Racine, Berenice

TEXTE 2 : Racine, Berenice, 1677 – ActeIV, Sc.5

Titus, l’empereur  de Rome doit se séparer de la reine Bérénice (reine de Palestine qu’il  a emmenée à Rome après la conquête de la Judée) car les Romains refusent une reine étrangère. Titus, bien qu’il aime Bérénice et qu’il lui ait promis de l’épouser, lui annonce  qu’il la renvoie de Rome car, dit-il, « il ne s’agit plus de vivre, il faut régner ».


Bérénice
Eh bien ! Régnez, cruel ; contentez votre gloire :
Je ne discute plus. J’attendais, pour vous croire,
Que cette même bouche, après mille serments
D’un amour qui devait unir tous nos moments, 
Cette bouche, à mes yeux s’avouant infidèle,
M’ordonnât elle-même une absence éternelle.
Moi-même j’ai voulu vous entendre en ce lieu.
Je n’écoute plus rien : et pour  jamais, adieu.
Pour jamais ! Ah ! Seigneur, songez-vous en vous-même
Combien ce mot cruel est affreux quand on aime ?
Dans un mois, dans un an, comment souffrirons-nous,
Seigneur, que tant de mers me séparent de vous ?
Que le jour recommence et que le jour finisse,
Sans que jamais Titus puisse voir Berenice,
Sans que de tout le jour je puisse voir Titus !
Mais quelle est mon erreur, et que de soins perdus !
L’ingrat, de mon départ consolé par avance,
Daignera-t-il compter les jours de mon absence ?
Ces jours si longs pour moi lui sembleront trop courts.

Titus
Je n’aurai pas, Madame, à compter tant de jours.
J’espère que bientôt la triste renommée
Vous fera confesser que vous étiez aimée.
Vous verrez que Titus n’a pu sans expirer…

Bérénice
Ah ! Seigneur, s’il est vrai, pourquoi nous séparer ?

Dans sa célèbre Préface , Racine se félicite de la simplicité du sujet de la pièce, qu’il traduit ainsi de Sénèque : « Titus, qui aimait passionnément Bérénice, et qui même, à ce qu’on croyait, lui avait promis de l’épouser, la renvoya de Rome, malgré lui et malgré elle, dès les premiers jours de son empire. » L’histoire lui semble convenir au théâtre « par la violence des passions qu’elle y pouvait exciter ». Cette violence de l’émotion est au coeur de ce nouveau tragique que Racine définit dans sa Préface : « Ce n’est point une nécessité qu’il y ait du sang et des morts dans une tragédie : il suffit que l’action en soit grande, que les acteurs en soient héroïques, que les passions y soient excitées et que tout s’y ressente de cette tristesse majestueuse qui fait tout le plaisir de la tragédie. »