature est d’inscrire la nouveauté dans la durée.

Tu crées un temps parallèle. Tu rends perceptible ce qui n’existait pas jusque-là.

Tu donnes forme au passé, au présent et à l’avenir.

Guide le lecteur dans ton histoire. Fais-moi confiance lui dis-tu.

Dans ton travail d’écriture, déterminer le « moment » d’une histoire » – ou même d’une scène- s’apparente à une révélation, et pas des moindres. Tu sais ce que ce moment signifie : c’est le moment à partir duquel tout va changer, pas seulement pour tes personnages, mais également pour toi. Tu touches au nœud de l’affaire. Au pivot. A la clé de voute. Si tu rates ce moment, le reste s’effondrera.

Ton rôle est de donner à voir et à entendre au lecteur. Tu dois arracher le moment au silence.

Ton imagination fait naitre une réalité. Comme si tu repoussais le temps.

Créer ses personnages

Découvrir qui sont vraiment ses personnages…

Peu de choses égalent celui (le plaisir) de créer quelqu’un dans le terreau de ton imagination.

Tes personnages doivent être difficiles, compliqués, imparfaits. Ils doivent s’épaissir, porter le poids du réel. Ce sont des sacs de nœuds, d’os et de chair, qui vous brisent le cœur.

Tu as besoin de connaitre tes personnages dans les moindres détails…

Ce que tu dois faire c’est créer quelqu’un de réel.

Nous devons les rendre tellement vrais que le lecteur ne les oubliera jamais.

Donner vie à un personnage s’apparente à rencontrer quelqu’un dont tu as envie de tomber amoureux.

Ne nous submerge pas d’informations. Laisse-les transpirer plus tard. Nous sommes séduits par un moment dans le temps – un instant particulierdans le mouvement, ou un changement, ou un effondrement- pas par de longs CV ou biographies.

Evite donc le général, favorise le spécifique. Donne du grain, de la texture.

Le lecteur doit vite s’éprendre de tes personnages (ou au contraire apprendre à les détester vite). Il faut qu’il leur arrive quelque chose : une secousse qui réveille soudain nos cœurs fatigués.

Que cela soit traumatisant, mélancolique ou joyeux, qu’importe ; fais en sorte que ton lecteur s’attache aux détails physiques évoqués par tes maux, à la personne qui se dessine derrière eux. Plus tard dans le récit nous nous rapprocherons d’elle et nous apprendrons à la connaitre plus intimement.

Tes personnages, il faut que tu les connaisses autant que toi-même. Que tu saches non seulement ce qu’ils ont mangé ce matin au petit déjeuner, mais aussi ce qu’ils avaient envie de manger.

Où est née ton héroïne ? Quels est son premier souvenir ? A quoi ressemble son écriture manuscrite ? comment traverse-t-elle la rue au carrefour ? Quelle est cette trace de brûlure à la première phalange de l’index ? Pourquoi est-ce qu’elle boite ? Pourquoi a-t-elle les ongles sales ? Et cette cicatrice à la hanche ? Pour qui voterait-elle ? Qu’est-ce qu’elle a piqué dans la boutique la première fois qu’elle s’est laissée tenter ? Qu’est-ce qui la rend heureuse ? Qu’est-ce qui la terrifie ? de quoi se sent elle le plus coupable ?.. .

Tu dois être capable en fermant les yeux d’habiter le corps de ton personnage. Le son de sa voix. Le rythme de ses pas. Promène-toi un moment avec elle… Fais la liste imaginaire de tout ce qu’elle est, des endroits qu’elle a traversés. L’allure. Le langage corporel. Ces tics qui n’appartiennent qu’à elle. L’enfance. Les conflits. Laissent tes personnages t’épater.

Quand ils semblent vouloir aller à droite, envoie-les à gauche.

Ils ont l’air heureux ? Brise-les !

S’ils ont envie de quitter la page, force-les à rester une phrase de plus. Embrouille-les. Heurte-les. Donne leur une langue fourchue. La vraie vie est ainsi. Ne sois pas trop logique. La logique est paralysante.

Façonner la vérité

Les bons textes mêlent l’art et la vraisemblance. Il nous faut rassembler les potentialités du vrai et de l’invention au même endroit exactement. La vérité a besoin d’être façonnée.

Certains semblent croire qu’inventer revient à raconter des mensonges. Loin de là. Inventer consiste à remodeler l’authentique.

Nous nous servons de notre imagination pour pénétrer d’infinies noirceurs.

La langue est une arme puissante. Elle doit être complexe, stratifiée, même frustrante. Il faut la ressentir. Stupéfiante ou déroutante, elle doit exprimer des choses que nous savons sans les avoir réellement percées.

Il ne s’agit pas de mentir mais de pétrir, de mouler, de guider. Tout en restant fidèle à l’esprit de ta création.

… Même si tu crées un ailleurs, tu écris toujours sur ce qui t’entoure.

Whitman disait que nous contenons des multitudes. Joyce qu’écrire était « recréer la vie avec la vie ».

Ton monde est un gisement à exploiter. Tu dois trouver la faculté de t’enfouir dans les tréfonds les plus obscurs pour découvrir ce qui n’a pas été encore révélé.

Examine-toi attentivement, examine les groupes qui t’entourent, tes proches. Prends la parole.

Enfin, ce n’est pas parce qu’une chose t’est arrivée que tu en tireras une histoire vraie, même une histoire intéressante .

Empare-toi du monde réel et superpose différentes couches. Reste sincère.

Aie toujours sur toi un carnet.

Images, idées, bribes de dialogues recueillies dans la rue, adresses, descriptions – tout ce qui Est susceptible à terme, de se glisser dans une phrase. Le détail le plus infime peut détenir la clé d’un nouveau mode de pensée. De simples étincelles glanées ici ou là, produiront peut-être assez de lumière pour illuminer un livre entier.

SOIS UNE CAMERA

Ta langue est notre champ de vision.

Fais-nous vibrer au cœur de l’instant. Montre d’abord le paysage dans son ensemble, puis concentre-toi sur un détail et donne-lui vie.

Une astuce valable : fais comme si tu disposais de plusieurs objectifs interchangeables. Sois un grand angle. Un fish-eye. Un télé. Zoome arrière. Zoome avant. Fais flou. Fais le point. Scinde  l’image. Imagine que la caméra c’est toi.

L’esprit est un acrobate. Etudier chaque angle ne nuit pas. Essaie la première personne, la deuxième, la troisième. Adopte le point de vu de ton personnage principal, pas celui d’un tiers. Chamboule tout. Saute du présent au passé. Envisage le futur.

Sois attentif à la façon dont les mots apparaissent sur la page. Un saut de ligne peut être vital. Les paragraphes, les espaces, les tirets. Les points de suspension. N’arrête pas de les regarder tes mots, de les mesurer, de les sonder.

Si tu persévères dans le rôle de la caméra et de son opérateur…tu discerneras la forme convenable, tu découvriras la structure appropriée et le reste s’enchainera tout seul.

Tu sièges alors dans les interrogations du cœur humain. La caméra a disparu et tu t’es mis à voir vraiment.

 

MAISTUNYPENSESPAS

Un dialogue écrit n’est jamais authentique.

Un dialogue n’a pas besoin d’être véridique mais juste. Il doit avoir l’apparence du naturel.

Oublie les hum et les euh : ils passent mal à l’écrit.

Evite d’utiliser un dialogue pour transmettre trop d’informations, surtout si elles sont prévisibles.

Il est bon qu’on se coupe a parole !

Emploie « a-t-il dit » mais sans descriptif encombrant.

Supprime les « haleter », « s’exclamer », « insister »…souvent lourds.

Fais en sorte qu’un dialogue se détache des descriptions voisines par son rythme et par sa longueur.
Qu’il serve à marquer une pause dans ta page, ou à donner un élan à ce qui suit.

Ne néglige pas les hésitations et les faux départs : il n’est pas forcément mauvais qu’un personnage se répète.

Et qu’ils se distinguent les uns des autres.

Donne-leur des tics de langage.
N’oublie pas que les gens n’expriment jamais précisément ce qu’ils pensent.

Un mensonge suscite l’intérêt lorsqu’il surgit dans une tirade.

Introduis une action dans le cadre d’une conversation.

Commence rarement au début du dialogue : démarre au milieu.

Quitte la discussion avant qu’elle soit « réellement terminée ».

Rappelle-toi que le mystère est la colle qui nous unit.

Le lecteur – ton complice- écoute aux portes avec toi.

Ne t’attache pas trop à reproduire le réel.

Un dialogue écrit peut enfreindre les règles de la grammaire. Esquinte tes phrases autant que tu veux.

Rappelle-toi toujours que ce que nous taisons est aussi important, sinon plus, que ce que nous révélons. Alors étudie les silences et fais-les agir dans la page. Tu découvriras bientôt à quel point le silence est bruyant. Tous les non-dits mènent à un moment où un autre à une affirmation.

LIS A HAUTE VOIX

Tiens une conversation avec ce que tu écris.

Lis ton travail à haute voix.

Tu as besoin d’écouter le rythme de tes phrases. Les répétitions, les assonances. Les allitérations. Les onomatopées. La musique de l’ensemble.

Crée de nouveaux mots.

Vas-y à l’encre rouge. Barre, raye.

Tes phrases doivent composer un paysage. Pour exprimer la joie, tu envisageras une longue phrase folle et incorrecte qui court bêtement à perdre haleine. En revanche, la tristesse sera peut-être cassante. Sèche, sombre et seule.

QUI QUOI OU QUAND COMMENT POURQUOI

Les questions les plus simples sont parfois les plus difficiles mais le principe du « qui, quoi, , où, quand, comment et pourquoi » n’en demeurent pas moins le combustible de l’écrivain.

Si tu disposes d’un narrateur omniscient ou si tu écris à la 3° personne, fort bien, tu es Dieu, et Dieu put se permettre à peu près n’importe quoi. Mais si tu emploies la première personne, tu dois te poser beaucoup de questions essentielles.

 

Qui raconte l’histoire ?

C’est sans doute la plus facile…

Tu choisis un narrateur et tu lui insuffles la vie.

L’histoire peut être racontée par plusieurs narrateurs, chacun à la première personne. Dans ce cas, tu dois les connaitre intimement.

Quoi, que se passe-t-il ?

Ce qu’on appelle communément l’intrigue.

Ce qui se produit subit l’influence des qui, où, et pourquoi. Le narrateur ne fournira que sa version personnelle des évènements (quiconque écrit à la 1° ersonne est par essence douteux)

Où est-ce qu’il se situe ? « D’où » parle ton narrateur ?

Voilà qui devient plus compliqué.

N’oublie jamais ceci : le lieu déteint sur la langue.

Réfléchis donc soigneusement à m’endroit où se trouve ton narrateur lorsqu’il batit son récit.

Quand – c’est-à-dire à quelle période de l’histoire- celui-ci se déroule-t-il ?

De quand datent les souvenirs dont il est question ? On ne rapporte pas les évènements d’hier comme ceux d’il y a dix ou vingt ans. Le temps de l’action est fondamentalement différent. Le contexte nous a transformés.  Le temps induit la distance. La distance offre une perspective. Et écrire est affaire de perspective. Alors maitrise les trois pour mobiliser la langue. Ensuite laisse l’histoire se développer dans la période qui lui convient. (L’usage du temps présent pour une narration à la 1° personne est de fait délicat. Comment peut-on raconter une histoire alors qu’on la vit en même temps ?).

Tu dois découvrir l’instant critique du récit. DE CELUI-CI DÉPEND TOUT LE RESTE.

Quand s’impose-t-il absolument ? Quand le monde a-t-il changé ?A quel moment les aiguilles se sont-elles arrêtées ?

Comment est-ce arrivé ?

En quoi ce moment là est-il lié avec tout ce qui s’est produit auparavant ? De quelle façon a-t-il surgi ? Comment se fait-il que nous ayons pris soin de nous souvenir, ou que nous ayons soudain prêté attention ?

Enfin- sais-tu pourquoi ton narrateur raconte cette histoire ? Il a toujours une raison de le faire. Pour guérir, assassiner, voler, recréer. Pour tomber amoureux ou se détacher de quelqu’un.

Si tu réussis à définir précisément ce qui pousse ton personnage à raconter son histoire, tu auras trouvé une raison de la poursuivre. Une fois démasqué le pourquoi, tu verras que la langue chantera au bout de tes doigts.

A LA RECHERCHE D’UNE STRUCTURE

L’armature qui soutient ton histoire ressemble à une maison qui se dresse sur ses fondations.

En fait la structure peut revêtir bien des aspects : il faut juste t’assurer qu’elle ne devienne pas un joli trou dans lequel on s’enterre sans plus savoir comment en sortir.

Certains écrivains se propose d’en créer une d’abord puis de modeler leur histoire en sorte qu’elle s’y adapte, ce qui constitue bien souvent un piège. Essaie de ne pas fourrer la tienne dans un cadre préconçu.

Une histoire se déploie avec agilité. Elle ne se livre pas d’emblée. Son cours est parfois brusque. Elle peut devenir fuyante . donc le contenant mérite d’être flexible. Bien sûr, il te faut une vision d’ensemble , une fin ou du moins un projet de fin, mais tu dois être prêt à dévier, à changer d’avis et de direction.

Une structure adequate épouse le contenu de l’histoire qu’elle abritera.
Généralement, elle y arrivera d’autant mieux qu’elle n’attire pas l’attention. Elle doit s’élaborer à partir des personnages et d el’intrigue, donc des mots et des sons. En d’autres termes, elle est constamment réorganisée.

Demande toi ce qu’il vaut mieux : raconter ton histoire d’une traite ou la diviser en sections ? La décliner sur plusieurs voix, même plusieurs styles ?

Le point de vue est d’une grande importance. Peut-être auras-tu envie d’une pièce sombre dans la maison. D’une bibliothèque aux murs lambrissés. Un personnage donné t’y conduira. Il ou elle te donnera le smots pour créer une atmosphère : les rideaux, le bureau, le halo de la lampe. La pièce sera un miroir de ce personnage. Il y réside.

Au plan de la structure, tu seras souvent étonné par la précision des grands auteurs. N’aie pas peur, ce fut pour eux une découverte à postériori.

Alors écris, réaménage, écris, réaménage, écris…et tu verras peu à peu la structure se dessiner.

Commence par la langue, les mots, les sons, et le contenu modèlera la forme.

CE QUI IMPORTE : LANGUE ET INTRIGUE

Nous commettons souvent l’erreur de prêter trop d’attention à l’intrigue.

Elle compte mais sera toujours soumise à ta langue. Dans une bonne histoire, l’intrigue se maintient au second plan, car ce qui arrive n’est jamais aussi intéressant que la manière dont c’est raconté.

Donne-moi de la musique. Arrange les choses comme personne ne l’a fait avant toi.

N’importe qui peut raconter une grande histoire mais tout le monde ne chuchotera pas à ton oreille un souffle de beauté.

En littérature… rien ne vaut un intervalle spectaculaire d’inaction. Rien ne produit autant d’effet qu’un personnage momentanément tétanisé devant la vie.

En fin de compte, une intrigue doit nous serrer le cœur d’une façon ou d’une autre. Elle doit nous transformer. Nous rappeler que nous sommes vivants.
Nous voulons nous attacher aux évènements. Une chose entraine la suivante. Le cœur humain bat devant nos yeux. C’est ce qui nourrit l’intrigue. Tout peut arriver, mais aussi rien du tout.

Ponctuation : non cela n’est pas jetable du tout.

N’abuse pas des points virgules ; ce sont des virgules musclées s’ils sont utilisés correctement.

Dans la fiction, les parenthèses attirent trop l’attention.

Apprends bien les déterminants.
Ne termine jamais une phrase sur une préposition.
Sois avare des points de suspension, surtout à la fin d’un passage, ils tendent à surdramatiser.

D’un autre côté certaines phrases peuvent être trop étudiées. Sévèrement ordonnés tes mots deviennent rigides.

Les écrivains sentent la grammaire plus qu’ils ne la connaissent.

Les recherches : Google ne suffit pas

Les recherches sont le soubassement de presque tout bon travail d’écriture. Nous avons besoin de repousser les limites du monde que nous connaissons.

Nous aurons parfois envie de découvrir un sexe, une ethnie , une époque qui ne sont pas les nôtres. Cela nécessite des recherches approfondies.

Mais comment rendre compte d’existence qui en surface du moins, diffèrent beaucoup des nôtres ?

Comment créer un vécu, qui bien qu’imaginé, ait l’apparence du vrai ?

Des recherches appropriées, abouties, scrupuleuses, fourniront une partie de la réponse.

Ouvre les casiers plein de photographies.

Si tu veux te confronter à une existence différente de la tienne, il serait bon de partir à sa rencontre.

Si tu dépeins une autre époque, tu dois savoir où elle nous a conduits.

Tu dois déceler un détail divin. : plus il sera spécifique, mieux ce sera.

L’art est un moyen de se confronter au monde en l’examinant au microscope.

N’infeste pas tes paragraphes de faits. La sensation importe davantage.

Concentre -toi sur le petit détail qui révèle tout un monde.
L’astuce consiste à repérer celui, étrange ou incongru, que seuls connaissent les spécialistes.

Présente -toi comme un expert même devant les experts.

L’attention au détail que tu auras démontrée au cours de tes recherches produira un effet cumulatif qui fera chanter ton récit.

Ecris comme si tu envoyais à ton lecteur une phrase soignée à la fois. Chaque mot compte.

Vérifie le rythme, la précision.

Varie les procédés. Ecoute les sons…

N’oublies pas que certaines métaphores meurent d’être galvaudées. Plus de « larmes brûlantes » ou de « cuisses d’un blanc laiteux »…

Au lieu que ton personnage marche bêtement le long de la route, fais-le trotter , se courber, clopiner…

Une répétition bien placée produira son effet.

Façonne une phrase qui te surprenne.
Cheville des mots que personne n’a encore jamais assemblés. C’est ainsi que l’on obtient un style unique.

Dans une série de phrases spectaculaires, glisses-en une parfois qui soit vraiment banale. Et réciproquement.

Quoique tu fasses, rends-le immanquablement personnel. Imite, oui. Mais ne reproduis pas. Puis envoie tes phrases à un lecteur que tu aimes, une enveloppe à la fois.

LES J.O littéraires n’existent pas !

Tu n’es en concurrence avec personne quand tu écris.

Tu dois consacrer toute ton énergie à ton propre travail.

Ne sois pas trop gentil

Pose toi ces questions :

Rends-tu tes personnages trop sympathiques ?

Sont-ils trop sincères ? Imparfaits ?

Leur as-tu donné des défauts ?

Y-a-t-il quelque chose de véritable et d’affreux en eux ?

Pouvons-nous nous identifier à leurs démons ?

Nos personnages ont besoin d’empreintes digitales.

N’aies pas peur de les exposer à des situations difficiles.
Ils peuvent être méchants, indignes de confiance, racistes, solitaires, perdus, idiots, abimes- comme le reste d’entre nous. C’est la réalité.

Qu’ils ne soient pas uniques en leur genre.

Qu’il ne revendiquent pas des idées bizarres.

Assure-toi que la métaphore soit toujours étayée par du solide.

N’oublie jamais qu’écrire, c’est distraire

Oui, ton devoir est de dépeindre le monde mais aussi de lui apporter un peu de brillance.

« Nous avons l’art pour ne pas mourir de la vérité ».

descends dans les zones d’ombre mais emporte une torche.

Mets de la couleur. De l’humour. Du mouvement. Ne joue pas toujours la même note.

Penche-toi sur les joies qui chantent.
Les meilleurs livres nous gardent éveillés, nous interpellent et nous rendent heureux d’être vivants.

Ton lecteur idéal

Au bout du compte, le lecteur idéal, c’est toi.

Quand tu as terminé ton ouvrage, essaie e t’imaginer vingt ans plus tard en train de le lire et d’estimer s’il vaut encore quelque chose.

Laisse le lecteur exercer son intelligence

« bien écrire suppose de fournir des sensations au lecteur – non pas lui apprendre qu’il pleut, mais lui donner l’impression de se mouiller devant l’averse ». Doctorow

Une des règles d’or : « montre, ne raconte pas » !

Cela implique de conduire le lecteur en zone inconnue, en préservant la trame du vivant et la sensation d el’expèrience.
Essaie de ne pas trop en dire.
Evite de souligner ce que tu veux signifier

L’oreille intime

Souvent au milieu d’un roman, tu te rendras compte que tu ne sais pas franchement où tu vas.

Brise le miroir

Arrête de t’épancher sur toi. N’emprunte rien à la vie de tes amis. Ne décris pas les malheurs de ton père…

Si tu écris un roman, sors de ta tête et pars explorer le vaste monde.
Invente les névroses, invente la cartographie, invente les malheurs. Engendre un autre père dans lequel implanter le tien. Change son nom, son visage. Change de période.

Toute littérature est œuvre d’imagination.

Si tu réussis à t’écarter de toi, tu auras accompli une chose, et ce n’est pas le moindre des paradoxes : c’est toi que tu auras représenté.

Prends la plume et recrée la vie.

Trouve-toi un credo

Que cherches-tu à faire en écrivant ?
A qui veux-tu parler ?

Comment aimerais-tu voir changer le monde, si c’est le cas ?

Pourquoi écrire des histoires ?

« Ecrire nous libère de la prison du soi et nous entraine vers l’aventure suprême, qui nous permet de voir la vie à travers les yeux d’un autre » Tobias Wolff

Assommés par la réalité, nous sommes dans la nécessité de créer ce qui lui manque.

La littérature envisage des possibles et les transforme en vérités.

La fiction s’empare de choses existantes et leur donne une forme nouvelle.

La dernière phrase

Gogol disait que toute histoire se terminait par la formule « et plus rien ne serait jamais pareil ».

Les récits doivent faire semblant de s’achever.

Ne conclus pas entièrement. N’en fais pas trop. Souvent l’histoire s’est déjà arrêtée, quelques paragraphes plus tôt- donc trouve où te servir du crayon rouge.

N’explique pas le sens de ton histoire.
Ne moralise pas à ce stade.

Le lecteur sait déjà que la vie est noire. Inutile à la dernière minute, de l’inonder de lumière.

Essaie si possible, de terminer sur une note concrète, une action, un mouvement qui l’emmène plus loin. N’oublie jamais qu’une histoire commence bien avant le début et s’achève bien après la fin.

Fais en sorte que la dernière phrase stimule l’imagination.

Nouvelle version

Mais relève le défi. N’oublie jamais qu’écrire est l’expression d’une parole libre contre le pouvoir. Une forme d’engagement non violent, de désobéissance civile.
Il faut se placer à ‘écart de la société, se préserver de toute intimidation, contrainte coercition, cruauté.

Partout où le pouvoir s’efforce de simplifier, restitue la complexité. Partout où il donne des leçons de morale, exerce ton esprit critique. Partout ou il se veut menaçant, sois pénétrant.

La langue est un pouvoir même si le pouvoir s’échine à nous le confisquer.

Revalorise ce que d’autres ont déprécié.

Elève ta voix au nom de celles qui ont été dépréciées.

N’hésite pas à t’engager. Tu dois parler de la crasse, de la pauvreté, des injustices et des milliers d’autres épreuves quotidiennes. Tu dois dépeindre la vie, si pénible et si tragique soit-elle.

Nos écrits sont un portrait vivant de nous-mêmes.
Une phrase bien tournée a le don de choquer, de séduire, de nous sortir de notre torpeur.

Transforme le déjà vu. Imagine l’infini des expériences. Oppose les atrocités. Mets fin au mutisme. Sois prêt à t’exposer.
La littérature nous rappelle que la vie n’est pas déjà écrite. Il reste d’immenses possibilités.

Finalement les seules choses qui valent la peine sont celles qui te brisent le cœur. Continue d’enrager.

QUIZ

QUIZ SUR LE ROMAN

Entrainement

Entrainement EAF

Questions de corpus

Outils :

  • Rappel méthodologique corpus
  • Tableau question corpus
  • Correction du corpus
  • Fiche d’auto évaluation sur le corpus

La méthode…

Un « corpus » est un ensemble de textes (trois à quatre textes en général).

« La réponse à une question portant sur un corpus de textes doit être synthétique, et s’appuyer sur quelques citations bien choisies montrant que l’ensemble des textes a été étudié ».

 

Les questions sur corpus ont deux objectifs principaux :


  • Faire remarquer les différences ou les points communs entre les textes
  • Préparer l’exercice d’écriture(invention, commentaire, dissertation)

 

Dans les séries technologiques, il y a généralement deux questions sur corpus, sur 6 points (généralement 3 pts + 3 pts).
Sur les 4 heures d’épreuve, il est conseillé de ne pas consacrer plus d’ 1h/ 1h 15 à ces questions.

COMMENT S’Y PRENDRE…

  1. Lire attentivement les questions :
  • Soit elles interrogent sur les points communs entre les textes,
  • Soit sur les différences.

Identifier le type de réponse attendu (réponse type “points communs” ou réponse type “différences” ?)

 

  1. Lire les textes en surlignant au stabilo les éléments qui permettront de répondre aux questions : une couleur par question.

 

  1. Construire un tableau de synthèse, un texte par colonne


Noter sur une même ligne les éléments communs entre les textes, de manière à organiser plus facilement la réponse.

  1. Rédiger une intro qui présente rapidement les textes (auteur, source) et la question. Votre intro peut commencer ainsi : «Le corpus que nous devons étudier est composé de trois textes, le premier est de… » 

 

  1. Faites une présentation synthétique : Soyez concis (bref) votre réponse doit mettre les textes en relation en fonction des similitudes et/où des différences.

Justifier vos réponses par des citations entre guillemets, accompagnées du n° de lignes auxquelles elles renvoient. Les citations doivent se réduire à des mots ou expressions, inutile de copier des phrases entières. Soyez PRECIS.

 

  1. Rédiger la phrase de conclusion :

Reprendre les éléments de réponse en montrant que vous avez répondu à la question

 

Quelques exemples de questions de corpus

  • « En comparant ces quatre textes vous dégagerez les éléments caractéristiques d’une scène d’exposition ».

Ce sujet demande   qu’on organise la réponse autour des caractéristiques de la scène d’exposition et non de chacun des textes.

 

  • « Ces trois extraits développent-ils une même vision de la misère ? »

 

  • « Quel est le registre dominant de chacun des trois  textes ? Retrouve-t-on ces mêmes registres dans l’extrait qui accompagne le document iconographique ? »

 Ici la seule possibilité est l’approche texte par texte.

Application de la méthode du corpus

Vous répondrez d’abord aux questions suivantes (6 points) :

  1. Comment chaque texte rend-il compte des pensées et des sentiments du prisonnier ? (3 points)
  2. Comparez la façon dont ces quatre personnages vivent leur emprisonnement. (3 points)

 

Texte A : Victor Hugo, Le Dernier jour d’un condamné, 1829. 

Il s’agit de l’incipit du roman.   

 

Bicêtre[1].    

Condamné à mort !    Voilà cinq semaines que j’habite avec cette pensée, toujours seul avec elle, toujours glacé de sa présence, toujours courbé sous son poids !    Autrefois, car il me semble qu’il y a plutôt des années que des semaines, j’étais un homme comme un autre homme. Chaque jour, chaque heure, chaque minute avait son idée. Mon esprit, jeune et riche, était plein de fantaisies. Il s’amusait à me les dérouler les unes après les autres, sans ordre et sans fin, brodant d’inépuisables arabesques cette rude et mince étoffe de la vie. C’étaient des jeunes filles, de splendides chapes[2] d’évêque, des batailles gagnées, des théâtres pleins de bruit et de lumière, et puis encore des jeunes filles et de sombres promenades la nuit sous les larges bras des marronniers. C’était toujours fête dans mon imagination. Je pouvais penser à ce que je voulais, j’étais libre.   Maintenant je suis captif. Mon corps est aux fers dans un cachot, mon esprit est en prison dans une idée. Une horrible, une sanglante, une implacable idée ! Je n’ai plus qu’une pensée, qu’une conviction, qu’une certitude : condamné à mort !   Quoi que je fasse, elle est toujours là, cette pensée infernale, comme un spectre de plomb à mes côtés, seule et jalouse, chassant toute distraction, face à face avec moi misérable et me secouant de ses deux mains de glace quand je veux détourner la tète ou fermer les yeux.   Elle se glisse sous toutes les formes où mon esprit voudrait la fuir, se mêle comme un refrain horrible à toutes les paroles qu’on m’adresse, se colle avec moi aux grilles hideuses de mon cachot ; m’obsède éveillé, épie mon sommeil convulsif, et reparaît dans mes rêves sous la forme d’un couteau.   Je viens de m’éveiller en sursaut, poursuivi par elle et me disant : – Ah ! ce n’est qu’un rêve ! – Hé bien ! avant même que mes yeux lourds aient eu le temps de s’entr’ouvrir assez pour voir cette fatale pensée écrite dans l’horrible réalité qui m’entoure, sur la dalle mouillée et suante de ma cellule, dans les rayons pâles de ma lampe de nuit, dans la trame grossière de la toile de mes vêtements, sur la sombre figure du soldat de garde dont la giberne[3] reluit à travers la grille du cachot, il me semble que déjà une voix a murmuré à mon oreille :

– Condamné à mort ! 

 

***

 

Texte B : Stendhal, La Chartreuse de Parme, 1839 

Fabrice del Dongo est un jeune noble originaire de Parme, engagé dans les troupes de Napoléon 1er. Son tempérament fougueux l’entraîne dans des aventures amoureuses qui se soldent par un duel au cours duquel il tue son adversaire. II est emprisonné dans la tour Farnèse et tombe amoureux de Clélia Conti, fille du gouverneur de la prison dans laquelle il se trouve.    

 

Ce fut dans l’une de ces chambres construites depuis un an, et chef- d’œuvre du général Fabio Conti, laquelle avait reçu le beau nom d’Obéissance passive, que Fabrice fut introduit. Il courut aux fenêtres ; la vue qu’on avait de ces fenêtres grillées[4] était sublime : un seul petit coin de l’horizon était caché, vers le nord-ouest, par le toit en galerie du joli palais du gouverneur, qui n’avait que deux étages ; le rez-de-chaussée était occupé par les bureaux de l’état-major ; et d’abord les yeux de Fabrice furent attirés vers une des fenêtres du second étage, où se trouvaient, dans de jolies cages, une grande quantité d’oiseaux de toute sorte. Fabrice s’amusait à les entendre chanter, et à les voir saluer les derniers rayons du crépuscule du soir, tandis que les geôliers[5] s’agitaient autour de lui. Cette fenêtre de la volière n’était pas à plus de vingt-cinq pieds de l’une des siennes, et se trouvait à cinq ou six pieds en contrebas, de façon qu’il plongeait sur les oiseaux.   Il y avait lune ce jour-là, et au moment où Fabrice entrait dans sa prison, elle se levait majestueusement à l’horizon à droite, au-dessus de la chaîne des Alpes, vers Trévise. Il n’était que huit heures et demie du soir, et à l’autre extrémité de l’horizon, au couchant, un brillant crépuscule rouge orangé dessinait parfaitement les contours du mont Viso et des autres pics des Alpes qui remontent de Nice vers le Mont-Cenis et Turin ; sans songer autrement à son malheur, Fabrice fut ému et ravi par ce spectacle sublime. « C’est donc dans ce monde ravissant que vit Clélia Conti ! avec son âme pensive et sérieuse, elle doit jouir de cette vue plus qu’un autre ; on est ici comme dans des montagnes solitaires à cent lieues de Parme. » Ce ne fut qu’après avoir passé plus de deux heures à la fenêtre, admirant cet horizon qui parlait à son âme, et souvent aussi arrêtant sa vue sur le joli palais du gouverneur que Fabrice s’écria tout à coup : « Mais ceci est-il une prison ? est-ce là ce que j’ai tant redouté ? » Au lieu d’apercevoir à chaque pas des désagréments et des motifs d’aigreur, notre héros se laissait charmer par les douceurs de la prison. 

 

 

Texte C : Alexandre Dumas,  Le comte de Monte-Cristo, 1844Edmond Dantès est un marin qui a fait fortune au cours de ses différents voyages à l’étranger [sic]. A l’âge de dix-neuf ans et le jour même de ses noces, il est emprisonné sur une fausse accusation portée par ceux qui jalousent sa fortune et son épouse. Il restera quatorze ans prisonnier au château d’If près de Marseille.    

 

Malgré ses prières ferventes, Dantès demeura prisonnier. Alors son esprit devint sombre, un nuage s’épaissit devant ses yeux. Dantès était un homme simple et sans éducation ; le passé était resté pour lui couvert de ce voile sombre que soulève la science. Il ne pouvait, dans la solitude de son cachot et dans te désert de sa pensée, reconstruire les âges révolus, ranimer les peuples éteints, rebâtir les villes antiques, que l’imagination grandit et poétise, et qui passent devant les yeux, gigantesques et éclairées par le feu du ciel, comme les tableaux babyloniens de Martinn[6] ; lui n’avait que son passé si court, son présent si sombre, son avenir si douteux : dix-neuf ans de lumière à méditer peut-être dans une éternelle nuit ! Aucune distraction ne pouvait donc lui venir en aide : son esprit énergique, et qui n’eût pas mieux aimé que de prendre son vol a travers les âges, était forcé de rester prisonnier comme un aigle dans une cage. Il se cramponnait alors à une idée, à celle de son bonheur détruit sans cause apparente et par une fatalité inouïe ; il s’acharnait sur cette idée, la tournant, la retournant sur toutes les faces, et la dévorant pour ainsi dire à belles dents, comme dans l’enfer de Dante l’impitoyable Ugolin[7] dévore le crâne de l’archevêque Roger. Dantès n’avait eu qu’une foi passagère, basée sur la puissance ; il la perdit comme d’autres la perdent après le succès. Seulement, il n’avait pas profité.    La rage succéda à l’ascétisme[8]. Edmond lançait des blasphèmes qui faisaient reculer d’horreur le geôlier ; il brisait son corps contre les murs de sa prison ; il s’en prenait avec fureur à tout ce qui l’entourait, et surtout à lui-même, de la moindre contrariété que lui faisait éprouver un grain de sable, un fétu de paille, un souffle d’air. 

 

 

 

Texte D : Albert Camus, L’Etranger, 1942.

Meursault, le narrateur, se laisse entraîner dans une histoire de vengeance qui le conduit à tuer un homme. Il est aussitôt mis en prison.   

 

Quand je suis entré en prison, on m’a pris ma ceinture, mes cordons de souliers, ma cravate et tout ce que je portais dans mes poches, mes cigarettes en particulier. Une fois en cellule, j’ai demandé qu’on me les rende. Mais on m’a dit que c’était défendu. Les premiers jours ont été très durs. C’est peut-être cela qui m’a le plus abattu. Je suçais des morceaux de bois que j’arrachais de fa planche de mon lit. Je promenais toute la journée une nausée perpétuelle. Je ne comprenais pas pourquoi on me privait de cela qui ne faisait de mal à personne. Plus tard, j’ai compris que cela faisait partie aussi de la punition. Mais à ce moment-là, je m’étais habitué à ne plus fumer et cette punition n’en était plus une pour moi.   A part ces ennuis, je n’étais pas trop malheureux. Toute la question, encore une fois, était de tuer le temps. J’ai fini par ne plus m’ennuyer du tout à partir de l’instant où j’ai appris à me souvenir. Je me mettais quelquefois à penser à ma chambre et, en imagination, je partais d’un coin pour y revenir en dénombrant mentalement tout ce qui se trouvait sur mon chemin. Au début, c’était vite fait. Mais chaque fois que je recommençais, c’était un peu plus long. Car je me souvenais de chaque meuble, et, pour chacun d’entre eux, de chaque objet qui s’y trouvait et, pour chaque objet, de tous les détails et pour les détails eux-mêmes, une incrustation, une fêlure ou un bord ébréché, de leur couleur ou de leur grain. En même temps, j’essayais de ne pas perdre le fil de mon inventaire, de faire une énumération complète. Si bien qu’au bout de quelques semaines, je pouvais passer des heures, rien qu’à dénombrer ce qui se trouvait dans ma chambre. Ainsi, plus je réfléchissais et plus de choses méconnues et oubliées je sortais de ma mémoire. J’ai compris alors qu’un homme qui n’aurait vécu qu’un seul jour pourrait sans peine vivre cent ans dans une prison. Il aurait assez de souvenirs pour ne pas s’ennuyer. Dans un sens, c’était un avantage.   

[1] Prison de Paris.

[2] Longs manteaux

[3] Boîte recouverte de cuir portée à la ceinture et où les soldats mettaient leurs cartouches. 

[4] Fenêtres avec une grille

[5] Gardiens de prison

[6] Martinn : peintre romantique anglais.

[7] Ugolin : héros tragique de la Divine Comédie écrite par le poète italien Dante. Il est condamné à mourir de faim après avoir mangé ses propres enfants.

[8] Ici, le personnage se replie sur une seule pensée.   

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Commentaire littéraire du texte de Flaubert extrait de Madame Bovary

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La méthode…

Votre commentaire doit être construit comme suit :

Dans l’idéal : 10% de lignes pour l’intro/ 80% de lignes pour le développement (en 2 ou 3 parties à peu près égales) /10% pour la conclusion

 

Introduction :

a)Présenter le texte (auteur, son oeuvre et mouvement  littéraire du texte)

b)Donner   le titre de l’œuvre (souligné) et du texte entre guillemets. Présenter l’histoire (résumé) en 2 ou 3 lignes

  1. c) situer le texte (à l’aide du paratexte = ce qui est écrit en haut du texte en italique)
  2. d) problématique explicite : sur quoi allez vous réfléchir ?
  3. e) annonce du plan : Au bac en technologique on vous donne les axes. Utilisez-les !

Le développement

Présentation sur la page (typographie) :

  • Sauter 2 lignes entre introduction et développement
  • Sauter 1 ligne entre chaque sous-partie
  • Alinéa en début de paragraphe
  • Commencer chaque partie (I et II) en annoncant le thème de la partie
  • Vos arguments (c’est à dire l’idée que vous défendez à propos du texte doit toujours être accompagnée de citations provenant du texte.   C’est la preuve que vous avez pour vous justifier!!! Ne vous contentez pas de N° de ligne   . JE VEUX des citations du texte qui arrivent avec logique dans vos phrases pour prouver ce que vous dites sur le texte.    

 

  • Entre chaque partie et chaque sous-partie, faites une transition (c’est à-dire une phrase qui reprend très brièvement l’essentiel de ce que vous venez de dire et qui annonce ce que vous allez dire)

Ne séparez jamais le fond (les idées) de la forme (le style, la manière dont les idées sont dites : figures de style, négation, champ lexical…)

  • Souligner les titres des œuvres
  • Mettre des guillemets chaque fois que vous citez le texte

Dans un commentaire, on analyse la forme pour comprendre le sens (ou l’inverse) mais on ne sépare pas l’un de l’autre. C’est à dire qu’il ne sert à rien de relever le champ lexical de la pluie si vous ne pouvez pas dire pourquoi il y en a un et à quoi il sert dans le texte….

Conclusion :

  1. Récapituler vos 2 (ou 3) grandes parties : une ou deux phrases par partie.
  2. Ouverture : Terminez votre devoir avec un autre texte en similitude (un autre texte du corpus par exemple) ou la citation (qui a un rapport avec le devoir !) d’un auteur…/Ou si vous n’avez vraiment rien d’autre, une considération personnelle sur le texte si elle est réfléchie !

Présentation :

1 bloc pour l’intro

Saut de 2 lignes

 

1 bloc pour la 1ere question

Saut de 2 lignes

 

1 bloc pour la 2eme question

Saut de 2 lignes

 

Conclusion

Vous ferez le commentaire littéraire du texte ci-dessous en vous aidant des axes suivants :

  1. Force réaliste du passage
  2. Entre tragédie et farce (grotesque)

Gustave Flaubert (1821-1880).   

Emma, jeune provinciale nourrie de lectures de romans a épousé un médecin de campagne, Charles Bovary. Elle s’ennuie, rêve d’une autre vie, prend des amants et s’endette… Elle finit par s’empoisonner au cyanure.

 

Cependant elle n’était plus aussi pâle, et son visage avait une expression de sérénité, comme si le sacrement l’eût guérie.

Le prêtre ne manqua point d’en faire l’observation ; il expliqua, même à Bovary que le Seigneur, quelquefois, prolongeait l’existence des personnes lorsqu’il le jugeait convenable pour leur salut ; et Charles se rappela un jour où, ainsi près de mourir, elle avait reçu la communion.
— Il ne fallait peut-être pas se désespérer, pensa-t-il.

En effet, elle regarda tout autour d’elle, lentement, comme quelqu’un qui se réveille d’un songe ; puis, d’une voix distincte, elle demanda son miroir, et elle resta penchée dessus quelque temps, jusqu’au moment où de grosses larmes lui découlèrent des yeux. Alors elle se renversa la tête en poussant un soupir et retomba sur l’oreiller.
Sa poitrine aussitôt se mit à haleter rapidement. La langue tout entière lui sortit hors de la bouche ; ses yeux, en roulant, pâlissaient comme deux globes de lampe qui s’éteignent, à la croire déjà morte, sans l’effrayante accélération de ses côtes, secouées par un souffle furieux, comme si l’âme eût fait des bonds pour se détacher. Félicité s’agenouilla devant le crucifix, et le pharmacien lui-même fléchit un peu les jarrets, tandis que M. Canivet regardait vaguement sur la place. Bournisien s’était remis en prière, la figure inclinée contre le bord de la couche, avec sa longue soutane noire qui traînait derrière lui dans l’appartement. Charles était de l’autre côté, à genoux, les bras étendus vers Emma. Il avait pris ses mains et il les serrait, tressaillant à chaque battement de son cœur, comme au contrecoup d’une ruine qui tombe. À mesure que le râle devenait plus fort, l’ecclésiastique précipitait ses oraisons ; elles se mêlaient aux sanglots étouffés de Bovary, et quelquefois tout semblait disparaître dans le sourd murmure des syllabes latines, qui tintaient comme un glas de cloche.

 

Tout à coup, on entendit sur le trottoir un bruit de gros sabots, avec le frôlement d’un bâton ; et une voix s’éleva, une voix rauque, qui chantait :

Souvent la chaleur d’un beau jour
Fait rêver fillette à l’amour.


Emma se releva comme un cadavre que l’on galvanise, les cheveux dénoués, la prunelle fixe, béante.
Pour amasser diligemment
Les épis que la faux moissonne,
Ma Nanette va s’inclinant
Vers le sillon qui nous les donne.


— L’Aveugle s’écria-t-elle.

Et Emma se mit à rire, d’un rire atroce, frénétique, désespéré, croyant voir la face hideuse du misérable, qui se dressait dans les ténèbres éternelles comme un épouvantement.

Il souffla bien fort ce jour-là,
Et le jupon court s’envola !


Une convulsion la rabattit sur le matelas. Tous s’approchèrent. Elle n’existait plus.

Flaubert – Madame Bovary – Extrait de la troisième partie, chapitre VIII

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Méthode

A vous de faire une fiche méthodologique sur la dissertation à partir des vidéos ci-dessus.

 

Sujet :

On dit souvent que le roman est le reflet de la société.

Vous discuterez cette affirmation en vous appuyant sur les romans que vous avez étudiés ainsi que sur vos lectures personnelles.

Plan proposé

  1. Le roman, reflet de la société

Romans réalistes et naturalistes cherchent la fidélité dans leur description de la société.

2. Un reflet trompeur parce que subjectif et partial  

Le reflet suppose une image parfaite qui ne serait qu’une reproduction fidèle . Mais en réalité le romancier décrit une société qui passe par SON regard.

   L’image donnée de la société dans le roman peut être soumise à la subjectivité d’un auteur mais aussi , et à travers lui, d’un personnage. Donc le roman peut être un reflet infidèle,    une image déformée de la société.

3. Le roman est   davantage une réflexion sur le monde qu’un simple reflet de la société.

Le roman ne se contente pas de refléter la société, il l’analyse et la juge. Même les romans utopiques ou dystopiques   totalement fantaisistes, proposent finalement une réflexion sur nos sociétés