Samuel Beckett, OH LES BEAUX JOURS

« Essayer. Rater. Essayer encore. Rater encore. Rater mieux. »

Samuel Beckett 

LE CONTEXTE …

Au lendemain de la 2° guerre mondiale (après 1945), et de ses abominations, la littérature et la philosophie subissent un profond questionnement et l’idée que la vie humaine est absurde devient prégnante.

Depuis la fin du XIX°, Dieu est mort (Nietzsche) et l’homme se retrouve seul face “au silence du monde”.

Se développe alors en France la philosophie existentialiste, portée par Jean-Paul Sartre. Selon lui, en l’absence d’un Dieu, l’homme détermine lui-même son existence :“L’existence précède l’essence”. Mais cette absence de Dieu, de croyance condamne l’homme à être libre, à être responsable de ce qu’il se fait.

A la même époque, Albert Camus développe une réflexion sur l’absurde notamment dans Le Mythe de Sisyphe. héros antique condamné par les dieux à pousser un rocher en haut d’une montagne. A chaque fois que Sisyphe est sur le point d’atteindre le sommet, le rocher tombe, et tout est à recommencer. Camus y voit à la fois un bonheur, parce que Sisyphe est totalement maître de son destin, et une tragédie, parce qu’il a pleinement conscience de l’absurdité de sa tâche. Sisyphe représente l’homme conscient de l’absurdité de son existence et qui pourtant continue …Cette conscience de l’absurde débouchera chez Camus sur la révolte.

Enfin, le nouveau théâtre (ou théâtre de l’absurde ) est porté par des auteurs comme Ionesco et Beckett (voir ci-après)

La particularité de Ionesco et Beckett est qu’ils ont exposé une philosophie dans un langage lui-même absurde qui réduit les personnages au rang de pantins, détruit entre eux toutes possibilités de communication, ôte toute cohérence à l’intrigue et toute logique aux propos tenus sur scène. L’absurdité des situations mais également la déstructuration du langage lui-même ont fait de ce style théâtral un mouvement dramatique à part entière. Ce type de théâtre montre une existence dénuée de signification et met en scène la déraison du monde dans laquelle l’humanité se perd. Il désigne essentiellement le théâtre de Beckett, Ionesco, Arrabal, les premières pièces d’Adamov et de Genet.

Le théâtre de l’absurde

L’AUTEUR & SON OEUVRE…

Biographie de Samuel Beckett (1906 -1989)

Oeuvres les plus célèbres en français

  • 1951 : Molloy (roman, depuis traduit en anglais par Beckett ) (1947)
  • 1952 : Malone meurt (roman) (1948)
  • 1952 : En attendant Godot (pièce en deux actes) (1949)
  • 1953 : L’Innommable (roman)
  • 1957 : Fin de partie (pièce en un acte)
  • 1963 : Oh les beaux jours (pièce en deux actes)
  • 1968 : Poèmes (1937-1949)
  • 1968 : Watt (roman) (1945)
  • 1991 : Cap au pire

Samuel Beckett est né 13 avril 1906, en Irlande, non loin de Dublin, dans une famille de bonne bourgeoisie protestante, d’une mère très religieuse qui présidait à la récitation des prières du soir avant le coucher de ses fils.

A dix-sept ans, il s’inscrit en lettres au Trinity College et se passionne pour la littérature française : Racine, Leconte de Lisle, José-Maria de Heredia, Henri de Régnier et Paul Verlaine. Mais il s’initie également à Proust, Gide, Léon-Paul Fargue, Valéry Larbaud.

Il prend aussi des cours d’italien et Dante le fascine.

Il a vingt-deux ans lorsqu’il s’installe à Paris (1927) comme lecteur d’anglais à l’Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm. Deux ans d’un long séjour qui lui permet de perfectionner sa connaissance déjà exceptionnelle de la littérature française, mais aussi de se familiariser avec l’esprit libéral de l’Ecole, qui contraste avec les contraintes intellectuelles et sociales de son Irlande natale.

Il rencontre James Joyce dont il devient le disciple et l’ami. Il se fait une réputation de poète.

En 1931, il revient à Dublin dont il se lasse aussitôt en raison du climat de contrainte qui pèse sur la vie irlandaise : théocratie, censure morale et littéraire. Au bout d’un an, il démissionne du Trinity College où il était revenu comme professeur après l’avoir quitté étudiant.

Il retourne à Paris en 1937 et s’y établit définitivement dans un petit appartement proche de Montparnasse.

La guerre le surprend alors qu’il était retourné en Irlande pour y rendre visite à sa mère. Rentré en France, il rejoint un groupe de résistants, bien que sa nationalité irlandaise lui assure la neutralité. Mais le nazisme le révolte qui fait de la vie un enfer pour ses amis juifs.

Son statut de « boîte aux lettres » le fait repérer par la gestapo à laquelle il échappe en août 42 en franchissant la ligne de démarcation pour échouer comme ouvrier agricole dans une ferme du Vaucluse.

Après la Libération, il retourne en Irlande se mettre au service de la Croix Rouge. Il revient en France à l’automne de 1945, vit quelques mois à Saint-Lô comme interprète dans un hôpital militaire, puis enfin retourne à Paris à la fin de l’hiver où il retrouve son appartement, voisin de Montparnasse, qu’il ne quittera plus. Il mène dès lors avec sa femme Suzanne, française, une vie recluse et toute entière consacrée à son œuvre littéraire ainsi qu’à un petit cercle d’amis choisis, ne quittant le 15ème arrondissement que pour sa maison de Seine-et-Marne qu’il avait acquise avec les droits d’auteur d’En attendant Godot, sise au milieu d’un jardin doté d’un arbre unique comme celui-là même de la pièce.

Dans son ouvrage consacré à Beckett, Pierre Melese commente cette solitude dans laquelle il s’était enfermé, érigeant même un mur autour de sa maison. Il avait dit à Roger Blin, son interprète et son ami : « Je n’ai rien à dire, mais je peux seulement dire jusqu’à quel point je n’ai rien à dire ».

Le Prix Nobel le surprendra en 1969 et le terrifiera au point qu’il cherchera par tous les moyens à éviter les journalistes. Il enverra son ami Jérôme Lindon recevoir à sa place la haute distinction des mains de sa Majesté le Roi de Suède.

Les voyages en Tunisie, au Maroc, en Allemagne et à Malte ponctuent cette réclusion volontaire. Il se nourrit peu, boit trop et commence à redouter de devenir un écrivain stérile. Le 17 juillet 1989, sa chère Suzanne meurt. Samuel Beckett ne lui survivra pas. Né un vendredi Saint, un vendredi 13, il est enterré le lendemain de Noël 1989 à 8h30 du matin. James Knowlson, dans sa biographie de Samuel Beckett, a écrit : « L’écrivain dublinois est parti comme il a vécu, avec une extrême discrétion. Le monde maintenant peut lui rendre hommage ».

Complément biographie sur Wikipedia

Le romancier, le dramaturge, le poète

LE THEATRE DE BECKETT

  • Catherine Naugrette
    professeure à l’Université de Paris III-Sorbonne Nouvelle
  • Maialen Berasategui
    journaliste littéraire

En attendant Godot,

Beckett et le théâtre de l’absurde

LA PIECE …

OH LES BEAUX JOURS

“Je n’ai jamais compris, pour ma part, la différence que l’on fait entre comique et tragique. Le comique étant l’intuition de l’absurde, il me semble plus désespérant que le tragique. Le comique n’offre pas d’issue.”

S. Beckett

Introduction générale

Dans les pièces de Beckett, comme dans ses romans, il ne se passe rien et pourtant il existe une tension et parfois un espoir: si les beaux jours revenaient, si Godot arrivait… Tout serait changé.

C’est cette attente vaine qui nourrit le récit.
C’est l’éternel ressassement d’une conscience condamnée à toujours parler en vain parce qu’elle ne parvient jamais à trouver le dernier mot.

L’impossibilité de reconstituer un souvenir est aussi un thème recurrent.

Oh les beaux jours est une pièce en deux actes qui met en scène le personnage de Winnie et, de son mari Willie (kickette en anglais), à peine visible et audible. Il ne prononce que quelques répliques.

La pièce s’ouvre sur une femme enterrée jusqu’à la taille au premier acte, et jusqu’au cou au deuxième acte.Le décor fait référence à un lieu désertique, lunaire…

Près de la moitié du texte est constituée d’indications scéniques, aussi importantes pour Beckett que le texte lui- même.

La plupart des personnages de Beckett sont des infirmes, des clochards, des marginaux. Ce sont des empêchés : infirmes, paralysés, condamnés à exister il leur est pourtant impossible d’agir…Ils sont condamnés à parler et à échouer. Chaque œuvre est une nouvelle exploration d’un cercle de l’Enfer (cf. Dante)

Dans Oh les beaux jours, Winnie, ensevelie jusqu’à la taille est elle aussi condamnée à ne pas agir, et à parler, parler… comme les autres personnages de Beckett, elle n’accomplit rien, ou si peu : elle fouille dans son sac, dispose des objets autour d’elle, se remaquille, range son sac- au moins jusqu’à la fin de l’acte I puisque au II, même cela ‘est plus possible. « Rien à faire » dit-elle, comme Estragon dans En attendant Godot.

Pourtant ces gestes sont une nécessité pour le personnage : ils sont une stratégie contre l’angoisse car les personnages confrontés à l’absurdité de leur condition, tentent de s’en di-vertir. Pour ne pas penser à cette condition , ils s’agitent ! (voir texte de Pascal)

Ainsi Winnie passe ses journées à farfouiller dans son sac pour échapper à son sort misérable.

Mais la seule progression possible est l’aggravation de l’immobilité. Parce que l’homme est condamné à se répéter sans rien accomplir vraiment puis à mourir…

Le personnage beckettien va vers la disparition. Si Winnie a encore un corps, celui-ci disparait peu à peu dans le monticule jusqu’à ne laisser que la tête. Dans Pas moi (1975), il ne restera du personnage qu’une bouche.

LE TITRE

Rien n’est plus ironique que ce titre ! C’’est bien l’agonie lente et feutrée d’un couple, d’une jeunesse, d’un amour que décrit ici Beckett au travers de cette femme qui tente, par des gestes très quotidiens, de se convaincre d’un bonheur très improbable. Angoisse de Winnie qui tente de communiquer avec Willie : « Ah oui, si seulement je pouvais supporter d’être seule, je veux dire d’y aller de mon babil sans âme qui vive qui entende. » Refus de parler « dans le désert » .

A l’origine du titre, un poème de Verlaine « Colloque sentimental » ,dernier poème des Fêtes galantes (1869)

Ce poème fait dialoguer deux spectres dont l’un est plus nostalgique et plus délicat (Winnie) et l’autre beaucoup plus rustre et économe dans ses paroles(Willie)

Si « colloque sentimental » devrait signifier « conversation sentimentale » mais en réalité l’autre se distancie de cette dimension sentimentale et semble assez indifférent.

« Ah les beaux jours » exprime de façon très conventionnelle la nostalgie du passé.

Winnie l’emploie à de nombreuses reprises, comme un leitmotiv : « oh le beau jour encore que ça va être »/ …

Verlaine, Colloque sentimental

Dans le vieux parc solitaire et glacé
Deux formes ont tout à l’heure passé.

Leurs yeux sont morts et leurs lèvres sont molles,
Et l’on entend à peine leurs paroles.

Dans le vieux parc solitaire et glacé
Deux spectres ont évoqué le passé.

- Te souvient-il de notre extase ancienne?
- Pourquoi voulez-vous donc qu’il m’en souvienne?

- Ton coeur bat-il toujours à mon seul nom?
Toujours vois-tu mon âme en rêve? - Non.

Ah ! les beaux jours de bonheur indicible
Où nous joignions nos bouches ! - C’est possible.

- Qu’il était bleu, le ciel, et grand, l’espoir !
- L’espoir a fui, vaincu, vers le ciel noir.

Tels ils marchaient dans les avoines folles,
Et la nuit seule entendit leurs paroles.

On retrouve aussi ce « oh les beaux jours » dans un poème de Beckett (Sanies I, 1933) dans lequel il regrette le temps où il était dans le ventre de sa mère « sans responsabilités, / sans doigts/ sans amour gâché… » / « Oh les beaux jours, trinquons, versons une larme ».

Ce « trinquons/ versons une larme » fait écho à l’attitude de Winnie qui tente de garder espoir et joie en dépit de sa situation tragique.

Le titre a donc une dimension ironique puisque les beaux jours sont loins…et Winnie et Willie pourraient bien être les derniers représentants d’une humanité disparue . Le décor donne une image post-apocalyptique et certaines remarques des personnages tendraient à le justifier :

Winnie lit une petite aonce qui cherche un homme « vif », mot qui sigifie « vivant ».

Quant à M et Mme .Piper ou Cooker « derniers humains - à s’être fourvoyés par ici » dit Winie.

La didascalie initiale tend à montrer que la vie est presque éteinte : « herbe brûlée » ; « une fourmi » solitaire…

Enfin la situation des personnages est en contradiction avec des « beaux jours » : Winnie enterrée jusqu’à la taille pour finir par ne plus pouvoir bouger que les yeux et la bouche. Quant à Willie, c’est une espèce d’insecte caché dans un trou et condamné à ramper

STRUCTURE

Les deux actes sont presque identiques même si la situation de Winnie s’est aggravée

Winnie rappelle régulièrement qu’il n’y a « rien à faire ».Willie est de plus en plus sourd. Winnie voit très mal…

Au 2° acte, Winnie ne prie plus.

Les didascalies qui ouvrent le deuxième acte montrent peu de changement sinon une aggravation de la condition des personnages.

On retrouve les mêmes thèmes dans le discours de Winnie : besoin d’avoir quelqu’un pour parler, vague souvenir des beaux jours, vers oubliés, le sac, le revolver…

C’est un recommencement, une boucle. (Madeleine Renaud a joué cette pièce pendant…23 ans !)

Pourtant le discours de Winnie annonce régulièrement une fin « plus pour longtemps » qu’elle emploie pour des choses différentes et qui donc peut s’appliquer aussi bien au tube de dentifrice, qu’à la mort des personnages. Mais ça ne finit pas « pas mieux, pas pis » et pas de suicide.

Commet interpréter la fin ? Que cherche à atteindre Willie : le revolver ou Winnie ? Impossible de le dire.

La pièce reste donc « ouverte », ne se clot pas.

THEMES

Personnages

Winnie

Willie

Un nouveau théâtre

LECTURES LINEAIRES …

LECTURE LINEAIRE ° 1

A. Jarry, Ubu Roi

LECTURE LINEAIRE ° 2

Camus, Caligula

LECTURE LINEAIRE ° 3

Ionesco, Rhinocéros

LECTURE LINEAIRE ° 3

Beckett, Oh les beaux jours

LECTURE LINEAIRE ° 4

Beckett, Oh les Beaux jours