Introduction
Idem que précédentes
Situation
Parallèlement au récit de l’histoire d’amour, qui semble désormais condamnée par le refus du père du chinois au mariage entre les deux amants, la narratrice évoque des souvenirs marquant, Comme sa rencontre avec la mendiante de Vinhlong. Or cette rencontre qui effraie l’enfant donne lieu à l’évocation de la peur de la jeune fille de voir la folie de sa mère s’aggraver. L’extrait donne a voir cette peur autant de la folie de la mère que finalement celle de la fille, puisque celle-ci regarde sa mère pour ne plus la reconnaître soudainement
Les axes
Le passage met en parallèle la folie incarnée par la mendiante et cet épisode d’une folie qui surgit en pleine raison
Ainsi la folie contamine les personnages : de la mendiante à la mère puis à la fille.
Révocation de la folie ne peut se faire que de manière paradoxale : Centre aveugle du récit, elle se fait par le détour de l’image qui tient la folie à distance et dont l’aspect mortifère est mis en évidence.
La prolifération de la folie donne lieu à une scène fantastique (La mere devenant une inconnue) : celle-ci met en évidence le rôle de l’image dans le récit et met en abîme son fonctionnement
- Une scène fantastique
La mise en scène de la mère dans une situation banale : Elle regarde le parc ; est dans le cadre familier de la maison familiale instaure un sentiment de malaise Et de peur, propre au surgissement du fantastique
- a) L’inscription dans un cadre réaliste
La dimension fantastique vient de ce que au départ, le récit est ancré dans le réel « c’était…/C’était à Saïgon » ;
« C’était » x2 marque l’importance de l’instant. Présentatif à valeur d’insistance.
La scène est donc présentée dans un contexte qui prouve que cela a bien existé et qui est précisé par les présentatifs : « c’était » ; » Il y avait » qui pose le récit comme la retranscription de la réalité. Une indication chronologique situe d’abord cette scène par rapport à l’histoire d’amour : «c’était à quelques mois de notre séparation définitive » puis on trouve une notation sur le moment de la journée « Tard le soir»et un lieu bien réel, « Saïgon » ;« la grande terrasse »…
La folie : (la peur, dimension fantastique)« mal reconnue »,
La vision de ce réel est bouleversée par qqchse d’étrange : « effacement soudain » surgissement de cette étrangeté, renforcé par l’adverbe « brutalement » et le crescendo entre « j’ai mal reconnu ma mère » et « je ne l’ai plus reconnue du tout »
Alors arrive la substitution « ma mère »/ »une personne ». Cette substitution provoque une « épouvante » - lexique du fantastique. De plus, la narratrice entreprend une démonstration qui se veut logique et lucide : La longue phrase met en évidence ce raisonnement avec des connecteurs logiques ou des expressions telles que : « L’épouvante ne tenait pas à ce que je dis d’elle» « je savais »
1.Une personne à la place de ma mère : « elle était assise la même ou était assise ma mère »
- le savoir rationnel de la narratrice « je savais que » personne d’autre n’est à sa place s’oppose à sa perception « personne d’autre n’était là à sa place qu’elle-même » =
- « mais que justement cette identité qui n’était remplaçable par aucune autre avait disparu » / Malgré la rationalité , et l’impossibilité que cette substitution se produise « que justement ; identité pas remplaçable », elle a lieu quand même : « avait disparu ». ce qui pose la question non seulement de la folie de la mère mais de la folie de la narratrice. C’est elle même qui se questionne là-dessus.
- « et que j’étais sans aucun moyen de faire qu’elle revienne, qu’elle commence à revenir ». Impossibilité de la narratrice à sortir de cette perception de son plein gré. Elle n’a pas de pouvoir sur cette perception. Il y aussi le fait que la mère est « partie » depuis longtemps dans sa folie
- « Rien ne se proposait plus pour habiter l’image. » Importance de l’image (photographique) qui est justement un moment figé, une sorte de négatif qu’on ne peut plus lire , qui n’est pas l’image réelle. Cette image est vide. « Rien/ habiter » ; c’est comme si sur le papier photographique, l’image s’était effacée.
« Je suis devenue folle en pleine raison » : paradoxe de la situation et rappel de la longue phrase précédente (rationnel/irrationnel). Qqchse d’inexplicable s’est produit./ Questionnement sur sa propre folie.
Il y a aussi la présence de Dô, la servante de la mère et la banalité de l’action de la jeune fille(Regardez sa mère) renforcé la précision et la familiarité.
La narratrice multiplie les détails qui attestent de cette réalité ce qui, comme dans les textes fantastique du 19e permet le surgissement du fantastique.
- b) Une inquiétante étrangeté
L’impression de ce surgissement du fantastique est donné tout d’abord par la brutalité du passage de la familiarité à l’étrangeté, métamorphose inquiétante marquée par les adverbes et locutions « Puis » ; « Brutalement » ; » tout à coup »
De plus le passage se fait à travers la distance instaurée par l’expression «une personne assise à la place de ma mère » et l’emploi systématique du pronom« elle», pronom de l’absence.
Une attention particulière est porté à la perception de la jeune fille, ce que montre les verbes de perception et les modalisateurs (10-14) ; cela met en scène la subjectivité de la narratrice pour créer une hésitation quant à la réalité de la scène. « J’ai regardé » « mal reconnue « plus reconnue du tout ». « elle regardait vers le parc », « elle guettait » « je ne percevais rien ». « Dô paraissait ne s’ être aperçu de rien ».
En outre la folie de la mere est évoqué d’une part à travers cette absence à elle-même dont elle est coutumière » un air légèrement hébété » d’autre part le statut de visionnaire lui permettant de voir ce qui reste invisibles autres : « Dô paraissait ne s’ être aperçu de rien ». .
La mère devient ici un fantôme, ce que suggèrent les termes «effacement » ; « Disparus» où l’on trouve une suite de tournures négatives : « personne d’autre n’était là » « cette identité qui n’était remplaçable par aucune autre » « j’étais sans aucun moyen »
L’oxymore « Folle en pleine raison » traduit bien l’hésitation entre rationnel est irrationnel propre au fantastique. La mère est captive d’un charme dont le cri de la fille est l’antidote. L’incompréhension de cette substitution et la mort qui lui est associé constitue l’effet d’inquiétante étrangeté de la scène.
- Une mise en abyme du récit
Scène doublement emblématique du récit : Elle met en scène la mère, origine de tout et renvoie à l’importance de l’image dans le récit.
- Le rôle de l’image
Cette scène renvoie au rôle des images dans l’amant qui devait être à l’origine
un album photographique. Ici il semble qu’il y ait un lien avec l’ image qui fige et renvoie à la mort des êtres puisqu’ici il est question de « l’effacement » de la mère (rappelle la retouche de la dernière photographie avant la mort : la métaphore « cette glace dans laquelle se figeait mortellement toute la scène » fait clairement référence à la mort : « glace », »se figeait » et l’adv. « mortellement ». Le cri fait revenir la mère et la fille et le réel .
Le cri (Munch) c’est l’expression d’une angoisse qui sort de l’être…
L’autre, la personne qui remplaçait la mère (sans la remplacer) a disparu : « Ma mère s’est retournée ».retour à la normale !
Si les absences liées à la folie de la mère sont évoquées, elle apparaît sous un jour totalement différent : « jeunesse des traits, du regard » , l’air « de bonheur » et sa beauté surprennent au milieu de l’épouvante que produit par ailleurs l’image de la mère.
- Le fonctionnement de la mémoire
La mémoire fonctionne par images et associations. Ces surgissements modifient le regard porté sur le passé. Cette scène donne à voir la mère autrement. C’est l’étrangeté de l’autre qui est pointé ici. Celle de la mère mais aussi celle de la narratrice. Ici, comme ailleurs, c’est la perception qu’en a la jeune fille qui compte.
La mère est au centre de la scène, mais c’est un centre vide. D’ailleurs Duras dira que « l’histoire de sa vie n’existe pas, qu’il n’y a pas de centre ».
Conclusion
Le passage est marqué par les ruptures et les absences, la folie. La mère devient le centre vide du récit.