Ionesco, La Cantatrice chauve

LA CANTATRICE CHAUVE,

E. Ionesco, 1951

L’auteur : Eugène Ionesco (1909-1994)

Né le 26 novembre 1909 en Roumanie.

Né de mère française et de père roumain. À partir de 1913 la famille vient s’installer en France, à Paris où son père obtient un doctorat en droit. La première langue que par Ionesco parle est le français. À quatre ans, il est déjà un grand amateur du théâtre de Guignol.

Il a cinq ans lorsque débute la première guerre mondiale (1914 – 1918). Son père les quitte et repart en Roumanie laissant sa femme et ses enfants en France, sans ressources.

En 1922, faute de ressources, la mère ramène ses enfants à son ex-mari, en Roumanie. Ionesco apprend le roumain comme une langue étrangère. Il a de mauvaises relations avec sa famille (son père et sa belle-mère). Il fait de brillantes études secondaires et entre à l’université en 1929 pour préparer un diplôme qui lui permettra d’enseigner le français.

En 1936, il se marie, perd sa mère et débute comme professeur de français à Bucarest.

En 1938 il obtient une bourse pour préparer une thèse de doctorat qu’il n’achèvera jamais. Mais cela lui donne de l’occasion de revenir en France où il ne restera que deux ans puisqu’en 1940, à la déclaration de la guerre, il retourne en Roumanie.

Il revient en France en 1942, prend un travail de correcteur dans une maison d’édition.

En 1948, il commence à écrire La Cantatrice chauve qui sera représentée pour la première fois au théâtre des Noctambules à Paris, le 11 mai 1950. Ionesco a alors 41 ans. La pièce n’est pas un succès… Cette anti- pièce comme il l’appelle lui-même est considérée comme provocatrice et déroutent les spectateurs.

En 1951 est jouée pour la première fois La Leçon. La pièce n’est pas mieux accueillie que La Cantatrice chauve. Ionesco écrira 25 pièces en 15 ans dont Les Chaises (1952) Amédée ou Comment s’en débarrasser (1955) L’Impromptu de l’Alma (1957) etc.

C’est en 1960, lors de la première représentation de Rhinocéros que la carrière de Ionesco connaît un tournant décisif. Monté par Jean-Louis Barrault à l’Odéon-Théâtre, la pièce est une dénonciation de tous les totalitarismes : la transformation des êtres humains rhinocéros est une métaphore du nazisme et du stalinisme.

À partir de 1961, son public s’est grandement élargi et il est désormais un auteur reconnu et célèbre. Avec Le Roi se meurt en 1962, la thématique de la mort connaît son apogée dans son œuvre.

Il est élu en 1970 à l’Académie française et reçoit de nombreux prix littéraires dans différents pays. Il meurt en 1994.

Interview Ionesco

Le contexte historique et l’absurde

Ionesco a connu les deux guerres mondiales.(1914-1918 et 1939-1945). Il a vécu la seconde à la fois en France et en Roumanie. Il en est resté marqué comme la plupart de ses contemporains et comme eux, s’est imposé à lui le sentiment que la vie est absurde.

C’est Albert Camus qui dans Le Mythe de Sisyphe (1942) a introduit ce mot d’absurde en littérature. Pour Camus, l’absurde vient de la confrontation entre la volonté qu’un être humain a de chercher un sens au monde et à la vie et l’absence de réponse que le monde et la vie lui apportent: « L’absurde naît de cette confrontation entre l’appel humain et le silence déraisonnable du monde. »

La Cantatrice chauve et juste après En attendant Godot de Beckett, marque l’acte de naissance de ce qu’on appellera le « nouveau théâtre » et « le théâtre de la dérision » ou le « théâtre de l’absurde ».

Un nouveau théâtre :

Ce nouveau théâtre est forcément en rupture avec ce qui l’a précédé. Volonté de choquer, de se mettre en marge de la forme traditionnelle et de secouer les conventions théâtrales habituelles. Leurs précurseurs ont été Alfred Jarry avec Ubu à la fin du XIXe siècle et les dadaïstes et les surréalistes.

Ionesco comme les autresdramaturges de l’absurde, rejette l’idée d’un théâtre fondé sur la psychologie personnelle et sur le réalisme. Le théâtre pour lui ne doit pas être le reflet de la vie quotidienne. Il rejette aussi l’idée d’un théâtre engagé.

Refus également des étapes traditionnelles des pièces de théâtre : exposition, noeud, dénouement et le découpage habituel en actes et en scène.

Leur théâtre est avant tout un théâtre de langage même s’il veut précisément en montrer l’inadéquation, l’inefficacité.

Ces dramaturges veulent montrer l’incommunicabilité entre les êtres en mettant en scène un langage en crise. C’est pourquoi Ionesco multiplie l’utilisation des clichés, des proverbes, des lieux communs… Il aime souligner la banalité des paroles qu’il met dans la bouche de ses personnages. Il utilise le non-sens, les propos irraisonnés… Dans la cantatrice chauve le recours aux onomatopées semblent réduire le langage à un bruit insignifiant. Au final, le langage ne sert plus à communiquer mais à montrer ses propres limites.

GENESE DE LA PIECE

« En 1948, avant d’écrire ma première piece : la cantatrice chauve, je ne voulais pas devenir un auteur dramatique » écrit-il .

En 1950, Eugène Ionesco écrit La Cantatrice chauve, pour le Théâtre des Noctambules. Il a pour point de départ la méthode d’apprentissage de l’anglais Assimil où l’on doit apprendre par coeur des phrases que M. et Mme Smith se racontent. Ionesco est alors frappé par la vacuité des échanges entre les deux personnages qui se parlent en truismes et clichés. Il est bouleversé par cette tragédie du langage et décide d’en faire une pièce. Il dénonce les petits-bourgeois aux idées reçues, aux slogans appris par coeur sans individualité ou réflexion personnelle.

Déjà en 1943 il avait eu l’intention d’écrire une pièce en roumain intitulée L’anglais sans professeur . Et son expérience de professeur de français en Roumanie lui donne une connaissance étendue des manuels d’apprentissage des langues étrangères. Cette pièce est en quelque sorte le brouillon de La Cantatrice chauve mais Ionesco n’en parle jamais.

Par contre dans Notes et contre notes, Ionesco évoque l’achat d’un manuel de conversation franco-anglaise à l’usage des débutants. Il y découvre, écrit-il « des vérités surprenantes : il y a sept jours dans la semaine par exemple (…) Ou bien que le plancher est en bas, le plafond est en haut » . Et il ajoute « c’est alors que j’ai eu une illumination. Il ne s’agissait pas pour moi de parfaire ma connaissance de la langue anglaise… Mon ambition était devenue plus grande : communiquer à mes contemporains les vérités essentielles dont m’avait fait prendre conscience le manuel de conversation franco-anglaise. D’autre part les dialogues des Smith, des Martin, des Smith et des Martin, c’était proprement du théâtre, le théâtre est dialogue. C’était donc une pièce de théâtre qu’il me fallait faire. J’écrivis ainsi La Cantatrice chauve qui est donc une œuvre théâtrale spécifiquement didactique »

Mais ce que la pièce à de didactique, c’est uniquement ce qu’elle nous apprend des limites du langage humain et de l’absurdité de notre condition car dans les dialogues simplistes de Ionesco ce qui ressort, c’est la vacuité des propos humains et le grotesque des situations de la vie quotidienne. C’est de la « parlerie ».

Le comportement des Smith au début de la pièce renvoie aux leçons 63 et 69 de la méthode Assimil. « Monsieur Smith passe des soirées paisibles entre sa femme et ses enfants/chaque jour il apporte à la maison le journal du soir/le reste du temps, Madame Smith raccommodait les chaussettes de son mari » et bien d’autres encore… Partie des dialogues sages de la méthode Assimil, Ionesco les a livrés à son génie de l’absurde et du non-sens et ainsi ils ont pris une tout autre dimension.

Le titre :

Ionesco a sans doute pensé que son anti pièce avait besoin d’un anti titre… Car le titre ici ne joue pas son rôle habituel. Normalement un titre désignant un personnage suppose que ce personnage va figurer dans la pièce voire même en être le héros (cas des titres éponymes) mais ici il n’en est rien puisque la cantatrice chauve n’apparaît jamais et n’est citée qu’une fois lors du départ du pompier dans un échange de répliques absurdes (scène 10)

Effets :

  • frustrations des spectateurs qui constatent qu’on les a bernés.
  • Pour les spectateurs un peu plus avisés ce titre décalé les met sur la voie de l’étrange et du burlesque

l’indication d’« anti pièce » : par cette appellation, Ionesco place sa cantatrice en opposition avec les pièces qui ont précédé et contrairement au titre , donne au lecteur des indices pour comprendre ce qu’il lit et au spectateur pour comprendre ce qu’il regarde. Dans Notes et contre notes, il souligne que cette anti pièce est « une vraie parodie de pièces, une comédie de la comédie ».

Mais le terme de « anti pièce » va plus loin qu’une simple parodie et dynamite littéralement la tradition théâtrale. Le préfixe anti vise à détruire ce qui suit : pièce !

Philosophie…

L’originalité du Théâtre de l’Absurde, vient donc de l’idée qu’il y ait adéquation entre la forme théâtre, l’esthétique, et le propos central: l’absurdité de l’existence. Les auteurs du Théâtre de l’Absurde montrent des situations absurdes dans un éclairage brut où le langage est réduit à sa plus simple expression. Les mots qu’utilisent les personnages s’éloignent d’une volonté réaliste pour mettre de l’avant les formes figées du langage, les expressions creuses, les non-sens. Leurs actions reflètent aussi cette absurdité; les gestes routiniers sont sortis de leurs contextes et deviennent mécaniques et insensés. Le théâtre n’est ni psychologique, ni narratif: on ne suit pas une intrigue et on ne débat pas d’une question, ainsi les auteurs présentent des personnages réduits à leur plus simple expression et les mettent dans des situations où leur action principale est d’exister, dans un monde devenu fou, où l’histoire, donc le temps, n’existe plus.

Les personnages et les spectateurs émergent alors du quotidien pour être confrontés aux questions fondamentales de l’existence humaine: la mort, la liberté, la morale, la communication, la solitude. Cette dernière prend une place particulièrement importante, car les personnages et les spectateurs sont seuls, individus, hors d’un système de pensée collective, abandonné des dieux, seuls devant le mystère de l’existence.


Les influences littéraires :

Si Ionesco a en commun avec Camus ou Sartre, d’avoir était le témoin d’un demi-siècle d’horreur, il n’a pas comme eux choisi l’engagement. Il affirme davantage être proche de Jarry, l’auteur d’Ubu roi, notamment dans la dérision des conventions du théâtre et l’agressivité des personnages mais aussi dans l’aspect de marionnettes que l’auteur leur donne.


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Réception de la pièce

La pièce jouée la première fois le 11 mai 1950 a connu des débuts difficiles (voir l’article du Figaro en complément) « on ricana, on parla d’égarement, de mystification et de décadence ». Et généralement la critique fut assez dure avec lui. On l’a même accusé de « faire perdre des spectateurs au théâtre ».


ETUDE DE L’ŒUVRE

Manque de cohérence qui en fait n’est qu’apparent.

Liste des personnages :

A priori, cette liste est très conventionnelle. Mais…d’une grande banalité :

  • M. Smith
  • Mme Smith
  • M. Martin
  • Mme Martin
  • Mary, la bonne
  • Le capitaine des pompiers

La pièce met en présence deux couples : les Smith et les Martin et la bonne. On pense aux théâtre de boulevard.

Banalité des noms, aussi.

La bonne est un rôle comique traditionnel. Le mot « bonne » renvoie aussi au théâtre de boulevard de la fin du 19° et du début du XX°.Le personnage atypique, c’est…le capitaine des pompiers. Normalement, ce personnage n’est aps sur la scène mais dans les coulisses…

Par ailleurs, à la scène 8, le spectateur verra arriver le pompier, qui ne figure pas sur la liste des personnages.

Unité de lieu :

Toute la pièce se passe dans le même lieu (comme dans le théâtre classique), un « intérieur bourgeois anglais ».

Les personnages sont donc placés dans un lieu clos, et le spectateur aura l’impression qu’ils en sont prisonniers.

Unité de temps :

Respect de l’unité de temps. Dans le théâtre classique, l’action ne devait pas dépasser 24 heures, « une révolution du soleil ». On pensait que s’il en était autrement, c’est-à-dire si la durée de l’intrigue était beaucoup plus longue que la durée de la représentation illusion dramatique n’aurait pas lieu et les spectateurs n’y croiraient pas. C’est seulement avec les romantiques au XIXe siècle et en particulier pour ces principes sont remis en courant en cause et qu’on s’autorise de longue durée et des changements de lieux multiples

Dans La Cantatrice, Ionesco renoue avec le principe classique de l’unité de temps puisque la durée de l’action coïncide avec celle de la représentation. Les spectateurs assistent, comme en direct aux scènes qui sont présentées.

Dès la scène 1, Madame Smith précise qu’il est neuf heures et à plusieurs reprises Ionesco donnera des indications pour faire prendre conscience aux spectateurs de l’heure qu’il est. On peut penser que cette insistance, associée à une très étrange pendule, ce moquee de l’importance du traitement du temps dans la tradition du théâtre français.

On garde néanmoins l’impression que les spectateurs et les personnages vivent la même durée

LA STRUCTURE :

  • la pièce est divisée de manière traditionnelle en scènes
  • il n’y a qu’un acte parce que c’est une pièce courte
  • le passage d’une scène à l’autre s’effectue aussi de manière traditionnelle grâce à la sortie ou à l’entrée d’un ou plusieurs personnages. (Différence avec la leçon)
  • les 11 scènes suivent également les codes traditionnels :
  • scène d’exposition donne beaucoup d’informations mêmes si celles-ci sont insignifiantes
  • de courtes scènes de transition (scène trois dans lequel Marie fait entrer les Martin ou six par laquelle les Martin décide de vivre comme avant)
  • des scènes de reconnaissance (scène quatre et neufs)
  • une scène de pseudo monologue et d’aparté dans lequel Marie s’adresse directement au public (scène cinq)


Répartition des personnages par scène :

Scène 1

Epoux Smith

Scène 2

Epoux Smith et Mary

Scène 3

Epoux Martin et Mary

Scène 4

Epoux Martin

Scène 5

Epoux Martin et Mary

Scène 6

Epoux Martin

Scène 7

Epoux Martin et Epoux Smith

Scène 8

Epoux Martin et Epoux Smith et Capitaine des pompiers

Scène 9

Epoux Martin et Epoux Smith et Capitaine des pompiers et Mary

Scène 10

Epoux Martin et Epoux Smith et Capitaine des pompiers

Scène 11

Epoux Martin et Epoux Smith


Evolution du tempo de la pièce :

Au début, les répliques semblent monotones et lentes.

  • Scène 1 : réplique insipide de Madame Smith auquel Monsieur Smythe ne répond que d’un claquement de langue ; le dialogue se met en place difficilement
  • scènes 2 et 3 : scènes courtes
  • scène 4 : reconnaissance des époux Martin ; semble interminable par les multiples répétitions qui la parcourent
  • Scenes 5 et 6 : courtes.
  • Scène 7 : conversation entre les Smith et les Martin traîne en longueur
  • Scène 8 : l’arrivée du pompier donne réplique un tempo un peu plus rapide, même si « le rhume », histoire compliquée et longue rallonge la scène)
  • Scène 9 : arrivée de Marie accélère encore le tempo
  • scène 10 : s’accélère ensuite avec la sortie du capitaine des pompiers, échanges plus nerveux
  • Scène 11 : Stichomythies et répliques qui ne dépassent pas la longueur d’une seule syllabe


Gestes et comportements des personnages s’adaptent avec l’évolution du rythme de leurs répliques :

  • au début, personnages sont statiques : Monsieur Madame Smith assis dans un fauteuil/ensuite vont faire « dodo »
  • les Martin s’endorment dans un fauteuil
  • à la fin de la pièce, frénésie de mouvement marqué par la didascalie : « l’hostilité de l’énervement iront en grandissant. » Il est à noter que la didascalie est rédigée au futur ce qui normalement se fait pas.
  • Un peu plus tard les personnages seront « au comble de la fureur »

la pièce a donc une accélération dans le tempo des répliques, les mouvements et le comportement des personnages. C’est une technique courant dans la comédie.

Les thèmes

il y a récurrence de certains termes :

  • le thème du feu :
  • présent dès la didascalie initiale avec le feu anglais
  • la présence du capitaine des pompiers qui demandent aussi il y a le feu chez eux car il a « l’ordre d’éteindre tous les incendies de la ville » et dialogue qui s’ensuit autour du thème du feu (scène huit)
  • le thème du feu et tout est aussi suggéré de manière métaphorique : Madame Martine : « nous sommes sur des charbons ardents » séduite, le poème récité par Marie à la fin de la sen neuf et la circularité absurde du feu qui prend feu.
  • Cent 11 la réplique de Monsieur Smith » on marche avec les pied mais on se réchauffe à l’électricité au charbon »s

Ionesco joue à la fois sur les connotations destructrices du feu et sur les connotations amoureuses et érotiques (voir les propos échangés avec le pompier à la scène 8 : extrême embarras du capitaine quand il demande aux époux Smith s’il y a le feu chez eux.

La thématique du feu prépare aussi la dernière scène où les personnages ont un comportement qui semble s’embraser.

  • Le thème des liens familiaux :
  • les personnages y font allusion dans la plupart des scènes (voir scène 1, famille des BobbyWatson)
  • scènes 4 et 5 : allusion à la fille de Martin
  • scène 8 : les anecdotes qui tournent autour des liens de parenté , fable du jeune veau qui avait mangé trop de verre pilé
  • la thématique culmine avec le rhume raconté par le pompier : déploiement considérable de personnages liés les uns aux autres par des relations de parenté très complexe

LES PERSONNAGES

Des personnages désincarnés :

les personnages en dresseur, par l’entre, respect des conventions mais « quelque chose ne va pas » : les personnages ne sont pas dotés d’une dimension plus psychologique comme les autres. Ils n’ont pas de noyau psychologique pour pouvoir les identifier clairement. On ne peut pas parler de leur caractère ou de leur personnalité.

Ils ne portent pas de message politique social et d’ailleurs Ionesco rejette cette idée d’engagement.

Tout cela donne l’impression de personnages désincarnés sont dans une sorte « d’anti action », ne porte pas une thèse. Ce sont des personnages abstraits qui servent uniquement de support un langage déréglé. Il met en relief l’absurdité de la vie quotidienne essentiellement composée de langage.


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Leurs noms :

Ionesco a choisi les noms les plus banals possibles : Smith et Martin sont très courants en Angleterre. Il n’y a pas d’individualité particulière et on a l’impression d’une appartenance à une vaste classe moyenne indistincte.

D’ailleurs de la scène l’histoire des Bobby Watson montre une famille où tout le monde s’appelle de la même façon. À la fin de la pièce les Martin prendront la place des Smith.n il s’agit donc d’un monde où tout le monde ressemble à tout le monde. Il n’y a pas d’individualités originales.

Il y a donc un problème d’identité. Comment savoir qui l’on est dans une famille où tout le monde s’appelle Bobby Watson ? Les Smith y perdre le spectateur aussi. Un distinction du nom et un distinction de l’identité.

Le vrai nom de Marie est Sherlock Holmes ! y-a-t-il un rapport avec la famille Watson évoquée dans la scène 1?

D’un autre cône d’un autre côté, on a des noms très alambiqués ainsi l’épicier roumain Popesco Rosenfeld « diplômé de l’école des fabricants de yaourts d’Andrinople ».

Il y a aussi une incertitude sexuelle par rapport à ses personnages (toujours autour de la famille Watson)

Les personnages de la cantatrice ont donc un problème d’identité : leur nom ne leur assure pas une individualité claire. Leur identité sexuelle est confondue et les différences entre hommes et femmes s’estompent (voir scène 1 entre M. Smith et Mme Smith)

Les Smith :

Comme leur nom, l’existence des Smith est ordinaire et routinière. Voir scène 1 : évocation des repas et conséquences physiologiques qui en résultent : le poisson permet à Madame Smith d’aller « aux cabinets ».

Les didascalies montrent leurs occupations ordinaires : lecture du journal et reprisage des chaussettes.

Routine et difficultés de communication dans ce couple !

Au début de la pièce M.Smith ne semble pas écouter son épouse et se contente d’un claquement de langue en guise de réponse, huit fois de suite. Ils s’opposent sans cesse l’un à l’autre long de la pièce

Monsieur Smith considère les questions de sa femme comme « idiotes ».

L’âge du couple est assez flou : malgré les pantoufles, la pipe, le journal, les repas à heures fixes… Le couple a une petite fille de deux ans ce qui semble suggérer qu’ils ne sont pas très vieux.

Les martin :

ils ont des caractéristiques très proches des Smith : banalité du nom, pas d’individualité propre, réactions semblables…

À la scène sept, incapable de lancer un sujet de conversation

Nous savons qui sont originaires de Manchester, qui sont venus à Londres en train et habite 19 rue Bromfield~, au cinquième étage et qu’ils ont une fille prénommée Alice…`

La bonne

elle fait contraste avec les deux couples interchangeables. C’est elle qui s’adresse directement au public (scène cinq), elle lui révèle des secrets mais son identité est incertaine puisque nous dit s’appeler en réalité « Sherlock Holmes ».

Son prénom Marie est aussi banal que les noms des deux familles. Le fait qu’elle soit uniquement désignée par son prénom est révélateur de son statut social

dans la scène deux, la façon dont elle utilise son après-midi de congé est révélatrice du cliché de la domestique dans le théâtre de boulevard.

À la scène 9, Mary qui ne fait pas partie de la bourgeoisie semble présenter une menace pour ses maîtres, c’est pourquoi sa présence est vivement contestée.

Le couple qu’elle forme avec le capitaine des pompiers et « trop voyant » d’après Monsieur Smith.

Ionesco dénonce les usages sociaux en vigueur dans la classe bourgeoise de Monsieur Madame Smith : l’invitation à dîner met en lumière les rituels et s’en moque. La scène sept montre une satire de l’atmosphère guindée qui règne dans une réunion sociale bourgeoise (voir la didascalie) silence reviendra 19 fois.

La dénonciation des conventions sociales devient beaucoup plus explicite lorsque Madame Smith avoue à propos de son mari qu’il « s’emmerde ». D’une manière générale ce qui est dénoncé c’est le vide des conversations des dîners bourgeois, hypocrisie qui y règne et l’envie d’y briller qu’à chacun.


Le capitaine des pompiers

normalement au théâtre le pompier est plutôt dans les coulisses… Ce personnage est une sorte de paradis du militaire contrôle dans l’ETA de boulevard dont le rôle principal est de séduire les jeunes femmes mariées (voir scène neuf)

Il témoigne de la complexité du monde (passage du rhume) mais ne peut le comprendre. D’ailleurs cette complicité est absurde


Langage théâtral perverti

Parodie d’exposition :

Normalement l’exposition donne au spectateur les informations essentielles qui lui permettront de comprendre l’intrigue. C’est ce qui permet à l’illusion théâtrale de fonctionner. Et l’exposition doit normalement capter l’attention des spectateurs leur donner envie de regarder le reste de la pièce

Or ce qui apporte le plus d’informations au début de la cantatrice sûre, c’est la didascalie initiale que normalement les spectateurs n’entendent pas. C’est pourquoi Ionesco recommandé de la vie renvoie offre avant que le dialogue ne commence. Mais cela ne répond pas à la convention théâtrale qui veut qu’on entende par les didascalies. Par ailleurs, Ionesco demandait un décor neutre, donc les spectateurs devaient se rendre compte que la didascalie était contredite par ce qu’il voyait.

Quant au dialogue qui suit il est déroutant pour le spectateur. Une fois qu’il sera qu’il est neuf heures alors que la pendule aura sonné 17 coups, l’action se situera ensuite dans les environs de Londres. Et ce que dit Madame Smythe ne renseigne pas le spectateur sur l’action avenir et ne crée chez lui aucune envie d’en savoir plus, aucun horizon d’attente.

En fait au début de la scène un, ce qui n’est pas conventionnel, c’est que Madame Smith paraît s’adresser directement aux spectateurs. Son mari ne lui répond pas et lorsqu’elle dit « notre nom et Smith » elle ne s’adresse pas à lui. Ionesco utilise donc l’adresse directe au public dès la première réplique est à peu près la même chose pour tout ce qu’elle dit dans cette première scène

Néanmoins, les informations qui sont données aux spectateurs sont globalement dénuées d’intérêt : nous savons ce que les Smith ont mangé, qu’elle lui est la meilleure, la qualité de la cuisson des pommes de terre, qui a mangé le plus… Le comportement de leurs enfants à table, les bienfaits du yaourt.

Le batteur croit alors que l’histoire de Bobby Watson va constituer l’intrigue de la pièce. Mais toujours pas. Monsieur Smith intéresse à la rubrique nécrologique : la pièce s’ouvre sur le silence, l’immobilité et la mort.

L’horizon d’attente est encore déçu à la fin de la scène lorsqu’un conflit s’ébauche entre les membres du couple. Mais celui-ci retombe aussitôt. La scène un est en quelque sorte un raccourci de toute la pièce qui elle aussi commence dans le silence et l’immobilité et se termine par une dispute et l’évocation de lumière qu’on éteint. C’est une sorte de mise en abyme.

Représentation: Mise en scène J.L Lagarce, 1991

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