CONTEXTE GEO-POLITIQUE
Jusqu’au début des années 70, le Liban semblait un modèle de démocratie et de développement économique. Mais en 1975, une guerre civile éclate. Elle durera 15 ans et fera entre 150 et 250 000 morts.
En 1990, le pays est dévasté humainement, politiquement et économiquement, et occupé par deux puissances étrangères : Israël (jusqu’en 2000) et la Syrie (jusqu’en 2005).
L’attaque le 13 avril 1975 d’un bus ramenant des Palestiniens au camp de Tell ez-Zaatar par des militants Kataëb, dont deux des leurs avaient été tués ainsi que deux autres personnes au même endroit quelques heures plus tôt , déclenche et symbolise la guerre. Elle survient à Aïn Remmaneh dans une avenue séparant un quartier maronite d’un quartier chiite. Cette « ligne de front » bientôt rendue dangereuse par des barrages miliciens et les tirs des francs-tireurs, marque la frontière durable entre régions au leadership chrétiens – Beyrouth-Est, le Liban central et le nord maronites – et le reste du pays majoritairement musulman où sont installés les réfugiés et les combattants palestiniens.
La situation au Liban est très complexe depuis longtemps… Quelques dates pour vous aider.
LE LIBAN, quelques dates d’un pays en guerre / 1967 - 1996
1967
Guerre des Six Jours. Affirmation palestinienne au Liban.
1969 :Octobre: Première crise sérieuse entre l’Etat et la résistance palestinienne.
Novembre : Les fedayin arrachent les « accords du Caire », qui légalisent leur présence dans les camps du sud.
1970-71 Elimination de l’OLP en Jordanie, déplacement des combattants palestiniens au Liban. Israël multiplie les raids de représailles.
1975 13 avril : La guerre civile éclate.
1976 Janvier : Premières ingérences de la Syrie au Liban.
Juin : Intervention massive des troupes syriennes au Liban contre l’OLP et le Mouvement national libanais.
1978 14 mars : Israël envahit le Sud-Liban (« opération Litani »).
1981 Juillet: Guerre israélo-palestinienne à la frontière libanaise. Bombardements israéliens de Beyrouth.
1982 14-18 septembre: Assassinat du nouveau président libanais Bechir Gemayel. Entrée des Israéliens à Beyrouth-Ouest. Massacres dans les camps palestiniens de Sabra et Chatila.
21 septembre : Election d’Amine Gemayel à la présidence du Liban.
1983 17 mai : Accord de paix libano-israélien.
Août-septembre: Relance de la guerre civile au Liban. Les Druzes prennent le contrôle de Chouf.
1985 :15 janvier : Annonce d’un retrait « par étapes » des troupes israéliennes du Liban face à l’amplification de la résistance.
Printemps : Nouveaux massacres à Sabra et Chatila, et dans les autres camps palestiniens du Liban, du fait des miliciens chiites d’Amal.
Juin: Israël achève son retrait, à l’exception d’une «zone tampon» contrôlée via l’Armée du Liban sud du général pro-israélien Lahad. Décembre : Accord tripartite entre Amal, les Forces libanaises et le Parti socialiste progressiste de Walid Joumblatt, qui semble ouvrir la porte à un règlement durable.
1987 20-26 février : Retour de l’armée syrienne à Beyrouth-Ouest, dont elle avait été chassée en 1982.
1989 14 mars : « Guerre de libération » contre la Syrie, déclenchée par le général Michel Aoun. Avec, pour résultat, une sanglante guerre civile interchrétienne.
22 octobre: Les députés adoptent les «accords de Taëf» (Arabie saoudite) pour mettre fin à la guerre civile. Désarmement des milices, à l’exception du Hezbollah.
1991 22 mai : La République syrienne et la République libanaise signent le Traité de fraternité et de coopération qui confirme la mainmise de la Syrie sur le pays.
1996 Avril: Shimon Peres donne le feu vert à l’armée israélienne pour l’opération dite « Raisins de la colère » contre le Liban.
L' AUTEUR
Wadji Mouawad nait en 1968 au Liban. Mais lorsqu’il a 8 ans, ses parents choisissent l‘exil face aux conflits communautaires et à la guerre. Il vivra d’abord à Paris. puis la famille s’installe à Montréal.
Diplômé de l’École nationale de théâtre du Canada, Wajdi Mouawad est cofondateur d’une première compagnie Théâtre Ô Parleur.
Après avoir monté les textes de plusieurs auteurs (Shakespeare, Euripide, Sophocle, Pirandello, Tchekhov…), il publie en 1996 sa première pièce : Willy Protagoras enfermé dans les toilettes qui fut élue meilleure production à Montréal, en 1998.
Directeur du théâtre de Quat’Sous à Montréal de 2000 à 2004 puis du Théâtre français du Centre national des Arts à Ottawa, il présente en 2009 sa tétralogie le “Sang des promesses au Festival d’Avignon et dont fait partie Incendies;
Il est aujourd’hui directeur du théâtre de la Colline à Paris.
Après sa dernière création Fauves en mai 2019 à La Colline, Wajdi Mouawad a créé en novembre 2019 Mort prématurée d’un chanteur populaire dans la force de l’âge avec Arthur H.
C’est un auteur prolifique.
UN THEATRE DU MONDE
Le théâtre de W. Mouawad s’adresse à tous. Les trois premiers volets de la tétralogie du Sang des promesses*, (notamment jouée au Festival d’Avignon en 2009) a montré que ce théâtre pose des questions essentielles, :
comment trouver sa place dans le monde ? Comment construire son identité par rapport à une histoire familiale imprégnée des catastrophes de l’Histoire ? Comment supporter les horreurs du monde, ses injustices et son inhumanité ?
Ainsi, sans se revendiquer comme un théâtre “engagé”, l’oeuvre de Mouawad interroge le monde et le rapport que nous entretenons avec lui et avec les autres.
La violence du monde est là, mais sa beauté aussi.
L’écriture de Mouawad met en jeu des situations extrêmes qui provoquent des des réactions émotionnelles fortes dans lesquelles on trouve trace des schémas mythiques et le plaisir de la fable et des retournements complets de situation.
Wajdi Mouawad se réclame des Grecs, et en particulier de Sophocle. En même temps, son théâtre et la construction de ses pièces doit notamment beaucoup au cinéma. Ses pièces invite le lecteur / spectateur à examiner sa position d’être humain et de citoyen face aux horreurs de la guerre et à la barbarie contemporaine.
Influences de la tragédie grecque sur l’écriture d’incendies
La question de la tragédie dans Incendies :
Par certains aspects, Incendies est une pièce tragique puisque l’histoire influe sur la vie privée des personnages -références à Œdipe Roi:
Œdipe Roi et Incendies ont en commun le thème de la quête de la vérité.
Œdipe est respecté par tous, il a tous les pouvoirs de Thèbes. Or, la ville est atteinte par la peste et donc la population se tourne vers lui. Dans l’enquête, Œdipe apprend de Tirésias qu’il a tué son père et épousé sa mère.
On pourrait rapprocher certains personnages d’Œdipe et d’Incendies : ∙
- le devin Tirésias = Chamseddine ∙
- le messager = le gardien de la prison, le guide
- ∙le berger (l’esclave)= le berger (Malak)
Wajdi Mouawad a énormément travaillé sur Sophocle:
-notion de fatalité qui va être évoqué dans l’idée d’un cycle permanent: il n’y a pas moyen d’y échapper aussi bien au niveau de l’Histoire qu’au niveau familial . (cf: scène 25, tirade de Nawal) Donc fatalité
Mais Incendies refuse le pessimisme de la tragédie : donc ce n’est pas une tragédie car le dénouement n’est pas tragique Normalement une tragédie s’achève par la mort (réelle ou figurée) , aucun avenir n’est possible.
Au contraire Incendies pose la question du futur : « Comment vivre après la révélation de l’horreur ? »
La pièce se termine avec la présence des enfants de Nawal, écoutant un silence qui a désormais changé de sens.
Les didascalies évoquent une « pluie torrentielle », ce qui permet finalement à l’incendie de s’éteindre. Cette mention de l’eau a également une valeur purificatrice: elle lave les protagonistes, leur laissant désormais la possibilité d’inventer eux-mêmes leur avenir. (// catharsis)
L’itinéraire de Simon et de Jeanne les a conduits dans un pays où ne règne plus la violence: symboliquement la prison de Kfar Rayat est devenue une école et le gardien de prison est devenu le concierge de cette école. Chez Wajdi Mouawad, la connaissance est le moyen d’échapper au cycle de la violence, il faut savoir même ce qui est inavouable, car la vérité finit toujours par éclater et le silence est destructeur.
Dans la scène 12 « Le nom sur la pierre », Nawal frappe quelqu’un avec un livre : la connaissance est donc une arme et la pièce montre que seule elle peut permettre d’échapper à l’horreur et à la violence. La connaissance permet de rompre la fatalité de la haine: « il faut casser le fil », « Apprends à lire, à compter, à parler: apprends à penser, Nawal, apprends ».
Même des connaissances aussi abstraites que les mathématiques peuvent avoir des résonances concrètes sur l’existence humaine.
A mettre en relation aussi avec l’importance de l’écrit:
- les lettres sur la tombe de Nazira,
- le journal que Nawal publie (scène 21, la guerre de Cent ans: « ils ont détruit le journal, on en fera un autre. Il s’appelait la lumière du jour, on l’appellera le Chant du Levant »), ou même
- les textes qu’elle écrit tout au long de l’œuvre: son testament, son témoignage devant le tribunal international, les lettres à ses enfants.
La recherche de la vérité :
A terme, la connaissance permet d’enterrer le passé (enterrement de Nazira, enterrement de Nawal), non pas de l’ignorer, mais de lui assigner une place déterminée et claire.
Mouawad montre un dispositif complexe de dévoilement imaginé par Nawal pour que se disent à la fois la mise en accusation du bourreau et la continuation de l’amour pour le fils.
Par ailleurs, nous découvrons l’intrigue de la pièce en suivant Jeanne et Simon dans la reconstitution du passé de leur mère, le dévoilement ne prend pas ici la forme tragique de la catastrophe mais plutôt celle du cheminement initiatique : la vérité se reconstitue par étapes, au fur et à mesure des rencontres que font les jumeaux et que leur interprétation des premiers indices se corrige. Incendies tient donc aussi du récit d’une initiation
Nawal, personnage tragique ?
Le personnage tragique il est pris dans un dechirement entre deux obligations contradictoires créant une situation de conflit dont il ne peut s’extraire que par la mort.(C’est le cas d’Antigone)
Le personnage de Nawal est, dans Incendies, victime d’un tel déchirement, en ce qu’elle ne peut concilier la promesse d’amour sans réserves faite à son fils et le désir de justice qu’elle réclame, pour elle-même et pour les autres victimes des tortures de ce même fils.Toutefois, nous ne la voyons pas sur scène prise dans ce dilemme – par exemple dans un monologue où elle exprimerait sa détresse à la façon d’une héroïne tragique. C’est dans un premier temps le silence qui dit son déchirement intérieur et l’impossibilité de choisir ; et, dans un deuxième, le diptyque « Lettre au père » / « Lettre au fils », signifiant par sa juxtaposition que ces deux moitiés de la vérité ne sauraient être dissociées, et qu’aucune ne saurait l’emporter sur l’autre.
Mouawad use donc d’une façon originale de l’idée de conflit tragique et du pathétique : en effet, il refuse aussi bien l’issue attendue de la tragédie, nécessairement terrifiante (Nawal pourrait se suicider, telle Jocaste dans Œdipe-roi) que celle du mélodrame, inévitablement moralisatrice (ce serait, ici, le pardon, l’amour maternel étant plus fort que le désir de vengeance ou l’exigence de justice).
Nawal s’efforce de rendre possible, pour les deux jumeaux, un dépassement de l’horreur : en leur disant, au terme de leur parcours initiatique, qu’il leur appartient de décider où commence leur histoire, elle leur offre la possibilité de se reconstruire malgré tout et leur donne une leçon de liberté.
Dans la tragédie antique et à l’époque classique ,les actions sanglantes (meurtres, suicides), ne sont jamais représentées, mais toujours racontées par un témoin oculaire venu en témoigner (Hypotypose). Ceci n’empêche pas Œdipe d’apparaître ensuite sur la scène, le masque ensanglanté, mais l’acte lui-même est toujours commis hors- scène, et c’est le récit très détaillé d’un messager ou du serviteur qui le fait exister dans l’imagination du public.
Incendies fait usage d’une même réserve dans la représentation des actes les plus violents, mais non pour le meurtre du milicien par Sawda ou celui du photographe par Nihad. Les tortures subies par Nawal sont racontées, et non pas montrées sur la scène, de même que l’incendie du bus et la mort épouvantable de ses occupants (ce qui est très différent du film)– avec cette légère différence, cependant, que les actions sont rapportées par les protagonistes eux-mêmes, non par des messagers.
Dans Incendies cependant, les gestes se chargent de plus d’expressivité que dans les réalisations précédentes : ils donnent du poids aux images fortes du texte, accompagnent son intensité ou, au contraire, ils apparaissent comme autant de signes de la lutte des personnages pour ne pas se laisser emporter par la violence des émotions, pour continuer de se tenir droit face aux malheurs qui les accablent.
Ils signalent la « dignité » du personnage dans la tourmente, cette « dignité » par exemple invoquée par Nawal au procès d’Abou Tarek.
La violence de l’écriture de W. Mouawad, son caractère brûlant transparait d’autant plus fortement qu’elle est sans cesse contenue, retenue (même à grand-peine, parfois) et contrainte par le cadre formel strict de la diction et de la gestuelle.
Le jeu de Charline Grand (Nawal) dans cette scène forme donc un contraste intéressant par rapport au contenu d’un texte qui pourrait très bien être interprété par une actrice possédée par l’émotion. Le parti pris de Stanislas Nordey permet de montrer un personnage très volontaire, extrêmement maître de soi, comme le traduit le maintien de son corps (une posture et un port de tête très droits). la maîtrise du discours est le signe de la maîtrise de soi, et Nawal a fait la promesse à sa grand-mère d’être du côté de la pensée, la parole et l’écriture pour sortir du cycle de la colère. Nawal est donc un personnage fort et déterminé qui, par la force de la volonté, lutte pour ne pas se laisser submerger par les émotions.
ANALYSE D'INCENDIES
« Incendies n’est pas une pièce sur la guerre, à proprement parler. C’est une pièce sur les promesses qu’on ne tient pas, sur les tentatives désespérées de consolation, (…) sur la façon de rester humain dans un contexte inhumain. » (…)
Alors, ce qui me ferait battre le cœur c’est de savoir que ce spectacle restera, à travers vos yeux, ancré avant tout dans la poésie, détaché de toute situation politique, mais ancré dans la politique de la douleur humaine, cette poésie intime qui nous unit. (…)
Wajdi Mouawad
Sources de la piece
Souha Béchara a raconté la tentative d’assassinat et sa détention dans un livre intitulé Résistante.
Mouawad rencontre Souha Bechara, militante libanaise qui a tenté, en 1988, d’assassiner Antoine Lahad, chef des milices chrétiennes du Sud-Liban. Souha Bechara fut alors incarcérée pendant dix années dans une prison clandestine du Sud-Liban placée sous le commandement des milices chrétiennes. . Nommée Khiam, ce lieu est chargé de mémoire et rencontre l’histoire des atrocités de la guerre. Le témoignage et le parcours de cette femme (qui a été libérée en 1998) ont beaucoup touché et inspiré Wajdi Mouawad.
Rencontre entre Wajdi Mouawad et Souha Bechara, postface de Charlotte Farcet
«(…) ils découvrent qu’ils ont habité le même quartier à Beyrouth. Étrange chemin : nés voisins, séparés par la guerre, pour se retrouver sur le même quai de métro. Il décide alors de lui poser trois questions. Il lui demande ce qu’elle chantait en prison : tout ce qui me passait par la tête, dit-elle, ABBA, par exemple. Il lui demande si elle n’a pas été déçue de ne pas avoir tué Antoine Lahad ; elle répond que cela n’avait au fond aucune importance, ce qui comptait était que tous sachent qu’il pouvait être atteint. Il lui demande alors pourquoi elle a tiré deux balles et non pas une ou le chargeur entier ; elle lui explique que l’une était pour les Libanais, l’autre pour les Palestiniens. »
Argument de la pièce :
Celui qui tente de trouver son origine est comme ce marcheur au milieu du désert qui espère trouver, derrière chaque dune, une ville. Mais chaque dune en cache une autre et la fuite est sans issue. Raconter une histoire nous impose donc de choisir un début. Et nous, notre début, c’est peut-être la mort de cette femme qui, il y a longtemps déjà, a décidé de se taire et n’a plus jamais rien dit. Cette femme s’appelle Nawal et elle sera enterrée bientôt. Notre histoire commence peut-être par ses dernières volontés, adressées à Jeanne et Simon, ses enfants jumeaux. Mais peut-être notre début c’est cette jeune fille qui, à peine sortie de l’enfance, vient de tomber la tête la première dans sa vraie vie et porte en elle un amour adolescent et un enfant. Cette très jeune fille s’appelle Nawal. Peut-être que c’est là que notre histoire commence, juste avant que sa vie ne se brise. Et INCENDIES serait alors l’histoire de Nawal et d’un acharnement à lire, écrire et penser pour donner un sens à ce qui la dépasse. Peut-être notre histoire commence-t-elle par un territoire déchiré par une guerre civile et occupé par une armée ennemie. INCENDIES serait alors l’histoire d’une résistance. INCENDIES suit en parallèle chacune de ces trois histoires qui sont intimement liées car chacune trouve sa source dans l’autre. Incendies est alors l’histoire de trois histoires qui cherchent leur début, de trois destins qui cherchent leur origine pour tenter de résoudre l’équation de leur existence et tenter de trouver, derrière la dune la plus sombre, la source de beauté.
Wajdi Mouawad
Résumé de la pièce par W. Mouawad
Vous trouverez ci-contre un résumé de la pièce de w.Mouawad
Une partie de l’histoire se déroule au Québec, l’autre au Liban.
A la mort de leur mère Nawal, les jumeaux Simon et Jeanne, se voient remettre chacun une lettre : l’une est destinée à leur père qu’ils pensaient mort, l’autre à leur frère dont ils ignoraient l’existence. Nawal leur confie la mission de les retrouver afin de leur remettre ces lettres. Malgré les incitations du notaire Hermile Lebel, exécuteur testamentaire et ami de Nawal, les deux jeunes gens refusent tout d’abord de réaliser les dernières volontés de cette mère si peu aimante et qui s’était emmurée dans un silence inexpliqué dans ses dernières années d’existence. Puis Jeanne, la première, accepte la mission : la quête de ses origines fait alors resurgir le passé de sorte que plusieurs strates temporelles s’entremêlent au sein de la pièce, révélant petit à petit l’histoire de Nawal. Cette dernière a principalement vécu dans un pays (que l’on suppose être le Liban), on la voit tout d’abord jeune fille, forcée d’abandonner son fils né de son idylle avec Wahab, réfugié palestinien d’un camp voisin ; puis, une fois adulte, résistante durant la guerre civile, aux côtés de son amie Sawda ( la femme qui chante), combattant la milice chrétienne qui opprime les réfugiés palestiniens. Ayant assassiné le chef des milices chrétiennes, Nawal est enfermée à la célèbre prison de Kfar Rayat et devient alors elle-même la légendaire « femme qui chante », celle qui chante tandis que les autres se font torturer. Allant jusqu’au Liban pour mener leur enquête, Jeanne, rejointe ensuite par Simon, découvre qu’à Kfar Rayat Nawal a été victime de nombreuses tortures et de viols de la part d’un certain Abou Tarek, et qu’elle et son frère sont en réalité issus de l’un de ces viols. Enfants d’un bourreau, la vérité se fait plus terrible encore lorsque les deux jeunes gens découvrent que leur frère (Nihad), fruit de l’union de Nawal et Wahab, est un franc - tireur impitoyable devenu ensuite bourreau à la prison de Kfar Rayat, prenant alors le nom d’Abou Tarek… Nawal s’est rendu compte de l’identité de son fils, au procès de celui-ci lorsqu’il a parlé du nez de clown, laissé dans ses couches, seul signe de sa mère. Nawal s’est alors muré dans le silence. Jeanne et Simon s’acquittent alors de leur tâche, remettent les lettres destinées au père et au frère, qui ne sont qu’une et même personne, avant de recevoir une dernière lettre de la part de leur mère, celle qui permet la consolation et la réconciliation. La pièce est constituée en 39 tableaux, répartis en 4 parties portant chacune un titre avec le mot Incendie : Incendie de Nawal, Incendie de l’enfance, Incendie de Jannaane, Incendie de Sarwane …
Jannaane et Sarwane étant les noms arabes de Jeanne et Simon.
PERSONNAGES
NAWAL
Mère de Jeanne, Simon et Nihad.
Elle est la femme qui chante.
On la rencontre à plusieurs âges de sa vie :
- 14 à 19 ans
- 40 et 45 ans
- 60 et 65 ans
HERMINE LEBEL
Le notaire, ami de Nawal
Qui est-il vraiment ? Savait-il tout depuis le début ?
NIHAD/ABOU TAREK
Fils de Nawal, père de Jeanne et Simon et aussi leur frère.
Il est le bourreau qui a violé sa propre mère parce qu’il ne l’a pas reconnue en prison. (Mythe d’Oedipe)
JIHANE
Mère de Nawal .
NAZIRA
Grand-mère de Nawal .
WAHAB
Amour de jeunesse de Nawal, père de Nihad.
JEANNE
Jannaane. Soeur jumelle de Simon, fille de Nawal et Nihad
SIMON
Sarwane. Frère jumeau de Jeanne, fils de Nawal et Nihad
ELHAME
Prendra l’enfant de Nawal et Wahab et le donnera
ANTOINE DUCHAMP
Infirmier jusqu’à la mort de Nawal
SAWDA
Amie, confidente de Nawal, Grace à elle elle apprend à lire, penser et écrire. En retour elle apprend à chanter à Nawal
CHAMSEDINE
Chef spirituel de la Résistance. Chef de guerre impitoyable mais aussi homme qui tient ses promesses end aidant Nawal et ses enfants.
ABDESAMAD DARAZIA
L’homme qui connait toutes les histoires
FAHIM
Ancien gardien de la prison devenu concierge de l’école
MALAK
Paysan qui remet à Nawal ses deux enfants.
STRUCTURE
La structure peut surprendre parce qu’on passe très rapidement d’un lieu à l’autre, d’un temps à l’autre.
Des personnages qui appartiennent à deux époques différentes peuvent se croiser sur la scène et se parler.
Le temps réel c’est celui de la quête de Jeanne et Simon. Mais il y a beaucoup de retour dans le temps et donc le lecteur peut savoir où deviner les choses avant Janne et Simon.
Dans la version de 2009, il existe quatre parties assez équilibrées :
- Incendie de Nawal
- Incendie de l’enfance
- Incendie de Jannaane
- Incendie de Sarwane
Chaque personnage passe par l’épreuve du feu : cela crée vide et silence en lui.
La scène du bus correspond à un incendie de l’enfance.
Les scènes sont numérotées de 1 à 38. Et l’épisode du bus est placé au centre de la pièce, comme si c’était un point de bascule pour Nawal mais aussi pour Jeanne qui lorsqu’elle entend ce récit décide de partir dans le pays natal de sa mère pour en savoir plus.
Le schéma narratif de la pièce est calqué sur le modèle de la tragédie grecque. Plus spécifiquement, la figure de l’enquêteur, qui au cours de ses recherches apprendra la vérité sur ses origines, met en lumière l’intertexte du mythe d’Œdipe. La relation de Jocaste et d’Œdipe est identique à celle de Nihad et de Nawal. Séparés toute leur vie, ils ne se reconnaissent pas au moment où ils commettent 1’inceste. Toutefois Nawal ne le choisit pas. (viol)
En se taisant, le personnage de Nawal demeure vertueux dans la mesure où ce geste lui permet de « préserver 1’amour» (I, p.l29) qu’elle a pour son fils. Elle oriente Jeanne et Simon vers la vérité plutôt que de leur divulguer. L’apprentissage de la vérité les empêchera de céder à la haine et, de ce fait, les aidera à «rester humain[s] dans un contexte inhumain» (Dubois, 2006).
La structure narrative conjugue plusieurs genres, reliés par la thématique du silence. En effet, la topique de l’animalité dans Incendies découle de celle du silence. À l’instar des animaux, Nawal communique avec les jumeaux sans prononcer un seul mot. Elle refuse alors que sa relation avec Nihad se définisse par l’évènement tragique de l’inceste. La protagoniste s’écarte de son humanité en s’abstenant de parler afin de garder son identité de mère.
La structure spatiale
L’organisation spatiale est complexe puisque des épisodes du passé de nos de Nawal font irruption dans le temps présent des jumeaux.
Dans les premières scènes les lieux sont généralement clairement définis :
: « Bureau de notaire » (p. 13), « salle de cours où enseigne Jeanne » (p. 26), « Aube. Forêt. Rocher. Arbres blancs. » (p. 32), « Maison de Nawal » … au cours de la pièce cela change, les lieux sont parfois simplement sous-entendu et l’espace jamais précisément décrit.
Il ne faut pas oublier que Wajdi Mouawad a voulu effacer tout ancrage spatio-temporel qui situerait précisément l’histoire dans la guerre du Liban.
La structure textuelle
La pièce se caractérise par l’importance d’éléments écrits non théâtraux : un testament, trois lettres, un témoignage dans un cahier.
La progression vers la vérité passe par la parole écrite de Nawal. Murée dans le silence les dernières années de sa vie, elle s’exprime par des écrits qui traversent le temps en la rendant présente à ses enfants par-delà la mort ( ces écrits sont d’ailleurs le plus souvent prononcés sur scène par une actrice jouant Nawal).
Les lettres de Nawal ainsi que son testament sont aussi le lieu d’une langue qui tend vers le poétique notamment par la disposition du texte sur la page et certains procédés d’écriture
En fait, ce sont les écrits qui livrent aux jumeaux les éléments essentiels de leur histoire.
Le « cahier rouge » légué à Simon contient le témoignage de Nawal lors du procès d’Abou Tarek. Ce cahier, sorte de journal intime de la défunte, authentifie donc la découverte des jumeaux sur leur véritable filiation.
La pièce est ponctuée d’intrusions de personnages venus du passé : à la fin de la scène 4, une intrusion sonore (l’appel que s’envoient Nawal et Wahab) sert d’introduction au retour dans le passé de Nawal, tandis que ce flash-back est annoncé par ce que dit Hermile Lebel : « Votre mère a connu votre père quand elle était très jeune ». C’est exactement le même procédé qui est utilisé pour introduire la scène de l’autobus (scène 19) :
JEANNE. Qu’est-ce qu’elle vous a raconté ?
SAWDA. Nawal !
HERMILE LEBEL. Elle m’a raconté qu’elle venait d’arriver dans une ville…
SAWDA (à Jeanne). Vous n’avez pas vu une jeune fille qui s’appelle Nawal ?
HERMILE LEBEL. Un autobus est passé devant elle…
SAWDA. Nawal !
HERMILE LEBEL. Des hommes sont arrivés en courant, ils ont bloqué l’autobus, ils l’ont aspergé d’essence et puis d’autres hommes sont arrivés avec des mitraillettes et… (pp. 71-72)
Le récit du notaire pourrait se poursuivre, mais l’appel de Sawda est destiné à provoquer l’apparition de Nawal pour qu’elle vienne elle-même nous raconter directement ce dont elle a été témoin.
Mais ces espaces-temps ne sont pas simplement parallèles : leurs personnages respectifs peuvent entrer en contact, comme Sawda s’adressant à Jeanne.
Ces effets d’entrecroisement et de fragmentation des dialogues fracturent le temps au sein d’une même scène : le temps théâtral est donc bien ce « plus que présent » où le présent d’énonciation d’une scène est chargé de tout le poids du passé. Tout a déjà eu lieu, mais tout se rejoue dans un éternel présent.
Il arrive même que Wajdi Mouawad aille plus loin encore en faisant dialoguer directement les vivants et les morts. C’est ainsi que Nawal apparaît au moment où Simon craint d’affronter sa part de la quête : « J’ai besoin de tes poings pour briser le silence. […] Il te faut à présent trouver le véritable nom de ton frère. » (p. 106).
Mais l’histoire racontée par Incendies demeure lacunaire, puisqu’elle passe sous silence des éléments importants. Par exemple, alors que nous prenons connaissance du témoignage de Nawal au procès d’Abou Tarek, nous ne savons rien du verdict de ce procès. Par la suite, les jumeaux vont remettre à leur père / frère les deux lettres écrites par Nawal, mais nous ne savons pas quel impact la révélation sur l’identité de sa mère a sur Nihad. Sortira-t-il vraiment transformé par ce retournement de situation qu’est l’expérience de la reconnaissance ?
Fonction du parler quebequois
Mouawad utilise le parler québécois essentiellement pour traduire les colères ou les émotions des personnages. Simon il y a massivement recours. Ce sont des locutions empruntées à l’anglais (« you bet », « big deal »), mais insérées dans une phrase en français, et surtout les jurons, les fameux « sacres » québécois, dont le rapport avec la religion garde la trace du temps où ils avaient valeur de blasphèmes : « tabarnak , «hostie»,«crisse»(de«Christ»)ou«s’en câlisser » (« s’en moquer » ; verbe dérivé de « calice »), etc.
Cela enracine le jeune homme dans un milieu populaire (de même que la boxe qu’il pratique), mais surtout dans une forte identification à ce qu’il croit être son pays de naissance, et souligne le conflit qui l’oppose à sa sœur jumelle lorsque celle-ci décide d’accomplir la quête voulue par leur mère.
Quant au notaire Hermile Lebel, il utilise aussi des expressions québécoises lorsqu’il est ému ou se met en colère : « coudonc » (« écoute donc »), « ou bedon » (« ou bien »), « torpinouche » (dérivatif atténué de « torieu », qui vient de « tort à Dieu »). Certaines des distorsion qu’il fait subir aux expressions crée un allégement comique à l’intérieur du texte : « ça lui ressemble comme deux couteaux », « vous êtes connu comme Caracas dans la passion »
LE TEMPS DANS INCENDIES
Impression d’éclatement : le texte fait passer d’un espace-temps à l’autre à travers les aller retours entre la quête de jumeaux et les épisodes de la vie de Nawal
Mais les épisodes sont donnés de manière chronologique :
- 1er retour dans le passé : 5. “Ce qui est là” - amour de Nawel a 14 ans avec Wahab
- Accouchement, séparation départ du village et retour au village pour graver l’épitaphe de la grand-mère et rencontre avec Sawda.
- Témoignage de Saouda à 60 ans au procès d’aboulants Tarek.

En même temps, la pièce suit l’ordre chronologique de l’enquête des jumeaux: la pièce commence au Québec dans le bureau du notaire et s’y termine.
1938 : Naissance de Nawal Marwan au Liban.
1952 : Nawal (14 ans) est enceinte. (p. 22)
1953 : Naissance du fils de Nawal et Wahab.
1954 : Mort de Nazira, la grand-mère de Nawal. Départ de Nawal (16 ans) pour apprendre à lire et à écrire.
1957 : Nawal (19 ans) revient dans son village pour écrire le nom de sa grand-mère sur la tombe. Rencontre avec Sawda. Départ vers le sud. (p. 33-34)
1978 : Massacres dans les camps de réfugiés. Meurtre du chef des miliciens Chad, assassiné par Sawda (40 ans). (cf. projet des deux femmes p. 60-61) Emprisonnement à Kfar Rayat.
Nihad Harmanni devient Abou Tarek. (p. 84)
1983 Sortie de prison de Nawal qui retrouve à Kisserwan ses deux bébés nés en prison. (p. 66)
1993 Début des procès. (mentionné par Simon p. 17)
1998 Témoignage de Nawal (60 ans) devant les juges. (p. 68)
2003 Mort de Nawal à Montréal (65 ans)
LES SILENCES DANS INCENDIES
La dramaturgie du silence : un remède contre l’impossibilité de raconter
Le silence dans les échanges tronqués
La présence de silence dans Incendies s’inscrit dans le changement de paradigme du drame moderne . « Les personnages (…) se trouvent toujours simultanément trop près et trop loin. » (Sarrazac, 2012, p.245)
L’échec du dialogue rompt les liens entre les interlocuteurs, ce qui les empêche de se reconnaitre « par contraste » c’est-à-dire en se différenciant des autres.
La figure du téléphone est aussi présente dans Incendies. Les personnages parviennent à tenir une conversation téléphonique.
Pourtant, ils ne s’écoutent pas parler :
Jeanne. Simon, écoute, je m’en fous! Je m’en fous de ton combat de boxe. Ta gueule!… Simon! Elle a été emprisonnée! Elle a été torturée! Elle a été violée! Tu m’entends! Violée! Tu entends ce que je te dis? Et le frère qu’on a, elle l’a eu en prison. Non! Fuck, Simon, je t’appelle du fin fond du trou du cul du monde, il y a une mer et deux océans entre nous, alors ferme ta gueule et écoute-moi! Non, tu ne me rappelles pas, tu vas voir le notaire, tu lui demandes le cahier rouge et tu regardes dedans. Et c’est tout.
Simon. Non… non… ça ne me t’intéresse pas! Mon combat de boxe! C’est tout! Oui, c’est tout! Je veux pas le savoir! Non, ça ne m’intéresse pas de connaitre son histoire! Ça ne m’intéresse pas! Je sais qui je suis aujourd’hui et ça me suffit! Maintenant, toi, écoute-moi! Tu rentres! Tu rentres, fuck, tu rentres! Tu rentres, Jeanne!… Allô! Allô! … Fuck!…T’as pas un numéro, sur ta crisse de cabine, où je peux t’appeler?
Elle raccroche. (!, p.96-97)
L’auteur souligne le clivage entre les personnages avec ces monologues qui se succèdent. Leurs paroles perdues produisent en quelque sorte un silence, comme si les personnages n’avaient rien dit. Le silence s’instaure entre les répliques, dans le manque d’écoute des personnages qui renforce 1’échec de la communication.
Le silence n’est pas nécessairement une absence de parole. Il se manifeste aussi dans le lien brisé entre les personnages, soulignant la solitude des interlocuteurs, et dans la manière dont la catastrophe passée détermine le dialogue du présent.
Compte tenu des problèmes de communication que connaissent les personnages, comment peuvent-ils témoigner ? Comment dire ?. Quels mots pour décrire la catastrophe ? On retrouvera cette thématique dans Juste avant la fin du monde de Lagarce.
C’est alors le silence qui deviendra une parole. Ce que Nawal ne peut nommer, ne peut dire, c’est son silence qui le dira.
Pourtant au procès de son propre fils, Nawal affirme la nécessité de dénoncer : «Me taire sur votre compte serait être complice de vos crimes. » (!, p.! 04) Sa difficulté à respecter cette valeur fait basculer le mélodrame dans la tragédie. Mais c’est une tragédie sans Dieu, une tragédie de l’humain pris dans ses contradictions, ses difficultés à choisir.
Le personnage de Nawal doit choisir entre l’amour ou la dénonciation : son problème est insoluble.
Soit elle ne dit pas ce qu’a fait son fils bourreau et protège l’amour filial , soit elle dénonce son bourreau et cède à la haine. Les deux sentiments qu’elle a pour le même homme sont irréconciliables : « Mais là où il y a de l’amour, il ne peut pas y avoir de haine. Et pour préserver l’amour, aveuglément j ‘ai choisi de me taire. Une louve défend toujours ses petits. Tu as devant toi Jeanne et Simon. Tous deux tes frères et sœur . Et puisque tu es né de l’amour, Ils sont frère et sœur de l’amour. Écoute Cette lettre je 1’écris avec la fraîcheur du soir. Elle t’apprendra que la femme qui chante était ta mère » (lettre qu’elle écrit à son fils Nihad)
Mais en même temps, elle écrit deux lettres à ce fils bourreau. Identité fragmentée, division : le silence est le seul moyen qu’elle a trouvé pour que ces deux identités puissent coexister.
Ne pouvant dire, l’enquête que Nawal impose aux jumeaux est sa manière de leur dire la vérité : Elle raconte mais ne révèle pas. Et devant ce silence, la parole des jumeaux devient abondante jusqu’à ce qu’ils connaissent l’histoire de leur origine.
Autrement dit, les personnages qui ne comprennent pas la valeur du mutisme de Nawal parlent pour le combler. Ils parlent en quelque sorte à la place de celle qui se tait. Mais le silence de Nawel est actif. C’est lui qui conduit les jumeaux entreprendre l’enquête. C’est le silence qui fait progresser l’action de la pièce.
De cette façon, le silence ne dissimule pas une vérité, mais il la révèle autrement. À cet égard, la didascalie finale de la pièce souligne la nouvelle compréhension des jumeaux : « Jeanne et Simon écoutent le silence de leur mère. Pluie torrentielle. » (!, p.132) Maintenant qu’ils connaissent 1’histoire de leur mère, leur écoute se modifie et la pluie agit comme une purification des malheurs ils entendent maintenant le silence.
Au cours de la pièce les certitudes des personnages sont ébranlées ; changement de paradigme en quelque sorte un peu comme pour le personnage de Shakespeare, Hamlet : les jumeaux apprennent en ouverture de la pièce que le monde tel qu’il est n’est pas celui qu’ils croyaient être
LECTURES LINEAIRES
Lecture linéaire n°1
Lecture linéaire n°2
Lecture linéaire n°3
Lecture linéaire n°4
DU COTE DE LA MISE EN SCENE
MISE EN SCENE DE MOUAWAD
Scène du bus
Le parti pris de mise en scène de W. Mouawad apparaît dans la didascalie de la scène : « Longue séquence de bruits de marteaux-piqueurs qui couvrent entièrement la voix d’Hermile Lebel. Les arrosoirs crachent du sang et inondent tout. Jeanne s’en va. » (page 72). W. Mouawad est un auteur qui écrit en interaction avec le plateau, c’est-à-dire que ses textes (particulièrement pour les trois premières pièces du Sang des promesses) sont le résultat du travail des comédiens et de la mise en scène (le texte d’Incendies a d’ailleurs été publié une première fois après la mise en scène, puis réédité dans une version un peu modifiée pour la mise en scène du Sang des promesses au Festival d’Avignon).
La mise en scène utilise le jet d’eau d’un arrosage automatique de pelouse lequel évoque métaphoriquement à la fois, par sa force, le mitraillage du bus, mais aussi, parce qu’il projette un liquide, l’essence aspergée sur le bus et ses occupants. Sur un dessin de la mise en scène reproduit dans Wajdi Mouawad, Le Sang des promesses. Puzzles, racines et rhizomes (Actes sud / Leméac, 2009, page 43), l’auteur metteur en scène a indiqué : « Tuyau d’arrosage + Son de marteau-piqueur + arrosage = autobus qui flambe ». L’amplitude du mouvement du jet d’eau qui décrit un arc de cercle de façon à tremper progressivement Nawal (Isabelle Roy) et à asperger le grand panneau de verre devant lequel elle se tient évoque la progression des flammes. Le panneau de verre, présent tout au long de la représentation, peut ici rappeler les vitres du bus, mais aussi sépare Nawal la rescapée des ombres des victimes de ce massacre dont les silhouettes se dessinent légèrement par transparence derrière le panneau de verre.
Mise en scène S. NORDEY
Le choix du plateau nu, vide met en valeur, par son dépouillement, l’intensité de la parole. La jeune Nawal entre lentement depuis le côté cour, à l’avant-scène et vient se placer devant la première rangée de gradins, presque collée au public. D’emblée, le spectateur peut être déconcerté par la gestuelle adoptée par les comédiens. Cette gestuelle est en effet la première caractéristique du travail de mise en scène de Stanislas Nordey. gestuelle très dessinée, presque chorégraphiée, est associée à la frontalité (les acteurs jouent face au public). Les gestes effectués sont arbitraires et ne correspondent jamais à une codification symbolique car ils ne sont pas en principe conçus pour être liés à la situation dramatique. Au contraire, ils épousent la structure rythmique du discours en ponctuant par exemple une fin de phrase ou de vers ou encore en mettant en valeur la fin d’un segment textuel ou d’une construction grammaticale. Ils servent donc d’appui à la fois visuel et rythmique.
Dans Incendies cependant, les gestes se chargent de plus d’expressivité que dans les réalisations précédentes : ils donnent du poids aux images fortes du texte, accompagnent son intensité ou, au contraire, ils apparaissent comme autant de signes de la lutte des personnages pour ne pas se laisser emporter par la violence des émotions, pour continuer de se tenir droit face aux malheurs qui les accablent.
Ils signalent la « dignité » du personnage dans la tourmente, cette « dignité » par exemple invoquée par Nawal au procès d’Abou Tarek.
La violence de l’écriture de W. Mouawad, son caractère brûlant transparait d’autant plus fortement qu’elle est sans cesse contenue, retenue (même à grand-peine, parfois) et contrainte par le cadre formel strict de la diction et de la gestuelle.
Le jeu de Charline Grand (Nawal) dans cette scène forme donc un contraste intéressant par rapport au contenu d’un texte qui pourrait très bien être interprété par une actrice possédée par l’émotion. Le parti pris de Stanislas Nordey permet de montrer un personnage très volontaire, extrêmement maître de soi, comme le traduit le maintien de son corps (une posture et un port de tête très droits). la maîtrise du discours est le signe de la maîtrise de soi, et Nawal a fait la promesse à sa grand-mère d’être du côté de la pensée, la parole et l’écriture pour sortir du cycle de la colère. Nawal est donc un personnage fort et déterminé qui, par la force de la volonté, lutte pour ne pas se laisser submerger par les émotions.
Projection du film de Villeneuve
- Analyse de l’affiche du film
Comparaison entre les deux affiches :
- De quelle scène s’agit-il ? pourquoi ce choix ?
- Quelle différence de cadrage observez-vous ?
- Denis Villeneuve propose-t-il une adaptation fidèle de la pièce de Wajdi Mouawad ?
- Comment le cinéaste passe du présent au passé ?
- En quoi Incendies relève-t-il de la tragédie ?
- Quelle vision de la guerre propose le cinéaste ? Est-ce un film politique ?
- Les personnages sont-ils coupables ou victimes ?
- En quoi Incendies révèle-t-il la dualité de la nature humaine ?