Ionesco, Rhinoceros, 1959

L’ AUTEUR

LA PIECE

Pièce en trois actes et quatre tableaux a été publiée chez Gallimard en 1959 et créée à Dusseldorf en décembre 1959.

Ionesco à propos de la pièce : « (…) le propos de la pièce a bien été de décrire le processus de nazification d’un pays ainsi que le désarroi de celui qui, naturellement allergique à la contagion, assiste à la métamorphose mentale de sa collectivité(…) »

COURANT LITTERAIRE/CONTEXTE

Le Théâtre de l’absurde, dont Ionesco est, avec Samuel Beckett, l’un des représentants. Mais attention, à propos de Rhinocéros , Ionesco préférait parler de théâtre « insolite ».

Le théâtre de l’absurde

RESUME

THEMES

Ionesco sur Rhinoceros

« (…) le propos de la pièce a bien été de décrire le processus de nazification d’un pays ainsi que le désarroi de celui qui, naturellement allergique à la contagion, assiste à la métamorphose mentale de sa collectivité(…) »Notes et contre-notes, Gallimard 1962 « J’ai fait, il y a longtemps déjà, l’expérience du fanatisme. (…) c’était terrible (…) le fanatisme défigure les gens (…) les déshumanise. J’avais l’impression physique d’avoir affaire à des êtres qui n’étaient plus des humains (…). J’ai eu l’idée de peindre sous les traits d’un animal ces hommes déchus dans l’animalité, ces bonnes fois abusées, ces mauvaises fois qui abusent » Le Figaro Littéraire 23/01/1960


 

Préface pour Rhinocéros

« Rhinocéros est sans doute une pièce antinazie, mais elle est aussi, surtout, une pièce contre les hystéries collectives et les épidémies qui se cachent sous le couvert de la raison et des idées, mais qui n’en sont pas moins de graves maladies collectives dont les idéologies ne sont que les alibis : si l’on s’aperçoit que l’histoire déraisonne, que les mensonges des propagandes sont là pour masquer les contradictions qui existent entre les faits et les idéologies qui les appuient, si l’on jette sur l’actualité un regard lucide, cela suffit pour nous empêcher de succomber aux « raisons » irrationnelles, et pour échapper à tous les vertiges. » JANVIER 1964 
[…] Je me demande si je n’ai pas mis le doigt sur une plaie brûlante du monde actuel, sur une maladie étrange qui sévit sous différentes formes, mais qui est la même, dans son principe. Les idéologies devenues idolâtries, les systèmes automatiques de pensée s’élèvent, comme un écran entre l’esprit et la réalité, faussent l’entendement, aveuglent. Elles sont aussi des barricades entre l’homme et l’homme qu’elles déshumanisent, et rendent impossible l’amitié malgré tout des hommes entre eux; elles empêchent ce qu’on appelle la coexistence, car un rhinocéros ne peut s’accorder avec celui qui ne l’est pas, un sectaire avec celui qui n’est pas de sa secte. […] 
In IONESCO, Eugène, Les faces et préfaces de Rhinocéros

In Ionesco: Rhinocéros, cahier de la compagnie Madeleine Renaud 
Jean-Louis Barrault n°97, 1978, p 67-92      

PERSONNAGES

  • Bérenger :

Personnage principal, au début de la pièce, il apparait comme un peu différent, avec une fâcheuse tendance à s’alcooliser. Ces propos ne semblent pas très profonds. C’est comme s’il ne pouvait vivre que l’instant présent, qu’il doutait de tout y compris de lui. Mais il sera finalement le seul à ne pas « pouvoir » devenir Rhinocéros, ce qui fera de lui, « le dernier homme ».

  • Jean: « Ami » de Bérenger,  homme très soucieux de son image,  sûr de lui. Ce qui le prédispose à devenir un  rhinocéros.
  • Papillon: la cinquantaine, bien vêtu, mais insignifiant. C’est le patron.
  • Dudard: trente-cinq ans, grand. Intellectuel, froid et lâche. Il se transforme en rhinocéros pour mieux les comprendre, dit-il.
  • Botard: instituteur à la retraite.   Il se transforme pour « suivre son temps ».
  • Daisy: Jolie, jeune. Bérenger est amoureux d’elle.   Elle n’a pas de    Elle deviendra rhinocéros par peur d’être seule.
  • Monsieur et Madame Boeuf: Madame suivra  son mari dans la transformation. Comme une évidence.
  • Le logicien: il représente l’absurde.

 

DOCS COMPLEMENTAIRES

IONESCO SUR RHINOCEROS

Le meurtre de l'esprit (vidéo)

Lecture linéaire n°1

Rhinocéros, acte I, pages 44 à 46

 

BÉRENGER, à Jean.

Vous avez de la force.

 

JEAN

Oui, j’ai de la force, j’ai de la force pour plusieurs raisons. D’abord, j’ai de la force parce que j’ai de la force, ensuite j’ai de la force parce que j’ai de la force morale. J’ai aussi de la force parce que je ne suis pas alcoolisé. Je ne veux pas vous vexer, mon cher ami, mais je dois vous dire que c’est falcool qui pèse en réalité.

 

 

LE LOGICIEN, au Vieux Monsieur.

Voici donc un syllogisme exemplaire. Le chat a quatre pattes. Isidore et Fricot ont chacun quatre pattes. Donc Isidore et Fricot sont chats.

 

 

LE VIEUX MONSIEUR, au Logicien.

Mon chien aussi a quatre pattes.

 

LE LOGICIEN, au Vieux Monsieur.

Alors, c’est un chat.

 

BÉRENGER, à jean.

Moi, j’ai à peine la force de vivre. Je n’en ai plus envie peut-être.

 

LE VIEUX MONSIEUR, au Logicien.

après avoir longuement réfléchi.

Donc, logiquement, mon chien serait un chat.

 

LE LOGICIEN, au Vieux Monsieur.

Logiquement, oui. Mais le contraire est aussi vrai.

 

BÉRENGER, à Jean.

La solitude me pèse. La société aussi.

 

JEAN, à Bérenger.

Vous vous contredisez. Est-ce la solitude qui pèse, ou est-ce la multitude? Vous vous prenez pour un penseur et vous n’avez aucune logique. 

 

LE VIEUX MONSIEUR, au Logicien.

C’est très beau, la logique.

 

 

LE LOGICIEN, au Vieux Monsieur.

À condition de ne pas en abuser.

 

BÉRENGER, à jean.

C’est une chose anormale de vivre.

JEAN

Au contraire. Rien de plus naturel. La preuve: tout le monde vit.

BÉRENGER

Les morts sont plus nombreux que les vivants. Leur nombre augmente. Les vivants sont rares.

JEAN

Les morts, ça n’existe pas, c’est le cas de le dire!…Ah! ah!… (Gros rire.) Ceux-là aussi vous pèsent? Comment peuvent peser des choses qui n’existent pas?

BÉRENGER

Je me demande moi-même si j’existe!

JEAN, à Bérenger.

Vous n’existez pas, mon cher, parce que vous ne pensez pas! Pensez, et vous serez.

LE LOGICIEN, au Vieux Monsieur.

Autre syllogisme: tous les chats sont mortels. Socrate est mortel. Donc Socrate est un chat.

LE VIEUX MONSIEUR

Et il a quatre pattes. C’est vrai, j’ai un chat qui s’appelle Socrate

LE LOGICIEN

Vous voyez….

 

Le corrigé de la lecture linéaire

Lecture linéaire n°2

Rhinocéros, acte II, premier tableau, pages 94 à 96 

BOTARD
Je ne crois pas les journalistes. Les journalistes sont tous des menteurs, je sais à quoi m’en tenir, je ne crois que ce que je vois, de mes propres yeux. En tant qu’ancien instituteur, j’aime la chose précise, scientifiquement prouvée, je suis un esprit méthodique, exact.

 

DUDARD
Que vient faire ici l’esprit méthodique?

 

DAISY, à Botard.
Je trouve, monsieur Botard, que la nouvelle est très précise.

 

BOTARD
Vous appelez cela de la précision? Voyons. De quel pachyderme s’agit-il? Qu’est-ce que le rédacteur de la rubrique des chats écrasés entend-il par un pachyderme? Il ne nous le dit pas. Et qu’entend-il par chat?

 

DUDARD
Tout le monde sait ce qu’est un chat.

 

BOTARD
Est-ce d’un chat, ou est-ce d’une chatte qu’il s’agit? Et de quelle couleur? De quelle race? Je ne suis pas raciste, je suis même antiraciste.

 

MONSIEUR PAPILLON
Voyons, monsieur Botard, il ne s’agit pas de cela, que vient faire ici le racisme?

 

BOTARD
Monsieur le Chef, je vous demande bien pardon. Vous ne pouvez nier que le racisme est une des grandes erreurs du siècle.

 

DUDARD

 Bien sûr, nous sommes tous d’accord, mais il ne s’agit pas là de…

 

BOTARD
Monsieur Dudard, on ne traite pas cela à la légère. Les événements historiques nous ont bien prouvé que le racisme…

 

DUDARD
Je vous dis qu’il ne s’agit pas de cela.

 

BOTARD
On ne le dirait pas.

 

MONSIEUR PAPILLON
Le racisme n’est pas en question.

 

BOTARD
On ne doit perdre aucune occasion de le dénoncer.

 

DAISY
Puisqu’on vous dit que personne n’est raciste. Vous déplacez la question, il s’agit tout simplement d’un chat écrasé par un pachyderme: un rhinocéros en l’occurrence.

 

BOTARD
Je ne suis pas du Midi, moi. Les Méridionaux ont trop d’imagination. C’était peut-être tout simplement une puce écrasée par une souris. On en fait une montagne.  

Le corrigé de la lecture linéaire

Lecture linéaire n°3

Rhinocéros, acte II, second tableau, pages 164 à 166 

JEAN, dans la salle de bains.

Je te piétinerai, je te piétinerai.

Grand bruit dans la salle bains, barrissements, bruit d’objets et d’une glace qui tombe et se brise; puis on voit apparaître Bérenger tout effrayé qui ferme avec peine la porte de la salle de bains, malgré la poussée contraire que l’on devine.

BÉRENGER, poussant la porte.

Il est rhinocéros, il est rhinocéros ! (Bérenger a réussi à fermer la porte. Son veston est troué par une corne. Au moment où Bérenger a réussi à fermer la porte, la corne du rhinocéros a traversé celle-ci. Tandis que la porte s’ébranle sous la poussée continuelle de l’animal, et que le vacarme dans la salle de bains continue et que l’on entend des barrissements mêlés à des mots à peine distincts, comme: je rage, salaud, etc., Bérenger se précipite vers la porte de droite.) Jamais je n’aurais cru ça de lui! (Il ouvre la porte donnant sur l’escalier, et va frapper à la porte sur le palier, à coups de poings répétés.) Vous avez un rhinocéros dans l’immeuble! Appelez la police!

 

LE PETIT VIEUX, sortant sa tête. 

Qu’est-ce que vous avez?

 

BÉRENGER

Appelez la police! Vous avez un rhinocéros dans la maison!…

 

VOIX DE LA FEMME DU PETIT VIEUX

Qu’est-ce qu’il y a, Jean? Pourquoi fais-tu du bruit?

 

LE PETIT VIEiJX, à sa femme.

Je ne sais pas ce qu’il raconte. Il a vu un rhinocéros

 

BÉRENGER

Oui, dans la maison. Appelez la police!

 

LE PETIT VIEUX

Qu’est-ce que vous avez à déranger les gens comme cela? En voilà des manières!

Il lui ferme la porte au nez.

 

BÉRENGER, se précipitant dans l’escalier.

Concierge, concierge, vous avez un rhinocéros dans la maison, appelez la police! Concierge! (On voit s’ouvrir le haut de la porte de la loge de la concierge; apparaît une tête de rhinocéros.) Encore un! (Bérenger remonte à toute allure les marches de l’escalier. Il veut entrer dans la chambre de Jean, hésite, puis se dirige de nouveau vers la porte du Petit Vieux. À ce moment la porte du Petit Vieux s’ouvre et apparaissent deux petites têtes de rhinocéros.) Mon Dieu! Ciel!  

 (Bérenger entre dans la chambre de Jean tandis que la porte de la salle de bains continue d’être secouée. Bérenger se dirige vers la fenêtre, qui est indiquée par un simple encadrement, sur le devant de la scène, face au public. Il est à bout de force, manque de défaillir, bredouille:) Ah mon Dieu! Ah mon Dieu! (Il fait un grand effort, se met à enjamber la fenêtre, passe presque de l’autre côté, c’est-à-dire vers la salle, et remonte vivement, car au même instant on voit apparaître, de la fosse d’orchestre, la parcourant à toute vitesse, une grande quantité de cornes de rhinocéros à la file. Bérenger remonte le plus vite qu’il peut et regarde un instant par la fenêtre.) Il y en a tout un troupeau maintenant dans la rue! Une armée de rhinocéros, ils dévalent l’avenue en pente!… (Il regarde de tous les côtés.) Par où sortir, par où sortir!… Si encore ils se contentaient du milieu de la rue! Ils débordent sur le trottoir, par où sortir, par où partir! (Affolé, il se dirige vers toutes les portes, et vers la fenêtre, tour à tour, tandis que la porte de la salle de bains[…] » « continue de s’ébranler et que l’on entend Jean barrir et proférer des injures incompréhensibles. Le jeu continue quelques instants: chaque fois que dans ses tentatives désordonnées de fuite, Bérenger se trouve devant la porte des Vieux, ou sur les marches de l’escalier, il est accueilli par des têtes de rhinocéros qui barrissent et le font reculer. Il va une dernière fois vers la fenêtre, regarde.) Tout un troupeau de rhinocéros! Et on disait que c’est un animal solitaire! C’est faux, il faut réviser cette conception! Ils ont démoli tous les bancs de l’avenue. (Il se tord les mains.) Comment faire? (Il se dirige de nouveau vers les différentes sorties, mais la vue des rhinocéros l’en empêche. Lorsqu’il se trouve de nouveau devant la porte de la salle de bains, celle-ci menace de céder. Bérenger se jette contre le mur du fond qui cède; on voit la rue dans le fond, il s’enfuit en criant.) Rhinocéros! Rhinocéros! (Bruits, la porte de la salle de bains va céder.)

 

 

Le corrigé de la lecture linéaire

Lecture linéaire n°4

Le texte

BÉRENGER, se regardant toujours dans la glace.

Ce n’est tout de même pas si vilain que ça un homme. Et pourtant, je ne suis pas parmi les plus beaux ! Crois-moi, Daisy! (Il se retourne.) Daisy! Daisy! Où es-tu, Daisy? Tu ne vas pas faire ça! (Il se précipite vers la porte.) Daisy ! (Arrivé sur le palier, il se penche sur la balustrade.) Daisy! remonte ! reviens, ma petite Daisy! Tu n’as même pas déjeuné! Daisy, ne me laisse pas tout seul! Qu’est-ce que tu m’avais promis! Daisy! Daisy! (Il renonce à l’appeler, fait un geste désespéré et rentre dans sa chambre.) Évidemment. On ne s’entendait plus. Un ménage désuni. Ce n’était plus viable. Mais elle n’aurait pas dû me quitter sans s’expliquer. (Il regarde partout.) Elle ne m’a pas laissé un mot. Ça ne se fait pas. Je suis tout à fait seul maintenant. (Il va fermer la porte à clé, soigneusement, mais avec colère.) On ne m’aura pas, moi. (Il ferme soigneusement les fenêtres.) Vous ne m’aurez pas, moi. (Il s’adresse à toutes les têtes de rhinocéros.) Je ne vous suivrai pas, je ne vous comprends pas! Je reste ce que je suis. « Je suis un être humain. Un être humain. (Il va s’asseoir dans le fauteuil.) La situation est absolument intenable. C’est ma faute, si elle est partie. J’étais tout pour elle. Qu’est-ce qu’elle va devenir? Encore quelqu’un sur la conscience. J’imagine le pire, le pire est possible. Pauvre enfant abandonnée dans cet univers de monstres! Personne ne peut m’aider à la retrouver, personne car il n’y a plus personne. (Nouveaux barrissements, courses éperdues, nuages de poussiè ) Je ne veux pas les entendre. Je vais mettre du coton dans les oreilles. (Il se met du coton dans les oreilles et se parle à lui-même dans la glace.) Il n’y a pas d’autre solution que de les convaincre, les convaincre, de quoi? Et les mutations sont-elles réversibles? Hein, sont-elles réversibles? Ce serait un travail d’Hercule, au-dessus de mes forces. D’abord, pour les convaincre, il faut leur parler. Pour leur parler, il faut que j’apprenne leur langue. Ou qu’ils apprennent la mienne? Mais quelle langue est-ce que je parle? Quelle est ma langue? Est-ce du français, ça? Ce doit bien  » « Est-ce du français, ça? Ce doit bien être du français? Mais qu’est-ce que du français? On peut appeler ça du français, si on veut, personne ne peut le contester, je suis seul à le parler. Qu’est-ce que je dis? Est-ce que je me comprends, est-ce que je me comprends? (Il va vers le milieu de la chambre.) Et si, comme me l’avait dit Daisy, si c’est eux qui ont raison? (Il retourne vers la glace.) Un homme n’est pas laid, un homme n’est pas laid! (Il se regarde en passant la main sur sa figure.) Quelle drôle de chose! À quoi je ressemble, alors? À quoi? (Il se précipite vers un placard, en sort des photos, qu’il regarde.) Des photos! Qui sont-ils tous ces gens-là? M. Papillon, ou Daisy plutôt ? Et celui-là, est-ce Botard ou Dudard, ou Jean? ou moi, peut-être ! (Il se précipite de nouveau vers le placard d’où il sort deux ou trois tableaux.) Oui, je me reconnais; c’est moi, c’est moi ! (Il va raccrocher les tableaux sur le mur du fond, à côté des têtes des rhinocéros.) C’est moi, c’est moi. (Lorsqu’il accroche les tableaux, on[…] » « (Il va raccrocher les tableaux sur le mur du fond, à côté des têtes des rhinocéros.) C’est moi, c’est moi. (Lorsqu’il accroche les tableaux, on s’aperçoit que ceux-ci représentent un vieillard une grosse femme, un autre homme. La laideur de ces portraits contraste avec les têtes des rhinocéros qui sont devenues très belles. Bérenger s’écarte pour contempler les tableaux.) Je ne suis pas beau, je ne suis pas beau. (Il décroche les tableaux, les jette par terre avec fureur, il va vers la glace.) Ce sont eux qui sont beaux. J’ai eu tort! Oh! comme je voudrais être comme eux. Je n’ai pas de corne, hélas! Que c’est laid, un front plat. Il m’en faudrait une ou deux, pour rehausser mes traits tombants. Ça viendra peut-être, et je n’aurai plus honte, je pourrai aller tous les retrouver. Mais ça ne pousse pas! (Il regarde les paumes de ses mains.) Mes mains sont moites. Deviendront-elles rugueuses? (Il enlève son veston, défait sa chemise, contemple sa poitrine dans la glace) J’ai la peau flasque. Ah, ce corps trop blanc, et poilu! Comme je voudrais avoir une peau dure et cette magnifique couleur d’un vert sombre, une nudité décente[…] » « et cette magnifique couleur d’un vert sombre, une nudité décente, sans poils, comme la leur! (Il écoute les barrissements.) Leurs chants ont du charme, un peu âpre, mais un charme certain! Si je pouvais faire comme eux. (Il essaye de les imiter.) Ahh, ahh, brr! Non, ça n’est pas ça! Essayons encore, plus fort ! Ahh, ahh, brr! non, non, ce n’est pas ça, que c’est faible, comme cela manque de vigueur! Je n’arrive pas à barrir. Je hurle seulement. Ahh, ahh, brr! Les hurlements ne sont pas des barrissements! Comme j’ai mauvaise conscience, j’aurais dû les suivre à temps. Trop tard maintenant! Hélas, je suis un monstre, je suis un monstre. Hélas, jamais je ne deviendrai rhinocéros, jamais, jamais ! Je ne peux plus changer. Je voudrais bien, je voudrais tellement, mais je ne peux pas. Je ne peux plus me voir. J’ai trop honte ! (Il tourne le dos à la glace.) Comme je suis laid! Malheur à celui qui veut conserver son originalité ! (Il a un brusque sursaut.) Eh bien tant pis ! Je me défendrai contre tout le monde ! « (Il se retourne face au mur du fond où sont fixées les têtes des rhinocéros, tout en criant:) Contre tout le monde, je me défendrai! Je suis le dernier homme, je le resterai jusqu’au bout ! Je ne capitule pas!

RIDEAU  

 

Le corrigé de la lecture linéaire

CORPUS THEATRE DU XVII AU XXIème

XVIIème

Racine, 

Molière

XVIIIème

Beaumarchais, Le mariage de Figaro, IV,1

Marivaux, L’Ile des esclaves

Beaumarchais, Les Noces de Figaro

XIXème

XXème

XXIème

Mouawad, Incendies

OEUVRE CURSIVE

LA VAGUE