BAUDELAIRE, SPLEEN DE PARIS (Petits poèmes en prose)

LE RECUEIL

Recueil posthume publié en 1869

Titre double Petits poèmes en prose ; Spleen de Paris (expression utilisée par Baudelaire de son vivant)

Le sous-titre Le Spleen de Paris informe sur la source de l’inspiration poétique, ce que confirme une lettre que Baudelaire adressait à Victor Hugo : ” […] J’ai essayé d’enfermer là-dedans toute l’amertume et toute la mauvaise humeur dont je suis plein”.

Par ailleurs, on sait que l’auteur préférait ce titre et qu’il l’utilisait beaucoup plus souvent que le précédent. Dans une lettre, en 1866,il écrivait :
” Je suis assez content de mon Spleen. En somme, c’est encore Les Fleurs du Mal mais avec beaucoup plus de liberté et de raillerie”

Le terme “spleen” fait directement référence à la première partie des Fleurs du Mal ( ” Spleen et Idéal”), et “de Paris” semble faire écho à la deuxième partie du recueil en vers : ” Tableaux parisiens”.

Composé de 50 pièces dont une quarantaine ont été publiées dans des journaux et revues du vivant de Baudelaire

Thèmes :

Grande diversité thématique (plus que dans les fleurs du mal)

· le portrait du poète (lire le Confiteor de l’artiste)

· L’évasion : le rêve,le voyage, l’ivresse

· la femme, l’amour

· les déshérités

· la ville, la foule

· le temps

Baudelaire et le poème en prose

Le poème peut être…

  • Narratif (cf. une Chimère)
  • Descriptif (cf Le Port)

Dans une lettre à sa mère, en 1865, Baudelaire écrit : (…) “J’espère que je réussirai à produire un ouvrage singulier, plus singulier, plus volontaire désormais que Les Fleurs du Mal, où j’associerai l’effrayant avec le bouffon, et même la tendresse avec la haine.”

Les registres..

Lyrique : le plus fréquent ;la plupart des poèmes sont écrit à la première personne et expriment les sentiments, les pensées de Baudelaire.

Pathétique :poèmes qui évoquent les pauvres, les délaissés, les mal-aimés

Tragique :Homme prisonnier d’une réalité qui le dépasse ou l’impossibilité de l’homme à vaincre une force qui le surpasse et dont il est la victime comme dans le poème La Chambre Double, puissance tyrannique du temps sur l’homme.

Outils pour étudier poème en prose

  • Titre : il évoque généralement le thème dominant
  • Structure en paragraphes
  • Chercher la structure, les articulations entre les paragraphes
  • Articulations logique
  • Enonciation
  • Musicalité du langage : assonnances, allitérations, ponctuation, rythme et longueur des phrases…
  • Constructions syntaxiques (phrases)
  • Figures de style
  • Métaphores, allégories, comparaisons, gradations, métonymies, périphrases..
  • Figures de la pensée : antiphrase, hyperboles, litotes, euphémismes…)
  • Figures d’énonciation : apostrophe, prosopopée…
  • Figures de construction : Symétrie, chiasme,antithèse, asyndète…
  • Figures de répétition :Anaphore, analepse

Comparaison entre “Un hémisphère dans une chevelure” et “La Chevelure”

Même progression :

Le parfum de la chevelure de la femme aimée est le point de départ d’un voyage mental dans une île exotique où la chaleur, les musiques, les parfums, les hommes, la nature sont en harmonie et offrent au poète un bien-être total.


La spécificité de chaque écriture est donc dans la forme ,dans le style.

  • Dans le poème en prose, la reprise anaphorique de “dans” met en évidence la progression thématique
  • la forme impérative : ” laisse-moi” au début et à la fin du poème insiste sur l’unité du poème ( la boucle est bouclée).

Le texte en prose est plus précis dans la description que le poème en vers : les références olfactives sont plus nombreuses ( tabac, opium, sucre, goudron, musc et coco) mais le poème en vers use davantage de la métaphore filée de la mer ou de la forêt pour désigner la chevelure et la synesthésie

Cf Hemisphere LA 3.xmind

La chevelure

Ô toison, moutonnant jusque sur l’encolure !
Ô boucles ! Ô parfum chargé de nonchaloir !
Extase ! Pour peupler ce soir l’alcôve obscure
Des souvenirs dormant dans cette chevelure,
Je la veux agiter dans l’air comme un mouchoir !

La langoureuse Asie et la brûlante Afrique,
Tout un monde lointain, absent, presque défunt,
Vit dans tes profondeurs, forêt aromatique !
Comme d’autres esprits voguent sur la musique,
Le mien, ô mon amour ! nage sur ton parfum.

J’irai là-bas où l’arbre et l’homme, pleins de sève,
Se pâment longuement sous l’ardeur des climats ;
Fortes tresses, soyez la houle qui m’enlève !
Tu contiens, mer d’ébène, un éblouissant rêve
De voiles, de rameurs, de flammes et de mâts :

Un port retentissant où mon âme peut boire
A grands flots le parfum, le son et la couleur ;
Où les vaisseaux, glissant dans l’or et dans la moire,
Ouvrent leurs vastes bras pour embrasser la gloire
D’un ciel pur où frémit l’éternelle chaleur.

Je plongerai ma tête amoureuse d’ivresse
Dans ce noir océan où l’autre est enfermé ;
Et mon esprit subtil que le roulis caresse
Saura vous retrouver, ô féconde paresse,
Infinis bercements du loisir embaumé !

Cheveux bleus, pavillon de ténèbres tendues,
Vous me rendez l’azur du ciel immense et rond ;
Sur les bords duvetés de vos mèches tordues
Je m’enivre ardemment des senteurs confondues
De l’huile de coco, du musc et du goudron.

Longtemps ! toujours ! ma main dans ta crinière lourde
Sèmera le rubis, la perle et le saphir,
Afin qu’à mon désir tu ne sois jamais sourde !
N’es-tu pas l’oasis où je rêve, et la gourde
Où je hume à longs traits le vin du souvenir ?

UN HÉMISPHÈRE DANS UNE CHEVELURE

Laisse-moi respirer longtemps, longtemps, l’odeur de tes cheveux, y plonger tout mon visage, comme un homme altéré dans l’eau d’une source, et les agiter avec ma main comme un mouchoir odorant, pour secouer des souvenirs dans l’air.

Si tu pouvais savoir tout ce que je vois ! tout ce que je sens ! tout ce que j’entends dans tes cheveux ! Mon âme voyage sur le parfum comme l’âme des autres hommes sur la musique.

Tes cheveux contiennent tout un rêve, plein de voilures et de mâtures ; ils contiennent de grandes mers dont les moussons me portent vers de charmants climats, où l’espace est plus bleu et plus profond, où l’atmosphère est parfumée par les fruits, par les feuilles et par la peau humaine.

Dans l’océan de ta chevelure, j’entrevois un port fourmillant de chants mélancoliques, d’hommes vigoureux de toutes nations et de navires de toutes formes découpant leurs architectures fines et compliquées sur un ciel immense où se prélasse l’éternelle chaleur.

Dans les caresses de ta chevelure, je retrouve les langueurs des longues heures passées sur un divan, dans la chambre d’un beau navire, bercées par le roulis imperceptible du port, entre les pots de fleurs et les gargoulettes rafraîchissantes.

Dans l’ardent foyer de ta chevelure, je respire l’odeur du tabac mêlé à l’opium et au sucre ; dans la nuit de ta chevelure, je vois resplendir l’infini de l’azur tropical ; sur les rivages duvetés de ta chevelure je m’enivre des odeurs combinées du goudron, du musc et de l’huile de coco.

Laisse-moi mordre longtemps tes tresses lourdes et noires. Quand je mordille tes cheveux élastiques et rebelles, il me semble que je mange des souvenirs.