Correction L.A 1 Adversaire

L.A 1   Lettre à Romand (PP. 28-30)

Paris, le 30 aout 1993

Monsieur,

Ma démarche risque de vous heurter. Je cours ma chance tout de même.
Je suis écrivain, auteur à ce jour de sept livres dont je vous envoie le dernier paru. Depuis que j’ai appris par les journaux la tragédie dont vous avez été l’agent et le seul survivant, j’en suis hanté. Je voudrais, autant que possible, essayer de comprendre ce qui s‘est passé et en faire un livre- qui bien sûr, ne pourrait paraître qu’après votre procès.
Avant de m’y engager, il m’importe de savoir quel sentiment vous inspire un tel projet. Intérêt, hostilité, indifférence ? Soyez sûr que, dans le second cas, j’y renoncerai. Dans le premier, en revanche, j’espère que vous consentirez à répondre à mes lettres et peut-être, si cela est permis, à me recevoir.
J’aimerais que vous compreniez que je ne viens pas à vous poussé par une curiosité malsaine ou par le gout du sensationnel.
Ce que vous avez fait n’est pas à mes yeux le fait d’un criminel ordinaire, pas celui d’un fou non plus, mais celui d’un homme poussé à bout par des forces qui le dépassent, et ce sont ces forces terribles que je voudrais montrer à l’œuvre.
Quelle que soit votre réaction à cette lettre, je vous souhaite, monsieur, beaucoup de courage, et vous prie de croire à ma très profonde compassion.

Emmanuel Carrère

J’ai posté cette lettre. Quelques instants après, trop tard, j’ai pensé avec épouvante à l’effet que risquait de faire sur son destinataire le titre du livre qui l’accompagnait : je suis vivant et vous êtes morts.
J’ai attendu.
Je me disais : si par extraordinaire Romand accepte de me parler (de « me recevoir », comme je l’avais écrit cérémonieusement),si le juge d’instruction, le Parquet ou son avocat ne s’y opposent pas, alors mon travail m’engagera dans des eaux dont je n’ai pas idée. Si , comme il est plus probable, Romand ne me répondra pas, j’écrirai un roman « inspiré » de cette affaire, je changerai les noms, les lieux, les circonstances, j’inventerai à ma guise : ce sera de la fiction.
Romand ne m’a pas répondu. J’ai relancé son avocat, qui n’a même pas voulu me dire s’il avait transmis ma lettre et mon livre.
Fin de non-recevoir.
J’ai commencé un roman où il était question d’un homme qui chaque matin embrassait femme et enfants en prétendant aller à son travail et partait marcher sans but dans les bois enneigés. Au bout de quelques dizaines de pages, je me suis trouvé coincé. J’ai abandonné.


Correction des lectures analytiques :

L.A 1 L’Adversaire