Les fonctions de la poésie

Globalement on peut donner 6 fonctions principales à la poésie :

Exprimer, dénoncer/célébrer, révéler, inventer, guider.

Dans la mythologie, le 1er des poètes est Orphée, accompagné de sa lyre. Le poète est l’intermédiaire entre les hommes et les dieux.

Baudelaire dans L’Albatros le compare à un Albatros, oiseau marin sublime quand il vole et très maladroit au sol :

Le poète est semblable au prince des nuées

Qui hante la tempête et se rit de l’archer;

Exilé sur le sol au milieu ds huées,

Ses ailes de géant l’empêchent de marcher”

1.EXPRIMER

 

C’est une évidence !  La poésie se prête parfaitement à l’expression  des sentiments, émotions où sensations  que nous vivons dans votre vie.

 Expression de l’amour, du deuil, de la colère, de la nostalgie, du chagrin, de la peur,  du temps qui passe… la liste est longue.

 

C’est la fonction expressive de la poésie que l’on trouve à toutes les époques mais particulièrement chez les poètes romantiques : Hugo, Vigny, Musset…  mais aussi chez Apollinaire, Baudelaire, Verlaine… là aussi, la liste est presque infinie.  Il s’agit la plupart du temps bien sûr d’une poésie lyrique.

Hugo, Les Contemplations, « Demain dès l’aube… » (Poème à sa fille Léopoldine, morte noyée)

Poème élégiaque qui exprime la douleur du père qui a perdu sa fille.

Je ne regarderai ni l’or du soir qui tombe,
Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,

Et quand j’arriverai, je mettrai sur ta tombe
Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.

 

 

Ou Baudelaire « Spleen », Les Fleurs du Mal (1857)

Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle

Sur l’esprit gémissant en proie aux longs ennuis,

Et que de l’horizon embrassant tout le cercle

Il nous verse un jour noir plus triste que les nuits ;

 

Quand la terre est changée en un cachot humide,

Où l’Espérance, comme une chauve-souris,

S’en va battant les murs de son aile timide

Et se cognant la tête à des plafonds pourris ;

 

Quand la pluie étalant ses immenses traînées

D’une vaste prison imite les barreaux,

Et qu’un peuple muet d’infâmes araignées

Vient tendre ses filets au fond de nos cerveaux,

 

Des cloches tout à coup sautent avec furie

Et lancent vers le ciel un affreux hurlement,

Ainsi que des esprits errants et sans patrie

Qui se mettent à geindre opiniâtrement.

 

– Et de longs corbillards, sans tambours ni musique,

Défilent lentement dans mon âme ; l’Espoir,

Vaincu, pleure, et l’Angoisse atroce, despotique,

Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir.

 

Poésie lyrique :  expression des sentiments  personnels du poète mais qui résonnent en chacun, ce qui lui donne  une universalité.  A travers l’expression d’une expérience individuelle, on retrouve l’expérience humaine.

Ainsi Victor Hugo écrit dans la Préface des Contemplations : « Ah, insensé qui crois que je ne suis pas toi » ou Charles Baudelaire, Préface des Fleurs du Mal : « Hypocrite lecteur, mon semblable, mon frère »

 

  • S’interroger et connaître la nature humaine

Pour Claude Roy, poète du XX°, le poète est un « poseur de questions » :

(…)Le mort que je serai s’étonne d’être en vie,


du chat sur ses genoux qui ronronne pour rien,


du grand ciel sans raison, du gros vent malappris


qui bouscule l’ormeau et se calme pour rien.

 

Un cheval roux pourquoi ? Pourquoi un sapin vert ?


Et pourquoi ce monsieur qui fait une addition,


qui compte : un soleil, deux chiens, trois piverts,


qui compte sur ses doigts pleins de suppositions ?(…)

                       Claude Roy (  ) Le Poseur de questions

  • Explorer les grands thèmes de l’homme et du monde :
  • Mort :

Hugo écrit dans les Contemplations : « C’est l’existence humaine sortant de l’énigme du berceau et aboutissant à l’énigme du cercueil ».  La mort est un thème recurrent en poésie.
 

  • Fuite du temps et Carpe diem (au XVI°): vie éphémère de l’homme/ éternité de la Nature (Chez les Romantiques par exemple)

” Aimons donc, aimons donc ! de l’heure fugitive,

Hâtons-nous, jouissons !

L’homme n’a point de port, le temps n’a point de rive ;

Il coule, et nous passons ! “

Lamartine, Le Lac, 18

 

  • Sentiment amoureux : explorer des états d’âme, le passé, dire sa peine (Eluard, Nush) : le poète partage sa souffrance, son expérience du malheur avec le lecteur. L’emploi du “je” permet au lecteur de partager le vécu de l’Autre. Hugo : “Ah! Insensé qui croit que je ne suis pas toi!”(Préface des Contemplations)

 

  •  Modernité

    Mais les poètes (surtout à partir du XIX°) s’intéresse à la modernité, à la technique, à la ville : C’est le cas de Baudelaire, d’Apollinaire, Rimbaud, Cendrars…

    Baudelaire, Les Fleurs du Mal (ébauche Epilogue 2° édition)

    Ô vous, soyez témoins que j’ai fait mon devoir

    Comme un parfait chimiste et comme une âme sainte.



    Car j’ai de chaque chose extrait la quintessence,



    Tu m’as donné ta boue et j’en ai fait de l’or.

2.DENONCER

 

DENONCER :  c’est le rôle que se donne la poésie engagée.

Vous pourrez puiser dans les textes que nous avons étudiés cette année ! Mais là aussi, presque toutes les époques sont représentées. Agrippa d’Aubigné avec Les Tragiques prend fait et cause pour les Protestants pe,ndant les guerres de Religion (XVI° si§ècle),  les auteurs de la Pléiade, notamment Ronsard et du Bellay  dénoncent,  chacun de leur côté, les horreurs commises  lors de ces guerres de religion. Hugo, au 19e, dénonce la misère, le travail des enfants, les inégalités…

                                                   

Hugo, Mélancholia (extrait)

.. Où vont tous ces enfants dont pas un seul ne rit ?

Ces doux êtres pensifs que la fièvre maigrit ?

Ces filles de huit ans qu’on voit cheminer seules ?

Ils s’en vont travailler quinze heures sous des meules

Ils vont, de l’aube au soir, faire éternellement

Dans la même prison le même mouvement.

 

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Au 20e, les  horreurs du siècle poussent les poètes à s’engager :  Char, Aragon, Desnos, Éluard, Prévert…


« La poésie est une insurrection » écrivait Pablo Neruda

  

Pour René Char, grand résistant:

 « la poésie est du savon philosophale, elle nous lave de nos impuretés »

 

Poésie engagée :   Le poète, dénonce les travers de son temps, les horreurs, les injustices…et cherche à faire évoluer l’humain, à transformer le monde. 

 

3.CELEBRER

CELEBRER

 C’est l’éloge, le poème épidictique :  il peut concerner une personne ou une situation voire même une chose.

 C’est la célébration de la femme aimé chez Éluard, Aragon, Ronsard  et des milliers d’autres !

 

Ici ,éloge d’Elsa par Aragon, 1959

Je suis l’hérésiarque de toutes les églises

Je te préfère à tout ce qui vaut de vivre et de mourir

Je te porte l’encens des lieux saints et la chanson du forum

Vois mes genoux en sang de prier devant toi

Mes yeux crevés pour tout ce qui n’est pas ta flamme

Je suis sourd à toute plainte qui n’est pas de ta bouche

Je ne comprends des millions de morts que lorsque c’est toi qui gémis

C’est à tes pieds que j’ai mal de tous les cailloux des chemins

A tes bras déchirés par toutes les haies de ronces

Tous les fardeaux portés martyrisent tes épaules

Tout le malheur du monde est dans une seule de tes larmes

Je n’avais jamais souffert avant toi (…)

 

 C’est aussi l’éloge des résistants dans les poèmes que nous avons étudiés. L’éloge de la solidarité, du courage… Là, débrouillez-vous ! Tout le corpus s’y prête ! (voir les lectures analytiques)

 

4.REVELER 

REVELER : traduire les énigmes du monde

Révéler, c’est donner à voir ce qui existe mais qu’on ne voit pas. C’est une quête du sens.

Le poète est un « traducteur » :

II traduit en langue nette

Nos infinitésimaux,

Ah ! Donnons-lui, pour sa fête,

La casquette d’interprète !

Jules  Supervielle

 

Il déchiffre le monde, nous le donne à voir.

Parce que le poète est un voyant, il est capable de percevoir ce que nous ne percevons pas.

 Ces capacités « extrasensorielles » font du poète un être à part, incompris souvent comme L’Albatros de Baudelaire et qu’on qualifie de poètes maudits. 

Poème extrait de Les Fleurs du Mal, L’ Albatros compare le poète à l’oiseau   : majestueux dans les airs, capable de s’élever là où les autres ne vont pas – mais de ce fait à l’écart des autres hommes, et inadapté au monde quotidien : « Ses ailes de géant l’empêchent de marcher ».


 Ces capacités aboutissent chez Baudelaire aux synesthésies et aux correspondances :

Vivant dans un univers autre, le poète est, toujours selon Baudelaire, celui qui voit le monde comme une « forêt de symboles »

Voir le poème Correspondances:

La Nature est un temple où de vivants piliers

Laissent parfois sortir de confuses paroles ;

L’homme y passe à travers des forêts de symboles

Qui l’observent avec des regards familiers.

 

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Au XX°, Cadou ne dira pas autre chose lorsqu’il écrira : 

Celui qui entre dans la demeure d’un poète

Ne sait pas que les meubles ont pouvoir sur lui

Que chaque nœud du bois renferme davantage

De cris d’oiseaux que tout le cœur de la forêt

 

 

C’est aussi ce qui fait dire à Rimbaud que le poète est un voyant :  « Le poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. Toutes les formes d’amour, de souffrance, de folie ; il cherche lui-même, il épuise en lui tous les poisons, pour n’en garder que les quintessences. Ineffable torture où il a besoin de toute la foi, de toute la force surhumaine, où il devient entre tous le grand malade, le grand criminel, le grand maudit, – et le suprême Savant ! – Car il arrive à l’inconnu ! »(…)

Pour Rimbaud   le poète voit ce que les autres ne voient pas,  il voit au-delà des apparences et accède à une forme de vérité . C’est ce que la philosophie appelle « l’essence » des choses, leur vérité cachée au-delà de l’apparence.  Le poète est donc un médium, un interprète. Il lui appartient de réécrire le monde pour le rendre compréhensible aux hommes. 

 

Un extrait du Bateau ivre de Rimbaud

(…)Je sais les cieux crevant en éclairs, et les trombes

Et les ressacs et les courants : je sais le soir,

L’Aube exaltée ainsi qu’un peuple de colombes,

Et j’ai vu quelquefois ce que l’homme a cru voir !

 

J’ai vu le soleil bas, taché d’horreurs mystiques,

Illuminant de longs figements violets,

Pareils à des acteurs de drames très antiques

Les flots roulant au loin leurs frissons de volets !

 

J’ai rêvé la nuit verte aux neiges éblouies,

Baiser montant aux yeux des mers avec lenteurs,

La circulation des sèves inouïes,

Et l’éveil jaune et bleu des phosphores chanteurs !(…)

 

Le poète est donc celui qui sait lire à travers les symboles, les  déchiffrer,  les traduire.  En fonction des époques il est un   intermédiaire entre  le monde humain et le monde divin, entre la nature et l’ homme.

 Il dévoile une vérité :


Voilà pourquoi 
Je dis la vérité sans la dire

Paul Éluard, « L’Habitude », Capitale de la douleur.


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Créer des mondes 

5.INVENTER

INVENTER

Inventer une langue/Inventer un monde

Inventer une langue

La matière du poète, c’est le langage. Il fabrique, créé à partir de là. Au XVII°déjà, Boileau écrivait  dans son Art poétique :

Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage :

Polissez-le sans cesse et le repolissez ;

Ajoutez quelquefois et souvent effacez »

 

Le Parnasse (19°) recherche la perfection formelle.  Théophile Gautier  affirme : « Il n’y a de vraiment beau que ce qui ne peut servir à rien ». Le poète n’a donc pas de message à transmettre, son seul objectif est d’écrire un beau texte.

 

Baudelaire

Le poète est un alchimiste du langage qui transforme la laideur du monde en beauté : « Tu m’as donné ta boue et j’en ai fait de l’or ». c’est par exemple ce que Baudelaire fait avec « Une Charogne »dans Les Fleurs du Mal :

Rappelez-vous l’objet que nous vîmes, mon âme,

Ce beau matin d’été si doux :

Au détour d’un sentier une charogne infâme

Sur un lit semé de cailloux,

 

Les jambes en l’air, comme une femme lubrique,

Brûlante et suant les poisons,

Ouvrait d’une façon nonchalante et cynique

Son ventre plein d’exhalaisons.

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 On a, chez les symbolistes comme Mallarmé,  l’invention d’une langue.

Pour Mallarmé  “ce n’est point avec des idées qu’on fait des vers, c’est avec des mots”

“Je dis: une fleur! Et (…) musicalement se lève, idée même et suave, l’absente de tous bouquets.”  (Mallarmé), poète symboliste,

 Cette poésie veut s’adresser à des initiés. 

Ci-dessous un extrait de Sonnet en X de Mallarmé :

Ses purs ongles très haut dédiant leur onyx,
L’Angoisse, ce minuit, soutient, 
lampadophore,
Maint rêve 
vespéral brûlé par le Phénix
Que ne recueille pas de 
cinéraire amphore

Sur les 
crédences, au salon vide : nul ptyx
Aboli bibelot d’
inanité sonore,
(Car le Maître est allé puiser des pleurs au 
Styx
Avec ce seul objet dont le Néant s’honore.)

 

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Le surréalisme bien sur est une poésie de l’invention.  Le réel est revisité  pour offrir un monde surréel. Voici un extrait d’un poème surréaliste d’Eluard, La terre est bleue comme une orange  in L’amour la poésie, 1929

La terre est bleue comme une orange

Jamais une erreur les mots ne mentent pas

Ils ne vous donnent plus à chanter

Au tour des baisers de s’entendre

Les fous et les amours

Elle sa bouche d’alliance

Tous les secrets tous les sourires

Et quels vêtements d’indulgence

À la croire toute nue.

 

Les guêpes fleurissent vert

L’aube se passe autour du cou

Un collier de fenêtres

Des ailes couvrent les feuilles

Tu as toutes les joies solaires

Tout le soleil sur la terre

Sur les chemins de ta beauté.

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Desnos, Langage cuit (1923), C’était un bon copain…

 

Il avait le cœur sur la main

Et la cervelle dans la lune

C’était un bon copain

Il avait l’estomac dans les talons

Et les yeux dans nos yeux

C’était un triste copain
Il avait la te
̂te à l’envers

Et le feu là où vous pensez
Mais non quoi il avait le feu au derrière

C’était un drôle de copain

 

On retrouve le renouvellement du langage chez des poètes comme Queneau ou Michaux dans ce poème sur le travail poétique : Le Grand combat

 

Il l’emparouille et l’endosque contre terre ;

Il le rague et le roupète jusqu’à son drâle ;

Il le pratèle et le libucque et lui barufle les ouillais ;

Il le tocarde et le marmine,

Le manage rape à ri et ripe à ra.

Enfin il l’écorcobalisse.

 

L’autre hésite, s’espudrine, se défaisse, se torse et se ruine.

C’en sera bientôt fini de lui ;

Il se reprise et s’emmargine… mais en vain

Le cerceau tombe qui a tant roulé.

Abrah ! Abrah ! Abrah !

Le pied a failli !

Le bras a cassé !

Le sang a coulé !

Fouille, fouille, fouille,

Dans la marmite de son ventre est un grand secret

Mégères alentour qui pleurez dans vos mouchoirs ;

On s’étonne, on s’étonne, on s’étonne

Et on vous regarde

On cherche aussi, nous autres, le Grand Secret.

 

 

Poésie ludique :  cherche à explorer les jeux de langage.  

6.GUIDER

 

 Assez proche de révéler. Pour Victor Hugo par exemple,  le poète est un visionnaire. Il conduit les hommes vers l’avenir

Le poète en des jours impies

Vient préparer des jours meilleurs.
ll est l’homme des utopies,
Les pieds ici, les yeux ailleurs.
C’est lui qui sur toutes les tê
tes,
En tout temps, pareil aux prophètes,

Dans sa main, où tout peut tenir,

Doit, qu’on l’insulte ou qu’on le loue,

Comme une torche qu’il secoue,

Faire flamboyer l’avenir !

PAUL ELUARD

YVES BONNEFOY

PHILIPPE JACCOTTET