L.A n° 1: Balzac, Le Chef d’oeuvre inconnu, 1831
I
Gillette
Vers la fin de l’année 1612, par une froide matinée de décembre, un jeune homme dont le vêtement était de très mince apparence, se promenait devant la porte d’une maison située rue des Grands-Augustins, à Paris. Après avoir assez longtemps marché dans cette rue avec l’irrésolution d’un amant qui n’ose se présenter chez sa première maîtresse, quelque facile qu’elle soit, il finit par franchir le seuil de cette porte, et demanda si maître François PORBUS était en son logis. Sur la réponse affirmative que lui fit une vieille femme occupée à balayer une [tooltip tip=”Rez-de-chaussée”]salle basse[/tooltip] le jeune homme monta lentement les degrés, et s’arrêta de marche en marche, comme quelque courtisan de fraîche date, inquiet de l’accueil que le roi va lui faire. Quand il parvint en haut de la [tooltip tip=”Escalier tournant autour d’un noyau”]vis[/tooltip], il demeura pendant un moment sur le palier, incertain s’il prendrait le [tooltip tip=”Marteau fixé à une porte et servant à frapper. Heurtoir de cuivre, en fer; heurtoir en forme d’anneau, de main. On cogna du heurtoir à la porte”]heurtoir[/tooltip] qui ornait la porte de l’atelier où travaillait sans doute le peintre de [tooltip tip=”En réalité cela ne se passera qu’en 1620, donc 10 ans aprè la mort de ce roi”]Henri IV[/tooltip] délaissé pour Rubens par Marie de Médicis . /Le jeune homme éprouvait cette sensation profonde qui a dû faire vibrer le cœur des grands artistes quand, au fort de la jeunesse et de leur amour pour l’art, ils ont abordé un homme de génie ou quelque chef- d’œuvre. Il existe dans tous les sentiments humains une fleur primitive, engendrée par un noble enthousiasme qui va toujours faiblissant jusqu’à ce que le bonheur ne soit plus qu’un souvenir et la gloire un mensonge. Parmi ces émotions fragiles, rien ne ressemble à l’amour comme la jeune passion d’un artiste commençant le délicieux supplice de sa destinée de gloire et de malheur, passion pleine d’audace et de timidité, de croyances vagues et de découragements certains. À celui qui léger d’argent, qui adolescent de génie, n’a pas vivement palpité en se présentant devant un maître, il manquera toujours une corde dans le cœur, je ne sais quelle touche de pinceau, un sentiment dans l’œuvre, une certaine expression de poésie. Si quelques fanfarons bouffis d’eux-mêmes croient trop tôt à l’avenir, ils ne sont gens d’esprit que pour les sots. À ce compte, le jeune inconnu paraissait avoir un vrai mérite, si le talent doit se mesurer sur cette timidité première, sur cette pudeur indéfinissable que les gens promis à la gloire savent perdre dans l’exercice de leur art, comme les jolies femmes perdent la leur dans le manège de la coquetterie. L’habitude du triomphe amoindrit le doute, et la pudeur est un doute peut- être.
Accablé de misère et surpris en ce moment de son [tooltip tip=”Prétention, confiance excessive en soi-même…”]outrecuidance[/tooltip] , le pauvre [tooltip tip=”Du grec : nouvellement né; Nom donné anciennement, dans l’Église, aux nouveaux chrétiens, c’est-à-dire aux païens qui avaient embrassé depuis peu le christianisme, et à ceux qui étaient entrés nouvellement dans les ordres ecclésiastiques. Par extension, ceux qui est nouveau dans un domaine.”]néophyte[/tooltip] ne serait pas entré chez le peintre auquel nous devons l’admirable portrait de Henri IV, sans un secours extraordinaire que lui envoya le hasard.
Le point sur l’incipit
de roman...
Définition : Incipit vient du latin incipio, is, ere « commencer » et signifie les premiers mots d’un texte. Il permet au lecteur de pénétrer dans le « quasi-monde » du texte. C’est un lieu de rencontre entre les intentions de l’écrivain et les attentes du lecteur. C’est donc un lieu stratégique du texte. Il doit à la fois informer et intéresser.
Types :
Type dramatique : à une époque et dans un lieu donné, quelqu’un fait ou a fait quelque chose…(Souvent un incipit « in media res »)
Type discursif : une voix parle, celle d’un narrateur qui s’adresse au lecteur
Type descriptif : le texte s’ouvre par une description qui suspend l’action et met le lecteur en état d’attente. (Incipit statique)
Type suspensif : il donne peu d’informations et cherche à dérouter le lecteur. (Ils peuvent se combiner)
Fonctions :
Fonction informative : Permet de répondre aux questions où ? (lieu)-quand ? (Temps)-qui ? (Protagonnistes)-quoi (action)
Fonction séductrice : il doit accrocher et séduire le lecteur, faire naitre un « horizon d’attente ». L’attention et la curiosité du lecteur doit être stimulée qqsoit le type employé.
Fonction de pacte : l’incipit par les choix de l’auteur propose un « pacte de lecture » et annonce le genre auquel le texte appartient
***
Questions à se poser pour étudier un incipit
Personnage (s) :
clair ou énigmatique ?
Narrateur : Personnage du roman ou non ?
Lieux : Type d’espace : réel ? Symbolique ? Les deux ?
Quand : Temps du calendrier - une date (Temps de l’Histoire )
- une époque Temps romanesque : une saison, un moment du jour, de la nuit…
Analyse du point de vue ?
Qui parle ? Comment s’ancre-t-on dans le réel ?
A qui s’adresse-t-on ?
Qui parle à qui ? Y-a-t-il des écarts par rapport à la tradition du genre ?
De quoi parle-t-on ?
Thème principal..
Style :
A quel genre, quel mouvement peut-on rattacher le texte ? En quoi le passage se détache-t-il de la forme traditionnelle du genre ?