sujet de corpus poésie à compléter

Corpus

Texte 1 : Christine de Pisan, « Seulette suis et seulette veux être », extrait du recueil Ballades, 1395-1400.


Texte 2 : Marceline Desbordes-Valmore, « Les séparés », extrait du recueil Poésies, 1830.

Texte 3 : Charles Baudelaire, « À une passante », extrait du recueil Les Fleurs du mal, 1861.


Texte 4 : Paul Éluard, « La Dame de carreau », extrait du recueil Les Dessous d’une vie ou la Pyramide humaine, 1926.

Texte 1 : Christine de Pisan, « Seulette suis et seulette veux être », extrait du recueil Ballades, 1395-1400.

Seulette suis et seulette veux être,

Seulette m’a mon doux ami laissée,

Seulette suis, sans compagnon ni maître,

Seulette suis, dolente et courroucée,

Seulette suis, en langueur mesaisée (*), (*) mal à l’aise

Seulette suis, plus que nulle égarée,

Seulette suis, sans ami demeurée.

Seulette suis à huis ou à fenêtre,

Seulette suis en un anglet muciée (*),, (*) cachée

Seulette suis pour moi de pleurs repaître,

Seulette suis, dolente ou apaisée,

Seulette suis, rien n’est qui tant messiée (*), (*) me déplaît

Seulette suis, en ma chambre enserrée,

Seulette suis, sans ami demeurée.

Seulette suis partout et en tout estre (*), (*) endroit

Seulette suis, que je marche ou je siée (*), (*) ou que je sois assise

Seulette suis, plus qu’autre rien terrestre (*), (*) plus qu’autre chose au monde

Seulette suis, de chacun délaissée,

Seulette suis, durement abaissée,

Seulette suis, souvent toute éplorée,

Seulette suis, sans ami demeurée.

Envoi

Princes, or est ma douleur commencée

Seulette suis, de tout deuil menacée,

Seulette suis, plus teinte que morée (*), (*) plus sombre qu’une tenture noire

Seulette suis, sans ami demeurée.

Les séparés (N’écris pas…)

N’écris pas. Je suis triste, et je voudrais m’éteindre.
Les beaux étés sans toi, c’est la nuit sans flambeau.
J’ai refermé mes bras qui ne peuvent t’atteindre,
Et frapper à mon coeur, c’est frapper au tombeau.
N’écris pas !

N’écris pas. N’apprenons qu’à mourir à nous-mêmes.
Ne demande qu’à Dieu… qu’à toi, si je t’aimais !
Au fond de ton absence écouter que tu m’aimes,
C’est entendre le ciel sans y monter jamais.
N’écris pas !

N’écris pas. Je te crains ; j’ai peur de ma mémoire ;
Elle a gardé ta voix qui m’appelle souvent.
Ne montre pas l’eau vive à qui ne peut la boire.
Une chère écriture est un portrait vivant.
N’écris pas !

N’écris pas ces doux mots que je n’ose plus lire :
Il semble que ta voix les répand sur mon coeur ;
Que je les vois brûler à travers ton sourire ;
Il semble qu’un baiser les empreint sur mon coeur.
N’écris pas !

Texte 2 : Marceline Desbordes-Valmore, « Les séparés », extrait du recueil Poésies, 1830.

Texte 3 : Charles Baudelaire, « À une passante », extrait du recueil Les Fleurs du mal, 1861.

A une passante

La rue assourdissante autour de moi hurlait.
Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,
Une femme passa, d’une main fastueuse
Soulevant, balançant le feston et l’ourlet ;

Agile et noble, avec sa jambe de statue.
Moi, je buvais, crispé comme un extravagant,
Dans son oeil, ciel livide où germe l’ouragan,
La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.

Un éclair… puis la nuit ! - Fugitive beauté
Dont le regard m’a fait soudainement renaître,
Ne te verrai-je plus que dans l’éternité ?

Ailleurs, bien loin d’ici ! trop tard ! jamais peut-être !
Car j’ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,
Ô toi que j’eusse aimée, ô toi qui le savais !

La Dame de Carreau

Tout jeune, j’ai ouvert mes bras à la pureté. Ce ne fut qu’un battement d’ailes au ciel de mon éternité, qu’un battement de coeur amoureux qui bat dans les poitrines conquises. Je ne pouvais plus tomber.

Aimant l’amour. En vérité, la lumière m’éblouit.

J’en garde assez en moi pour regarder la nuit, toute la nuit, toutes les nuits.

Toutes les vierges sont différentes. Je rêve toujours d’une vierge.

A l’école, elle est au banc devant moi, en tablier noir. Quand elle se retourne pour me demander la solution d’un problème, l’innocence de ses yeux me confond à un tel point que, prenant mon trouble en pitié, elle passe ses bras autour de mon cou.

Ailleurs, elle me quitte. Elle monte sur un bateau. Nous sommes presque étrangers l’un à l’autre, mais sa jeunesse est si grande que son baiser ne me surprend point.

Ou bien, quand elle est malade, c’est sa main que je garde dans les miennes, jusqu’à en mourir, jusqu’à m’éveiller.

Je cours d’autant plus vite à ses rendez-vous que j’ai peur de n’avoir pas le temps d’arriver avant que d’autres pensées me dérobent à moi-même.

Une fois, le monde allait finir et nous ignorions tout de notre amour. Elle a cherché mes lèvres avec des mouvements de tête lents et caressants. J’ai bien cru, cette nuit-là, que je la ramènerais au jour.

Et c’est toujours le même aveu, la même jeunesse, les mêmes yeux purs, le même geste ingénu de ses bras autour de mon cou, la même caresse, la même révélation.

Mais ce n’est jamais la même femme.

Les cartes ont dit que je la rencontrerai dans la vie, mais sans la reconnaître.

Aimant l’amour.

Paul Eluard - Le dessus d’une ville (1926)

Texte 4 : Paul Éluard, « La Dame de carreau », extrait du recueil Les Dessous d’une vie ou la Pyramide humaine, 1926.

QUESTIONS

  1. A-t-on affaire à une seule et même façon d’écrire de la poésie dans ce corpus ?

  2. Quelles expériences, heureuses ou malheureuses, ce corpus retranscrit-il ?

CONSEILS

Eléments qui doivent apparaître dans votre réponse :

  • Brève présentation du corpus
  • Description et information sur les formes poétiques utilisées
  • Explication des principaux ressentis des poètes face aux expériences amoureuses retranscrites dans le corpus ;
  • Illustrations par des exemples pertinents tirés du texte et placés entre guillemets avec des références précises aux textes.

Corrigé à compléter

Que manque-t-il dans cette réponse à la question de corpus ?

Complétez-la.

Le corpus proposé et constitué de quatre poèmes allant du Moyen Âge au XXe siècle. Il s’agit de « Seulette suis et seulette veux être » de Christine de Pisan, extrait du recueil Ballades, (1395-1400), des
 « Séparés » de Marceline Desbordes-Valmore (1830), d’ « À une passante » de Charles Baudelaire, extrait du recueil Les Fleurs du mal, 1861et enfin du poème de Paul Eluard « La Dame de carreau », extrait du recueil Les Dessous d’une vie ou la Pyramide humaine, 1926.

Ces quatre textes sont des poèmes qui ont l’amour comme thème commun mais ils ont des formes différentes. Nous allons voir en quoi ils témoignent de manières différentes « d’écrire de la poésie » : Celui de Christine de Pisan est une ballade, forme régulière et fréquente au moyen-âge, composée de trois couplets anaphoriques : avec un refrain « Seulette suis sans ami demeurée » et un envoi dans la dernière strophe « Princes, or est ma douleur commencée ». Marceline Desbordes-Valmore a elle aussi choisi d’utiliser des quatrains anaphoriques qui ont pour particularité de présenter un refrain mis en exergue par un blanc typographique et la formule exclamative « N’écris pas ! ». Ces deux textes partagent une forte musicalité.

Chez Baudelaire, il s’agit d’un sonnet avec sa structure en deux quatrains et deux tercets, il témoigne d’une certaine oralité et l’emploi d’une ponctuation expressive dans les tercets (points de suspension, tiret, interrogations et exclamations).

Le texte du XX°, celui d’Eluard, rompt avec ces formes versifiées pour introduire une parole plus libre, celle du poème en prose. Mais le rythme reste très incantatoire ; on pourra relever les nombreuses répétitions lexicales et phoniques.

Par ailleurs, nous allons voir quelles expériences, heureuses ou malheureuses, ce corpus retranscrit.

Les textes des deux poétesses, Pisan et Desbordes-Valmore insistent sur la souffrance amoureuse (deuil, séparation, solitude), alors que les textes de Baudelaire et Eluard font un éloge de l’amour, de la rencontre et de la femme, qu’elle soit réelle ou fantasmée.

Christine de Pisan insiste sur ses larmes et hyperbolise sa douleur et son enfermement dans le deuil. On retrouve, dans le texte « Les Séparés », cette expérience élégiaque du deuil amoureux, causé ici par la séparation et non par la mort du compagnon. La poétesse se bat contre elle-même et contre la puissance de la mémoire toujours prête à convoquer la présence obsédante de l’être cher.

Le texte de Baudelaire décrit le plaisir délicieusement douloureux que produit la rencontre avec la beauté fugitive de la passante. Les multiples exclamations du dernier tercet expriment la douce exaltation provenant d’une rencontre inspirante hautement romanesque. De la même façon, le texte d’Éluard exalte le bonheur d’aimer, la femme fût-elle irréductible.