Cannibalisme
Anthropophagie
L’anthropophagie (du grec ἄνθρωπος / anthrôpos, « être humain », et φαγία / phagía qui se rapporte à l’action de « consommer ») est une pratique qui consiste à consommer de la chair humaine. Il s’agit d’une forme de cannibalisme mais qui concerne exclusivement l’espèce humaine. On distingue l’endocannibalisme funéraire, qui consiste à manger les membres de son groupe humain, et l’exocannibalisme guerrier, qui consiste à manger des membres d’un autre groupe humain.(Wikipedia)
cannibale, cannibalisme
source : herodote.net
Le 4 novembre 1492, tandis qu’il explore les Antilles, Christophe Colomb écrit dans son journal de bord qu’il existerait dans les îles voisines des hommes avec un museau de chien (« cynocéphales »), qui mangeraient de la chair humaine. Ces fantaisies lui sont suggérées par la lecture d’Imago Mundi, un célèbre ouvrage de cosmographie médiévale.
Les contemporains de Colomb font le rapprochement entre ces Cynocéphales anthropophages imaginaires et les redoutables Cariba ou Caraïbes (d’un mot amérindien qui veut dire « hardi ») qui vivent dans certaines îles des Antilles. Du coup, par déformation phonétique, le nom de ces derniers va devenir un mot commun pour désigner les mangeurs de chair humaine : les cannibales.
À la fin du siècle suivant, le cannibalisme est évoqué par Jean de Léri, un protestant qui a participé à une tentative de colonisation française dans la baie de Rio (Brésil) et observé les pratiques cannibales des Indiens locaux, accoutumés à rôtir leurs prisonniers de guerre pour s’en approprier les qualités.
En 1573, réfugié à Sancerre pendant les guerres de religion, il voit des parents réduits à la famine se résoudre à manger le cadavre de leur enfant. Cela le décide à écrire le récit de son voyage au Brésil, quinze ans plus tôt. Il en profite pour comparer ce cannibalisme ultra-violent et celui, très ritualisé, qu’il a observé chez les Indiens Tupi. À la même époque, Montaigne, qui s’est informé sur les mœurs des Amérindiens par l’intermédiaire d’un domestique qui a vécu au Nouveau Monde, écrit des pages remarquables sous le titre Des cannibales : « Chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son usage ». Le débat demeure actuel…
Aujourd’hui, des préhistoriens et anthropologues comme Marylène Patou-Mathis considèrent que toutes les sociétés de chasseurs-cueilleurs ont connu l’anthropophagie rituelle à un moment ou un autre. Il s’agit même de la plus ancienne trace de violence répertoriée. Les premiers cas de cannibalisme ont été identifiés sur des ossements de Néandertaliens d’il y a 78 000 ans, retrouvés à la Gran Dolina, Sierra d’Atapuerca (Espagne). On ne sait pas toutefois si les victimes ont été tuées pour être mangées ni si elles appartenaient au même clan que les « consommateurs » (endocannibalisme) ou à un clan adverse.
Avec l’apparition de l’agriculture, les sacrifices humains ont la plupart du temps été remplacés par les sacrifices d’animaux domestiques.
les Tupinamba
De grands cannibales, les Tupinamba. Tous les chroniqueurs l’assurent qui, pour avoir séjourné quelque temps au Brésil dans le cours du XVIe siècle, eurent l’occasion d’observer la façon dont ces Indiens traitaient leurs prisonniers de guerre et les festins qu’ils en faisaient. (…)
De grands cannibales, les Tupinamba. Tous les chroniqueurs l’assurent qui, pour avoir séjourné quelque temps au Brésil dans le cours du XVIe siècle, eurent l’occasion d’observer la façon dont ces Indiens traitaient leurs prisonniers de guerre et les festins qu’ils en faisaient. (…)Et même, les chiffres ne manquent pas : ainsi, des Chiriguano (une population de la famille tupi), les Jésuites espagnols ont calculé qu’ils dévorèrent, en l’espace d’à peu près un siècle, 60 000 Indiens Chané. Une moyenne modeste, somme toute : pas même deux hommes par jour pour une population qui comptait bien 20 000 âmes.
Les documents donc ne nous font pas défaut. en France, les relations du gentilhomme huguenot Jean de Léry et du cosmographe André Thevet, l’un et l’autre témoins oculaires, mais aussi, rappelons-le pour mémoire, celle de Montaigne, fort bien informé par un serviteur qui avait passé sa jeunesse comme truchement chez les Tupi.
Reconstituer en détail à partir de tous ces témoignages, aussi riches soient-ils, tous les moments du rite est, on s’en doute, impossible. Mais (…)Deux traits pour le caractériser brièvement. En premier lieu, sa dimension systématique : tous les prisonniers de guerre sans exception étaient tués et mangés ; nulle alternative ici qui ouvrît une autre issue. Et si on ajoute que les tribus tupi passaient le plus clair de leur temps à se faire la guerre, que, de surcroît, le but des guerres était de faire des captifs, on aura une idée de l’importance de leur cannibalisme.
Remarquable, en second lieu, le côté théâtral des rituels qui se déroulaient avec les prisonniers : leur arrivée au village des vainqueurs, puis, beaucoup plus tard (des années souvent), leur mise à mort, deux moments qui, tantôt en écho, tantôt en opposition, sont comme les temps forts d’une étonnante mise en scène où les rôles ne sont pas seuls distribués par avance, mais réglés également les dialogues, danses et chœurs de femmes, décors, mouvements dans l’espace…
Le jeu implique un minimum d’accord entre tous les participants y compris par conséquent la future victime. Aussi faut-il préciser que, puisque le cannibalisme se donne dans le contexte de la guerre, les guerres dont il s’agit ici sont celles que l’ont fait entre soi, gens de même langue et de mêmes mœurs [2]. Tupinamba, le nom (attribué indistinctement à toutes les tribus du littoral brésilien) ne connote qu’une unité culturelle et linguistique, non pas politique.
Entre villages d’une même province prévalaient les relations d’alliance, politique et matrimoniale. Entre provinces, les relations de vengeance : à tout moment en effet, on avait de part et d’autre quelqu’un à venger – guerriers capturés ou tués lors d’un assaut. Il fallait rendre aux responsables la pareille, aller les surprendre chez eux pour, si possible, s’en emparer vivants. L’état de guerre, un système sans fin de règlements de comptes où chacun était tour à tour assaillant et assailli, autant dire presque vainqueur et vaincu. Sommairement donc, entre villages d’une même province, on échangeait les femmes, d’une province à l’autre les prisonniers. À l’intérieur on était beaux-frères ; au-delà, ennemis.
D’emblée se signifiait le statut de nourriture des prisonniers et par un partage subtil du geste et de la parole. « J’arrive, quant à moi, ta nourriture future » : c’est aux femmes que le captif s’annonçait en ces termes quand, aux abords du village, on les croisait dans les plantations.
(…) L’attitude des hommes à l’égard des prisonniers quand, dans les jours suivant, le conseil se réunissait dans le « carbet » pour fixer l’ordonnance de la cérémonie finale. Ni brutalité ni raillerie mais, entre ceux que les observateurs nomment des « esclaves » et des « maîtres », un dialogue de reconnaissance. Parés de plumes, peints et coiffés comme les autres, en sorte que plus rien dans l’apparence ne les en distinguaient, les prisonniers inauguraient la séance en dansant avec les maraca.
C’est peu de dire que les captifs savaient ce qui les attendait. Un seul point laissé dans l’imprécision, mais d’importance : le moment du sacrifice.
Entre les cérémonies inaugurales et le rituel d’exécution, un intervalle de temps, variable selon les cas de quelques mois à plusieurs années, mais toujours marqué.
Passés les premiers jours, les attitudes entre les captifs, les hommes et les femmes du groupe étaient radicalement modifiées. Tous les chroniqueurs se plaisent à nous décrire des relations empreintes de cordialité et d’affection. Tous remarquèrent, pour s’en étonner, la grande liberté dont jouissaient les prisonniers. Ils pouvaient à leur guise se rendre où ils voulaient, aller à la pêche et à la chasse, ils participaient aux beuveries masculines avec le même entrain qu’aucun autre. Ils partageaient donc l’existence quotidienne des autres, à très peu près… La réserve est importante, car conclure de cette liberté à un changement de statut et dire, ainsi qu’on l’a fait, que le prisonnier dès lors était temporairement intégré au groupe de ses ennemis, c’est faire un pas que rien n’autorise à franchir. Pour n’être plus entravé, ni objet de menace ou de risée, il n’en demeurait pas moins qu’il était un ennemi devenu un prisonnier. À preuve, les quelques contraintes qui quand même lui étaient imposées. Ainsi, de temps à autres, à l’occasion d’une fête, on l’exhibait chargé de liens et chacun désignait sur le le morceau qui lui était échu
Et on lui donnait une épouse. Thevet, Léry, Cardim s’accordent sur ce point, on donne toujours, disent-ils, une femme aux hommes mais non un mari aux femmes. Le maître du prisonnier choisissait s’il en avait une disponible une femme de sa parenté – fille, sœur… Sinon, il demandait à un autre de fournir l’épouse : requête d’autant mieux accueillie qu’un tel mariage était prestigieux. Cardim remarque que souvent les épouses des captifs étaient des filles de chef, choix qu’il explique en disant qu’elles sont de bien meilleures gardiennes que les autres dans la mesure où ce sont leurs propres frères qu’on a chargés de l’exécution. Il faut noter la relation. Tous les observateurs du reste voient dans ce don d’une épouse au captif un moyen de lui donner en réalité une gardienne. Un moyen exorbitant, c’est le moins qu’on puisse dire, comparé à la fin. D’autant que le prisonnier ne risquait pas de s’échapper, faute tout simplement d’avoir où se réfugier. Il ne pouvait pas, on s’en doute, chercher asile dans un autre village ennemi ; mais retourner chez lui pas davantage : on n’eût pas apprécié la lâcheté, moins encore le peu de confiance – croyait-il par hasard que les siens n’étaient pas assez forts pour le venger le moment venu ? C’est que le jeu de la guerre ne prévoit pas de telles situations : en sont tracées par avance les rares possibilités ; exclu le hasard. Un prisonnier retournant dans sa province d’origine (il n’y eût pas songé) eût été probablement mis à mort par les siens, et sans délai ni cérémonie ; au mieux, on l’eût chassé. Et imagine-t-on le statut d’un fuyard dans cette société de guerriers où les jeunes gens ne pouvaient pas se marier avant d’avoir pris ou tué un ennemi ?
Tout se passe comme si, dès lors qu’il est pris, un homme n’a plus de place dans sa propre communauté et ne peut s’occuper celle qui, chez les autres, lui est assignée de tout temps :
C’est un tovaja donc qui sera mangé. Et avec lui ses enfants. Car après plusieurs années de captivité il peut en avoir.
Les cérémonies qui se concluaient par la mise à mort des prisonniers et le repas cannibale occupaient plusieurs jours : de trois à cinq, selon les tribus, avec des variations de l’une et de l’autre dans les rites ou dans leur déroulement chronologique, mais assez de traits récurrents et des moments partout nettement marqués.
Une fête préliminaire. Elle débutait quand les premiers invités arrivaient (les alliés, conviés expressément à venir manger l’ennemi commun, comme en témoigne la formule rituelle qui les accueillaient « vous venez, pour nous aider à manger votre ennemi ») et elles se prolongeaient aussi longtemps qu’ils n’étaient pas tous présents (et certains venaient de très loin, plus de 40 lieues). Les prisonniers y prenaient part avec les autres. Ensuite tout le cérémonial se passerait à l’extérieur, sur la place centrale, tandis que dans une maison on continuerait de boire.
On éveillait le prisonnier à l’aube pour le conduire à une rivière. Une fois qu’on l’avait lavé des peintures de la veille, épilé et rasé (tonsure sur le devant du crâne, cheveux longs dans le dos : la coiffure des Tupinamba), on le raccompagnait jusqu’à l’entrée du village.
Il passait la dernière nuit avec son épouse, entouré par quelques vieilles femmes qui suspendaient leur hamac autour du sien et psalmodiaient toute la nuit des paroles de circonstance.
Tôt le matin, sa femme quittait le prisonnier : quelques paroles d’adieu entrecoupées de larmes et de sanglots, et elle retournait chez elle. La hutte était démolie, le prisonnier conduit au centre de la place. On enlevait la mussurana de son cou pour la nouer autour de sa taille, et deux hommes cette fois la prenaient aux extrémités. À la fois maintenu et libre de ses mouvements, le captif était invité à se venger. Vengeance verbale d’abord.
Et puis en acte. On entassait auprès de lui pierres, tessons de poterie, fruits durs, etc. Ceux qui tenaient la mussurana la tendaient de manière à ne pas laisser au prisonnier trop de champ, et hommes et femmes tournaient rapidement autour de lui qui leur jetait tout ce qu’il avait à portée de la main, blessant souvent plusieurs d’entre eux. Un simulacre de vengeance.
Il s’agissait, pour le tueur, d’assener le coup de massue sur la nuque, et de manière à faire choir la victime face contre terre (on augurait mal d’une chute en sens contraire), et pour l’autre (toujours maintenu par la mussurana) d’esquiver les coups, de retourner l’arme contre le meurtrier, ou de s’en emparer – et à ce point les autres bien sûr intervenaient. La règle veut que le prisonnier résiste et se défende. On l’y encourage toujours, et il ne s’en fait pas faute. Ce n’est pas une victime passive qu’on veut immoler, c’est un ennemi (n’a-t-on pas pris soin de le formuler ?) qu’on veut tuer au combat. Dans un simulacre de combat, puisqu’on en a fixé l’issue longtemps par avance.
Le reste allait sans beaucoup de cérémonie. Un bref éloge du mort dit par la veuve dans une « salutation larmoyante » : comme ont coutume de faire les femmes quand il y a un défunt. Après, c’est une affaire de cuisine, et de pédagogie.
Tout le temps que duraient les préparatifs du repas, les plus âgés exhortaient les plus jeunes à continuer de leur procurer de semblables nourritures. On faisait aussi la leçon aux jeunes enfants. On les encourageait à toucher le corps, à en extirper les entrailles, on les barbouillait de sang : pour les venger, pour les rendre courageux à la guerre, pour leur apprendre la manière convenable de traiter les ennemis, et aussi qu’il n’y a pas de mort plus glorieuse que celle qu’ils vous infligent. La pédagogie de la vengeance.
La vengeance. Il faut venger les prisonniers, venger les morts – morts au combat ou d’une autre manière. Pour les Tupinamba cette catégorie est la clef du système ; elle suffit à rendre compte de tout le processus, depuis la guerre jusqu’au festin. On est ennemis, on se venge.
S’agit-il d’incorporer les forces de l’ennemi ? L’explication est tombée en disgrâce. Elle en vaut une autre pourtant, car l’idée qu’on assimile les vertus de ce qu’on ingère n’est pas étrangère aux Tupi (ni à la plupart des Indiens) : à preuve, par exemple, l’interdiction faite aux jeunes gens (dont on attend qu’ils soient agiles) de consommer la chair des animaux lents à la course ; ou au contraire, les recommandations faites aux apprentis chamanes (qui doivent savoir très bien chanter) de rechercher pour nourriture des oiseaux au chant mélodieux et de préférer pour boire, l’eau des cascades.
Enfin, variation plus subtile sur le même thème, cherchait-on, en mangeant les ennemis, à manger en réalité les parents et alliés dont ceux-là étaient nourris ? L’idée est émise dans le chapitre que Montaigne a consacré à la question ; et peut-être n’est-elle pas absente des échanges verbaux entre les prisonniers et les autres. Non pas de l’exo-cannibalisme, mais un endo-cannibalisme étrangement contourné. Ce n’est pas impossible ; les Tupi étaient des gens très compliqués.
Hélène CLASTRES, « Les beaux-frères ennemis. À propos du cannibalisme Tupinamba » in Rouen 1562. Montaigne et les Cannibales, Actes du colloque organisé à l’Université de Rouen en octobre 2012 par Jean-Claude Arnould (CÉRÉdI) et Emmanuel Faye (ÉRIAC).
(c) Publications numériques du CÉRÉdI, “Actes de colloques et journées d’étude (ISSN 1775-4054)”, n° 8, 2013.
Soleil vert, Fleisher, 1974 🤮
En 2022, les hommes ont épuisé les ressources naturelles. Seul le soleil vert, sorte de pastille, parvient à nourrir une population miséreuse qui ne sait pas comment créer de tels aliments. Omniprésente et terriblement répressive, la police assure l’ordre. Accompagné de son fidèle ami, un policier va découvrir, au péril de sa vie, l’effroyable réalité de cette société inhumaine.
Mythe du bon sauvage
Avec les grandes découvertes de la fin du XV°(L’Amérique par Colomb en 1492, Les Indes par Vasco de Gama les Indes en 1497,ou le Canada par Magellan en 1519), l’Europe découvrent d’autres peuples et donc d’autres cultures, d’autres façons de vivre.
Le XVIIIe siècle, avec les récits de voyages de Bougainville, Cook et de bien d’autres continuent à propager l’image du « bon sauvage », symbole d’un paradis perdu. Mais cette représentation relève du « mythe » au sens étymologique, soit une fable, une légende, comme le souligne Rousseau dans la préface de son Discours sur l’origine des inégalités : « …un état qui n’existe plus, qui n’a peut-être jamais existé, qui probablement n’existera jamais… ».

Le changement de perspective lié au voyage permet aux humanistes et aux philosophes de critiquer notre société.
Il est le moyen de se libérer des préjugés, du poids de la Tradition et de l’Autorité .Déjà présente chez Montaigne cette idée va être exploitée par les philosophes : sous un regard neuf . Celui de” candide “, ou de ” L’ingénu ” ou encore des Persans de Montesquieu, (Les Lettres Persanes) nos coutumes montrent soudain leur arbitraire et leur ridicule .
Dans ces récits de voyage réels ou fictifs s’exerce l’ironie à l’égard de notre religion, de nos mœurs et se découvrent aussi nos propres fantasmes comme la fascination des voyageurs occidentaux pour la liberté supposée des mœurs qu’ils découvrent : C’est le mythe du bon sauvage
Vidéo BNF
Montaigne (1533-1592) et le mythe du bon sauvage

La création du mythe du « bon sauvage » est souvent attribuée à Michel de Montaigne même si les fondations de ce mythe sont bien antérieures. Montaigne aborde le sujet dans les chapitres Des Cannibales et Des Coches de ses Essais.
Montaigne souligne l’importance de choisir la raison par rapport à la voix commune et introduit le principe de relativisme culturel ainsi que l’idée de tolérance.
En comparant les Européens au peuple Tupinamba du Brésil dans Des Cannibales, Montaigne essaie de montrer la « barbarie » de l’action destructrice des Européens.
Montaigne est l’un des premiers à inciter les voyageurs à ne pas rester ” couverts et resserrés “, à s’ouvrir au ” plaisir de la variété ” et surtout à découvrir que ” chaque usage a sa raison “ Cette affirmation , plus largement développée dans le chapitre Des Coches ouvre la voie à la réflexion moderne sur ” la relativité des cultures “.
Rousseau (1712-1778) et le mythe du bon sauvage

Dans ses essais philosophiques Discours sur les sciences et les arts (1750) et Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (1755), Rousseau fait l’hypothèse que l’homme est naturellement bon dans l’état primitif, qu’il ignore le mal.
C’est avec la naissance de la propriété que nait le malheur de l’homme puisqu’il s’éloigne alors d’un paradis possible auprès de la Nature.
“le principe de toute morale (…) est que l’homme est un être naturellement bon, aimant la justice et l’ordre ; qu’il n’y a point de perversité originelle dans le cœur humain, et que les premiers mouvements de la nature sont toujours droits” (…) tous les vices qu’on impute au cœur humain ne lui sont point naturels (…) par l’altération successive de leur bonté originelle, les hommes deviennent enfin ce qu’ils sont.
L’hypothèse du bon sauvage permettra de rappeler aux hommes que plus ils s’éloignent de la simplicité de la vie naturelle, plus ils courent à leur perte.
Pour Rousseau « La nature a fait l’homme heureux et bon, mais la société le déprave et le rend misérable. »
Diderot et le mythe du bon sauvage

Dans le texte Supplément au voyage de Bougainville, paru en 1772, Denis Diderot exprime une position nouvelle, eaucoiup plus nuancée : pour lui, le « bon sauvage » n’existe pas. Il faut juger chaque homme tel qu’il est. Diderot déclare que la nature et les « sauvages » ne sont ni bons, ni mauvais.
Ces prétendus sauvages sont des individus réels qui vivent dans une société différente, ayant leur propre culture.
Diderot utilise ce mythe non pas pour proposer un modèle idéal, mais pour dénoncer les corruptions et les erreurs des colonisateurs de la civilisation européenne et de la religion chrétienne. C’est une réflexion sur sur l’organisation des sociétés, et le caractère universel de la morale.
Le bon sauvage dans la littérature (quelques exemples)
Montaigne (1533-1592)
Les Essais, Des Cannibales, 1580
Montesquieu (1689 - 1755)
Les Lettres persanes, 1725
Marivaux (1688 -1763)
L’Ile des esclaves, 1725
Voltaire (1694 - 1778)
Candide (1752), L’Ingenu (17…
Aldous Huxley (1894-1963)
Le Meilleur des mondes, 1932
Ethnocentrisme & Relativisme
Ethnocentrisme
Il n’y a pas une culture mais des cultures. Et l’homme a bien du mal à considérer que celui qui ne vit pas comme lui, est néanmoins un homme d’une égale importance.
Entre relativisme absolu et ethnocentrisme, où se situer ?

Ethnocentrisme
Etymologie de « ethnocentrisme »: du grec ethnos, nation, tribu, et du latin centrum, centre. L’ethnocentrisme consiste à juger les autres cultures en fonction de la notre. Il correspond aux différentes formes que prend le refus de la diversité des cultures. Donc un ensemble de représentations, de croyances, de savoir-faire, de coutumes acquis en tant que membre de telle ou telle société, de telle ou telle communauté et non en tant que membre de l’espèce humaine. On parlera donc de culture occidentale, africaine, orientale…
Texte 1 & 2 : Claude LEVI Strauss, Race et Histoire
Claude Lévi-Strauss, (1908-2009) est un anthropologue et ethnologue français qui a grandement influencé les sciences humaines et sociales dans la seconde moitié du xxe siècle.
Texte 1 :Levi Strauss, Race et histoire
L’attitude la plus ancienne, et qui repose sans doute sur des fondements psychologiques solides puisqu’elle tend à réapparaître chez chacun de nous quand nous sommes placés dans une situation inattendue, consiste à répudier purement et simplement les formes culturelles : morales, religieuses, sociales, esthétiques, qui sont les plus éloignées de celles auxquelles nous nous identifions. « Habitudes de sauvages », « cela n’est pas de chez nous », « on ne devrait pas permettre cela », etc., autant de réactions grossières qui traduisent ce même frisson, cette même répulsion, en présence de manières de vivre, de croire ou de penser qui nous sont étrangères. Ainsi l’Antiquité confondait-elle tout ce qui ne participait pas de la culture grecque (puis gréco-romaine) sous le même nom de barbare ; la civilisation occidentale a ensuite utilisé le terme de sauvage dans le même sens. Or derrière ces épithètes se dissimule un même jugement : il est probable que le mot barbare se réfère étymologiquement à la confusion et à l’inarticulation du chant des oiseaux, opposées à la valeur signifiante du langage humain ; et sauvage, qui veut dire « de la forêt », évoque aussi un genre de vie animale, par opposition à la culture humaine. Dans les deux cas, on refuse d’admettre le fait même de la diversité culturelle ; on préfère rejeter hors de la culture, dans la nature, tout ce qui ne se conforme pas à la norme sous laquelle on vit.
(…) Cette attitude de pensée, au nom de laquelle on rejette les « sauvages » (ou tous ceux qu’on choisit de considérer comme tels) hors de l’humanité, est justement l’attitude la plus marquante et la plus distinctive de ces sauvages mêmes. (…) Dans les Grandes Antilles, quelques années après la découverte de l’Amérique, pendant que les Espagnols envoyaient des commissions d’enquête pour rechercher si les indigènes possédaient ou non une âme, ces derniers s’employaient à immerger des blancs prisonniers afin de vérifier par une surveillance prolongée si leur cadavre était, ou non, sujet à la putréfaction.
Cette anecdote à la fois baroque et tragique illustre bien le paradoxe du relativisme culturel (que nous retrouverons ailleurs sous d’autres formes) : c’est dans la mesure même où l’on prétend établir une discrimination entre les cultures et les coutumes que l’on s’identifie le plus complètement avec celles qu’on essaye de nier. En refusant l’humanité à ceux qui apparaissent comme les plus « sauvages » ou « barbares » de ses représentants, on ne fait que leur emprunter une de leurs attitudes typiques. Le barbare, c’est d’abord l’homme qui croit à la barbarie.
Lévi-Strauss, Race et histoire (1952), chap. 3
TEXTE 2 : Claude Lévi-Strauss, Tristes Tropiques, 1955.
[Lors d’une expédition au Brésil, en 1938, l’ethnologue Claude Lévi-Strauss a partagé la vie quotidienne d’un peuple indien, les Nambikwara.]
Pour moi, qui les ai connus à une époque où les maladies introduites par l’homme blanc les avaient déjà décimés, mais où – depuis des tentatives toujours humaines de Rondon1– nul n’avait entrepris de les soumettre, je voudrais oublier cette description navrante2et ne rien conserver dans la mémoire, que ce tableau repris de mes carnets de notes où je le griffonnai une nuit à la lueur de ma lampe de poche :
« Dans la savane obscure, les feux de campement brillent. Autour du foyer, seule protection contre le froid qui descend, derrière le frêle paravent de palmes et de branchages hâtivement planté dans le sol du côté d’où on redoute le vent ou la pluie ; auprès des hottes emplies des pauvres objets qui constituent toute une richesse terrestre ; couchés à même la terre qui s’étend alentour, hantée par d’autres bandes également hostiles et craintives, les époux, étroitement enlacés, se perçoivent comme étant l’un pour l’autre le soutien, le réconfort, l’unique secours contre les difficultés quotidiennes et la mélancolie rêveuse qui, de temps à autre, envahit l’âme nambikwara. Le visiteur qui, pour la première fois, campe dans la brousse avec les Indiens, se sent pris d’angoisse et de pitié devant le spectacle de cette humanité si totalement démunie ; écrasée, semble-t-il, contre le sol d’une terre hostile par quelque implacable cataclysme ; nue, grelottante auprès des feux vacillants. Il circule à tâtons parmi les broussailles, évitant de heurter une main, un bras, un torse, dont on devine les chauds reflets à la lueur des feux. Mais cette misère est animée de chuchotements et de rires. Les couples s’étreignent comme dans la nostalgie d’une unité perdue ; les caresses ne s’interrompent pas au passage de l’étranger. On devine chez tous une immense gentillesse, une profonde insouciance, une naïve et charmante satisfaction animale, et, rassemblant ces sentiments divers, quelque chose comme l’expression la plus émouvante et la plus véridique de la tendresse humaine. »
1- Rondon (1865-1958), explorateur brésilien qui tenta d’adapter les Indiens à la vie moderne tout en cherchant à préserver leurs mœurs et coutumes.
2- Lévi-Strauss vient de lire un compte-rendu ethnologique indiquant que la situation de la tribu dont il avait partagé la vie quinze ans auparavant s’est extrêmement dégradée.
Documents complémentaires à télécharger
La controverse de Valladolid
Tous les hommes sont-ils des hommes ?
En 1550, soixante ans après la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb, le roi d’Espagne, Charles-Quint, convoque une controverse(1) dans un couvent de Valladolid. Une question fondamentale va être débattue : les Indiens du Nouveau-Monde sont-ils des hommes comme les autres ? En conséquence, méritent-ils d’être traités comme des humains ou sont-ils nés pour être soumis ?
En présence d’un légat du pape, le cardinal Roncieri, d’un représentant de Charles-Quint et devant une assemblée attentive, le chanoine Sepulveda et le dominicain Las Casas s’opposent parfois violemment.
Pour Sepulveda, il existe dans le monde des sous catégories d’humains, faites pour être dominées, les Indiens sont nés pour être des esclaves ;
pour Las Casas, les Indiens sont des hommes, « nos frères », créatures de Dieu.
La controverse de Valladolid illustre la position ethnocentrique de l’Europe à l’époque de la Renaissance et des grandes découvertes. Convaincus d’être des nations civilisées, les états d’Europe ont voulu imposer leur vision du monde et de Dieu au Nouveau Monde. Cette controverse illustre ce que disait Edgar Morin, à savoir que nous ne reconnaissons pas à tous les hommes le statut d’homme.
Relativisme culturel
En simplifiant beaucoup, c’est l’idée qu’aucune culture ne peut être dite supérieure à une autre : chaque culture répond, par des moyens différents, à des problèmes différents. C’est l’idée défendue par Levi-Strauss dans Race et Histoire.
Ce relativisme a toutefois des limites dont nous traiterons ensuite.
Filmographie
1492, R Scott, 1992
La Controverse de Valladolid (Complet)
Aguirre ou la colère de Dieu
Au XVIe siècle, une expédition espagnole mandatée par Gonzalo Pizarro part à la recherche de l’Eldorado sous les ordres de Pedro de Ursúa. Lope de Aguirre, l’un de ses lieutenants, illuminé et mégalomane, s’oppose à son autorité. Ses actions pour saboter l’expédition se multiplient. Lorsqu’Ursúa ordonne un arrêt des recherches, Aguirre lance une mutinerie contre lui et impose le « sacre » d’un noble du groupe, Fernando de Guzmán, comme « empereur d’Eldorado ». Il fait exécuter les partisans de l’ancien chef, à l’exception d’Ursúa lui-même qui est épargné par Guzmán. Les hommes restants, sous les ordres d’Aguirre et Guzmán, embarquent à bord d’un radeau et descendent le fleuve dans l’espoir de trouver la cité d’or.
La Reine Margot, P. Chereau, 1993