Méthodologie Commentaire Poésie

Voici un exemple d’analyse d’un texte poétique en vers :

 

Il s’agit du poème de Leconte de Lisle, Paysage Polaire, extrait du recueil Poèmes barbares, 1862-1878

Le texte

Paysage polaire

Un monde mort, immense écume de la mer,

Gouffre d’ombre stérile et de lueurs spectrales,

Jets de pics convulsifs étirés en spirales

Qui vont éperdument dans le brouillard amer.

 

Un ciel rugueux roulant par blocs, un âpre enfer

Où passent à plein vol les clameurs sépulcrales,

Les rires, les sanglots, les cris aigus, les râles

Qu’un vent sinistre arrache à son clairon de fer.

 

Sur les hauts caps branlants, rongés des flots voraces,

Se roidissent les Dieux brumeux des vieilles races,

Congelés dans leur rêve et leur lividité ;

 

Et les grands ours, blanchis par les neiges antiques,

Çà et là, balançant leurs cous épileptiques,

Ivres et monstrueux, bavent de volupté.

 

Leconte de Lisle, Poèmes Barbares (1862)

Posez-vous les questions de base :

 

QUI ? OU ? QUAND? POURQUOI ? COMMENT ?

OBSERVEZ LE TEXTE

Mouvement Littéraire

 Si vous le pouvez, mettez-le en lien avec le mouvement littéraire auquel il appartient :

Ici, il s’agit d’un poème parnassien. (Le Parnasse est un mouvement littéraire du XIX° qui revendique un «art pour l’art» et privilégie la recherche du Beau et de la perfection de la forme sur le sens, ou le message).

FORME

De quel type de poème s’agit-il ?

 

D’un sonnet classique, composé de 2 quatrains et 2 tercets. Il finit par une «pointe» : effet de surprise et effet de style !

 

Types de vers ?

Alexandrins (12 syllabes)

Le poème est une description.

 

Types de strophes

Quatrains : rimes embrassées (abba/abba)

Tercets : 2 rimes plates (cc/d -ee/d)

Les sonorités :

Le retour de la rime masculine en “-er” assez dure

Observez la construction des phrases :

Ici par exemple  les trois 1er vers du 1er quatrain n’ont pas de verbe :

«Un monde mort, immense écume de la mer,

Gouffre d’ombre stérile et de lueurs spectrales,

Jets de pics convulsifs étirés en spirales»

 Il faut vous demander quel effet cela produit !

Effet descriptif. On dirait la description d’un paysage mais aussi d’un tableau. On ne sait pas «qui voit». Mais aussi sentiment  de monde «mort» renforcé puisque le verbe suppose un sujet, une action. Or il faut attendre le dernier vers du quatrain pour en avoir un : «Qui vont éperdument dans le brouillard amer.»

 

FOND

Observez le vocabulaire employé :

  1. Si possible, classez-le par «catégorie», champs lexicaux :

    Ici on repère facilement des champs liés

    1. A la mort : «monde mort»; «stérile»; «lueurs spectrales», «lividité»…
    2. A la nature / les éléments: «écume de la mer»; «ciel»;»vent»
    3. A la forme : «jets»;»étirés en spirale»…
    4. Au bruit : «  clameurs sépulcrales/ Les rires, les sanglots, les cris aigus, les rales»…
    5. La lumière : «gouffre d’ombre»; «lueurs spectrales», «brouillard amer»…

     

Figures de style employées

Les noms sont associés d’adjectifs «humains» : «pics convulsifs … qui vont »; «flots voraces»;...on peut donc parler de personnification. La nature et particulièrement les éléments sont donc personnifiés et donnent l’impression qu’eux seuls règnent sur ce monde peu engageant.

Tout cela contribue à ce que les images dessinent un monde fantastique, infernal .  

L’accumulation est aussi employée pour produire une impression de chaos, de monde incontrôlable : dans les 2 premiers quatrains, on a une série d’images qui illustrent ce chaos : «immense écume»;»lueurs spectrales», «pics convulsifs»;»vont éperduement»,»ciel roulant par bocs», «passent à plein vol»; «vent sinistre arrache»… C’est un enfer, mais un enfer glacé.

Les personnages :

«Dieux» et «ours»

Les «ours» ça ne surprend pas. C’est leur univers néanmoins ils sont représentés par des adjectifs qui suggèrent la maladie, la violence : »blanchis»;»épileptiques»; ivres»;»mostrueux»,»bavant de volupté» dans cet enfer.

Quant aux «dieux» ils ne vont guère mieux .. «»raidis»;»livides»;»brumeux»;congelés» donc …un peu mort !

Ces vivants malades étaient annoncés par les adjectifs  utilisés pour qualifier «les caps branlants rongés par les flots voraces» ou les «jets de pics convulsifs». tout est malade dans ce paysage polaire.

PROBLEMATIQUE ET PLAN

 Construire la problématique et le plan

Maintenant que vous avez des éléments d’analyse, vous pouvez proposer une problématique. (vous pouvez aussi pour cela vous aider des axes donnés par le sujet)

 Et annoncer un plan en deux ou trois parties qui répondra à cette problématique..

 

PROBLEMATIQUE  

 La plupart du temps, une problématique commencera par «comment» et montrera le lien entre le fond (les idées) et la forme (façon dont les choses sont dites).

 

Proposition de problématique : Nous allons montrer comment le poète parvient à travers ce sonnet (forme)  à nous donner à voir un monde étrange et inquiétant.(fond)

 

PLAN

Le plan :

Ensuite vous construisez rapidement votre plan au brouillon sans jamais dissocier le fond de la forme non plus ! Vous pouvez utiliser les axes donnés par le sujet.

Plan possible : ( 2 parties suffisent parfois)

  1. La description d’un paysage inhospitalier
  2. Un univers fantastique et inquiétant

Pour chaque grande partie vous inscrivez au brouillon, vos sous parties. Allez chercher dans ce que vous avez trouvé.

I. La description d’un paysage inhospitalier et maladif

I.a- Le décor

I.b- Les personnages

 Un «monde mort»;

Le retour de la rime masculine en “-er” assez dure

Le vocabulaire de la nature / des éléments: «écume de la mer»; «ciel»;»vent»

Effet descriptif des 3 premiers vers du 1er quatrain.

 

Transition : entre vos deux grandes parties, construisez une transition*

II. Un univers fantastique et infernal

  1. a- Le chaos des éléments
  2. b- La maladie et la mort

Conclusion

PLAN

La rédaction du commentaire :

 

  1. Préparez votre introduction.

    Elle comportera :

    • Une phrase d’accroche sur le thème – ici la poésie du XIX° par exemple. Ou une citation appropriée.
    • Une information rapide sur l’auteur, le titre du recueil, du poème et l’année.
    • Quelques mots sur le mouvement auquel le poème appartient si vous le savez.
    • La problématique et l’annonce du plan.

INTRODUCTION

Accroche

Présentation de l’auteur et de l’oeuvre

Annonce de la problématique

Annonce du plan

N’oubliez pas de justifier vos propos par des citations du texte entre guillemets

Séparez visuellement vos paragraphes et vos 2 grandes parties

Ne séparez pas le fond (sens) de la forme.

Rédigez le commentaire

    1. Pensez à mettre entre guillemets les citations extraites du texte, à soigner votre orthographe. à respecter la disposition en paragraphe. Ne sautez pas de ligne n’importe où !

    2.  

              Au XIX°, des poètes s’élèvent contre le lyrisme romantique et choisissent d’écrire une poésie qui privilégie la Beauté. Ils  se désintéressent des sentiments personnels. Ils pratiquent «l’art pour l’art», ce sont les parnassiens. (Ouverture/Thème) Leconte de Lisle est l’un d’eux. Dans son recueil Poèmes barbares,(1862-1868) il évoque notamment un Paysage polaire, lieu à l’époque inconnu pour beaucoup, donc captivant et inquiétant.Le poème est un sonnet assez traditionnel composé de deux quatrains et deux tercets. Le poète y décrit un lieu polaire,  sans doute inspiré par un tableau. L’intérêt du poème réside dans l’étrangeté du paysage décrit.(Présentation de l’auteur et du texte)  Aussi tenterons nous de montrer comment le poète parvient à travers ce sonnet  à nous donner à voir un monde étrange et inquiétant.(Annonce de la problématique) Pour cela nous étudierons la description de ce paysage inhospitalier et nous montrerons qu’il évoque un univers fantastique.(Annonce du plan).

       

                    Le poème s’ouvre sur  la description d’un «monde mort». Cela peut surprendre le lecteur et le plonge dés le début dans un univers inhospitalier :»Un monde mort, immense écume de la mer, /Gouffre d’ombre stérile et de lueurs spectrales, /Jets de pics convulsifs étirés en spirales « d’autant plus que ces trois premiers vers ne comportent pas de verbe. Cela intensifie la dimension descriptive. Il faut attendre le dernier vers du quatrain pour en avoir un : «Qui vont éperdument dans le brouillard amer.» Le deuxième quatrain est construit sur le même modèle. Des gouffres, des «pics», «l’écume immense  de la mer»; les «caps», «les flots», «les neiges» dessinent ce paysage dans lequel  toute forme de vie semble absente : « monde mort »  , « gouffre d’ombre stérile »  .«stérile»; «lueurs spectrales», «lividité»… Autant de termes qui font référence à la mort, à l’au-delà. Le lecteur ressent donc une impression d’étrangeté dans cet univers si inhospitalier.

             Dans ce monde «stérile», on s’attend donc assez peu à rencontrer âme qui vive.   Pourtant la vie est là, incarnée dans  « les grands ours » dont l’image les montrant « balançant leurs cous » est assez représentative de la réalité. La vie provient aussi des éléments naturels dans lesquels elle paraît s’être réfugiée. En effet, dans cet univers   les éléments sont personnifiés puisque les «pics» sont «convulsifs», ils «vont éperdument»,adverbe qui suggère qu’ils le font avec passion, avec folie. Ce qui est une caractéristique humaine. Par ailleurs les sons de cette nature étrange aussi sont humains puisque le vent produit « Les rires, les sanglots, les cris aigus, les râles». Même les flots sont «voraces». Ainsi plus le lecteur avance dans le poème, plus il se sent au prise avec un univers à la fois inhospitalier et fantastique.

      ***

                           Un certain nombre d’éléments donnent à cette description une dimension fantastique. Mais cet univers est plus proche des ténèbres de l’enfer que d’un lieu magique.

      Nous avons vu que les éléments étaient personnifiés mais ce qui est surprenant, c’est que ces personnifications  suggèrent une nature malade, chaotique. Ainsi les «pics» sont «convulsifs», le «brouillard» est «amer», les «caps sont branlants» et «rongés» et lorsque la vie apparait, elle se matérialise dans des «Dieux… Congelés dans leur rêve et leur lividité». Quant aux ours, ils sont «blanchis», et leurs cous «épileptiques». C’est un monde en souffrance dont on entend les «râles», qui sont souvent associés à l’agonie.

      Sur le plan temporel, cet univers semble sorti du fond des âges, illustrés par les Dieux «des vieilles races» mais aussi les «neiges antiques». Il semble que le temps n’ait pas de prise sur cet univers, et la description n’emploie d’ailleurs que des verbes au présent, un présent long comme l’éternité : «vont éperduement»;»bavent de volupté»…

      C’est donc l’image d’un chaos étrange ou ce qui est vivant semble figé, mort et ou ce qui est inanimé est personnifié. Ce n’est donc pas tout à fait un «monde mort» mais plutôt un lieu infernal.

                    Un certains nombre d’éléments font d’ailleurs référence à l’enfer, à une sorte d’au-delà ou des «lueurs spectrales» se mêlent à des «lueurs spectrales». Le mot «enfer» apparait d’ailleurs en fin de vers, donc en place centrale, au premier vers du premier tercet. C’est un monde violent et sinistre ou un vent «arrache», où les flots rongent et où la stérilité prend le pas sur la vie. Et dans cet étrange enfer des ours «bavent de volupté». Le rythme binaire du dernier vers «Ivres et monstrueux, bavent de volupté» permet de rappeler le balancement des ours et ralentit le moment de la chute. Le poème se clôt en effet sur un mot que l’on attendait pas ici : la «volupté». Curieux plaisir dans cet étrange enfer !

      Ce paysage est donc à la fois inhospitalier pour celui qui le regarde mais infernal même pour les Dieux qui se «roidissent» et se trouve pour l’éternité semble-t-il, dépourvus de tout pouvoir, « Congelés dans leur rêve et leur lividité», incapables de renaitre dans ce monde désolé. Ils appartiennent «aux vieilles races» disparues. 

       

       

                    Le poème nous offre donc le tableau d’un univers sauvage, inhospitalier dans lequel les éléments se déchainent avec violence dans une souffrance bruyante; Monde stérile où le temps lui-même semble figé et ou l’inanimé s’anime tandis que les dieux se figent.

      Par une grande rigueur formelle, Leconte de Lisle peint ici un enfer blanc, encore peu connu des lecteurs, et répond aux exigences du Parnasse.