Poètes résistants

POETES RESISTANTS

Paul Eluard, Liberté, 1942- Illustration Fernand Léger

« Ce cœur qui haïssait la guerre voilà qu’il bat pour le combat et la bataille. »

Robert Desnos

Pendant l’occupation, en raison de la censure très forte, les écrits clandestins sont nombreux. Parmi les plus connus de ces textes, le poème d’Eluard, Liberté, écrit en 1942 est parachuté depuis un avion de la Royal Air Force.

Manuscrit Eluard

La poésie va prendre une place prépondérante. Des auteurs comme Éluard, Desnos, Breton, Aragon   qui avaient été à l’origine du surréalisme après la 1ere guerre (1914-1918) prennent la plume pour crier leur colère, leur révolte et leur désir de paix.      

Le 14 juillet 1943,  les Editions de Minuit font paraitre une anthologie poétique composée de textes de résistance. il s’agit de  L’Honneur des poètes .   Il s’agit d’une anthologie de 42 poèmes, la plupart inédit, composée de textes de 22 poètes dont les pseudonymes  cachaient les plus grandes plumes de l’époque.Parmi eux,   Eluard, Aragon, Seghers, Desnos, Tardieu, Guillevic,  Francis Ponge et bien d’autres.

Préface d’Aragon à L’Honneur des poètes

« Whitman animé par son peuple, Hugo appelant aux armes, Rimbaud aspiré par la commune, Maïakovski exalté, exaltant, c’est vers l’action que les poètes à la vue immense sont, un jour ou l’autre, entraînés. Leur pouvoir sur les mots étant absolu, leur poésie ne saurait jamais être diminuée par le contact plus ou moins rude du monde extérieur. La lutte ne peut que leur rendre des forces.  (…)

 Une fois de plus la poésie mise au défi se regroupe, retrouve un sens précis à sa violence latente, crie, accuse, espère. »

Le titre exprime à la fois un engagement dans le combat : « honneur » et  une communauté soudé  dans cet engagement : «poètes » employé au pluriel. La date de parution n’est évidemment pas anodine non plus…

Le recueil est un succès et sera  réédité à plusieurs reprises, notamment en tract sous la forme d’un dépliant de huit pages. Il passe clandestinement les frontières. Radio Londres en lit certains sur les ondes.

 

L’Occupation privait les poètes du droit à la parole, et l’action poétique relevait de l’acte de Résistance.

Mais un poète comme René Char avait fait le choix de prendre les armes, de continuer à écrire mais de ne rien publier pendant la guerre.  Il s’en expliqua : “(…) je te répète qu’ils resteront inédits, aussi longtemps qu’il ne se sera pas produit quelque chose qui retournera entièrement l’innommable situation dans laquelle nous sommes plongés. Mes raisons me sont dictées en partie par l’assez incroyable et détestable exhibitionnisme dont font preuve depuis le mois de juin 1940 trop d’intellectuels parmi ceux dont le nom jadis était précédé ou suivi d’un prestige bienfaisant, d’une assurance de solidité quand viendrait l’épreuve qu’il n’était pas difficile de prévoir » dans Billets à Francis Curel et daté de 1941.

 

Une poésie ancrée dans les circonstances   extérieures et la réalité 

La poésie surréaliste d’avant guerre ne répond plus aux nécessités de l’époque barbare  de la guerre et de ses abominations. L’écriture doit désormais s’ancrer dans la « réalité extérieure » et devenir un « discours à tout le monde » (Aragon).

Le poète a désormais  pour mission d’informer, de transmettre la vérité, de témoigner, de fédérer, de pousser à agir, à résister… 

 

Ainsi, c’est dans un texte poétique, Le Musée Grévin d’Aragon, qu’en 1943 un texte français dénonce l’existence d’Auschwitz.

 

Mur des déportés, Mémorial de la Shoah, Paris

Moi, si je veux parler, c’est afin que la haine

Ait le tambour des sons pour scander ses leçons
Aux confins de Pologne, existe une [simple_tooltip content=‘géhenne signifie NNNNNNNNNN’]This triggers the tooltip[/gehenne]
Dont le nom siffle et souffle une affreuse chanson.

Auschwitz ! Auschwitz ! Ô syllabes sanglantes !
Ici l’on vit, ici l’on meurt à petit feu.
On appelle cela l’extermination lente.
Une part de nos cœurs y périt peu à peu

Limites de la faim, limites de la force :
Ni le Christ n’a connu ce terrible chemin
Ni cet interminable et déchirant divorce
De l’âme humaine avec l’univers inhumain…

Puisque je ne pourrais ici tous les redire
Ces cent noms, doux aux fils, aux frères, aux maris,
C’est vous que je salue, en disant en cette heure la pire,
Marie-Claude, en disant : Je vous salue Marie.

A celle qui partit dans la nuit la première,
Comme à la Liberté monte le premier cri,
Marie-Louise Fleury, rendue à la lumière,
Au-delà du tombeau : je vous salue Marie. …

Les mots sont nuls et peu touchants.
Maïté et Danielle…Y puis-je croire ?
Comment achever cette histoire ?
Qui coupe le cœur et le chant ?

Aragon

Pourquoi la poésie ?

 

Ce qui est dit appartient à un moment de l’histoire mais en même temps  à l’humanité, au-delà du temps et de l’espace.

La poésie à la capacité de transformer le présent d’une situation en  leçon pour l’avenir parce qu’elle va rendre immuable ce qui est mouvant .

Ainsi Aragon écrit dans De l’exactitude historique en poésie “Dans les vers, ou de quelque nom que vous appeliez les éléments du chant, il s’agit de créer d’indestructibles liaisons de mots, que tout soit définitivement, comme dans un proverbe, inchangeable dans la chose écrite.”

Elie Prévost, Le poète écrivant sur une table de fortune, 1942
René Magritte, Le Poète récompensé

Le   poète est donc celui qui va   « Trouver des mots que personne n’oublie ».

A juste titre, Aragon pense que la poésie , née des circonstances, leur survivra : « Les circonstances seront depuis longtemps dépassées que ces poèmes demeureront présents ».

La force de la poésie est donc d’immortaliser les événements et leurs acteurs. D’où l’importance, contre l’oubli, de l’inscription des noms des héros dans le texte : ils vivront dans la mémoire grâce à la poésie.

Ainsi, comme l’écrivait déjà Hugo au XIX°,  le poète devient un guide. Il dit, dénonce et montre le chemin.

Le poète en des jours impies
Vient préparer des jours meilleurs.
ll est l’homme des utopies,
Les pieds ici, les yeux ailleurs.
C’est lui qui sur toutes les têtes,
En tout temps, pareil aux prophètes,
Dans sa main, où tout peut tenir,
Doit, qu’on l’insulte ou qu’on le loue,
Comme une torche qu’il secoue,
Faire flamboyer l’avenir !

Hugo, Les Rayons et les Ombres (extrait)

L’homme est capable de faire ce qu’il est incapable d’imaginer. Sa tête sillonne la galaxie de l’absurde.

René Char, Feuillets d’Hypnos 227

Par ailleurs la force du texte poétique, c’est sa briéveté.

En ces temps troublé, il peut facilement être appris (Pas de risque d’être pris avec le texte sur soi) ou imprimé plus facilement de manière clandestine (pénurie de papier, d’encre, dangers…) et plus facile à diffuser de façon massive (cf. Liberté de Paul Eluard, parachuté…)

Enfin, le langage poétique permet de  créer des images fortes, qui marqueront les esprits et feront écho aux sentiments ressentis devant l’horreur, la barbarie…

De plus, comme une chanson, le poème, par son rythme, ses répétitions ses allitérations et ses assonances peut être facilement mémorisé et partagé.. .

 http://www.dailymotion.com/video/x178cnr_ecrire-pour-se-battre-les-poetes-dans-la-resistance_school 

« A l’école de la poésie, on n’apprend pas, on se bat! ».`Léo Ferré

Pierre Seghers écrira dans La Résistance et ses poètes (1974), à propos des poètes  résistants :« Nous étions devenus une solidarité, les compagnons d’un travail secret, un être collectif et actif au service d’un peuple entier. »

 

Documents complémentaires poésie 1°