LECTURE ANALYTIQUE
Montesquieu (17…-17…) avocat puis conseiller au Parlement de Bordeaux, fait paraître, anonymement à Amsterdam, ses Lettres persanes, en 1721. C’est un roman épistolaire fictif dans lequel l’auteur imagine un échange entre deux Persans, Usbek et Rica, qui voyagent entre 1712 et 1720 d’Ispahan (Perse) à Paris et leurs amis restés en Perse. L’intérêt du livre est de permettre une critique des mœurs et du système politique français à travers le regard de deux étrangers.
En 1721, louis XIV est mort depuis six ans mais sa Révocation de l’Edit de Nantes en 1685 a permis que se poursuivent les persécutions religieuses contre les protestants et les juifs. Montesquieu imagine alors de déplacer l’édit en Perse : il en fait un édit envisagé par le shah Soliman pour débarrasser son royaume des Arméniens, en les expulsant ou en les obligeant à se faire « Mahométans », mais auquel il renoncera en en envisageant les conséquences désastreuses.
Dans la lettre LXXXV, Montesquieu, lui-même marié à la fille d’une riche famille calviniste, argumente en faveur de la tolérance religieuse. Nous montrerons comment il fait un plaidoyer efficace en faveur de la pluralité des religions d’une part grâce à une argumentation convaincante et d’autre part
I. Une argumentation au service de la tolérance
La tolérance religieuse fait partie des combats des hommes des Lumières. Voltaire, Diderot…l’ont fait aussi . Ils s’appuient sur la Raison, maitre mot du XVIII°. Et c’est à la raison que s’adresse cette argumentation directe.
Montesquieu ouvre son propos par une courte introduction qui fait appel à l’esprit critique en posant une hypothèse qui invite à se libérer de tout préjugé, : « S’il faut raisonner sans prévention… ».
Par ailleurs, les précautions pour amener la thèse sont flagrantes : Montesquieu utilise une forme d’interrogation indirecte à double négation : « je ne sais pas, Mirza, s’il n’est pas bon que dans un État, il y ait plusieurs religions ». Donc, il parvient à présenter sa thèse de manière atténuée : tout en disant la même chose : « Il faut qu’il y ait plusieurs religions dans un état ». Puis il déroulent ensuite ses 3 arguments : économique, moral et politique
II. Un combat des Lumières
La dénonciation l’intolérance
Si le texte défend l’idée de tolérance religieuse, il est aussi très critique face à l’intolérance qui conduit les hommes à la folie, à l’absence de raison.
Ainsi,A la ligne…. « J’avoue que les histoires sont remplies de guerres de religion » l’auteur concède la banalité, la récurrence de cette intolérance mais pour aussitôt en montrer la cause réelle : « ce n’est point la multiplicité des religions qui a produit ces guerres, c’est l’esprit d’intolérance » En refusant cette multiplicité pour éviter les conflits, on se trompe donc d’ennemi. Pour donner plus de poids à son propos, Montesquieu va s’appuyer sur des exemples pris dans l’Histoire, donc des arguments d’autorité : Les « Egyptiens »,d’abord qui avaient asservi le peuple juif, jusqu’à la fuite de Moïse. Les juifs, ont eux-mêmes contribué à la persécution des chrétiens depuis la crucifixion de Jésus. Enfin, il fait allusion aux croisades et à l’Inquisition en évoquant les conflits entre « Mahométans » et « Chrétiens ». Cette attitude qu’on retrouve au cours de l’histoire est pour lui « une éclipse entière de la raison humaine ». La métaphore permet ici de montrer que l’on passe de la lumière de la tolérance aux ténèbres de l’obscurantisme comme l’éclipse de soleil cache la lumière.
Le dernier paragraphe est donc un appel à la Raison si importante au XVIII° pour montrer la contradiction, la folie, l’absurdité qui pousse à vouloir convertir l’autre contre son gré. Le « car » qui ouvre le paragraphe est d’ailleurs un appel à cette raison. Par ailleurs l’anaphore de « quand » permet de renforcer l’absurdité de cette attitude. En effet, même si l’on met de côté 2 arguments : l’inhumanité et les effets désastreux d’une telle pratique : « … quand il n’y aurait pas de l’inhumanité à affliger la conscience des autres ; quand il n’en résulterait aucun des mauvais effets qui en germent à milliers… » , il en reste un troisième ! Pas des moindre : ne pas faire à autrui ce que nous n’accepterions pas qu’il nous fasse : « Celui qui veut me faire changer de religion/ ne le fait sans doute que /parce qu’il ne changerait pas la sienne, quand on voudrait l’y forcer ». Puis Montesquieu revient au « je » mais ce n’est plus seulement le « je »d’Usbek comme au début de la lettre. Ici, c’est aussi le « j e » du lecteur qui ne voudrait pas non plus être victime de l’intolérance religieuse : « il trouve donc étrange que je ne fasse pas (indicatif présent) une chose qu’il ne ferait (conditionnel)pas lui-même peut-être pour l’empire du monde ».C’est donc une morale de la réciprocité qui ici sert d’argument contre l’intolérance.