Introduction
Michel de Montaigne est un philosophe et écrivain humaniste né en 1533. Parlementaire, Maire de Bordeaux, il n’ignore pas les événements majeurs qui remettent en question la place de l’homme depuis la fin du XV° siècle : la théorie de l’héliocentrisme[1] de Copernic, les découvertes du Nouveau Monde (à partir de 1492) qui contraignent l’homme blanc à se questionner sur ce qu’est l’humanité…Et les guerres de religion qui déchirent la France à partir de 1562 (1562-1598).
A partir de 1572, Montaigne rédige ses Essais (1580 ) qu’il ne cessera d’enrichir jusqu’à sa mort. C’est une forme nouvelle de littérature dans laquelle l’auteur emploie la première personne et s’interroge sur lui-même et sur le monde.
L’extrait que nous avons à expliquer se situe au chapitre XXXI du livre I (1595),intitulé « Des Cannibales » . L’auteur nous informe des mœurs cannibales et compare nos pratiques avec celles de ces « sauvages etnous conduit vers une réflexion sur notre propre barbarie. Nous tenterons de montrer comment se manifeste ici l’humanisme de Montaigne en montrant en quoi la structure de l’argumention permet de dépasser les préjugés (I), de montrer un intérêt pour l’humanité(II) et de dénoncer la barbarie des Européens (III).(Ce qui est souligné, c’est à dire plan et problématique, dépendent de la problématique que vous donnera l’examinateur)
I. Une argumentation qui permet de dépasser les préjugés
Montaigne commence par donner des informations, dire ce qu’il sait (pour l’avoir lu) sur les mœurs des Indiens du Brésil (cannibales). Il utile pour cela le présent : et donne une description assez précise de la façon dont ces cannibales traitent leurs prisonniers : « Après avoir longtemps bien traité leurs prisonniers » … « il attache une corde à l’un des bras du prisonnier »… « Cela fait, ils le rôtissent et en mangent en commun »
Il pousse ainsi le lecteur à porter deux jugements :
Sur l’exécution des prisonniers = barbare mais moins que ce que nous sommes capables de faire. D’ailleurs , les « sauvages » finissent par imiter les Portugais qu’ils considèrent comme des maitres en matière de barbarie. » les enterrer jusqu’à la ceinture… tirer … les pendre », « la connaissance de beaucoup de vices » « beaucoup plus grand maître qu’eux en toute sorte de méchanceté »
Sur le cannibalisme = acte banal, anodin (même s’il est insolite) que les européens eux-mêmes ont pratiqué (justifié par les exemples historiques) : « Chrysippe et Zénon… ont bien pensé qu’il n’y avait aucun mal de se servir de notre charogne …comme le firent nos ancêtres, étant assiégés par César … “ Les Gascons, dit-on, en faisant usage de pareils aliments , prolongèrent leur vie. ” .(Arguments d’autorité pris dans l’histoire et qui valident les propos de Montaigne)
II. Montrer un intérêt pour l’humanité
a) Les mots qu’utilise Montaigne interroge sur la place que chacun de nous donne à l’autre : le barbare, c’est toujours l’autre. C’est le « sauvage » , puis le « portugais » et enfin « nous »
La comparaison entre les sauvages et nous, n’est pas à notre avantage : «jugeant bien de leur faute, nous soyons si aveugles à l’égard des nôtres ». Il faut donc revoir le sens du mot barbare
Montaigne a le souci d’informer son lecteur. Il fait d’abord l’éloge des qualités des sauvages : « tout nus », « Arcs », « épées de bois »… Bien qu’ils soient très peu équipés, ils sont très courageux et ne connaissent pas la peur.
Ils traitent leurs prisonniers le mieux possible : « longtemps bien traité leurs prisonniers, et avec tous les agréments » …Il ne s’agit pas de vengeance individuelle mais d’un acte collectif ritualisé : l’exécution se déroule toujours de la même manière et respecte différentes étapes :
- hébergement « longtemps » du prisonnier ;
- Rituel collectif ; réunit les présents et les absents.en mangent en commun et en envoient aussi des morceaux à ceux de leurs amis qui sont absents ».
- Fonction symbolique du rituel : il faut de la communauté face aux tribus adverses
« pour manifester une très grande vengeance »
III. Dénonciation de la barbarie des Européens
a) A travers la critique des Portugais, ce sont tous les Européens qui sont concernés : il y a responsabilité collective qui se manifeste par l’emploi du pronom personnel pluriel « nous les surpassons en toutes sortes de barbarie »
Montaigne cherche davantage à persuader qu’à convaincre :
- il provoque le dégoût, la répulsion l’horreur : pour montrer la cruauté des Européens
b) Les colons sont ceux qui corrompent les indigènes, qui ont la connaissance de « beaucoup de vices », ils sont : « plus grands maîtres …en toutes sortes de méchanceté », et donc pris en exemple par les indigènes pour les raffinements de la torture.
c) Massacrer, torturer ne sont pas des pratiques exotiques lointaines, anciennes… C’est l’occasion pour Montaigne d’évoquer les guerres de religion : « nous l’avons non seulement lu mais vu de fraîche date , non entre des ennemis anciens, mais entre des voisins et des concitoyens et, qui pis est, sous prétexte de piété et de religion » ; ainsi, si les cannibales font des guerres « contre les nations qui sont au-delà de leurs montagnes » nous, nous faisons la guerre « entre des voisins et des concitoyens »
Les cannibales tuent de façon ritualisée « pour manifester une très grande vengeance » alors que nous nous tuons « sous prétexte de piété et de religion » ce qui est absurde, choquant et inacceptable
Conclusion :
Ainsi nous avons vu que l’auteur loin de se contenter d’adhérer à l’étonnement indigné des Européens face aux mœurs de cannibales parvient, par son argumentation, à nous donner sa propre définition de la barbarie et à nous montrer la nôtre, pire en fin de compte que celle des cannibales.
Montaigne part du scandale du cannibalisme (pratique qui choque ses contemporains) pour finalement condamner les traitements barbares infligés par les Portugais (par les Européens en général) aux Indiens. À la fin du texte l’indignation que les lecteurs ressentaient pour le cannibalisme se reporte sur la cruauté des colonisateurs. Au final ce que demande Montaigne c’est : et si les barbares c’étaient nous ? « Nous les (cannibales) pouvons donc bien appeler barbares, eu égard aux règles de la raison, mais non pas eu égard à nous, qui les surpassons en toute sorte de barbarie. »
Humaniste, Montaigne considère que « chaque homme porte en lui l’humaine condition » qu’il soit Indien du Brésil ou protestant…Ouverture : Mettre en lien avec un autre texte du corpus, ou un film… les Essais sont à l’origine du mythe du bon sauvage
[1] C’est la terre qui tourne autour du soleil(Héliocentrisme) et non l’inverse (Géocentrisme)comme on le croyait jusque là.
Carte XMIND du texte
Proposition de lecture analytique
Questions possibles à l’entretien oral :
Qu’est-ce qu’un essai ?
Donnez des exemples d’argumentation directe
Qu’est-ce que l’Humanisme ?
Que savez-vous de Montaigne ?
Qu’est-ce qui fait de montagne un auteur humaniste ? Confiance dans les capacités de l’être humain, retour aux grands textes de l’Antiquité, libre diffusion du savoir (imprimerie et langue vulgaire), remise encore des croyances religieuses de la lumière de la raison.
- Quel rôle a joué la découverte de l’Amérique dans la naissance de l’humanisme ? Découverte d’un nouveau continent qui obligé d’Européens à s’interroger : les amérindiens sont-ils des hommes comme nous ? (Controverse de Valladolid) qu’est-ce qu’un homme ? Qu’est-ce que la nature ? Qu’est-ce que la civilisation ?
- En quoi la pensée de Montaigne est-elle moderne ? Tolérance, ouverture refus des préjugés, recherche du bonheur, relativisme (voir Lévi-Strauss)