Tardieu, Oradour

LECTURES COMPLEMENTAIRES

Jean Tardieu

 

Oradour

Oradour avant le massacre
Oradour, Ecole des filles, 1942-1943

Dans ce village, le 10 juin 1944, 642 hommes, femmes et enfants furent massacrés par une unité de la   Waffen SS .

 Après le débarquement allié en Normandie, le 6 juin, la division Waffen SS entreprend, le 8, de se positionner dans la région de Tulle et Limoges pour une opération de ratissage contre la résistance. 8500 hommes environ participent à ce déplacement en laissant une « traînée sanglante » sur le trajet.  

Le massacre de 99 otages et la déportation de nombreux habitants de Tulle, le 9 juin, s’inscrivent dans une succession de drames. Ils culminent avec celui d’Oradour, le lendemain 10 juin.

  Des miliciens suivent les opérations. L’ « action exemplaire », envisagée depuis plusieurs jours (une note du général SS lammerding commandant la division date du 5 juin, confirmée par une nouvelle note du même en date du 10), est alors mise au point.

  La troupe Waffen SS arrive devant le bourg qu’elle encercle. Elle rassemble la population. Elle sépare les hommes, des femmes et des enfants. Elle exécute les hommes dans des locaux repérés. Elle tue au hasard des rues et des maisons pour qu’il n’y ait pas de témoin. Elle pille puis elle incendie. Elle massacre femmes et enfants dans l’église qu’elle tente de détruire avec des explosifs.

Puis elle procède systématiquement à l’élimination des cadavres par le feu et la fosse commune pour empêcher leur identification.

Elle accroît ainsi la terreur par l’impossibilité de reconnaître les morts, tout en laissant en évidence les traces du massacre.

Oradour n’a plus de femmes
Oradour n’a plus un homme
Oradour n’a plus de feuilles
Oradour n’a plus de pierres
Oradour n’a plus d’église
Oradour n’a plus d’enfants

Plus de fumée plus de rires
Plus de toîts plus de greniers
Plus de meules plus d’amour
Plus de vin plus de chansons.

Oradour, j’ai peur d’entendre
Oradour, je n’ose pas
Approcher de tes blessures
De ton sang de tes ruines,
je ne peux je ne peux pas
Voir ni entendre ton nom.

Oradour je crie et hurle
Chaquefois qu’un coeur éclate
Sous les coups des assassins
Une tête épouvantée
Deux yeux larges deux yeux rouges
Deux yeux graves deux yeux grands
Comme la nuit la folie
Deux yeux de petits enfants:
Ils ne me quitteront pas.

Oradour je n’ose plus
Lire ou prononcer ton nom.

Oradour honte des hommes
Oradour honte éternelle
Nos coeurs ne s’apaiseront
Que par la pire vengeance
Haine et honte pour toujours.

Oradour n’a plus de forme
Oradour, femmes ni hommes
Oradour n’a plus d’enfants
Oradour n’a plus de feuilles
Oradour n’a plus d’église
Plus de fumées plus de filles
Plus de soirs ni de matins
Plus de pleurs ni de chansons.

Oradour n’est plus qu’un cri
Et c’est bien la pire offense
Au village qui vivait
Et c’est bien la pire honte
Que de n’être plus qu’un cri,
Nom de la haine des hommes
Nom de la honte des hommes
Le nom de notre vengeance
Qu’à travers toutes nos terres
On écoute en frissonnant,
Une bouche sans personne,
Qui hurle pour tous les temps.

Jean Tardieu, Oradour