Eluard, Lucien Legros et les lycéens de Buffon

Eluard, Hommage à Lucien Legros et ses camarades du Lycée Buffon, 1944.

Lycée Buffon, Paris

Les cinq martyrs du lycée Buffon (Paris)

Après la signature de l’armistice et l’appel du 18 juin, au lycée Buffon, comme dans d’autres établissements, le mouvement de résistance se dessine, tant chez les élèves que chez les enseignants. (…)

En avril 1942, le professeur Burgard, chef du mouvement de résistance “Valmy”, est arrêté à son domicile par la Gestapo. La réaction de ses élèves est immédiate. Ils décident de protester publiquement. Durant les vacances de Pâques, ils organisent une manifestation qui se déroule le jeudi 16, jour de la rentrée. À la récréation du matin, une cinquantaine d’élèves d’autres établissements, conduits par Lucien Legros, force l’entrée du lycée et rejoint le groupe de Buffon, mené par Pierre Benoit. Jean-Marie Arthus, Jacques Baudry et Pierre Grelot sont chargés de surveiller et de donner l’alerte en cas de danger. Pendant dix minutes, tracts et appels sont lancés. Les élèves commencent à se disperser alors que la cloche retentit mais un agent du lycée a fait fermer les issues et prévenir la police. Les cinq jeunes gens réussissent à s’enfuir. Lucien Legros et Pierre Benoit, fichés comme “jeunes gens très dangereux”, recherchés, sont désormais obligés de vivre dans la clandestinité.

 

Loin de cesser, l’activité des cinq amis s’intensifie. Ils participent à des attentats contre des officiers allemands, lancent des grenades contre un amiral allemand et ses invités au cours d’une réception donnée à bord d’une vedette sur la Seine. Ils glissent des tracts sous des portes, collent des affiches… accomplissant tous ces gestes, “petits” et “grands”, qui contribuent à saper le moral de l’occupant et à entretenir un climat d’insécurité.

Les 3 et 4 juin 1942, quatre d’entre eux sont arrêtés, sur dénonciation.

Seul Pierre Benoit parvient à s’échapper.

Le 17 juin, Lucien Legros, Jean- Marie Arthus et Pierre Grelot comparaissent devant le tribunal spécial de Paris pour avoir participé à une manifestation rue de Buci. La sanction est sans appel : travaux forcés à perpétuité pour les trois jeunes gens. Compromis par ailleurs dans des attentats contre les troupes d’occupation, ils sont remis, ainsi que Jacques Baudry, à la Gestapo. Pierre Benoit, en fuite, est condamné à mort par contumace.

À la tête d’un groupe FTP, Pierre Benoit, sous le pseudonyme de “L’Étudiant”, poursuit la lutte. Installé à Fontainebleau avec son équipe, il dirige des opérations de sabotage contre des voies ferrées et des aérodromes. Blessé par balle au cours d’une opération, il gagne Paris à pied pour y recevoir des soins. Signalé comme chef terroriste très dangereux, il est activement recherché dans toute la France. Le 28 août, il est arrêté près de la gare Saint-Lazare et rejoint ses camarades à la prison de la Santé.

 

Prison de Fresnes

Le 15 octobre, après un nouveau procès, les cinq jeunes gens sont condamnés à mort par le tribunal de la Luftwaffe et transférés à la prison de Fresnes. Ils poursuivent leur action au sein même de la prison où ils s’efforcent de rallier leurs gardiens et refusent de recevoir la visite de l’aumônier allemand car il porte l’uniforme SS. Considérés comme fortes têtes, ils sont privés de courrier et de visites. Jacques Baudry et Lucien Legros tentent à deux reprises de s’évader mais sont repris in extremis à la dernière enceinte et mis aux fers.

 

Le 8 février 1943, ils sont fusillés au stand de tir d’Issy-les-Moulineaux et enterrés au cimetière d’Ivry.

 

Stand de tir d’Issy-les-Moulinaux transformés en lieu d'exécution

Jean-Marie Arthus, Jacques Baudry, Pierre Benoit, Pierre Grelot et Lucien Legros ont été décorés à titre posthume de la Légion d’honneur, de la Croix de guerre et de la Médaille de la Résistance et cités à l’Ordre de la Nation. Leurs services ont été homologués au ministère des Armées avec le grade d’officier.

Dernières lettres des martyrs de Buffon

« Mes chers parents, chers amis,

C’est la fin… On vient nous chercher pour la fusillade. Tant pis… Mourir en pleine victoire, c’est un peu vexant, mais qu’importe !… Le rêve des hommes fait événement.
Nano, souviens-toi de ton frangin. Jusqu’au bout il a été propre et courageux, et devant la mort même je ne tremble pas.
Adieu, mon vieux papa. Je  te remercie d’avoir été chic avec moi. Garde un bon souvenir de ton fils.
Tototte, Toto, adieu, je vous aimais comme mes autres parents.
Nano, sois un bon fils. Tu es le seul fils qui leur reste, ne fais pas d’imprudence.
Adieu, tous ceux que j’ai aimé, tous ceux qui m’aimaient, ceux de Nantua et les autres.
La vie sera belle. Nous partons en chantant. Courage. Ce n’est pas si terrible après six mois de prison.
Mes derniers à vous tous. »

Pierre Benoit

« Mes pauvres parents chéris,

On va m’arracher cette vie que vous m’avez donnée et à laquelle je tenais tant. C’est infiniment dur pour vous et pour nous. J’ai eu la chance de savoir, avant de mourir, que vous étiez courageux. Restez-le, surtout ma petite maman que je t’embrasse de tout mon pauvre cœur.

Mes pauvres chéris, j’ai accepté le combat, vous le savez. Je serai courageux jusqu’au bout. La guerre sera bientôt finie. Vous serez quand même heureux dans la paix, un peu grâce à moi. Je veux retourner à Douchy (Loiret) à côté de pépère et mémère. J’aurais voulu vivre encore pour vous aimer beaucoup. Hélas ! je ne peux pas ! la surprise est amère. »

Jacques Baudry

« Mes parents chéris, mon frère chéri,

Je vais être fusillé à 11 heures, avec mes camarades. Nous allons mourir le sourire aux lèvres, car c’est pour le plus bel idéal. J’ai le sentiment, à cette heure, d’avoir vécu une vie complète.

Vous m’avez fait une jeunesse dorée; je meurs pour la France, donc je ne regrette rien. Je vous conjure de vivre pour les enfants de Jean. Reconstruisez une belle famille…

Jeudi, j’ai reçu un splendide colis ; j’ai mangé comme un roi. Pendant ces quatre mois, j’ai longuement médité : mon examen de conscience est positif, je suis en tous points satisfait.

Bonjour à tous les amis et à tous les parents.

Je vous serre une dernière fois sur mon cœur. »

 

« Maman chérie, papa et Jacques chéris,

Tout est fini maintenant. Je vais être fusillé ce matin à 11 heures. Pauvres parents chéris, sachez que ma dernière pensée sera pour vous ! Je saurai mourir en Français.
Pendant ces longs mois, j’ai beaucoup pensé à vous et j’aurai voulu plus tard vous donner tout le bonheur que votre affection pour  moi méritait en retour. J’ai rêvé tant de choses pour vous rendre heureux après la tourmente. Mais, hélas ! mes rêves resteront ce qu’ils sont.
Je vous embrasse beaucoup, beaucoup. La joie de vous revoir m’est à jamais interdite. Vous aurez de mes nouvelles plus tard.
Je vous embrasse encore et toujours, mes parents chéris. Gardez toujours dans votre cœur mon souvenir…
Adieu maman, papa, Jacques chéris, adieu ! »

Pierre Grelot

La vie sera belle, Edwin Bailey, 2007

 
Qui étaient ces hommes et ces femmes, entre quinze et vingt cinq ans pour la plupart d’entre-eux, qui risquèrent leur vie pour chasser l’occupant nazi et construire une société plus juste, plus humaine ?

Durant l’Occupation, la peur et l’insécurité croissent à mesure que les tensions augmentent. Dans ce contexte, une seule alternative possible : il faut adhérer ou résister, en d’autres termes subir ou agir. Ainsi, au lycée Buffon, cinq élèves décident, à la fin de l’année 1941, de partir en guerre contre l’occupant.  

La verte moisson, F. Villiers, 1959


L’histoire est directement inspirée de celle de cinq élèves du lycée Buffon, à Paris, engagés dans la Résistance dès 1941 et fusillés en 1943 : Jean-Marie Arthus (18 ans), Jacques Baudry (21 ans), Pierre Benoît (18 ans), Pierre Grelot (20 ans) et Lucien Legros (19 ans).

Synopsis :

A Pontoise, pendant l’Occupation, les élèves d’une classe de première forment un groupe de Résistance. Ayant conçu le projet d’attaquer la kommandantur, il tuent un soldat allemand pour s’emparer de ses armes. Une maladresse provoque leur arrestation. Torturés, ils ne parlent pas. Chez l’un d’eux, le plus insouciant du groupe, Robert Borelli (Claude Brasseur), une arme volée est retrouvée lors d’une perquisition. L’inspirateur de l’action, Olivier Guerbois (Francis Lemonnier) se dénonce pour ne pas le laisser seul assumer l’engagement de tous. Les deux jeunes gens sont fusillés.  

Le poème de Paul Eluard

Poème de Paul Éluard, ami de la famille Legros, en hommage à Lucien et à ses camarades, 1944.

La nuit qui précéda sa mort
Fut la plus courte de sa vie

L’idée qu’il existait encore
Lui brûlait le sang aux poignets

Le poids de son corps l’écœurait

Sa force le faisait gémir

C’est tout au fond de cette horreur qu’il a commencé à sourire
Il n’avait pas UN camarade
Mais des millions et des millions

Pour le venger il le savait

Et le jour se leva pour lui.