II. B CREER POUR SURVIVRE
« Tout peut craquer, mon corps, mes mains, mes jambes,
tant que reste l’Art, je vis. »
Tzvetan Todorov
Créer en camp d’internement et de transit
LE CAMP DES MILLES (Aix-en-Provence)
D’abord destiné , au début de la 2° guerre à l’internement des ressortissants du Reich, y compris les opposants au regime nazi qui sont venus se réfugier en France. Il devient, après la débacle et la signature de l’armistice, un camp pour « les indésirables »(notamment anciens des Brigades internationales d’Espagne, Républicains espagnols, Allemands ou Autrichiens antinazis, résistants, syndicalistes, francs-maçons, Tziganes, juifs étrangers sont visés.).
La population du camp augmente considérablement et les conditions d’internement se dégradent : vermine, maladies, promiscuité, nourriture insuffisante…
Aout et septembre 1942, le camp des Milles devient l ‘ antichambre d’Auschwitz via Drancy ou Rivesaltes de plus de 2 000 Juifs, hommes, femmes et enfants. Vichy a accepté de livrer 10 000 Juifs de la zone dite “libre” à l’Allemagne. Au début du mois de juillet 1942, Laval propose d’inclure les enfants âgés de moins de seize ans dans les déportations.(…) Et une centaine d’enfants sont ainsi déportés à partir de l’âge d’un an. Au total, cinq convois sont constitués.
(…) Ces événements surviennent avant même l’occupation allemande de la zone Sud (11 novembre 1942). Au-delà du mois de septembre 1942, le camp, demeurant un centre de transit, vivote : ses derniers occupants, très peu nombreux, quittent ses murs de briques en décembre 1942.
(Source http://www.campdesmilles.org/histoire-d-un-camp.html)
Beaucoup d’intellectuels et d’artistes ont été internés au camp des Milles. Parmi eux Springer, Liebknecht, Wolls, Bellemer et Marx Ernst, artiste allemand destitué de sa nationalité dès 1933 et dont les oeuvres figurées dans l’exposition des arts dégénérés de 1937. Peintre dada, puis surréaliste (avec Breton, Eluard…). il est interné au camp des Milles en septembre 1939.
Voir la page du site du camp des Milles ici
Hans BELLMER
( Silésie en 1902. Paris 1975)
S’intéresse au dadaïsme.
Bellmer quitte définitivement l’Allemagne en 1938 pour vivre à Paris, comme dessinateur et graveur.
Dans le midi de la France au cours de l’été 1939, il est interné au camp des Milles avecFerdinand Springer. De 1941 à 1944, il vit à Castres, puis à Toulouse, revient en 1941 à Paris où il reste jusqu’à sa mort en 1975.
Robert LIEBKNECHT (1903-1994)
Il est issu d’une famille de militants révolutionnaires allemands. Son grand-père, ami de Marx, fut le fondateur du Parti social-démocrate allemand.
Après la mort de son père en 1919, il fait des études aux Beaux-Arts, à Dresde, puis à Berlin. Il y dessine des scènes de la vie, des portraits de chômeurs, des paysages de banlieue ouvrière.
En 1933, à l’arrivée des nazis au pouvoir, il quitte définitivement l’Allemagne, vit surtout à Paris où il vit de traductions et continue à peindre.
Il est arrêté en 1939 comme ressortissant allemand à Saint-Tropez où il était de passage, puis interné au camp des Milles. Libéré en novembre 1939, il est interné à nouveau au printemps 1940. Après la Débâcle, il se cache dans le Gard. Il retourne à Paris à la Libération où il poursuit son activité artistique jusqu’à sa mort en 1994.
Ferdinand SPRINGER (Berlin en 1907).
Il s’installe en 1938, dans le midi de la France, à Grasse . Il est interné à l’automne 1939 à Antibes, puis aux Milles
En 1942, Ferdinand Springer réussit à se réfugier en Suisse. C’est au milieu des années quarante qu’il découvre l’abstraction.
Il revient en France dès 1945
.
Max ERNST (Rhénanie 1891-France 1976).
Il suit avec attention les mouvement des peintres expressionnistes et il fonde avec Baargeld et Arp le mouvement Dada à Cologne.
Il s’installe à Paris dès 1922 et devient l’un des membres du groupe surréaliste : collages et décalcomanies .
Interné à deux reprises au camp des Milles en 1939-1940, puis à Saint-Nicolas, il est sauvé par Varian Fry. Il émigre aux Etats-Unis en juillet 1941. Il revient en France en 1953. Naturalisé français en 1958, il meurt en 1976, après avoir passé toute la fin de sa vie dans le sud de la France.Ernst, Apatrides, 1940
LE CAMP DE GURS (Pyrénées atlantiques)
Beaucoup de femmes intellectuelles et artistes ont été internées dans ce camp des pyrénées atlantiques dont Hannah Arendt (1906- 1975) philosophe du XXème siècle. Auteur notamment de Eichmann à Jérusalem. Rapport sur la banalité du mal (1963).
Martha Mendel. Pionnière du vol libre (planeur) en Allemagne pendant les années trente, elle fut recordwoman mondiale de cette discipline.
Et... Charlotte Salomon
Charlotte Salomon n’a pas créé les oeuvres présentées ici au camp de Gurs mais dans la pèriode précédant son internement et dans une urgence prémonitoire.
«Gardez- les bien, c’est toute ma vie.»
Issue d’une famille juive-allemande aisée. Charlotte à 16 ans lorsque Hitler devient chancelier du Reich en 1933.
La mère de Charlotte s’est suicidée lorsqu’elle avait 9 ans et son père s’est remarié
quelques années après avec une chanteuse lyrique, Paula Lindberg, avec qui elle eut une relation très forte.
Dés 1936 son père qui avait perdu son droit d’exercer la médecine (puisqu’il était juif) fut interné dans le camp de concentration de Sachsenhausen.Mais il survivra
Elle commença des études d’art à l’Académie des Beaux-Arts de Berlin. Mais parce qu’elle était juive, elle ne put obtenir le premier prix qu’elle méritait. Elle aura été la dernière étudiante juive de Beaux-Arts de Berlin.
Début 39, elle se réfugia dans le sud de la France, chez ses grands-parents. Mais le 20 mars 40, sa grand-mère se défenestre sous ses yeux, ne pouvant plus supporter la violence nazie. Quelques mois plus tôt son grand père lui avait avoué qu’elle était la dernière d’une lignée maternelle dont tous les membres, depuis trois générations, s’étaient suicidé. Même sa mère, qui lui avait-on dit – était morte de la grippe en 1926 ,s’était elle aussi jetée dans le vide. Quant à l’origine de son prénom, elle l’avait hérité d’une tante morte noyée avant sa naissance, en 1913.
Charlotte Salomon porteuse d’une bien lourde histoire, exilée dans un pays étranger auprès d’un grand-père aigri et menacé par la guerre et l’antisémitisme va trouver dans la création artistique un moyen de supporter la tragédie qu’est sa vie.
Entre 1940 et 1942 , elle travailla intensément à son œuvre autobiographique Leben ? Oder Theater ?,(Vie ? ou théâtre ?) et mit en scène son histoire dans des oeuvres picturales enrichis de textes . En moins de deux ans elle peindra plus d’un millier de gouaches. Une sorte d’urgence devant la mort qui rode.
C’est en 1940 qu’elle fut interné avec son grand-père dans le camp de Gurs, puis relâchée quelques mois plus tard.
Elle ne travaille qu’ à partir des trois couleurs primaires. Ses oeuvres juxtaposent des calques sur lesquels sont écrits des récits, des dialogues , des annotations musicales. Sorte de Comédie humaine qui oscille entre comédie et tragédie ou chaque être rencontré devient un personnage.
Oeuvre qui interroge le sens de la vie et la place et le rôle de l’art. Peu avant sa déportation , elle confiera les gouaches de Leben ? Oder Theater ? à un ami proche avec ces mots : «Gardez- les bien, c’est toute ma vie.»
En 1943, Charlotte et l’homme qu’elle avait épousé peu de temps auparavant sont dénoncés et déportés à Auschwitz où Charlotte, enceinte, sera exterminée très rapidement.ullamcorper mattis, pulvinar dapibus leo.
Autres oeuvres de Charlotte Salomon
LES CAMPS DE CONCENTRATION ET D’EXTERMINATION
Contre toute attente, des éléments d’une vie artistique existent aussi dans les camps de concentration.
Poèmes, pièces de théâtre, objets sculptés et dessins sont produits par des déportés. Mais les pratiques artistiques et littéraires sont interdites au camp et les nazis mettent tout en œuvre pour les rendre impossibles, irréalisables.
L’art est une spécificité humaine. Or l’objectif des nazis, au-delà de l’extermination, était une volonté de déshumaniser les déportés, de les objectiver. Par l’art certains ont tenté de lutter contre cette déshumanisation.
Par ailleurs, quand le déporté est encore vivant, c’est qu’il est apte à travailler…12 ou 14 heures par jour.
Epuisés, affamés, mal traités, sans cesse confrontés à la mort, à la brutalité, ne possédant ni temps, ni intimité, n’ayant ni papier, ni fusain, ni crayons… comment certains ont-ils faits pour laisser , dans cet enfer, une place à la création ? et pourquoi ?
Certains ont pris tous les risques pour créer. Et d’autres pour les protéger et protéger leurs oeuvres.
Les risques sont constants : un déporté peut être battu ou exécuté pour n’importe quelle raison, y compris de s’être livré à une activité de création. Mais pour certains c’est la seule option possible pour trouver du sens à un monde qui n’en a plus.
Question de dignité, d’affirmation de soi comme sujet. Et non comme objet.
Certains se remémorent des poèmes ou des extraits de livres pour s’évader et se raccrocher à leur vie d’avant. Pierre Laidet, résistant déporté à Mauthausen, se récite tous les jours dans sa tête le poème Liberté. S’il parvient à aller jusqu’au bout, il sait qu’il est vivant. C’est donc une résistance surtout inconsciente. Créer devient un réflexe de survie, un besoin et n’est pas forcément une action volontaire de résistance.
Dans les camps , des déportés organisent des conférences, des pièces de théâtre, des lectures, des concerts, etc. Ils veulent lutter contre le contrôle et l’anéantissement des esprits voulus par les nazis.
Mais ils veulent aussi, avec le peu de moyens qu’ils ont, combattre l’oubli. Témoigner, raconter, transmettre à l’humanité qui doit bien encore exister quelque part, ce qu’il se passe ici, en enfer.
Quelques cas exceptionnels...
Walter Spitzer
Walter Spitzer, déporté alors qu’il a 16 ans, a été sauvé par les résistants du camp de Buchenwald car il savait dessiner.
Une nuit de janvier 1945, Walter est réveillé et doit se rendre devant le chef du block du quartier de Buchenwald où il est interné. Quelques heures plus tard, il doit faire partie du “transport” qui mène vers un autre camp où l’espérance de vie est de “huit jours “. Dans son livre Walter Spitzer se souvient des paroles formulées au milieu de la nuit : “Nous, le Comité international de résistance aux nazis, avons décidé de te soustraire à ce transport. Depuis que tu es là, nous t’observons. Tu dessines tout le temps, tu sais voir. C’est cela qui nous a décidés. Mais tu dois nous promettre solennellement que, si tu survis, tu raconteras, avec tes crayons, tout ce que tu as vu ici “.
A l’époque, entouré par la mort, l’adolescent ne prend pas conscience de l’importance historique de ses dessins. “Je n’avais aucune prétention historique, ni là, ni plus tard, ni jamais “, raconte-t-il, “et je n’ai jamais pensé que les dessins que je faisais dans les camps étaient un acte de résistance. Je dessinais, tout simplement “.
Avec beaucoup de détails et un trait fin et pointu, Walter dessine des scènes de vie, des gens qui mangent, qui dorment mais il choisit de ne pas dessiner la mort. Il est témoin de pendaisons, de décès à cause de la fatigue ou de la faim, de charrettes de corps entassés. “C’est trop dur “, confie avec pudeur le peintre, toujours profondément marqué par cette période, “c’est trop personnel, le visage de quelqu’un qui est supplicié comme ça, on ne peut pas y toucher “.
Aujourd’hui, dans son atelier aux mille et une peintures, il n’y a qu’à installer un chevalet pour dessiner. Mais, dans les camps, l’un des plus gros challenges était de trouver le support et les crayons. Walter raconte la fabrication de son premier dessin, lorsqu’il était à Auschwitz III : “Je me suis procuré un sac de ciment. Il avait quatre couches de papier et celles de l’intérieur sont splendides, couleur papier kraft. Ensuite, j’ai chauffé du charbon de bois dans une gamelle et j’ai dessiné avec un bout de bois calciné “.
Source de l’article :http://www.francetvinfo.fr/monde/europe/walter-spitzer-sauve-des-camps-grace-au-dessin_1682941.html
Parce que j’étais peintre
Vidéo sur l’art en camps
Boris Tasilitzky (1911-2005)
Boris Taslitzky, peintre résistant d’origine russe.
Il adhère au PCF en 1935. Son engagement politique pendant la Guerre lui vaut l’internement (Riom, Mauzac et Saint-Sulpice la Pointe), puis la déportation à Buchenwald.
Il y produira une centaine de dessins qu’il réussit à conserver. En 1946, Louis Aragon les réunit dans un album et les publie sous le titre « Cent onze dessins faits à Buchenwald ».
Il dessina dans toutes les situations et déclara: « Si je vais en enfer, j’y ferai des croquis. D’ailleurs, j’ai l’expérience, j’y suis déjà allé et j’y ai dessiné !… ».
Voici ce que disait, en mars 1978, Marcel Paul, l’un des responsables de l’organisation clandestine au sein du camp de Buchenwald, dans un avant-propos présentant les cent-onze dessins-témoignages réalisés par Boris Taslitzky.
« Je voudrais savoir moi aussi dessiner pour les montrer dans cet enclos du crime, face à face : ces hommes, ces penseurs, ces artistes, ces savants, soldats de la noble cause de la Culture, de la Beauté, de la Civilisation, de l’Humanisme et le monstre fasciste botté, le revolver, la mitraillette ou le gourmi à la main, terrorisant, assassinant hommes et femmes et aussi des enfants seulement coupables de ne pas appartenir à la prétendue race supérieure.
C’est dans ce cadre dantesque où s’affrontaient l’Esprit et la Bête que Boris Taslitzky a croqué ses immortels dessins, qui, pour un si grand nombre d’entre nous, sont et resteront éternellement bouleversants. Ces dessins projetés, ces dessins réalisés, achevés, témoignages à tout jamais irrécusables d’un drame inimaginable pour la raison humaine, dans lequel le fascisme avait projeté les descendants de l’an II, symbole de l’amour de la liberté et de l’honneur de l’homme. »
LE THEÂTRE EN DEPORTATION
Le théâtre dans les camps de concentration nazis pouvaient être officiel. Mais il excitait aussi un théâtre clandestin . Ces oeuvres témoignent de la force de ce que la jeune chercheuse Claire Audhuy appelle les « théâtres de l’extrême » : faire surgir le théâtre là où on ne l’attendait pas.
Germaine Tillon et le Verfügbar aux enfers
30 mai 1907: naissance de Germaine Tillion en Haute Loire. Elle y vit sa petite enfance avec sa soeur Françoise et leurs parents.
1925 (mars) : son père meurt. Sa mère, Émilie, subvient aux besoins de la famille en poursuivant chez Hachette la publication de guides culturels sur les régions de France et les pays d’Europe.
Vers 1925 -1926 : Tillion entreprend des études supérieures : à l’Ecole du Louvre (en archéologie, préhistoire et histoire de l’art; en Sorbonne et à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes (notamment études celtiques et épigraphie sémitique) au Collège de France et à l’Institut d’Ethnologie, où elle suit les cours de Marcel Mauss.
1932 : Diplômée de l’Institut d’Ethnologie.
1935-1937 (février): Tillion mène sa recherche dans la tribu semi-nomade des Ah-Abderrahman dont elle partage la vie et suit les déplacements avec une interruption de fin octobre 35 à mi-février 1936)
1937 (février)-1939 : Tillion retourne à Paris. Elle fréquente les cours de Marcel Mauss et de Jean Marx . Elle perfectionne sa connaissance de la langue berbère à l’Ecole des langues orientales avec Emile Destaing.
1939 (mai) : diplômée de l’EPHE, Ecole Pratique des Hautes Etudes
1939 (juillet) : entre au CNRS (août mai 1940)
1940 (9 Juin): cinq jours avant l’entrée des Allemands dans la capitale, elle arrive à Paris qu’elle quitte aussitôt avec sa famille sur les routes de l’exode.
De retour à Paris à la fin du mois, elle entre en contact avec le colonel en retraite Paul Hauet avec lequel elle organise des premières actions de résistance. (automne) : retrouve ses amis du Musée de l’Homme
1941 : arrestations au musée de l’Homme, Tillion assume de plus en plus de responsabilités.
1942 : procès de 19 membres du réseau ; elle intervient, mais en vain, pour obtenir la grâce des 10 condamnés à mort. Le 23 février : exécutions de 7 d’entre eux au Mont Valérien. (13 août): arrestation de Tillion – et de sa mère- par l’Abwehr, service du contre-espionnage allemand. Tillion (qui restera 6 mois au secret) est détenue à Paris, à la prison de la Santé, puis à Fresnes.
De mai 1943 :
déportation de Tillion à Ravensbrück. Sa thèse et ses documents confisqués disparaîtront dans le « Trésor » du camp. Tillion entreprend -d’emblée et à ses risques et périls- une recherche sur l’univers concentrationnaire où elle est plongée.
1945 (23 avril) : libérée de Ravensbrück, avec plus de 300 Françaises
(…)
Le 19 avril 2008 : elle décède à son domicile.
Le Verfügbar aux Enfers est une œuvre écrite clandestinement au Camp de concentration de Ravensbrück par Germaine Tillion au cours de l’hiver 1944-1945.
Rire est le propre de l’homme…
Le Verfügbar aux enfers , l’opérette écrite à Ravensbrück par Germaine Tillion,
« opérette-revue ». Si Tillion en fut le maître d’œuvre, il s’agit d’un travail commun élaboré par les plus martyrisées des martyrisées du camp de Ravesnbrück.
Le rire en réponse à la déshumanisation
A la déshumanisation programmée par leurs bourreaux, ces femmes avaient choisi de répondre par le rire. Un rire tellement irrévérencieux envers leur propre tragédie que longtemps, Tillion a refusé la publication du « Verfügbar aux enfers », de crainte que personne ne comprenne cet humour parmi les plus noirs.
Source de l’article : L’OBS avec Rue 89
L’œuvre a été créée mondialement au Châtelet en 2007 pour célébrer le centenaire de Germaine Tillion, qui était alors encore en vie (elle est morte en 2008). Deux classes de lycée avaient été intégrées à la création.
Germaine Tillion est entrée dans la Résistance dès 1940. Elle devient une des responsables du réseau du musée de l’Homme jusqu’à son arrestation sur dénonciation en août 1942.
Arrivée à Ravensbrück à 36 ans, cette ethnologue, qui avait passé plusieurs années en Algérie pour sa thèse sur une ethnie berbère, prend le camp comme sujet d’étude et amasse une quantité d’informations qui seront plus tard, par leur précision, très précieuses pour comprendre la mécanique des tortionnaires. Ainsi, dès 1951, Tillion analysera et dénoncera l’univers concentrationnaire soviétique.
Mais Germaine Tillion veut rire, aussi, pour narguer les bourreaux et se sentir encore vivante. Cachée dans une caisse pendant plusieurs jours, elle écrira le Verfügbar aux enfers avec l’aide de ses complices qui lui fourniront papier, crayon et leurs propres souvenirs pour les airs des chansons….
Le titre est inspiré d’ Orphée aux Enfers , l’opéra-bouffe d’Offenbach, lui-même parodie d’ Orphée et Eurydice de Gluck.
LA MUSIQUE
Certaines pratiques des nazis consistaient lors de pendaisons, auxquelles tous les déportés étaient obligés d’assister, de faire jouer un orchestre ou chanter des airs entraînants et joyeux et de contraindre les détenus à chanter pendant leur déplacement à pied, pendant le travail ou lorsqu’ils reçoivent des coups. Ceci explique que certaines musiques deviennent insupportables après la guerre pour les survivants.
Mais clandestinement, des détenus écrivaient de la musique.
Francesco Lotoro est un pianiste et compositeur hors norme. Cet italien épaulé par son épouse et entouré de son “Orchestre de musique concentrationnaire”, redonne voix aux musiciens oubliés. Pas n’importe lesquels : ceux qui furent déportés, emprisonnés, et qui souvent moururent dans les camps d’internement nazis.
Avec plus de 4000 partitions déjà retrouvées en plus de 20 ans de recherches, il veut faire vivre cette musique écrite là où la création artistique était acte de résistance, là où la mort était la compagne de chaque jour, là où la vie ne tenait qu’à un fil. Une musique écrite clandestinement par des prisonniers de toutes origines, de toutes religions, dans l’une des périodes les plus sombres de l’Histoire entre 1933 et 1945.
En les interprétant aujourd’hui, Francesco Lotoro, le Maestro, veut libérer ces musiques emprisonnées, ainsi que l’âme et l’esprit de tous ceux qui les ont composées. Plongé dans une mission solitaire, à la portée universelle, Francesco Lotoro réveille un pan entier de l’histoire de la musique jusqu’ici passé sous silence.
Source de l’article : Fondation pour la mémoire de la Shoah
RESISTER AUJOURD'HUI
De Guernica à Alep...
Ruqia Hassan, une enseignante syrienne de 30 ans, a été assassinée par Daech en septembre 2015. Son crime : avoir dénoncé sur les réseaux sociaux les exactions du groupe Etat islamique dans la ville de Raqqa où elle vivait. L’information et son contrôle sont devenus un enjeu de cette guerre.
Ils témoignent contre la barbarie
Depuis le début de la révolution, comme Ruqia Hassan, des citoyens syriens ont décidé de témoigner contre la barbarie. Pour contrer la censure, ils ont créé leurs propres réseaux d’information. Près de 300 d’entre eux l’ont payé de leur vie. Aujourd’hui, la plupart de ces journalistes-citoyens se sont réfugiés en Turquie pour développer leurs nouvelles publications. Mais ils n’y sont pas non plus en sécurité : les tueurs de Daech ont exécuté trois d’entre eux l’an dernier.
Un reportage de Kristian Autain, Loup Krikorian, Edouard Piquereau et Benoît Sauvage.
Maram al-Masri
« Elle va nue, la liberté,
Sur les montagnes de Syrie
Dans les camps de réfugiés.
Ses pieds s’enfoncent dans la boue
Et ses mains gercent de froid et de souffrance.
Mais elle avance
Nous, les exilés,
Rôdons autour de nos maisons lointaines
Comme les amoureuses rôdent
Autour des prisons
Espérant apercevoir l’ombre de leurs amants.
Nous, les exilés, nous sommes malades
D’une maladie incurable
Aimer une patrie
Mise à mort
L’avez-vous vu ?
Il portait son enfant dans ses bras
Et il avançait d’un pas magistral
La tête haute, le dos droit…
Elle va nue, la liberté,
Sur les montagnes de Syrie
Dans les camps de réfugiés.
Ses pieds s’enfoncent dans la boue
Et ses mains gercent de froid et de souffrance.
Mais elle avance
Comme l’enfant aurait été heureux et fier
D’être ainsi porté dans les bras de son père…
Si seulement il avait été
Vivant »
Maram Al Masri
Hala Mohammed
Chut ! La langue de l’hôte réfugié est silence
Pas de voix pour le réfugié…
Il ferme la porte de sa maison sur sa voix
Et sort par la porte de l’Histoire
Sans une poussière de géographie.
Les mots
Tombent des baluchons des vêtements,
De fatigue…
De trous dans les poches.
Ils bondissent des lèvres des enfants… endormis,
Ils se roulent par terre… s’agrippent à la terre
Les mots.
Les noms s’exilent
Et les mots restent à terre
Non
Non
La tente ne vaut pas un baiser Monsieur.
Blanc
Le sel des larmes
Pas d’identité dans les tentes
Pas d’identité pour les tentes
Mirage
La toile blanche de l’hospitalité
Imperméable au rire
Imperméable au toucher
Imperméable
Aux larmes
Blancheur du linceul.
Et sort l’enfant vers l’extérieur
Et entre l’enfant vers l’intérieur
Quel vertige…
Cette ardente nostalgie
Du seuil.
Chut… lui dit l’absolu
Chut… lui dit le soleil
Chut… lui dit la vérité
Chut…. lui dit son nom
Chut… dit-il à son nom
Et se noie.Traduit de l’arabe par un collectif d’artistes
Qamar Sabri Al-Jassim
Tammam Azzam
Randa Mdah
Mohamed Omram
Maher Al Baroudi
Youssef Abdlké