Situation du passage :
Acte I :
Scène 1 : Début in medias res, la scène d’exposition se prolongera jusqu’à la Scène 3. (Voir texte 1)
Scène 2 : Oenone (nourrice et confidente de Phèdre) vient annoncer l’arrivée de Phèdre et demande à ce qu’on les laisse seules.
Scène 3 : Phèdre apparaît mourante et ne veut dire l’origine de son mal. Oenone, effrayée de voir sa maîtresse rongée par un mal secret , la conjure de parler. Phèdre qui souffre depuis des années –se laisse ici peu à peu entraîner à l’aveu. Ce premier aveu va permettre à Oenone de jouer par la suite un rôle actif dans les décisions de la reine.
Acte I,sc 3
PHEDRE
Puisque Vénus le veut, de ce sang déplorable
Je péris la dernière, et la plus misérable.
OENONE
Aimez-vous ?
PHEDRE
De l’amour j’ai toutes les fureurs.
OENONE
Pour qui ? `
PHEDRE
Tu vas ouïr le comble des horreurs. J’aime… A ce nom fatal, je tremble, je frissonne. J’aime…
OENONE
Qui ?
PHEDRE
Tu connais ce fils de l’Amazone,
Ce prince si longtemps par moi-même opprimé ?
OENONE
Hippolyte ! Grands Dieux !
PHEDRE
C’est toi qui l’as nommé.
OENONE
Juste ciel ! tout mon sang dans mes veines se glace.
O désespoir ! ô crime ! ô déplorable race !
Voyage infortuné ! Rivage malheureux,
Fallait-il approcher de tes bords dangereux ?
PHEDRE
Mon mal vient de plus loin.
A peine au fils d’Egée
Sous les lois de l’hymen je m’étais engagée,
Mon repos, mon bonheur semblait s’être affermi,
Athènes me montra mon superbe ennemi.
Mariage avec Thésée
Athènes me montra mon superbe ennemi.
Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue ;
Un trouble s’éleva dans mon âme éperdue ;
Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler ;
Je sentis tout mon corps et transir et brûler.
Je reconnus Vénus et ses feux redoutables,
D’un sang qu’elle poursuit tourments inévitables
Coup de foudre pour Hippolyte, Malédiction de Vénus
Par des voeux assidus je crus les détourner :
Je lui bâtis un temple, et pris soin de l’orner ;
De victimes moi-même à toute heure entourée,
Je cherchais dans leurs flancs ma raison égarée,
D’un incurable amour remèdes impuissants !
En vain sur les autels ma main brûlait l’encens :
Quand ma bouche implorait le nom de la Déesse,
Tentatives inutiles pour échapper à la passion . 5Les exclamatives marquent le désespoir de Phèdre)
J’adorais Hippolyte ; et le voyant sans cesse,
Même au pied des autels que je faisais fumer,
J’offrais tout à ce Dieu que je n’osais nommer.
Je l’évitais partout. O comble de misère !
Mes yeux le retrouvaient dans les traits de son père.
Contre moi-même enfin j’osai me révolter :
J’excitai mon courage à le persécuter.
Pour bannir l’ennemi dont j’étais idolâtre,
J’affectai les chagrins d’une injuste marâtre ;
Je pressai son exil, et mes cris éternels
L’arrachèrent du sein et des bras paternels.
Je respirais OEnone, et depuis son absence,
Mes jours moins agités coulaient dans l’innocence.
Soumise à mon époux, et cachant mes ennuis,
De son fatal hymen je cultivais les fruits.
Vaine précautions ! Cruelle destinée !
Par mon époux lui-même à Trézène amenée,
J’ai revu l’ennemi que j’avais éloigné :
Ma blessure trop vive a aussitôt saigné,
Ce n’est plus une ardeur dans mes veines cachée :
C’est Vénus tout entière à sa proie attachée.
J’ai conçu pour mon crime une juste terreur ;
J’ai pris la vie en haine, et ma flamme en horreur.
Je voulais en mourant prendre soin de ma gloire;,
Et dérober au jour une flamme si noire :
Je n’ai pu soutenir tes larmes, tes combats ;
Je t’ai tout avoué ; je ne m’en repens pas,
Pourvu que de ma mort respectant les approches,
Tu ne m’affliges plus par d’injustes reproches,
Et que tes vains secours cessent de rappeler
Un reste de chaleur tout prêt à s’exhaler.
Devoir maison
Transformez cette tirade en texte narratif.
Vous ferez ce récit à la 1° personne. C’est Oenone, qui bien longtemps après, fait le récit de ce moment terrible.
Vous commencerez votre texte par : « Phèdre était la fille de Minos et de Pasiphaé et avait épousé Thésée, roi d’Athènes. Celui-ci avait un fils, Hippolyte, né d’un précédent mariage. J’étais sa suivante lorsque se produisirent de terribles évènements. Depuis des mois, Phèdre dépérissait…
L’influence du jansénisme sur Racine
Le classicisme condamne tout excès, donc forcément toute passion. Les jansénistes quant à eux, croient à la prédestination et s’imposent une morale austère, espérant être élus par Dieu. Elevé à Port-Royal et nourri d’œuvres grecques, Racine présente la passion comme un excès et une véritable maladie.
Au XVIIème siècle, la France est une monarchie de droit divin. La religion d’état (ou la plus pratiquée et aussi avec laquelle on applique parfois les lois, en clair l’état est religieux ) est le catholicisme.
Jansénistes:
Leurs noms vient du fait qu’ils étaient les disciples de Jansenius ( 1588-1638 ).
Les jansénistes appliquent un règlement sévère, et un état d’esprit quasi perpétuel de pessimisme. Ils considèrent que l’Homme ne peut “mériter par ses actes le salut de son âme”. Seuls des “élus” sont prédestinés au paradis. C’est le pari de Pascal (1623-1662), philosophe du XVII, auteur des Pensées. Pour lui, on ne peut pas démontrer l’existence de Dieu et on ne peut avoir la foi que par la grâce : on a donc, selon lui, tout à gagner à croire en l’existence de Dieu. Car nous ne savons pas si nous faisons partie des « élus ».Et nous dit Pascal ; » « Pesons le gain et la perte en prenant croix que Dieu est. Estimons ces deux cas : si vous gagnez, vous gagnez tout ; si vous perdez, vous ne perdez rien. Gagnez donc qu’il est, sans hésiter ».
Le tragique racinien, une illustration de la doctrine janséniste
Le pessimisme janséniste imprègne le théâtre de Racine.
I-La divinité cruelle
L’univers racinien est en effet sous le regard permanent de la divinité, et ce dieu n’est jamais providentiel : il accable le héros au lieu de le guider. À la fois poursuivis et abandonnés par les dieux, les héros raciniens sont des êtres à qui la grâce ne peut être donnée.
Ils ont beau lutter contre ce qu’ils perçoivent comme leur perte (sous la forme de la passion), ils ne sont pas libres de leur destin : Phèdre multiplie les sacrifices à Vénus, fuit Hippolyte, le persécute et pourtant elle succombe, écrasée par la culpabilité.
II-Une conception janséniste de l’amour
La dimension janséniste apparaît également dans la nouvelle psychologie de l’amour que Racine dévoile dans son théâtre. En rupture complète avec la tradition, il introduit en effet dans la tragédie un amour violent et meurtrier qui rabaisse l’homme au niveau de la nature et de l’instinct. Cette passion brutale et possessive, étrangère à toute valeur, ressortit à ce que les Jansénistes appellent la nature, cet antonyme(contraire) de la grâce. En cela, Racine se rattache nettement à la philosophie pessimiste du jansénisme .
Conclusion : Si le tragique racinien peut, par bien des côtés, être mis en relation avec la doctrine janséniste, il ne saurait lui être totalement assimilé. En transposant cette doctrine en une vision du monde, Racine en fait un matériau littéraire, au même titre que les mythes antiques. Ces deux composantes du tragique racinien convergent d’ailleurs pour donner à voir la faiblesse humaine : la tragédie devient alors, selon le mot de Barthes « un échec qui se parle».