Charlotte Salomon, Vie ? ou Théâtre ?
Charlotte Salomon, Vie ? ou Théâtre ?
Charlotte Salomon (1917-1943) est une artiste juive allemande morte enceinte à l’âge de vingt-six ans à Auschwitz. Elle a laissé derrière elle plus de 1300 peintures lumineuses réalisées de fin 1940 à mi-1942 pour lutter contre le désespoir.
Réfugiée près de Nice, Charlotte décide, confrontée à un monde en décomposition, de peindre, d’écrire et de mettre en scène sa vie .Oeuvre unique mais qui allie textes, peintures et musiques. Sous-titrée “Opérette aux trois couleurs”, cet ensemble monumental est réalisé à la gouache, avec les seules trois couleurs primaires. L’artiste calligraphie le récit, les dialogues et les indications musicales sur des calques. Peu avant son arrestation en 1943, elle a confié à un ami proche l’intégralité de son oeuvre en lui disant « Prenez-en soin, c’est toute ma vie ».
Issue d’une famille juive-allemande aisée. Charlotte a 16 ans lorsque Hitler devient chancelier du Reich le 30 janvier 1933.
La mère de Charlotte s’est suicidée lorsqu’elle avait 9 ans et son père s’est remarié quelques années après avec une chanteuse lyrique, Paula Lindberg, avec qui elle eut une relation très forte.
Dés 1936 son père qui avait perdu son droit d’exercer la médecine (puisqu’il était juif) fut interné dans le camp de concentration de Sachsenhausen.Mais il survivra.
Charlotte commença des études d’art à l’Académie des Beaux-Arts de Berlin. Mais parce qu’elle était juive, elle ne put obtenir le premier prix qu’elle méritait. Elle aura été la dernière étudiante juive de Beaux-Arts de Berlin.
Début 39, elle se réfugia dans le sud de la France, chez ses grands-parents. Mais le 20 mars 40, sa grand-mère se défenestre sous ses yeux, ne pouvant plus supporter la violence nazie. Quelques mois plus tôt son grand père lui avait avoué qu’elle était la dernière d’une lignée maternelle dont tous les membres, depuis trois générations, s’étaient suicidé. Même sa mère, qui lui avait-on dit – était morte de la grippe en 1926 ,s’était elle aussi jetée dans le vide. Quant à l’origine de son prénom, elle l’avait hérité d’une tante morte noyée avant sa naissance, en 1913.
Charlotte Salomon porteuse d’une bien lourde histoire, exilée dans un pays étranger auprès d’un grand-père aigri et menacé par la guerre et l’antisémitisme va trouver dans la création artistique un moyen de supporter la tragédie qu’est sa vie.
Entre 1940 et 1942 , elle travailla intensément à son œuvre autobiographique Leben ? Oder Theater ?,(Vie ? ou théâtre ?) et mit en scène son histoire dans des oeuvres picturales enrichis de textes . En moins de deux ans elle peindra plus d’un millier de gouaches. Une sorte d’urgence devant la mort qui rode.
Elle ne travaille qu’ à partir des trois couleurs primaires. Ses oeuvres juxtaposent des calques sur lesquels sont écrits des récits, des dialogues , des annotations musicales. Sorte de Comédie humaine qui oscille entre comédie et tragédie ou chaque être rencontré devient un personnage.
Oeuvre qui interroge le sens de la vie et la place et le rôle de l’art. Peu avant sa déportation , elle confiera les gouaches de Leben ? Oder Theater ? à un ami proche avec ces mots : «Gardez- les bien, c’est toute ma vie.»
En 1943, Charlotte et l’homme qu’elle avait épousé peu de temps auparavant sont dénoncés et déportés à Auschwitz où Charlotte, enceinte, sera exterminée très rapidement.ullamcorper mattis, pulvinar dapibus leo.
Oeuvre complète, autant littéraire que picturale, qui se lit comme un roman. Charlotte Salomon y fait le récit de sa vie, et de celle de sa famille, dans une très belle langue (traduction d’Anne Helène Hoog et Michel Roubinet). On y retrouve tous les personnages croisés dans sa vie, qu’elle rebaptise de manière amusante. (sa belle-mère, Paula Lindberg, devient Paulinka BimBam). Ainsi elle transfigure un destin tragique en œuvre mi-profonde mi-légère.
Son œuvre entrelace les textes et les peintures, en y ajoutant une dimension musicale.
Les peintures, format presque carré, sont d’une vivacité extraordinaire. Charlotte Salomon alterne les portraits, les scènes de vie, assemblages de scénettes dans un même plan, parfois organisées dans ce qui ressemble à des cases, joue avec les perspectives, les aplats de couleurs, les textures, les échelles, de telle manière que c’est un monde qui s’ouvre aux yeux du spectateur. Une forme d’onirisme, aussi, évoque les tableaux de Chagall.
La calligraphie des textes, tracés en majuscules, à la gouache, sur des calques ou directement sur les peintures, tantôt en lignes bien droites, tantôt formant des courbes, des blocs, composés de caractères de plus ou moins grandes tailles, sont comme des petits êtres vivants animant les tableaux.
Vidéo exposition
Charlotte Salomon, Vie ? ou Théâtre ? traduit par Anne Hélène Hoog et Michel Roubinet (Le Tripode – 820 pages -28×28 cm – plus de 1100 reproductions – 4 600 grammes – Relié par une toile – 95€)
Interview video père et belle-mère de Charlotte
Emission sur Charlotte Salomon
David Foenkinos, Charlotte, Ed. Gallimard,
Lisez ci-contre un extrait de Charlotte, écrit par David Foenkinos et publié en 2014. Vous n’êtes pas obligé d’aimer…😉
I
Charlotte a appris à lire son prénom sur une tombe.
Elle n’est donc pas la première Charlotte.
Il y eut d’abord sa tante, la sœur de sa mère.
Les deux sœurs sont très unies, jusqu’à un soir de novembre 1913.
Franziska et Charlotte chantent ensemble, dansent, rient aussi.
Ce n’est jamais extravagant.
Il y a une pudeur dans leur exercice du bonheur.
C’est peut-être lié à la personnalité de leur père.
Un intellectuel rigide, amateur d’art et d’antiquités.
À ses yeux, rien n’a davantage d’intérêt qu’une poussière romaine.
Leur mère est plus douce.
Mais d’une douceur qui confine à la tristesse.
Sa vie a été une succession de drames.
Il sera bien utile de les énoncer plus tard.
Pour l’instant, restons avec Charlotte.
La première Charlotte.
Elle est belle, avec de longs cheveux noirs comme des promesses.
C’est par la lenteur que tout commence.
Progressivement, elle fait tout plus lentement : manger, marcher, lire.
Quelque chose ralentit en elle.
Sûrement une infiltration de la mélancolie dans son corps.
Une mélancolie ravageuse, dont on ne revient pas.
Le bonheur devient une île dans le passé, inaccessible.
Personne ne remarque l’apparition de la lenteur chez Charlotte.
C’est bien trop insidieux.
On compare les deux sœurs.
L’une est simplement plus souriante que l’autre.
Tout au plus souligne-t-on, ici ou là, des rêveries un peu longues.
Mais la nuit s’empare d’elle.
Cette nuit qu’il faut attendre, pour qu’elle puisse être la dernière.
C’est un soir si froid de novembre.
Alors que tout le monde dort, Charlotte se lève.
Elle prend quelques affaires, comme pour un voyage.
La ville semble à l’arrêt, figée dans un hiver précoce.
La jeune fille vient d’avoir dix-huit ans.
Elle marche rapidement vers sa destination.
Un pont.
Un pont qu’elle adore.
Le lieu secret de sa noirceur.
Elle sait depuis longtemps qu’il sera le dernier pont.
Dans la nuit noire, sans témoin, elle saute.
Sans la moindre hésitation.
Elle tombe dans l’eau glaciale, faisant de sa mort un supplice.
On retrouve son corps au petit matin, échoué sur une berge.
Complètement bleu par endroits.
Ses parents et sa sœur sont réveillés par la nouvelle.
Le père se fige dans le silence.
La sœur pleure.
La mère hurle sa douleur.
Le lendemain, les journaux évoquent cette jeune fille.
Qui s’est donné la mort sans la moindre explication.
C’est peut-être ça, le scandale ultime.
La violence ajoutée à la violence.
Pourquoi ?
Sa sœur considère ce suicide comme un affront à leur union.
Le plus souvent, elle se sent responsable.
Elle n’a rien vu, rien compris à la lenteur.
Elle avance maintenant la culpabilité au cœur.
2
Les parents et la sœur n’assistent pas à l’enterrement.
Dévastés, ils se terrent.
Ils sont sûrement un peu honteux aussi.
Le regard des autres est à fuir.
Quelques mois passent ainsi.
Dans l’impossibilité de prendre part au monde.
Une longue période de mutisme.
Parler, c’est risquer d’évoquer Charlotte.
Elle se cache derrière chaque mot.
Seul le silence peut soutenir la marche des survivants.
Jusqu’au moment où Franziska pose un doigt sur le piano.
Elle joue un morceau, chante doucement.
Ses parents s’approchent d’elle.
Et se laissent surprendre par cette manifestation de vie.
Le pays entre en guerre, et c’est peut-être mieux.
Le chaos est le juste décor à leur douleur.
Pour la première fois, le conflit est mondial.
Sarajevo fait tomber les empires du passé.
Des millions d’hommes se précipitent vers leur fin.
L’avenir se dispute dans de longs tunnels creusés dans la terre.
Franziska décide alors de devenir infirmière.
Elle veut soigner les blessés, guérir les malades, réanimer les morts.
Et se sentir utile, bien sûr.
Elle qui vit chaque jour avec le sentiment d’avoir été inutile.
Sa mère est effrayée par cette décision.
Cela provoque des tensions et des disputes.
Une guerre dans la guerre.
Rien à faire, Franziska s’engage.
Et se retrouve proche des zones dangereuses.
Certains la jugent courageuse.
Elle n’a simplement plus peur de la mort.
Au cœur des combats, elle rencontre Albert Salomon.
C’est l’un des plus jeunes chirurgiens.
Il est très grand et très concentré.
Un de ces hommes qui, même immobiles, semblent pressés.
Il dirige un hôpital de circonstance.
Sur le front, en France.
Ses parents étant morts, la médecine lui tient lieu de famille.
Obnubilé par sa tâche, rien ne le détourne de sa mission.
Il semble peu attentif aux femmes.
Tout juste a-t-il remarqué la présence d’une nouvelle infirmière.
Elle ne cesse pourtant de lui adresser des sourires.
Heureusement, un événement modifie l’histoire.
En pleine opération, Albert éternue.
Son nez coule, il doit se moucher.
Mais ses mains examinent les boyaux d’un soldat.
Franziska approche alors un mouchoir.
C’est à cet instant précis qu’il la regarde, enfin.
Un an plus tard, Albert prend son courage à deux mains.
Ses deux mains de chirurgien.
Et va voir les parents de Franziska.
Ils sont si froids qu’il en perd ses moyens.
Pourquoi est-il venu déjà ?
Ah oui… demander leur fille… en ma… riage…
Demander quoi ? grogne le père.
Il ne veut pas pour gendre de ce grand échalas.
Il ne mérite sûrement pas d’épouser une Grunwald.
Mais Franziska insiste.
Elle dit qu’elle est très amoureuse.
Difficile d’en être certain.
Mais elle n’est pas du genre à faire des caprices.
Depuis la mort de Charlotte, la vie est réduite à l’essentiel.
Les parents finissent par céder.
Ils forcent leur caractère pour se réjouir un peu.
Pour renouer avec le sourire.
Ils vont jusqu’à acheter des fleurs.
Il y a si longtemps qu’on n’a pas vu de couleurs dans leur salon.
C’est une forme de renaissance par les pétales.
Pourtant, au mariage, ils affichent des mines d’enterrement.
3
Dès les premiers jours, Franziska reste seule.
Pourquoi appelle-t-on cela la vie à deux ?
Albert est reparti pour le front.
La guerre s’enlise, paraît éternelle.
C’est une boucherie dans les tranchées.
Pourvu que son mari ne meure pas.
Elle ne veut pas être veuve.
Déjà qu’elle est…
Tiens, quel est le mot utilisé quand on perd sa sœur ?
Il n’en existe pas, on ne dit rien.
Le dictionnaire est parfois pudique.
Comme lui-même effrayé par la douleur.
La jeune mariée erre dans le grand appartement.
Au premier étage d’un immeuble bourgeois, à Charlottenburg.
Le quartier de Charlotte.
Il se situe au 15, Wielandstrasse, près de Savignyplatz.
Je m’y suis souvent promené dans cette rue.
Avant même de connaître Charlotte, j’aimais son quartier.
En 2004, j’ai voulu intituler un roman « Savignyplatz ».
Ce nom résonnait en moi d’une manière étrange.
Quelque chose m’attirait, sans que je sache pourquoi.
Un long couloir parcourt l’appartement.
Franziska s’y assoit souvent pour lire.
Elle s’y sent comme à la frontière de chez elle.
Aujourd’hui, elle referme son livre assez vite.
Prise d’un vertige, elle se dirige vers la salle de bains.
Et se passe un peu d’eau sur le visage.
Quelques secondes lui suffisent pour comprendre.
Alors qu’il soigne un blessé, Albert reçoit une lettre.
Face à son visage livide, un infirmier s’inquiète.
Ma femme est enceinte, soupire-t-il enfin.
Les mois suivants, il tente de revenir à Berlin le plus souvent possible.
Mais la plupart du temps, Franziska est seule avec son ventre.
Elle se promène le long du couloir, et parle déjà à son enfant.
Tellement pressée de mettre un terme à sa solitude.
La délivrance a lieu le 16 avril 1917.
C’est l’apparition d’une héroïne.
Mais aussi celle d’un bébé qui pleure sans cesse.
Comme si elle n’acceptait pas sa naissance.
Franziska veut l’appeler Charlotte, en hommage à sa sœur.
Albert refuse qu’elle porte le prénom d’une morte.
Et encore moins d’une suicidée.
Franziska s’indigne, pleure, s’exaspère.
C’est une façon de la faire vivre encore, pense-t-elle.
Je t’en prie, sois raisonnable, répète Albert.
Rien à faire, il sait qu’elle ne l’est pas.
C’est aussi pour ça qu’il l’aime, pour sa folie douce.
Pour cette façon de n’être jamais la même femme.
Elle est tour à tour libre et soumise, fiévreuse et éclatante.
Il sent que ce combat est inutile.
Et d’ailleurs, qui a envie de se battre pendant la guerre ?
Ce sera donc Charlotte.
4
Quels sont les premiers souvenirs de Charlotte ?
Des odeurs ou des couleurs
Plus probablement, ce sont des notes.
Les mélodies chantées par sa mère.
Franziska a une voix d’ange et s’accompagne au piano.
Dès son plus jeune âge, Charlotte en est bercée.
Plus tard, elle tournera les pages des partitions.
Ainsi défilent les premières années, en musique.
Franziska aime se promener avec sa fille.
Elle l’emmène jusqu’au cœur vert de Berlin, le Tiergarten.
C’est un îlot de paix dans une ville qui respire encore la défaite.
La petite Charlotte observe les corps abîmés et mutilés.
Elle est effrayée de toutes ces mains qui se tendent vers elle.
Une armée de mendiants.
Elle baisse les yeux pour ne pas voir les visages cassés.
Et ne relève la tête qu’une fois dans le bois.
Là elle peut courir après les écureuils.
Et puis, il faut aller au cimetière.
Pour ne jamais oublier.
Charlotte comprend tôt que les morts font partie de la vie.
Elle touche les larmes de sa mère.
Qui pleure sa sœur comme au premier jour de sa disparition.
Certaines douleurs ne passent jamais.
Sur la tombe, Charlotte lit son prénom.
Elle veut savoir ce qui s’est passé.
Ta tante s’est noyée.
Elle ne savait pas nager ?
C’est un accident.
Franziska change vite de sujet.
Tel est le premier arrangement avec la réalité.
Le début du théâtre.
Albert désapprouve ces promenades au cimetière.
Pourquoi y emmènes-tu Charlotte si souvent ?
C’est une attraction morbide.
Il lui demande d’espacer ses visites.
De ne plus emmener leur fille.
Mais comment vérifier ?
Il n’est jamais là.
Il ne pense qu’à son travail, disent ses beaux-parents.
Albert veut devenir le plus grand médecin allemand.
Quand il n’est pas à l’hôpital, il passe son temps à étudier.
Il faut se méfier d’un homme qui travaille trop.
Que cherche-t-il à fuir ?
Une peur ou un simple pressentiment.
Le comportement de sa femme est de plus en plus instable.
Il constate chez elle des instants d’absence.
On la dirait parfois en vacances d’elle-même.
Il se dit qu’elle est rêveuse.
On cherche souvent de jolies raisons aux étrangetés des autres.
Enfin, il y a de quoi s’inquiéter.
Pendant des jours entiers, elle reste allongée sur son lit.
Sans même aller chercher Charlotte à l’école.
Et puis, subitement, elle redevient elle-même.
D’une minute à l’autre, elle sort de sa léthargie.
Sans la moindre transition, elle emmène Charlotte partout.
Dans la ville et les jardins, le zoo et les musées.
Il faut se promener, lire, jouer du piano, chanter, tout apprendre.
Dans les moments de vie, elle aime organiser des fêtes.
Elle veut voir du monde.
Ces soirées, Albert les aime.
Elles sont sa délivrance.
Franziska se met au piano.
C’est si beau cette façon qu’elle a de bouger les lèvres.
On dirait qu’elle converse avec les notes.
Pour Charlotte, la voix de sa mère est une caresse.
Lorsqu’on a une mère qui chante si bien, rien ne peut vous arriver.
Telle une poupée, Charlotte se tient droite au milieu du salon.
Elle accueille les invités avec son plus beau sourire.
Celui qu’elle a travaillé avec sa mère, à s’épuiser la mâchoire.
Quelle est la logique ?
Sa mère s’enferme pendant des semaines.
Puis, le démon social la prend subitement.
Charlotte s’amuse de ces changements.
Elle préfère le n’importe quoi à l’apathie.
Le trop-plein au vide.
Le vide qui revient, maintenant.
Tout aussi rapidement qu’il s’était échappé.
Et à nouveau, Franziska s’alite, épuisée par le rien.
Perdue dans la contemplation d’un ailleurs au fond de sa chambre.
Face aux incohérences maternelles, Charlotte est docile.
Elle apprivoise sa mélancolie.
Est-ce ainsi qu’on devient artiste ?
En s’accoutumant à la folie des autres ?
5
Charlotte a huit ans quand l’état de sa mère empire.
Les phases dépressives s’éternisent.
Elle n’a plus goût à rien, se sent inutile.
Albert implore sa femme.
Mais les ténèbres sont déjà assises dans leur lit.
J’ai besoin de toi, dit-il.
Charlotte a besoin de toi, dit-il encore.
Elle s’endort, pour cette nuit.
Mais se relève.
Albert ouvre les yeux, la suit du regard.
Franziska s’approche de la fenêtre.
Je veux voir le ciel, dit-elle pour rassurer son mari.
Souvent, elle raconte à Charlotte qu’au ciel tout est plus beau.
Et ajoute : quand j’y serai, je t’enverrai une lettre pour te raconter.
L’au-delà devient une obsession.
Tu ne veux pas que maman devienne un ange ?
Ça serait prodigieux, n’est-ce pas ?
Charlotte se tait.
Un ange.
Un ange.
Franziska en connaît un : sa sœur.
Qui a eu le courage d’en finir.
De quitter les jours en silence, sans prévenir.
Une perfection dans la violence.
La mort d’une jeune fille de dix-huit ans.
La mort de la promesse.
Franziska estime qu’il y a une hiérarchie dans l’horreur.
Un suicide quand on a un enfant
22 août 2019
« est un suicide supérieur.
Dans la tragédie familiale, elle pourrait occuper la première place.
Qui contesterait la suprématie de son saccage ?
Une nuit, elle se lève doucement.
Sans même respirer.
Pour une fois, Albert ne l’entend pas.
Elle va jusqu’à la salle de bains.
Se saisit d’un flacon d’opium et en avale tout le contenu.
Son râle réveille enfin son époux.
Il se précipite, la porte est fermée à clé.
Franziska n’ouvre pas.
Sa gorge est en feu, la douleur est insoutenable.
Pourtant, elle ne meurt pas.
Et la panique de son mari abîme ses adieux.
Est-ce que Charlotte entend ?
Se réveille-t-elle ?
Albert finit par parvenir à ouvrir.
Il ramène sa femme à la vie.
La dose était insuffisante.
Mais maintenant il sait.
La mort n’est plus un fantasme.
Marjane Satrapi, Persépolis
L’AUTEUR
Marjane Satrapi est née en 1969 à Téhéran dans une famille aisée, cultivée et libérale. Elle a vécu les bouleversements politiques des dernières décennies en Iran : fin du régime du Shah, révolution islamique, guerre Iran-Irak.
En 1992, elle part en France, poursuit ses études à l’École supérieure des arts décoratifs de Strasbourg. Elle devient une auteure de bande dessinée à succès. Elle est notamment l’auteur de Persépolis, Broderies (2003) et Poulet aux prunes (2004).
Marjane a dix ans lorsque la révolution éclate, elle habite Téhéran avec ses parents. Elle voit la chute du Shah et l’arrivée au pouvoir des islamistes. A quatorze ans, ses parents l’envoient, pour la protéger au lycée français de Vienne. Elle retourne en Iran finir ses études supérieures puis part s’installer à Strasbourg puis à Paris où elle vit encore.
Persépolis est une œuvre autobiographique, de Marjane Satrapi au style graphique et narratif très personnel.
Publiée aux éditions L’Association entre 2000 et 2003, la bande dessinée a donné lieu à la production d’un long métrage d’animation, Persepolis, réalisé par Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud et sorti en France en 2007.
Synopsis
Vous trouverez beaucoup d’infos sur Persépolis
Dossier proposé part le collège d’Alençon
J.M Basquiat, Autoportraits
En quoi l’autoportrait est-il une forme du récit de soi ?
L’Œuvre à la loupe • Skull de Basquiat
SOPHIE CALLE
Sophie Calle, née à Paris le , est une artiste plasticienne, photographe, femme de lettres et réalisatricefrançaise.
Son travail d’artiste consiste à faire de sa vie, et notamment des moments les plus intimes, une œuvre. Pour ce faire, elle utilise tous les supports possibles : livres, photos, vidéos, films, performances, etc.
source wikipedia
Sophie Calle
EXTRAIT DU DOSSIER Centre Pompidou sur Sophie Calle
http://mediation.centrepompidou.fr/education/ressources/ENS-CALLE/ENS-calle.html
Autoportrait
Après avoir suivi cet homme à Venise, Sophie Calle éprouve l’envie d’être elle-même suivie. Elle demande à sa mère d’engager un détective privé.
“Selon mes instructions, dans le courant du mois d’avril 1981, ma mère s’est rendue à l’agence Duluc détectives privés. Elle a demandé qu’on me prenne en filature et a réclamé un compte rendu écrit de mon emploi du temps ainsi qu’une série de photographies à titre de preuves.”
Sophie Calle, A suivre…, Livre IV, Actes Sud, France, 1998
La Filature, 1981 (détail)
Diptyque composé de textes et de photographies n/b, 162 x 110 cm (chacun)
La Filature, commandée en 1981 par le Centre Pompidou pour une exposition consacrée à l’autoportrait, est constituée de mises en scène vécues sur un mode autobiographique.
Récit à double-voix: l’enquête du détective sur une journée de l’artiste suivie de photographies floues est accompagnée de la description de sa journée par Sophie Calle et de photographies du détective prises à son insu par un ami de Sophie C.
“Je suis entrée dans la vie de M. X détective”. Sophie Calle apprécie ses regards, “l’attention qu’il lui porte est telle qu’aucun homme ou femme qui l’a aimée ne lui a jamais donnée…”, écrit-elle.
Objet et voyeur du regardeur, Sophie Calle dresse, grâce à lui, son autoportrait d’un jour.
L’expérience se renouvelle en 2001 lorsque l’artiste réalise Vingt ans après selon l’initiative de son galeriste Emmanuel Perrotin.
Un genre dans un genre: l’autoportrait pose la question du miroir, des points de vue, de la ressemblance; il interroge les rapports à l’espace, au temps. Sophie Calle est suivie une journée à Paris; comme elle aime la peinture de Titien intitulée L’homme au gant, elle reste au Louvre une heure devant le tableau, forçant le détective à en parler dans son rapport. Sophie Calle souhaite une personne interposée pour se portraiturer; le regard de l’autre la révèlerait-elle ? Position et relation complexes: objet et sujet menant l’enquête, personnage et auteur, modèle et créatrice… Sophie Calle brouille les pistes, la confusion des rôles intrigue, l’enquête est une énigme.
Aussi, images et textes ne résultent pas de “professionnels”: le détective, Sophie Calle, son ami ne sont ni photographes, ni écrivains. Le projet et sa réalisation finale, encadrée au mur avec sobriété, ont néanmoins le statut d’œuvre d’art.
Comparons trois artistes utilisant leur image dans leur propre travail photographique: Sophie Calle invente des postures romanesques contemporaines, Cindy Sherman, qu’elle admire, se met en scène dans les postures de certains mythes (le cinéma, la féminité, l’enfance…), enfin, Nan Goldin se découvre dans son milieu, ses relations intimes, partage sa culture lesbienne, gay ou travestie.
En littérature, Dominique Viart, professeur à l’Université de Lille III, pose le problème identitaire de l’écrivain dans l’autoportrait: “Forme de l’écriture de soi, l’autoportrait est l’une des voies d’accès à la complexité du “je”. Mais tout texte littéraire n’est-il pas, au fond, un portrait de son auteur ?”.
Puis, il ajoute: “Ecrire “je suis”, c’est commencer à se dire autre que soi, à dire l’autre que l’on porte en soi. […] l’individu ne constitue son identité que par le truchement de médiations. “Il y a de l’autre en moi” continuent d’affirmer les écrivains à la suite de la formule radicale de Rimbaud “Je est un autre”. “
TDC n° 853, L’autoportrait, avril 2003
Voir aussi :