
Définitions
Des différents sens du terme « ECHANGE”
Combien de sens peut-on donner au mot « échange » ?
- Échange économique : Concerne un bien ou un service qui est cédé moyennant une contrepartie (somme d’argent, troc).
- Échange communicationnel : Concerne la dimension de communication réciproque, que celle-ci soit verbale, ou gestuelle.
- Échange cinétique : Transmission réciproque d’une substance ou d’une énergie… dans le monde physique
I. POURQUOI ECHANGEONS-NOUS ?
PLATON

La cité se forme parce que chacun d’entre nous se trouve dans la situation de ne pas se suffire à lui- même, mais au contraire de manquer de beaucoup de choses […] Dès lors, un homme recourt à un autre pour un besoin particulier, puis à un autre en fonction de tel besoin, et parce qu’ils manquent d’une multitude de choses, les hommes se rassemblent nombreux au sein d’une même fondation, s’associant pour s’entraider. »
Platon, La République, livre II
« La cité est au nombre des réalités qui existent naturellement, et (…) l’homme est par nature un animal politique. Et celui qui est sans cité, naturellement et non par suite des circonstances, est ou un être dégradé ou au-dessus de l’humanité. (…)Mais que l’homme soit un animal politique à un plus haut degré qu’une abeille quelconque ou tout autre animal vivant à l’état grégaire, cela est évident. La nature, en effet, selon nous, ne fait rien en vain ; et l’homme seul de tous les animaux, possède la parole. Or, tandis que la voix ne sert qu’à indiquer la joie et la peine, et appartient aux animaux également (car leur nature va jusqu’à éprouver les sensations de plaisir et de douleur, et à se les signifier les uns aux autres), le discours sert à exprimer l’utile et le nuisible, et, par suite aussi, le juste et l’injuste ; car c’est le caractère propre à l’homme par rapport aux autres animaux, d’être le seul à avoir le sentiment du bien et du mal, du juste et de l’injuste, et des autres notions morales, et c’est la communauté de ces sentiments qui engendre famille et cité ».
Aristote, La Politique (330 av. J-C.)
ARISTOTE

Disciple de Platon, fondateur du « Lycée » à Athènes, Aristote est un penseur encyclopédique car aucune des dimensions du savoir humain ne lui est étrangère. Il a rédigé une poétique qui définit l’art de l’épopée, de la tragédie et de la comédie. L’ouvrage contenant cette dernière a malheureusement disparu. C’est cette disparition qui sert de fil d’Ariane au roman d’Umberto Eco, Le Nom de la rose.
L’homme a une inclination à s’associer, parce que dans un tel état il se sent plus qu’homme, c’est-à-dire qu’il sent le développement de ses dispositions naturelles. Mais il a aussi un grand penchant à se séparer [s’isoler] : en effet, il trouve en même temps en lui l’insociabilité qui fait qu’il ne veut tout régler qu’à sa guise et il s’attend à provoquer surtout une opposition des autres, sachant bien qu’il incline lui-même à s’opposer à eux. Or, c’est cette opposition qui éveille toutes les forces de l’homme, qui le porte à vaincre son penchant à la paresse, et fait que, poussé par l’appétit des honneurs, de la domination et de la possession, il se taille une place parmi ses compagnons qu’il ne peut souffrir mais dont il ne peut se passer. Ainsi vont les premiers véritables progrès de la rudesse à la culture, laquelle repose à proprement parler sur la valeur sociale de l’homme; ainsi tous les talents sont peu à peu développés, le goût formé,(…) Sans ces propriétés, certes en elles-mêmes fort peu engageantes, de l’insociabilité, d’où naît l’opposition que chacun doit nécessairement rencontrer à ses prétentions égoïstes, tous les talents resteraient cachés en germe pour l’éternité, dans une vie de bergers d’Arcadie3
Emmanuel Kant, Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique, 1784, Quatrième proposition
KANT
(1724-1804)
Philosophe allemand des Lumières.
L’Idée d’une histoire universelle est un article publié en 1784. L’histoire a, selon son point de vue, un sens, une direction, orchestrés par la nature, dont le but ultime est l’avènement de comportements individuels raisonnables et l’entente générale entre les peuples.
“Traite toujours autrui comme une fin et jamais seulement comme un moyen” E. Kant
Jean-Jacques ROUSSEAU

Ecrivain et philosophe de langue française, né à Genève dans une famille calviniste. Jean-Jacques Rousseau, orphelin de mère, est abandonné par son père à l’âge de 10 ans et élevé par son oncle. Son éducation se fait au gré de ses fugues, de ses errances à pied, et de ses rencontres, en particulier Mme de Warens. Sa maîtresse et bienfaitrice qui influencera son oeuvre s’attache à parfaire son éducation et le contraint à se convertir au catholicisme. En 1750 dans son “Discours sur les sciences et les arts”. Il prend comme hypothèse méthodologique ce qui va devenir le thème central de sa philosophie : l’homme naît naturellement bon et heureux, c’est la société qui le corrompt et le rend malheureux. Il réfute ainsi la notion de péché originel. »
« Dans l’échange avec autrui, l’individu est-il véritablement lui-même ? Ne joue-t-il pas au contraire un certain rôle social ?
Quel spectacle pour un Caraïbe que les travaux pénibles et enviés d’un ministre européen ! Combien de morts cruelles ne préférerait pas cet indolent sauvage à l’horreur d’une pareille vie qui souvent n’est pas même adoucie par le plaisir de bien faire ? Mais pour voir le but de tant de soins, il faudrait que ces mots, puissance et réputation, eussent un sens dans son esprit, qu’il apprît qu’il y a une sorte d’hommes qui comptent pour quelque chose les regards du reste de l’univers, qui savent être heureux et contents d’eux-mêmes sur le témoignage d’autrui plutôt que sur le leur propre1 . Telle est, en effet, la véritable cause de toutes ces différences : le sauvage vit en lui-même; l’homme sociable toujours hors de lui ne fait vivre que dans l’opinion des autres, et c’est, pour ainsi dire, de leur seul « jugement qu’il tire le sentiment de sa propre existence. Il n’est pas de mon sujet de montrer comment d’une telle disposition naît tant d’indifférence pour le bien et le mal, avec de si beaux discours de morale; comment, tout se réduisant aux apparences, tout devient factice et joué2 ; honneur, amitié, vertu, et souvent jusqu’aux vices mêmes, dont on trouve enfin le secret de se glorifier; comment, en un mot, demandant toujours aux autres ce que nous sommes et n’osant jamais nous interroger là-dessus nous-mêmes, au milieu de tant de philosophie, d’humanité, de politesse et de maximes sublimes, nous n’avons qu’un extérieur trompeur et frivole, de l’honneur sans vertu, de la raison sans sagesse, et du plaisir sans bonheur. Il me suffit d’avoir prouvé que ce n’est point là l’état originel de l’homme et que c’est le seul esprit de la société et l’inégalité qu’elle engendre qui changent et altèrent ainsi toutes nos inclinations naturelles. »
Rousseau, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes,(1754) IIème partie »
A. Echanges marchands
MONTESQUIEU
1689 -1755

Charles-Louis de Secondat, baron de La Brède et de Montesquieu est un moraliste et surtout un penseur politique, précurseur de la sociologie, philosophe et écrivain français des Lumières. Dans De l’esprit des lois (1748) il développe sa réflexion sur la répartition des fonctions de l’État entre ses différentes composantes, appelée postérieurement « principe de séparation des pouvoirs ». Montesquieu, avec entre autres John Locke, est l’un des penseurs de l’organisation politique et sociale sur lesquels les sociétés modernes et politiquement libérales s’appuient
“L’effet naturel du commerce est de porter à la paix. Deux nations qui négocient ensemble se rendent réciproquement dépendantes : si l’une a intérêt d’acheter, l’autre a intérêt de vendre, et toutes les unions sont fondées sur des besoins mutuels. Mais, si l’esprit de commerce unit les nations, il n’unit pas de même les particuliers. Nous voyons que dans les pays où l’on n’est affecté que de l’esprit de commerce, on trafique de toutes les actions humaines, et de toutes les vertus morales : les plus petites choses, celles que l’humanité demande, s’y font ou s’y donnent pour de l’argent.
L’esprit de commerce produit dans les hommes un certain sentiment de justice exacte, opposé d’un côté au brigandage, et de l’autre à ces vertus morales qui font qu’on ne discute pas toujours ses intérêts avec rigidité, et qu’on peut les négliger pour ceux des autres.”
Montesquieu, De L’Esprit des lois
« Les échanges économiques : Capitalisme, communisme, libéralisme, ultra libéralisme
Au XVIII° et surtout au XIX°, l’industrialisation croissante va provoquer des bouleversements dans les pratiques de production et les théories économiques.
La notion de profit est liée à celle de production et le fordisme ou le taylorisme mettent en avant des méthodes de production plus efficaces…
Taylorisme et fordisme
Adam SMITH
1723-1790

Philosophe et économiste écossais des Lumières. Il reste dans l’histoire comme le père de la science économique moderne, dont l’œuvre principale, les Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, est un des textes fondateurs du libéralisme économique.
Dans tout autre art et manufacture, les effets de la les mêmes que ceux que nous venons d’observer dans la fabrique d’une épingle, quoiqu’en un grand nombre le travail ne puisse pas être aussi subdivisé ni réduit à des opérations d’une aussi grande simplicité.
Toutefois, dans chaque art, la division du travail, aussi loin qu’elle peut y être portée, donne lieu à un accroissement proportionnel dans la puissance productive du travail. C’est cet avantage qui parait avoir donné naissance à la séparation des divers emplois et métiers. Aussi cette séparation est en général poussée plus loin dans les pays qui jouissent du plus haut degré de perfectionnement : ce qui, dans une société encore un peu grossière, est l’ouvrage d’un seul homme, devient, dans une société plus avancée, la besogne de plusieurs. Dans toute société avancée, un fermier en général n’est que fermier, un fabricant n’est que fabricant. Le travail nécessaire pour produire complètement un objet manufacturé est aussi presque toujours divisé entre un grand nombre de mains. Que de métiers différents sont employés dans chaque branche des ouvrages manufacturés, de toile ou de laine, depuis l’ouvrier qui travaille à faire croître le lin et la laine jusqu’à celui qui est employé à blanchir et à lisser la toile ou à teindre et à lustrer le drap !”
Adam Smith, Recherches sur la Nature et les Causes de la Richesse des Nations, 1776
- TROC : ne fonctionne que si chacun est intéressé par l’objet de l’autre (ne fonctionne que pour des groupes limités)
- ARGENT : Echangeable contre n’importe quoi- Permet des échanges incessants
On peut distinguer avec Aristote et Marx, entre la valeur d’usage et la valeur d’échange
- La valeur d’usage d’une chose est son utilité pour la consommation
- La valeur d’échange est l’utilité pour le commerce.
Karl Marx précise que la valeur d’échange d’une marchandise dépend de la quantité de travail matérialisée en elle. Il partira de ce que dénonçait Aristote : la confusion entre monnaie et richesse : La monnaie est nécessaire à l’échange, la richesse, c’est du profit. Aristote, constatait déjà que l’argent peut tout pervertir et que le danger c’est l’échange chrématistique, c’est à dire lorsque l’argent n’est plus un intermédiaire pour l’obtention de biens mais l’acquisition d’argent, donc le profit : « l’argent produit de l’argent de telle sorte que cette manière d’acquérir des richesses soit la plus contre nature »
En faisant de l’argent une fin en soi, on modifie profondément et négativement les relations dans la Cité.
Le courant socialiste, voit dans le commerce et plus spécialement dans le capitalisme une « exploitation de l’homme par l’homme » (Marx). Le marxisme considère que l’économie capitaliste repose sur des échanges injustes entre ceux qui possèdent les moyens de production (capitalistes) et ceux qui ne possèdent que leur force de travail (prolétaires). L’injustice tient en ce que la plus-value (bénéfice) produite par les travailleurs est accaparée par les possédants.
KARL MARX
(1818 - 1883)

Karl Heinrich Marx historien,journaliste, philosophe,économiste et théoricien révolutionnaire socialiste et communiste allemand.
Il est connu pour sa description des rouages du capitalisme, et pour son activité révolutionnaire au sein des organisations ouvrières en Europe. L’ensemble des courants de pensées inspirés des travaux de Marx est désigné sous le nom de marxisme. Karl Marx développe une philosophie basée sur la lutte des classes (exploitants et exploités) qui est le moteur de l’histoire. Le prolétariat doit s’organiser à l’échelle internationale afin de s’emparer du pouvoir et, après une période de transition (dictature du prolétariat), conduire à l’abolition des classes et la disparition de l’Etat (communisme). Karl Marx prédit la fin de la société actuelle où le capitalisme se détruira lui-même, permettant ainsi l’avènement d’un état ouvrier.Il rédige avec Engels le “Manifeste du parti communiste”.
L’ouvrier est propriétaire de sa force de travail tant qu’il en débat le prix de vente avec le capitaliste, et il ne peut vendre que ce qu’il possède, sa force individuelle. Ce rapport ne se trouve en rien modifié, parce que le capitaliste achète cent forces de travail au lieu d’une, ou passe contrat non avec un, mais avec cent ouvriers indépendants les uns des autres et qu’il pourrait employer sans les faire coopérer. Le capitaliste paye donc à chacun des cent sa force de travail indépendante, mais il ne paye pas la force combinée de la centaine. Comme personnes indépendantes, les ouvriers sont des individus isolés qui entrent en rapport avec le même capital mais non entre eux. Leur coopération ne commence que dans le procès de travail; mais là ils ont déjà cessé de s’appartenir. Dès qu’ils y entrent, ils sont incorporés au capital. (…)
L’effet de la coopération simple éclate d’une façon merveilleuse dans les oeuvres gigantesques des anciens Asiatiques, des Egyptiens, des Étrusques, etc. (…)
La coopération, telle que nous la trouvons à l’origine de la civilisation humaine, chez les peuples chasseurs [20], dans l’agriculture des communautés indiennes, etc., repose sur la propriété en commun des conditions de production et sur ce fait, que chaque individu adhère encore à sa tribu ou à la communauté aussi fortement qu’une abeille à son essaim. Ces deux caractères la distinguent de la coopération capitaliste. L’emploi sporadique de la coopération sur une grande échelle, dans l’antiquité, le moyen âge et les colonies modernes, se fonde sur des rapports immédiats de domination et de servitude, généralement sur l’esclavage. Sa forme capitaliste présuppose au contraire le travailleur libre, vendeur de sa force. Dans l’histoire, elle se développe en opposition avec la petite culture des paysans et l’exercice indépendant des métiers, que ceux-ci possèdent ou non la forme corporative. En face d’eux la coopération capitaliste n’apparaît point comme une forme particulière de la coopération; mais au contraire la coopération elle-même comme la forme particulière de la production capitaliste.
Si la puissance collective du travail, développée par la coopération, apparaît comme force productive du capital, la coopération apparaît comme mode spécifique de la production capitaliste. C’est là la première phase de transformation que parcourt le procès de travail par suite de sa subordination au capital. Cette transformation se développe spontanément. Sa base, l’emploi simultané d’un certain nombre de salariés dans le même atelier, est donnée avec l’existence même du capital, et se trouve là comme résultat historique des circonstances et des mouvements qui ont concouru à décomposer l’organisme de la production féodale.
LIBERALISME ET ULTRA LIBERALISME
- Libéralisme : économie de marché ou l’état intervient.
Pour le courant libéral, le commerce pacifie et civilise. « Partout où il y a des moeurs douces, il y a du commerce ; et […] partout où il y a du commerce, il y a des moeurs douces», note Montesquieu. C’est la thèse du « doux commerce ».
Le libéralisme ne souhaite pas une société de marché, mais seulement une économie de marché, où l’État intervient. Car si le marché produit de la richesse, il ne produit pas de justice. Dès lors, c’est à la politique d’instaurer la justice sociale : veiller à la juste répartition des richesses et à l’universalité des services essentiels (éducation, santé…).
Mondialisation : aggrave les inégalités, favorise les grands intérêts financiers avant les citoyens, abolit diversité culturelle
- Ultralibéralisme : société de marché ou l’état à un rôle minimal. Tout est à vendre, partout (mondialisation)
- L’ultralibéralisme souhaite une société de marché, où tout serait à vendre, et partout (mondialisation). Dès lors, l’État ne devrait avoir qu’un rôle minimal, et devrait laisser s’exercer librement les échanges économiques (libre- échange).
B. Echanges non marchands
Cause LEVI-STRAUSS

C.Levi-Strauss place les échanges matrimoniaux au coeur du système d’échange des sociétés archaïques. Les femmes constituent un bien important: L’interdit de l’inceste fonde une règle d’échange et de circulation, de communication et de don. Cette prohibition de l’inceste est donc le premier échange fondamental pour la constitution des sociétés humaines.
(…) Que l’on se trouve dans le cas technique du mariage dit « par échange », ou en présence de n’importe quel autre système matrimonial, le phénomène fondamental qui résulte de la prohibition de l’inceste est le même : à partir du moment où je m’interdis l’usage d’une femme, qui devient ainsi disponible pour un autre homme, il y a, quelque part, un homme qui renonce à une femme qui devient, de ce fait, disponible pour moi. Le contenu de la prohibition n’est pas épuisé dans le fait de la prohibition ; celle-ci n’est instaurée que pour garantir et fonder, directement ou indirectement, immédiatement ou médiatement, un échange
Claude LEVI-STRAUSS, Les Structures élémentaires de la parenté , P.U.F. éd., pp. 56-65
David Émile DURKHEIM
( 1858- 1917 )
Il est l’un des fondateurs de la sociologie moderne.

Les relations amicales sont fondées pour Durkheim sur une complémentarité nécessaire. Chacun y trouve son compte. La solidarité qui caractérise les sociétés modernes, découle du même principe : de la différence et de la complémentarité des individus. La division du travail (tous les partages de tâches entre les individus liées à la spécialisation dans une société), rend les rôles sociaux différenciés et complémentaires et favorise les interactions entre des individus autonomes, chacun se sentant à la fois utile aux autres et dépendant d’eux .
Si richement doués que nous soyons, il nous manque toujours quelque chose, et les meilleurs d’entre nous ont le sentiment de leur insuffisance. C’est pourquoi nous cherchons chez nos amis les qualités qui nous font défaut , parce qu’en nous unissant à eux nous participons en quelques manière a leur nature, et que nous nous sentons alors moins incomplets. Il se forme ainsi de petites associations d’amis où chacun a son rôle conforme a son caractère ou il y a un véritable échange de services. L’un protège, l’autre console ; celui-ci conseille, celui-là exécute, et c’est ce que partage des fonctions ou pour employer l’expression consacrée, cette division du travail qui détermine ces relations d’amitié .
Nous sommes ainsi conduits a considérer la division du travail sous un nouvel aspect. Dans ce cas, en effet, les services économiques qu’elle peut rendre sont peu de chose a coté de l’effet moral qu’elle produit, et sa véritable fonction est de créer entre deux ou plusieurs personnes un sentiment de solidarité. De quelque manière que ce résultat soit obtenu, c’est elle qui suscite ces sociétés d’amis, et elle les marque de son empreinte.
Emile Durkheim, De la division du travail Social
Arthur Schopenhauer
(1788 -1860 )

Philosophe allemand, issu d’une riche famille de banquiers. Arthur Schopenhauer vit en célibataire, sans responsabilité sociale, enclin à la mélancolie et au cynisme. Il expose sa philosophie, très tôt élaborée, dans son ouvrage majeur Le Monde comme volonté et représentation (1819) .
Sa pensée est celle d’un pessimisme athée.
Vivant en solitaire, avec sa chienne Atma à qui il léguera sa fortune, il accède cependant à la renommée à la fin de sa vie grâce à quelques disciples et à des ouvrages sous forme d’aphorismes (Parerga et Paralipomena) qui facilitèrent la diffusion de sa doctrine.
« On peut encore envisager la sociabilité chez les hommes comme un moyen de se réchauffer réciproquement l’esprit, analogue à la manière dont ils se chauffent mutuellement le corps quand, par les grands froids, ils s’entassent et se pressent les uns contre les autres. Mais qui possède en soi-même beaucoup de calorique intellectuel n’a pas besoin de pareils entassements. On trouvera dans le 2e volume de ce recueil, au chapitre final, un apologue imaginé par moi. […]
« Par une froide journée d’hiver, un troupeau de porcs-épics s’était mis en groupe serré pour se garantir mutuellement contre la gelée par leur propre chaleur. Mais tout aussitôt ils ressentirent les atteintes de leurs piquants, ce qui les fit s’éloigner les uns des autres. Quand le besoin de se chauffer les eut rapprochés de nouveau, le même inconvénient se renouvela, de façon qu’ils étalent ballottés de çà et de là entre les deux souffrances, jusqu’à ce qu’ils eussent fini par trouver une distance moyenne qui leur rendit la situation supportable. Ainsi, le besoin de société, né du vide et de la monotonie de leur propre intérêt, pousse les hommes les uns vers les autres ; mais leurs nombreuses qualités repoussantes et leurs insupportables défauts les dispersent de nouveau. La distance moyenne qu’ils finissent par découvrir et à laquelle la vie en commun devient possible, c’est la politesse et les belles manières. En Angleterre, on crie à celui qui ne se tient pas à cette distance : Keep your distance ! - Par ce moyen, le besoin de chauffage mutuel n’est, à la vérité, satisfait qu’à moitié, mais en revanche on ne ressent pas la blessure des piquants. - Celui-là cependant qui possède beaucoup de calorique propre préfère rester en dehors de la société pour n’éprouver ni ne causer de peine. »
Arthur Schopenhauer, Parerga und Paralipomena, t. II, chap. 31, in Aphorismes sur la sagesse dans la vie , PUF Quadrige
III. LE DON ET L'ECHANGE

Pierre BOURDIEU
(1930-2002)
C’est l’un des sociologues français les plus importants de la deuxième moitié du xxe siècle.
Pour Bourdieu, l’intervalle temporel entre don et contre-don est justifié pour permettre à chacun d’avoir le sentiment de donner sans reprendre aussitôt. Donc de se débarasser du« calcul initial » qu’il y a dans tout don.
« (…) c’était le rôle déterminant de l’intervalle temporel entre le don et le contre-don, le fait que, pratiquement dans toutes les sociétés, il est tacitement admis qu’on ne rend pas sur-le-champ ce qu’on a reçu — ce qui reviendrait à refuser. Puis je m’interrogeais sur la fonction de cet intervalle : pourquoi faut-il que le contre-don soit différé et différent ? Et je montrais que l’intervalle avait pour fonction de faire écran entre le don et le contre-don, et de permettre à des actes parfaitement symétriques d’apparaître comme des actes uniques, sans lien.
Si je peux vivre mon don comme un don gratuit, généreux, qui n’est pas destiné à être payé de retour, c’est d’abord qu’il y a un risque, si minime soit-il, qu’il n’y ait pas de retour (il y a toujours des ingrats), donc un suspense, une incertitude, qui fait exister comme tel l’intervalle entre le moment ou l’on donne et le moment ou l’on reçoit. […]
Tout se passe donc comme si l’intervalle de temps, qui distingue l’échange de dons du donnant-donnant, était là pour permettre à celui qui donne de vivre son don comme un don sans retour, et à celui qui rend de vivre son contre-don comme gratuit et non déterminé par le calcul initial.
Bourdieu, Raisons pratiques, Seuil, 1994, p.179
Définition des notions de don et d’échange.
a) Le don.
Par « don » il faut entendre ici « l’action d’abandonner gratuitement et volontairement à quelqu’un la propriété ou la jouissance de quelque chose » (Le petit Robert) ou « ce qu’on abandonne à quelqu’un sans rien recevoir de lui en échange » (Ibid).
Donner c’est donc faire cadeau à quelqu’un de quelque chose. L’acte connote les idées d’offrande, de gratuité, de générosité, de désintéressement comme cela apparaît dans l’expression « le don de soi », rapport oblatif à autrui qui peut aller du dévouement au sacrifice de soi.
b) L’échange.
Echanger consiste aussi à céder quelque chose à quelqu’un mais moyennant contrepartie. Je te donne ceci mais je ne te le donne pas gratuitement ; en retour tu dois me donner autre chose, l’échange supposant une entente sur la règle fondant la justice de la transaction.
L’échange est donc un mouvement d’intention réciproque entre deux parties alors que le don implique, en toute rigueur, la transgression de la réciprocité. Il s’effectue dans un seul sens, du donateur vers le donataire sans obligation d’un retour du donataire vers le donateur.
Marcel MAUSS
1872-1950

Marcel Mauss est généralement considéré comme le « père de l’anthropologie française ». Il est surtout connu pour un certain nombre de grandes théories, notamment celle du don et du contre-don.
Mauss a le souci de saisir les réalités dans leur totalité : il élabore en ce sens le concept novateur de « fait social total » qui connaîtra un vif succès . Mauss considère qu’un fait social est intrinsèquement pluridimensionnel. Il comporte toujours à ses yeux des dimensions économiques, culturelles, religieuses, symboliques ou encore juridiques et ne peut jamais être réduit à un seul de ces aspects.
« L’économie de l’échange-don est une économie du prestige qui déjoue la conceptualisation utilitariste à plusieurs titres. D’abord, il faut souligner qu’elle met principalement en jeu des rapports de type affectif, qui s’articulent autour du désir de reconnaissance et de pouvoir, et qui se trouvent pour cela empreints d’une irrationalité foncière. En second lieu, elle concerne des biens symboliques qui ressortissent bien plus du luxe que du besoin. Enfin, elle s’appuie essentiellement sur des phénomènes de dépense, et non pas d’accumulation et de conservation ; son caractère n’est pas simplement improductif mais bien contre-productif, puisque résolument dispendieux. Insistons sur ces derniers points : de l’espace périphérique dans lequel à première vue – et même à seconde vue, puisque c’est aussi l’avis du rationalisme économique classique – ils semblent se mouvoir, le luxe et la dépense se déplacent au point d’occuper une position centrale quant aux fondements de la vie sociale et à son architecture. Une lecture nouvelle et paradoxale de l’échange en général est alors possible, qui trouve sa source dans une interprétation plus rigoureuse et plus fine de ce curieux «intérêt à la perte » caractéristique des sociétés archaïques et cependant proche de nous. Car identifier, comme on l’a fait précédemment, l’intérêt propre à la vision utilitariste de l’économie, dans laquelle nous sommes passés maîtres à une époque relativement récente, cela ne revient pas à épuiser tout le sens possible, ni sans doute à atteindre le sens primordial de la manière dont les hommes sont effectivement intéressés.
« Dans ces civilisations on est intéressé, mais d’une autre façon que de notre temps. On thésaurise, mais pour dépenser, pour « obliger », pour avoir des « hommes liges ». D’autre part, on échange, mais ce sont surtout des choses de luxe, des ornements, des vêtements, ou ce sont des choses immédiatement consommées, des festins. On rend avec usure, mais c’est pour humilier le premier donateur ou échangiste et non pas seulement pour le récompenser de la perte que lui cause une « consommation différée ». Il y a intérêt, mais cet intérêt n’est qu’analogue à celui qui, dit-on, nous guide » Sociologie et Anthropologie, p.270.271. » Bruno Karsenti, Marcel Mauss, le fait social total, p.124.125.
Cette lecture est ainsi une invitation à porter un regard plus averti sur notre propre société car : « est-il sûr qu’il en soit autrement parmi nous et que même la richesse ne soit pas avant tout le moyen de commander aux hommes ? » Mauss, Sociologie et anthropologie, p

Le Potlach
Le potlatch (chinook : donner) est un comportement culturel, souvent sous forme de cérémonie plus ou moins formelle, basé sur le don. Plus précisément, c’est un système de dons / contre-dons dans le cadre d’échanges non marchands. Une personne offre à une autre un objet en fonction de l’importance qu’elle accorde à cet objet (importance évaluée personnellement) ; l’autre personne, en échange, offrira en retour un autre objet lui appartenant dont l’importance sera estimée comme équivalente à celle du premier objet offert.
Originellement, la culture du potlatch était pratiquée autant dans les tribus du monde amérindien (les Amériques) que dans de nombreuses ethnies de l’océan Pacifique, jusqu’aux Indes. C’est pourquoi les premiers colons européens ont pu considérablement spolier les indigènes qui pratiquaient le potlatch, car ils échangeaient de l’or contre de la bimbeloterie ; les Indiens croyant à la valeur « potlatch » de ces échanges pensaient que ces trocs étaient équilibrés.
Dans la culture occidentale actuelle, on utilise aussi la formule « briller ou disparaître », qui reflète une dynamique de type potlatch, dans les contextes et cérémonies suivantes :
- Contribution aux repas communautaires, où chacun apporte spontanément un plat ou une boisson pour tous (salade, dessert…), aussi appelé « repas canadien » (sauf au Canada), en référence aux Amérindiens d’Amérique du Nord qui pratiquaient cette forme de potlatch.
- Obtention d’une légitimité et d’une position hiérarchique plus importante, en fonction de la qualité et de la quantité des contributions faites dans une dynamique de groupe (par exemple, dans les milieux associatifs, les personnes qui s’engagent le plus comme volontaires auront un accès prioritaire aux ressources collectives, comme le bus ou le matériel informatique de l’association à laquelle ils contribuent).
- Obtention des droits de modération dans une communauté virtuelle, comme c’est le cas de Wikipédia, en fonction des contributions antécédentes.
Le potlatch renvoie en philosophie à la notion de dépense pure (cf. Georges Bataille et Marcel Mauss). C’est un processus placé sous le signe de la rivalité, il faut dépasser les autres dons.
D’un autre côté, le philosophe Gilles Deleuze explique que « la relation créancier-débiteur » chez Nietzsche, qui « était première par rapport à tout échange », il faut la penser par rapport aux études ultérieures sur le potlatch1.
Source : Article Wikipédia
Quelques citations
Aristote, Politique
« L’homme est un animal politique »
« Née du besoin de vivre, la cité existe pour être heureux ».
Durkheim, De la division du travail social, 1893.
« Ce qui fait la valeur morale de la division du travail […], c’est que, par elle, l’individu reprend conscience de son état de dépendance vis-à-vis de la société. »
Marx, La question juive, 1844
«Le droit de propriété est donc le droit de jouir de sa fortune et d’en disposer « à son gré », sans se soucier des autres hommes, indépendamment de la société; c’est le droit de l’égoïsme. »
Bergson, Les Deux Sources de la morale et de la religion, 1932.
« La cohésion sociale est due, en grande partie, à la nécessité pour une société de se défendre contre d’autres, et […] c’est d’abord contre tous les autres hommes qu’on aime les hommes avec lesquels on vit. »
Hume, Traité de la Nature humaine, 1740
L’union des forces accroît notre pouvoir; la division des tâches accroît notre capacité; l’aide mutuelle fait que nous sommes moins exposés au sort et aux accidents. C’est ce supplément de force, de capacité et de sécurité qui fait l’avantage de la société. »
Sujets sur les Echanges
- L’intérêt personnel est-il un principe de tout échange ?
- Les relations humaines se réduisent-elles à un échange ?
- Qu’est-ce qui nous pousse à échanger ?
- Donner pour recevoir, est-ce le principe de tout échange ?
- Les échanges favorisent-ils la paix entre les hommes ?
- Les échanges unissent-ils les hommes ?
- Pourquoi échangeons-nous ?
- Qu’est-ce qui pousse les hommes à échanger?
- Toute relation à autrui est-elle un échange ?
- Un don peut-il être un acte désintéressé ou est-il nécessairement lié à un échange ?