LA TECHNIQUE

  • La technique, une spécificité humaine ?
  • La technique libère-t-elle ou asservit-elle les hommes ? 
  • La technique est-elle réalisation ou destruction de l’humanité ?  
  • La technique résout-elle les problèmes ou en crée-t-elle davantage ? 
  • Peut-on gouverner la société à l’aide de techniques ?
  • L’homme peut-il devenir le produit de ses techniques ?
  • Est-il légitime de limiter le développement technique ?

DEFINITIONS

Technique vient du grec

  • Technein = fabriquer, produire, construire
  • Teknê = art (au sens de artifice), habileté

Définition Lalande : “Les techniques sont des procédés bien définis et transmissibles destinés à produire certains résultats jugés utiles”. 

  • Ensemble des moyens artificiels utilisé par l’homme pour produire des objets qui n’existent pas dans la nature. Et qui augmentent sa puissance ou   lui rendent la vie plus facile.
  • Est considéré comme « technique » ce qui est acquis et transmis par le milieu social (Différence avec l’ instinct qui n’est pas acquis). Pas de société humaine sans technique.
Tonnelier

La technique, est donc une action qui a pour but la production d’un objet ( qui peut être aussi bien une cafetière, un satellite, une œuvre artistique…), réalisé à partir de procédés spécifiques.

Bah oui ! On ne fabrique pas une œuvre littéraire avec les mêmes spécificités qu’une cafetière… 

Donc la technique n’implique pas seulement des connaissances, un savoir théorique, mais aussi des savoir-faire.

Il faut aussi différencier l’instinct, d’un savoir conscient et volontaire. Un animal peut par instant construire un piège (l’araignée) mais quand l’homme construit un piège, il y a conscience. Il pourra définir, transmettre apprendre la construction du piège et l’adapter : « L’invention même non éphémère d’un individu, si elle n’est pas effectivement acquise et transmise par le milieu social n’est pas technique. » Ducassé Histoire des Techniques. 1945.

Barrage de castors

Par technique, on entend :

 Objets techniques ou moyens matériels employés en vue de la réalisation d’une tâche. Il s’agit des outils et des machines, ainsi que des instruments. 

Procédés ou méthodes non-objets : Techniques purement intellectuelles, techniques inscrites par apprentissage dans le corps : les techniques du corps dont parle Mauss (manger, s’asseoir, marcher, faire l’amour, …)

  Ce sens correspond à l’étymologie du mot technique qui vient du grec techné, qui signifie habileté acquise ou art au sens de savoir-faire. 

Buts de la technique :

Procédé permettant d’atteindre un but / produire des objets susceptibles de faciliter la vie de l’homme, produire plus en travaillant moins, maitriser notre environnement, vivre plus longtemps, plus beau…

Donc but UTILITAIRE (différence avec l’art), EFFICACITE

La technique ajoute  quelque chose au réel en le transformant, en le modifiant, en infléchissant son cours spontané ou naturel. La technique a donc un rapport au réel ou à la nature qui est essentiellement un rapport de TRANSFORMATION. 

  • L’arbre a son principe d’existence en lui-même
  • La cafetière a son principe d’existence hors de soi, elle nait de l’esprit et la main de l’homme.

On parlera donc de technique pour désigner dans toutes les activités humaines soit les moyens de produire des objets qui ne sont pas naturels, soit les moyens de résoudre un problème que l’homme rencontre dans son existence. 

 

Quelques différences

Technique/ technologie

  • La technique relève du savoir-faire  
  • La technologie peut se définir comme le point de rencontre de 3 domaines qui impliquent un usage technique de plus en plus important : La science, l’économie, le politique (et militaire)

Technique / science :

La science : connaissance pure ; Son but est de connaître ce qui est. Elle recherche des lois qui régissent les rapports entre les objets qu’elles analysent. Les sciences   recourent à des expérimentations comme moyens de tester les hypothèses, les théories conçues pour expliquer le réel.  

La technique est historiquement aussi vieille que l’homme :   homo habilis, (l’homme habile de ses mains), celui qui utilise des outils.

La technique a beau être considérée comme la mise en application des découvertes scientifiques,  elle apparaît pourtant  avant la science. 

INTRODUCTION

Le mythe de Prométhée

Prométhée a volé le feu aux Dieux pour le donner aux hommes. Il sera puni par Zeus, il sera enchaîné à un rocher, un vautour viendra lui dévorer le foie chaque jour. 

Mais grâce à son geste, les hommes auront « l’intelligence qui s’applique aux besoins de la vie » : c’est-à-dire la technique. 

Par elle, il s’émancipe, et se pense et se vit comme différent du reste de la nature, seul à être doté d’une puissance créatrice et destructrice.

Prométhée est un personnage ambivalent : habile audacieux, bienfaisant envers les hommes mais en même temps son orgueil et son audace lui valent le châtiment divin. Une figure qui finalement ressemble à l’homme lui-même lorsqu’il veut devenir l’égal du dieu créateur.

QUAND LA PUB S’EMPARE DU MYTHE DE PROMETHEE…

Le mythe raconté par Platon dans Protagoras :

Ce mythe très connu de Platon donne à l’homme une place très particulière.

Certes, l’homme est mortel et à ce titre il est une espèce naturelle comme les végétaux ou les animaux il s’oppose aux dieux qui est sont immortels. Mais parce qu’Épiméthée n’a pas correctement réalisé sa tâche, c’est-à-dire donner aux hommes les attributs qui auraient assuré leur survie, l’acte de Prométhée va donner à l’homme l’intelligence technicienne  puis, par l’intervention d’Hermès,  l’intelligence  politique et morale ,  sans lesquelles il ne peut y avoir de société.

L’homme paraît donc dans le mythe doté d’une particularité, d’un statut particulier qui lui donne une dimension de supériorité.

L’homme serait donc celui qui produit de la culture, invente des religions et organise des mondes sociaux. Il n’y a pas de société humaine sans technique sans art, sans religion… Et  ce mythe place l’homme, qui est un animal, à un autre niveau du règne animal. En fait, son manque originel va se transformer en force, en avantage sur les autres espèces. C’est parce qu’il est indéterminé que l’homme va créer un « monde artificiel dans lequel la dimension institutionnelle est essentiel » (…) « La société joue pour chat comme le rôle de l’espèce pour l’animal » écrit Leroi-Gourhan

LA TECHNIQUE, UNE SPECIFICITE HUMAINE ?

Le mythe fait apparaître la technique comme une nécessité pour l’homme. 

Selon le mythe de Prométhée, l’espèce humaine, seule, a reçu l’habilité technique. Elle ferait exception, par sa capacité à manier l’outil et à fabriquer. C’est l’Homo faber dont parlera Bergson.

 

Aristote et la main...

Prothèse début XX°

Pour un philosophe comme Aristote, le corps humain est fait pour la technique, et tout spécialement la main parce que comme elle n’a pas de fonction propre, elle peut servir à toutes les fonctions de l’intelligence. Pour lui c’est parce que l’homme est intelligent qu’il a une main or, « La nature ne fait rien en vain » (Vision d’Aristote peu acceptable aujourd’hui car elle ne tient pas compte de l’évolution…)

« Ce n’est pas, affirme-t-il, parce qu’il a des mains que l’homme est le plus intelligent des êtres, mais parce qu’il est le plus intelligent des êtres qu’il a des mains. En effet, l’être le plus intelligent est celui qui est capable de bien utiliser le plus grand nombre d’outils : or, la main semble bien être non pas un outil, mais plusieurs. Car elle est pour ainsi dire un outil qui tient lieu des autres » (Aristote, Les parties des animaux)

Aristote refuse l’idée du mythe de Prométhée, où l’outil et la technique servent à compenser la faiblesse originelle de l’homme. Pour le philosophe, que l’homme soit le seul animal à disposer d’un instrument prolongeant sa raison est bien au contraire la marque d’une certaine perfection. Ce lien essentiel entre l’intelligence humaine et la main signifie que la technique et les outils ne sont qu’un déploiement de la nature de l’homme.

Leroi-Gouhran : l'affaiblissement de l'intelligence

On retrouve  aussi l’importance de la main et son rôle chez Leroi-Gouhran. Pour luil’homme en se redressant, a libéré la capacité de son cerveau et de ses mains. Mais l’âge des machines risque d’affaiblir l’intelligence des individus… La main n’est plus un organe fabricateur, mais plutôt presque un organe au service de la machine. 

« La main à l’origine était une pince à tenir les cailloux, le triomphe de l’homme a été d’en faire la servante de plus en plus habile de ses pensées de fabricant. Du Paléolithique [1] supérieur au XIXe siècle, elle a traversé une interminable apogée. Dans l’industrie, elle joue encore un rôle essentiel, par quelques artisans outilleurs qui fabriquent les pièces agissantes des machines devant lesquelles la foule ouvrière n’aura plus qu’une pince à cinq doigts pour distribuer la matière ou un index pour appuyer sur le bouton. Encore s’agit-il d’un stade de transition, car il n’est pas douteux que les phases non mécaniques de la fabrication des machines s’éliminent peu à peu.{C}

  Il serait de peu d’importance que diminue le rôle de cet organe de fortune qu’est la main si tout ne montrait pas que son activité est étroitement solidaire de l’équilibre des territoires cérébraux qui l’intéressent. « Ne rien savoir faire de ses dix doigts » n’est pas très inquiétant à l’échelle de l’espèce car il s’écoulera bien des millénaires avant que régresse un si vieux dispositif neuro-moteur, mais sur le plan individuel, il en est tout autrement. Ne pas avoir à penser avec ses dix doigts équivaut à manquer d’une partie de sa pensée normalement, philogénétiquement [2] humaine. Il existe donc à l’échelle des individus sinon à celle de l’espèce, dès à présent, un problème de la régression de la main.”

André Leroi-GourhanLe Geste et la Parole, 1965, tome II, chap. 8, Éd. Albin Michel, p. 61-62.

Bergson et l'homo faber

Bergson aussi  voit la technique comme une spécificité de l’Homme mais pour lui c’est parce que  l’intelligence humaine est d’abord une intelligence technique (produire des outils)/ l’homme est un homo faber. Et c’est parce qu’il est homo faber qu’il est homo sapiens (homme « intelligent, sage, raisonnable, prudent »).

L’homme a en permanence des outils disponibles qu’il peut faire collaborer avec d’autres outils. Rien d’occasionnel comme chez certains animaux.

 « L’intelligence. est la faculté de fabriquer des objets artificiels, en particulier des outils à faire des outils, et d’en varier indéfiniment la fabrication »

Bergson, in L’évolution créatrice, 1907

La technique naturelle à l'homme ?

Se pourrait-il alors que  la technique soit inhérente à l’homme ?

Si l’on en croit Merlau-Ponty, on ne peut séparer chez l’homme ce qui appartient au culturel et ce qui appartient au naturel. La technique – qui appartient à la culture- est donc indissociable de l’homme…

Ainsi, la culture, donc la technique, comme d’autres comportements, serait une composante intrinsèque de l’homme, enrichie par des siècles d’évolution. L’homme alors serait naturellement technicien… La technique serait le propre de l’homme, une caractéristique biologique ; la technique serait son outil comme les griffes sont celles du lion… Un homo faber , un homme artisan…

Le fait est que l’homme est toujours déjà outillé. La présence humaine dans l’Histoire est toujours marquée par l’objet. 

Ainsi « Tout est fabriqué et tout est naturel chez l’homme…. » écrit-il dans Phénoménologie de la Perception(1945)

Il est impossible de superposer chez l’homme une première couche de comportements que l’on appellerait « naturels » et un monde culturel ou spirituel fabriqué. Tout est fabriqué et tout est naturel chez l’homme, comme on voudra dire, en ce sens qu’il n’est pas un mot, pas une conduite qui ne doive quelque chose à l’être simplement biologique – et qui en même temps ne se dérobe à la simplicité de la vie animale, ne détourne de leur sens les conduites vitales, par une sorte d’échappement et par un génie de l’équivoque  qui pourraient servir à définir l’homme ».

Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception (1945)

Existe-t-il une technique chez l'animal ?  

Mais depuis quelques décennies, l’éthologie (Étude du comportement animal) a montré que les animaux (du moins certaines espèces) utilisaient des outils. Mais les utiliser, ne signifie pas les fabriquer. Des objets déjà existants sont utilisés. Il faudra néanmoins ne pas confondre ce qui relève de l’instinct et ce qui relève de la techniqueDe manière traditionnelle, on désigne par le terme d’instinct un comportement inné, régulier, qui ne nécessite aucune transmission ni aucune réflexion pour être mis en œuvre.

Par ailleurs l’animal n’a pas de machine qui travaillent « à sa place » pour la chasse, la pêche ou même la reproduction !

  • L’éponge que le Dauphin utilise pour racler les fonds marins sans s’abimer le museau.
  • Le principe du marteau et de l’enclume utilisé par les grands singes pour casser des noix.
  • L’utilisation à des fins de protection ou de camouflage que la pieuvre fait de coquillages, noix de coco…

De plus, certaines espèces transmettent à leur clan des techniques apprises.   

Une araignée fait des opérations qui ressemblent à celles du tisserand, et l’abeille confond par la structure de ses cellules de cire l’habileté de plus d’un architecte. Mais ce qui distingue dès l’abord le plus mauvais architecte de l’abeille la plus experte, c’est qu’il a construit la cellule dans sa tête avant de la construire dans la ruche. Le résultat auquel le travail aboutit, préexiste idéalement dans l’imagination du travailleur. Ce n’est pas qu’il opère seulement un changement de forme dans les matières naturelles ; il y réalise du même coup son propre but dont il a conscience, qui détermine comme loi son mode d’action, et auquel il doit subordonner sa volonté.

Karl Marx, Le capital, 1867, trad. J. Roy, Éditions sociales, 1950.

Peut-on parler de création d’outils chez les animaux ? Certains animaux emploient des cailloux, des brindilles, pour briser ou pour ramasser quelque chose. Les corbeaux des villes fouillent les poubelles des humains et ramassent des objets, comme des cintres par exemple, qu’ils tordent avec leur bec et utilisent ensuite pour construire un nid par exemple.

La pêche aux insectes est une des pratiques les plus étudiées chez les chimpanzés. Elle concerne surtout les femelles, les mâles préférant la technique moins délicate […]. Quand elle veut pêcher, la femelle chimpanzé commence par repérer un nid, souvent déjà connu et exploité par le groupe. Elle cherche alors une brindille dans les arbres alentour, la casse, la débarrasse éventuellement de ses feuilles et de son écorce et la taille à la bonne longueur avec, pourquoi pas, un bout pointu. Elle retourne alors au nid, fait la queue si un collègue est déjà à table puis, son tour venu, plonge son outil dans les galeries pleines d’insectes.

 La pêche est-elle une pratique culturelle des chimpanzés ? Cela se pourrait. D’une part, toutes les populations ne pêchent pas à l’aide de baguette : dans la forêt de Taï, en Côte d’Ivoire, on ne pêche des termites qu’avec les bras. D’autre part, dans les groupes utilisant une baguette, les techniques de préparation varient d’un lieu à l’autre. La plupart du temps, l’extrémité de l’outil est pointue, sans effilochage, pour une progression optimale dans les galeries. Si elle est usée, le pêcheur la mordille pour la remettre à neuf. Mais un groupe vivant en République démocratique du Congo (RDC) fait exactement le contraire : ses membres abîment volontairement la pointe, à la main et avec les dents, pour l’effilocher et s’en servir comme brosse ! Ils passent régulièrement la baguette dans le creux de leur main pour ranger les fils, comme un peintre recoiffe son pinceau ébouriffé. Un tel outil peut même être exploité de plusieurs manières, la plus sophistiquée consistant à user du « manche » pour agrandir l’entrée de la galerie, puis de la brosse pour ramasser les termites. Au final, ce groupe vivant en RDC a développé une technique de pêche unique au monde… 

Damien Jayat, « La pêche aux insectes : pratique culturelle des chimpanzés ? », Futura-

« On sait aussi que les chimpanzés ou les dauphins et d’autres espèces possèdent des formes de conscience de soi, qu’ils savent innover et se transmettent des techniques de chasse ou des façons de s’alimenter (ce que l’on nomme “cultures animales”). Enfin, en trente ans d’expérience d’enseignements du langage à des gorilles, des chimpanzés ou des bonobos, il est apparu que la frontière linguistique et symbolique entre les animaux et les hommes était moins nette qu’il n’y paraissait. »

J.-F. Dortier, L’homme, cet étrange animal 

LA TECHNIQUE RESOUT-ELLE LES PROBLEMES OU EN CREE-T-ELLE DAVANTAGE ?

Dans son Discours de la méthode en 1637, Descartes invite les hommes à se rendre comme maîtres et possesseurs de la nature  Pour lui, la technique a pour fin la résolution des problèmes et l’amélioration des conditions de vie humaine. Particulièrement en ce qui concerne les progrès en médecine. Il nous faut donc bien connaitre la nature pour la « dominer » . Aujourd’hui, on lit cette formule comme le manifeste de la démesure humaine contemporaine, liée au progrès. Mais attention au contresens ! Descartes n’a jamais connu l’ère de la révolution industrielle. Pour le philosophe du XVIIe siècle, cette phrase exprimait un rêve de libération de l’homme de l’emprise d’explications magiques de la nature, de voir enfin arriver le règne de l’homme qui, par les arts mécaniques, allait enfin pouvoir avoir une maîtrise de son environnement. 

Rembrandt, La Leçon d'anatomie

Descartes : “Se rendre comme maîtres et possesseurs de la nature” (Podcast)

La loi de Gabor

Dennis Gabor (1900-1979), ingénieur et physicien d’origine hongroise est l’inventeur de l’holographie (Nobel de physique en 1971). On lui attribue la citation suivante : « Tout ce qui est techniquement faisable doit être réalisé, que cette réalisation soit jugée moralement bonne ou condamnable. »

 Pour les GAFAM , à ce niveau, on est un peu dans le “no limit”. La seule limite est la règle des autres, des états, des politiques. Il ne faut pas se leurrer, ces entreprises ont un problème : l’état qui définit les règles.   Les GAFA doivent réaliser leurs avancées techniques et l’état tend à les en empêcher (du moins jusqu’à il y a quelques années).  

La première phase de contact entre ces deux mondes (industriel et politique) a consisté en une lutte sans merci. Peter Thiel (PayPal) déclarait en 2009 qu’une “course à mort” était engagée “entre la technologie et le politique”.  

Clonage
Auschwitz
Chien robot dans les rues de Shangaï, Chine 2022

Dans un deuxième temps, celui qui nous occupe aujourd’hui, les dirigeants de ces entreprises colossales sont plus subtils. En 2014, Larry Page balance : “Il y a beaucoup de choses à faire (…) mais nous en sommes empêchés parce qu’elles sont illégales”. Il n’y a qu’un pas pour penser la suite : «rendons-les légales”. Prendre le pouvoir plutôt que le détruire, voilà la solution. En 2017, Zuckerberg a bouclé un tour d’une trentaine d’états américains pour rencontrer le peuple et présenter sa fondation et ses convictions politiques. Droit des minorités, fiscalité, gouvernance, écologie ou éducation : tout y est passé. Un comité de soutien a même été créé pour soutenir sa candidature en 2020, ou au moins le pousser à un rôle actif dans la future campagne américaine. Je ne peux m’empêcher de penser que les GAFAM vont devoir, à un moment, prendre le pouvoir politique. Car les avancées transhumanistes que leurs dirigeants souhaitent ne sont pas pour demain. Il faut du temps et des mains libres. La règle de Gabor est bien plus simple à appliquer lorsqu’on contrôle le pouvoir. Sans compter que le chinois n’a pas ce genre de problème. Ce concurrent inquiète d’autant plus qu’il est complètement décomplexé dans la deuxième partie de la phrase : «que cette réalisation soit jugée moralement bonne ou condamnable.»

  Le cinquième pouvoir est déjà sous contrôle. Les médias, exsangues et perfusés de subventions, ont vu leurs recettes publicitaires s’effondrer. En 2013 en France, un “Fonds pour l’innovation numérique de la presse” a été créé par Google. L’expérience a été tellement riche que ce fonds a été retoqué en 2016 en “Digital News Initiative” européen, histoire d’élargir le cercle des financés qui feront gentiment partie de la galaxie Google.

Toutes les affaires (Sénat, Parlement Européen, RGPD et les futures…) montrent bien que les politiques ont vu arriver le danger, leur perte de pouvoir imminente, la volonté d’une “nation start-up” portée par les GAFA.

Au lieu de se focaliser sur leur déclin, tout ce beau monde ne ferait-il pas mieux de réfléchir à un autre mot de la règle de Gabor : « moralement» ?

D’après un article de Stéphan LE DOARÉ

LE PROGRES TECHNIQUE EST-IL UNE MENACE ?

« Science sans conscience n’est que ruine de l’âme » Rabelais

Technique et nature :

D’abord la « nature », comme écosystème terrestre (c’est-à-dire la mince couche superficielle de notre planète ,de -10 km à +30 km par rapport à la surface des océans). Or, cet espace s’est développé sous la forme d’un   système auto-régulé dans lequel chacun des éléments occupe une place, a une fonction.

Par rapport à cela, l’activité́ technique humaine consiste essentiellement à nier ces formes. L’homme technicien ne voit pas la nature comme un système mais comme un réservoir,   de matière et d’énergie.

Déboisement Amazonie
Chine, barrage des Trois-gorges

Ainsi, pour Heidegger la technique est une façon de penser le rapport de l’homme au monde ; il considère que le rapport fondamental de l’homme à la nature est un rapport d’arraisonnement, de domination (l’être humain soumet la nature à sa propre logique, à sa propre raison). Heidegger prend l’exemple du fleuve capté, arraisonné et sommé de devenir un réservoir d’énergie électrique (par exemple, le plus grand barrage au monde : le Barrage des Trois-Gorges en Chine). …   La technique nous conduit a envisager société, la nature et l’homme comme ce sur quoi l’homme va intervenir de façon agressive et dominatrice. Il traite tout ce qui est, même lui-même comme utilisable, provoquant à plus ou moins long terme une destruction de l’environnement voire une disparition de lui-même.Il y a donc risque majeur !

 

De plus,la technique nous enferme dans une pensée utilitaire qui nous empêche de réfléchir au sens d’une vie authentique. Et ce qui nous menace c’est le vide spirituel, la suprématie des valeurs matérialistes. Le danger pour Heidegger c’est la pensée « calculante », technicienne prenant le pouvoir sur la pensée « qui médite » celle des artistes et des philosophes.

 En fait, parler de protéger la nature ,n’a pas de sens : Le problème   est avant tout un problème humain (La planète n’aurait besoin que de quelques milliers d’années pour se régénérer). En perturbant nos eco-systemes au nom du progrès, par un trop rapide développement de l’humanité, l’homme met en danger l’humanité elle-même.

Technique et société :

La technique détermine l’évolution des sociétés. Par exemple, l’apparition de l’imprimerie et quelques siècle plus tard de l’informatique puis d’Internet ont totalement bouleversé nos sociétés.

Platon en dénonçait déjà le danger . (cf. aussi loi de Gabor)  

« Tel homme est capable de créer les arts, et tel autre est à même de juger quel lot d’utilité ou de nocivité ils conféreront à ceux qui en feront usage. »

Pour lui c’était donc au politique[1] de décider du bien-fondé d’une technique. C’est le thème du mythe du roi Thamous cité dans son Phèdre :

 

Premières écritures

Le Roi Thamous, dans le mythe du Phèdre,  examine  les techniques et décide de les autoriser ou non.   Il considère que certaines sont utiles et d’autres nuisibles. Il va ainsi refuser l’art qu’apporte Teuth, l’inventeur de l’écriture, car il voit dans cette technique une menace de destruction de la mémoire et un péril pour la pensée vivante. Il y voit le risque d’une aliénation.  

Effectivement, si c’est le   possible qui détermine ce qui est humainement souhaitable et non l’inverse, il n’y a plus de limite .

[1] Pour Platon, c’est aux philosophes qu’il revient de gouverner

  Jacques Ellul, 20 siècles plus tard,  écrira  dans Le Système Technicien « Ce qui est maintenant possible par l’effet des techniques modèle le désir et l’opinion publique se forme à partir de là. »

Et il donne pour cela l’exemple de la construction automobile : les accidents de voiture sont très souvent causés par les excès de vitesse : il suffirait donc que les constructeurs brident les moteurs ! Mais cela ne se fait pas car «   ce qui est techniquement possible exerce une pression de nécessité (…)   et l’opinion à son tour ne supporterait pas que les constructeurs limitent la vitesse des engins fournis, et que ne soit pas réalisé ce qui est possible. »

Ellul va plus loin encore en affirmant que l’homme, notamment à travers ses modes de communication actuels, « a cessé d’être dans le milieu « naturel » » auquel s’est substitué le « milieu technicien ».   

Moulin à bras

Karl Marx,() le père du communisme,  au XIXème, pensait lui aussi que  ce qui construit le visage d’une société, c’est sa technique. « Au moulin à bras correspond la société féodale. Au moulin à vapeur la société bourgeoise »

Au 19e le passage de la société artisanale à la société industrielle est la preuve visible de cette idée. La fin de l’esclavage est dû en priorité à l’invention de machines plus performante que les esclaves et non pas à de grandes valeurs humaines !

La technique modifie donc l’environnement de l’homme, ses besoins, sa relation aux autres hommes et au monde mais aussi sa relation à lui-même !

 Technique et pouvoir

Dans Technopouvoir. Dépolitiser pour mieux régner (Les Liens qui Libèrent, 2019), Diana Filippova, définit la notion de technopouvoir” : il renvoie au « répertoire d’actions, stratégies et tactiques qui se fondent sur les techniques pour nourrir ceux qui exercent le pouvoir ou qui veulent le conquérirL’objectif des technologies numériques est de faire advenir l’Homo Oeconomicus, ce que j’appelle “l’homme sans qualité”. C’est un homme sans subjectivité qui se réduit à l’homme data, gouvernable et prévisible, ce qui est très pratique pour le pouvoir ».

Chine, la notation des citoyens…

 Elle rejette de ce fait l’idée selon laquelle il y aurait une neutralité de la technique et montre aussi que la technique et aujourd’hui la technologie, parce qu’elle contribue à   l’étouffement de toute forme de contestation dans l’espace public en procurant une impression de bien-être au citoyen lambda, elle encourage en fait la guerre de tous contre tous et la dissolution des relations dans l’intérêt des pouvoirs : « La neutralité technologique est une fiction, une illusion. La technologie n’a jamais été neutre. Elle a été instituée dans une certaine violence contre l’environnement, contre les corps, et donc jamais de manière neutre. »

L’un des points extrêmes d’une technique au service du pouvoir est tristement illustrée par les crimes du III° Reich.  l’avènement de la technique constitue le phénomène central des temps modernes mais elle présente un danger majeur, celui d’être considéré  comme un simple objet pour la volonté. La volonté de maîtriser le monde n’est plus désormais au service d’une émancipation de l’humanité, mais elle se retourne contre l’homme lui-même. « L’homme suit son chemin à l’extrême bord du précipice, il va vers le point où lui-même ne doit plus être pris que comme fonds disponible » (Heidegger). Heidegger illustre ce danger avec les camps d’extermination, une mise en œuvre de la technique qui a précisément appliqué à l’homme l’approche technicienne du monde.

Cf. Le plan D’Auschwitz-Birkenau qui est …inhumain mais parfaitement ordonné !

L’homme sans responsabilité :

C’est l’exemple par excellence de la technique mise au service de l’inhumanité.

Jacques Ellul rapporte dans une interview les propos du directeur du camp de Bergen-Belsen au procés de Nuremberg à qui on demandait s’il n’était pas effrayé par tous ces cadavres. Il aurait répondu : « Mais que voulez-vous ! Les fours crématoires étaient insuffisants. Je n’arrivais pas à bruler tous les cadavres et ça me créait des difficultés extraordinaires..Je n’avais pas le temps de penser aux gens qui mourraient. Moi ce qui m’interessait, c’était le problème technique de mes fours crématoires. ». Ainsi,  le XX° voit donc un renversement de la raison ; Il y a dissociation entre progrès technique et progrès moral.

Ellul y voit l’exemple extrême de l’homme totalement irresponsable qui n’a qu’une tache technique à faire et que le tout le reste n’intéresse pas… (Voir le procès Eichmann et l’idée de banalité du mal chez Arendt))

Enfin, pour Ellul,  le technicien politique (le technocrate) a de plus en plus d’influence sur les décisions prises par les gouvernants. Or ces 2 dernières années illustrent parfaitement cette idée : la pandémie de Covid a été gérée par des technocrates !

Ellul écrit dans La technique, « Le phénomène technique est la préoccupation de l’immense majorité des hommes de notre temps de rechercher en toutes choses la méthode absolument la plus efficace » . Ainsi, la modernité se caractérise par l’accession progressive au monopole d’un seul et unique critère de jugement, l’efficacité.

Mais cette course à l’efficacité modifie la société et les hommes. La technique est ce qui permet de  « transformer toute chose en moyen ». Par ailleurs, toute découverte en appelle d’autres … .

Elle modifie l’homme et la société parce qu’en développant l’automatisation, elle aliène l’homme, donne à l’Etat une place grandissante puisque la technique moderne ne peut se répandre sans son soutien. Et trop de technique peut vite faire basculer l’État démocratique en un État totalitaire (voir Chine).

Par la technologie, l’Etat   intervient alors dans tous les domaines (armement, communication, santé, transports, réseaux électriques, etc.) et tente de diriger l’opinion par une propagande qui ne dit pas son nom.    

Edward Snowden, lanceur d’alertes

Technique et rapport de l’homme au monde et à lui-même

Pour Jean Baudrillard, le « crime parfait », c’est l’extermination du principe d’illusion du monde par sa réalisation concrète et technologique. C’est comme pour le phantasme : ce qui le fait disparaître c’est sa réalisation. Ce à quoi nous assistons c’est à la réalisation du monde, au triomphe du principe de réalité qui devient notre seul repère, notre seul horizon. C’est ce qu’a tenté de mettre en image le film Matrix : un monde entièrement modélisé, digitalisé, numérisé, virtualisé… dans lequel l’homme n’est plus qu’un terminal du système global.

 

L’homme augmenté et le transhumanisme[1]

Le geste technique a transformé et transforme encore le corps de l’homme et son esprit.

La capacité  d’intervenir sur le corps humain est en constante évolution. La science est aujourd’hui si puissante qu’elle pose des problèmes éthiques (la réflexion rationnelle sur ce qui est bien et ce qui est mal).

Il ne faudrait pas oublier que c’est au nom de la science (Eugénisme[2]) que les nazis ont éliminés des milliers d’individus jugés indignes de vivre en raison de leur handicap (Opération T4) et des millions d’autres au nom d’une pseudo-science qui mettait en avant la supériorité de la race aryenne…

Opération T4

Entre 1939 et 1941, au moins 200 000 handicapés physiques et mentaux sont assassinés dans le cadre de “l’Opération T4”. Le neurologue Julius Hallervorden participe à cet assassinat de masse pour récupérer les cerveaux de 690 victimes et accélérer ainsi ses propres recherches.

Après la guerre, il poursuit une brillante carrière, sans être jamais inquiété, et meurt couvert d’honneurs.

Le programme “T4”, consistait à éliminer les handicapés physiques et mentaux et les personnes considérées comme inutiles et “asociales” par le régime nazi.

Max More, un philosophe transhumaniste affirme que « La technologie est l’extension naturelle et l’expression de la volonté et de l’intellect humains, de la créativité, de la curiosité et de l’imagination. Nous prévoyons et encourageons le développement d’une technologie toujours plus flexible, intelligente, et réactive. Nous coévoluerons avec les produits de nos esprits, nous intégrant avec eux, intégrant finalement notre technologie intelligente en nous-mêmes dans une synthèse posthumaine, amplifiant nos capacités et étendant notre liberté. »

La technologie est vue non comme une fin en soi, mais comme un moyen d’améliorer la vie, de transcender les limites naturelles de nos déterminations biologiques et culturelles.

Max More   ne souhaite pas être assimilé à Hitler. Pourtant , la seule différence entre eux c’est que pour Hitler le « surhomme » se réalisera par la contrainte et pour More, librement. 

Le corps humain ne serait plus alors le résultat de l’évolution biologique, mais le produit de l’évolution technologique.

Les recherches sur le transhumanisme sont largement subventionnées par le GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon), qui ont de très gros moyens financiers. De plus, les GAFA sont des supporters très actifs du transhumanisme et n’hésitent pas à embaucher ses principaux théoriciens à des postes importants.

Ce sont les mêmes qu’on retrouve chez Pfizer ou Mc Kinsey… Je dis ça, je dis rien !🤫

L’augmentation humaine, moyen de triompher des limitations humaines  par des moyens technologiques, a toujours fait partie de nos désirs. Dans l’Antiquité, des prothèses d’orteils artificiels, par exemple, étaient parfois placés sur les momies égyptiennes, ou enterrés avec elles, pour hâter leur passage dans l’au-delà.

Le Moyen Âge a connu des améliorations supplémentaires avec la création des armures, d’armes sophistiquées, des lunettes ou encore du papier, et l’époque moderne est allée plus loin encore avec l’invention des ordinateurs, des téléphones portables, et de microscopes et de télescopes de plus en plus complexes.  

Prothèse d'orteil, Egypte ancienne
L'homme de demain... programmable ?

Mais désormais, au XXIe siècle, les augmentations envisagées vont bien au-delà encore : on parle d’avoir une durée de vie de 150 ans voire plus, de capacités physiques et mentales sans précédent, de traits de caractères susceptibles d’être choisis et contrôlés par tout un chacun. Ce ne sont là que quelques-uns des résultats anticipés des développements technologiques actuels, et plus spécifiquement de quatre technologies émergentes : les nanotechnologies, les biotechnologies, les sciences de l’information et les sciences cognitives. Ces technologies ne sont pas seulement émergentes, mais également convergentes – elles sont étroitement liées les unes aux autres et s’assistent mutuellement de multiples manières. Les partisans de l’augmentation humaine disent qu’elles nous permettront  de triompher de limitations humaines fondamentales comme la maladie, le handicap, la souffrance, la vieillesse et la mort. Au terme de ce processus d’augmentation, les hommes se verront dotés de capacités si radicalement étendues qu’ils ne seront plus des humains du tout, mais des « posthumains ».

Trois types d’augmentation humaine sont particulièrement présentes : 

  • L’augmentation pharmacologique: drogues stimulantes comme la Ritaline et l’Adderrall, utilisées   pour accroître la concentration et rester éveillé, d’autres drogues médicamenteuses  utilisées pour améliorer la mémoire de travail et égayer l’humeur. Les stéroïdes anabolisants utilisés par les athlètes pour décupler leur masse musculaire , accroître l’endurance des muscles . Les bêta-bloquants et autres drogues utilisés pour diminuer l’anxiété et refouler les souvenirs pénibles ; les hormones de croissance humaine utilisées pour augmenter la taille et, chez les personnes âgées, renforcer la force et la masse musculaire ; et bien évidemment le Viagra, si populaire, qui accroît la libido et améliore les performances sexuelles. Le resveratrol  ont le potentiel d’étendre la durée de vie de l’être humain ; la classe des composés chimiques regroupés sous le nom d’ampakines permettrait d’augmenter la capacité de concentration et de vigilance, ainsi que de faciliter l’apprentissage et la mémoire. Et bien d’autres…

 

  • L’augmentation génétique:   Sélection du sexe des enfants ou encore l’exclusion d’une descendance dotée de certaines maladies génétiques, soit par le diagnostic prénatal et l’avortement sélectif, soit par la fertilisation in vitro, le diagnostic génétique pré-implantatoire et la sélection de l’embryon. Certains prédisent même que les technologies du futur permettront d’avoir la mainmise sur bien d’autres caractéristiques, telles que certaines formes d’intelligence, les capacités musicales, certains traits de personnalité, etc.
  • L’augmentation nanotechnologique :  offre les plus grandes promesses concernant l’augmentation humaine. Les nanotechnologies pourraient permettre d’analyser et de réparer n’importe quelle défectuosité physique du corps. À terme, cela signifierait la fin de la douleur, de la maladie et du vieillissement. La recherche actuelle s’intéresse, par exemple, à la conception d’un dispositif de « laboratoire sur puce » qui pourrait exécuter régulièrement l’analyse complète d’une seule goutte de sang, permettant ainsi d’identifier et finalement de prévenir la maladie avant même que les symptômes n’apparaissent. Avec un tel dispositif disponible à grande échelle, la norme de la bonne santé se verrait entièrement transformée. Mais on attend également des nanotechnologies qu’elles rendent possibles des niveaux inédits de conscience et de mémoire, de puissance et de capacité physiques et, bien sûr, qu’elles permettent d’atteindre des niveaux de beauté corporelle qui iraient bien au-delà de ce qui est actuellement réalisable grâce aux cosmétiques et aux techniques de chirurgie plastique.
  • On peut également citer, par exemple, l’augmentation cognitive attendue des recherches actuelles portant sur la stimulation du cerveau, que ce soit par l’implant d’appareils ou par des champs magnétiques générés à l’extérieur du crâne (la « stimulation magnétique transcrânienne »), ou encore sur les interfaces cerveau-machine,

 

 Bien sûr, toutes ces augmentations comportent à la fois des risques et des bénéfices, laissent présager à la fois des pertes et des gains. Certains de ces risques, comme les tumeurs du foie, la pression sanguine élevée et l’infertilité qui peuvent résulter d’une utilisation prolongée des stéroïdes anabolisants, ou bien les effets potentiellement addictifs de la Ritaline, concernent seulement l’individu. Mais il y a d’autres risques qui, eux, ne se limitent certainement pas à la sphère des individus. Par exemple, les nanotechnologies présentent des bénéfices mais également des dangers irréversibles pour la collectivité, tant sur le plan de l’environnement (car elles produisent une toute nouvelle classe de polluants dotés de propriétés inédites et inhabituelles) que de la santé humaine (puisque de nombreux nanomatériaux, en raison de leur petite taille, sont facilement absorbés par le corps et pourraient, par conséquent, générer des effets hautement toxiques au fil du temps).

Enfin, il y a des risques pour le tissu social.

D’une part, le projet d’augmentation humaine, tel qu’il est actuellement poursuivi, menace d’élargir encore plus le fossé entre les riches et les pauvres.

Au fil du temps, le résultat net sera que ceux des classes économiques inférieures seront toujours en moins bonne santé, auront un physique toujours moins attrayant, des facultés cognitives moindres et une moins bonne stabilité émotionnelle : ils seront, à tous points de vue, moins impressionnants que les plus riches, et par conséquent seront de plus en plus désavantagés à l’école, au travail, et dans la société en général.

Il y a encore au moins un autre aspect de la vie sociale auquel le projet de l’augmentation humaine tel qu’il est actuellement mené est susceptible de porter atteinte : rien moins que nous-mêmes, notre estime personnelle et notre liberté de choix. Après tout, l’industrie est le principal bailleur de fonds de la recherche sur l’augmentation, et elle est là pour faire des profits.

Dans un futur proche, la société est divisée en deux : une sous-classe, résultante de naissances naturelles, et une classe dominante, dans laquelle les individus sont nés génétiquement modifiés. Le héros, Vincent, est le produit de la reproduction naturelle et souffre d’une insuffisance cardiaque, lui laissant une espérance de vie de 30 ans. Vincent défie son destin et entre sous une fausse identité à Bienvenue à Gattaca, un programme d’entraînement destiné aux astronautes en vue d’une mission spatiale. Vincent emprunte l’identité génétique d’un athlète paralysé (Jérôme). Lorsque l’un des superviseurs de Gattaca est assassiné, les enquêteurs découvrent la présence de l’ADN réel de Vincent. Il devient suspect et fait tout pour continuer à agir masqué. L’assassin est finalement rattrapé, Vincent dépasse l’âge de 30 ans et parvient à réaliser son rêve d’astronaute.

 

Et la morale dans tout ça ?

Mais surtout, les recherches sur l’augmentation ne se sont pourtant pas sérieusement intéressées à la possibilité d’une amélioration morale. C’est à peine si on a commencé à s’intéresser aux origines et aux mécanismes biologiques sous-jacents de la moralité ; son amélioration n’est donc pas encore à l’horizon. Les augmentations voulues et envisagées jusqu’à présent et pour le futur proche sont au contraire, pour leur grande majorité, des augmentations cognitives, médicales et corporelles, et non des augmentations morales. Le concept de perfection humaine, qui est l’arrière-plan de ces augmentations, néglige totalement la perfection morale. Comment ce projet d’augmentation humaine pourrait-il donc résoudre nos problèmes mondiaux les plus importants ? En fait, il risque de faire empirer ces problèmes. Car les augmentations cognitives, physiques et autres, envisagées dans le projet d’augmentation humaine, vont certainement créer davantage de possibilités pour mal agir, davantage de tentations de mal agir et donc davantage de mal. Encore une fois, la question de la justification des recherches sur l’augmentation, compte tenu de nos besoins 

D’après Janet Kourany, Professeure de philosophie et d’études de genre à l’université de Notre Dame (Indiana)

On voit bien là, que c’est le possible (cf.la loi de Gabor) qui détermine ce qui est humainement souhaitable et non l’inverse.  

Et bien sûr devant de telles questions, se pose le problème éthique lié à l’essor technologique…

 

TECHNIQUE ET ETHIQUE (LA MORALE) 

Le sens de la technique, c’est d’ouvrir le champ des possibles, qu’il soit bon ou mauvais. Donc, la vraie question, c’est celle des fins, celle des buts, celle des objectifs. Une civilisation hyper technologique comme la notre n’est donc pas menacée par la puissance de ces techniques mais par sa difficulté à réfléchir sur les fins qu’elle poursuit (la question éthique).

La technique était censée apporter à l’humanité une amélioration de sa qualité de vie. C’est vrai pour beaucoup mais pas pour tout le monde….

Aujourd’hui, on estime que la faim tue environ  25 000 personnes par jour, dont 10 000 enfants. Pourtant nous polluons l’environnement avec des engrais chimiques, des OGM pour que ça pousse plus vite plus grand plus fort… On est quand même en droit de se demander   au service de qui est la technique. L’augmentation de la qualité et de l’espérance de vie ne concerne qu’une toute petite minorité. La science n’a pas su instaurer un principe d’expertise contradictoire, moduler ses objectifs en faveur de l’intérêt du plus grand nombre, et elle se fourvoie lentement.

Bergson et le "supplément d'âme"

La nécessité d’un “supplément d’âme”

Bergson considère que grâce à la technique, l’homme peut satisfaire ses besoins et libérer du temps à son épanouissement moral mais il considère qu’aujourd’hui, cette finalité de la technique a été détournée.

Plus que de satisfaire les besoins de tous, la technique sert la satisfaction de seulement quelques-uns ; il y a eu rupture d’équilibre !

Comment expliquer cela ? c’est que notre corps s’est infiniment développé, et même de façon démesurée depuis le XIXème, mais pas notre âme ! A ce supplément du corps qu’est la technique,  l’homme n’a pas su associer un supplément d’âme (comprendre par là, un supplément de conscience morale) qui de ce fait  ne réussit plus à soumettre le corps à ses exigences morales : « Or, dans ce corps démesurément grossi, l’âme reste ce qu’elle était, trop petite maintenant pour le remplir, trop faible pour le diriger. D’où le vide entre lui et elle. D’où les redoutables problèmes sociaux, politiques, internationaux, qui sont autant de définitions de ce vide et qui, pour le combler, provoquent aujourd’hui tant d’efforts désordonnés et inefficaces : il y faudrait de nouvelles réserves d’énergie potentielle, cette fois morale. » 

Henri Bergson, Les Deux Sources de la morale et de la religion (1932)

De même chez le sociologue Edgar Morin   qui dans son livre sur l’éthique affirme: “l’éthique est en cours de tarissement. Pourquoi ?  Parce qu’  aux sources  de l’éthique, il y a « la solidarité et la responsabilité » et que nos sociétés individualistes ont perdu ces fondements de la vie communautaire.  La technique a largement contribué à cette perte …

Hans Jonas et le principe de responsabilité

Enfin Hans Jonas pose le principe de responsabilité : peut-être est-il temps pour nous de ne plus suivre la loi de Gaboret de ne pas faire tout ce que l’on peut faire ! Et peut-être temps aussi de réfléchir à une nouvelle éthique, et de prendre nos responsabilités. 

« Le Prométhée définitivement déchaîné, auquel la science confère des forces jamais encore connues et l’économie son impulsion effrénée, réclame une éthique qui, par des entraves librement consenties, empêche le pouvoir de l’homme de devenir une malédiction pour lui. » Hans Jonas, Préface, Le principe de responsabilité,Éthique pour la civilisation technologique.”

Pour Jonas, notre connaissance n’a cessé de grandir et avec elle a grandi notre puissance. Mais puisque l’homme est libre et connaissant, alors, il est responsable. La responsabilité́ marque la nature du lien que l’homme entretient avec ses actes.  Et la question sera aussi de savoir si nous ne sommes responsables que des actes que nous avons directement commis.

Pour lui, nous avons une responsabilité vis-à-vis des générations futures : « Ne sommes-nous pas désormais appelés à une sorte d’obligation radicalement nouvelle, à quelque chose qui n’existait pas autrefois, à savoir, assumer notre responsabilité à l’égard des générations à venir et de l’état de la nature sur terre ? »

Hans Jonas, Une éthique pour la nature.

Or le nouvel impératif affirme précisément que nous avons bien le droit de risquer notre vie, mais non celle de l’humanité; et qu’Achille avait certes le droit de choisir pour lui-même une vie brève, faite d’exploits glorieux, plutôt qu’une longue vie de sécurité sans gloire (sous la présupposition tacite qu’il y aurait une prospérité qui saura raconter ses exploits), mais que nous n’avons pas le droit de choisir le non-être des générations futures à cause de l’être de la génération actuelle et que nous n’avons même pas le droit de le risquer.

Hans Jonas

Cette technologie sur laquelle repose notre confort, dégrade l’environnement et   va jouer sur le long terme un effet bien plus catastrophique. Il s’agit pour lui d’une « apocalypse rampante » et  pour l’éviter nous avons le devoir de limiter ou d’interdire l’utilisation de certaines technologies. Il nous faut aussi repenser nos modes de production, nous extraire de la surconsommation. Bref il nous faut de nouvelles règles de vie compatible avec un nouvel impératif moral « agis de façon que les effets de ton action soit compatible avec la permanence d’une vie authentiquement humaine sur terre » (Jonas)

L’impératif de Kant[1]   concernait  l’universalisme de l’action de l’homme, celui de Jonas s’étend à notre monde et à son avenir.

[1] « Agis de telle sorte que la maxime de ton action puisse être érigée par ta volonté en une loi universelle ; agis de telle sorte que tu traites toujours l’humanité en toi-même et en autrui comme une fin et jamais comme un moyen ; agis comme si tu étais à la fois législateur et sujet dans la république des volontés libres et raisonnables. »

Désormais il nous faut prévoir et anticiper les conséquences de nos choix. Le principe de responsabilité suppose un accord préalable et collectif sur les risques que nous sommes prêts à prendre.

Ce que l’on peut reprocher à Jonas c’est d’utiliser la peur : En effet pour lui, seules des catastrophes pourront nous imposer de modifier nos habitudes de vie, nous faire renoncer à la frénésie de la consommation au profit d’un idéal supérieur, l’aspiration vers le futur, car « qui n’est pas directement menacé ne se décide pas à réformer radicalement son mode de vie. En revanche quand la menace se fait pressante, il en va autrement, tant sur le plan individuel, que collectif ».

Aujourd’hui les menaces qui pèsent sur les générations à venir ne semblent malheureusement pas assez pressantes et ne suffisent pas à inciter les hommes à modifier leurs comportements.

Mais n’est-il   dangereux de vouloir fonder une « éthique » sur la peur, comme le recommande explicitement Hans Jonas et plus encore, préconiser, puis soutenir, une « dictature bienveillante », seule susceptible d’appliquer fermement une véritable politique de responsabilité ?

 

LA QUESTION DE LA RESPONSABILITE

Article Philosophie magazine

Du latin respondere : répondre.

Obligation pour une personne (ou pour un groupe) de répondre de ses actes, d’en reconnaître être l’auteur et donc de les assumer.

Le mot s’utilise en droit mais aussi en morale et en politique.

Juridiquement, la responsabilité est soit civile (obligation de réparer les torts et dommages faits à autrui), soit pénale (obligation de répondre de ses actes délictueux en subissant une sanction prévue par la loi).

On notera que le droit pénal prévoit la dispense de responsabilité pour cause pathologique.

Pour Kant, qui fait dépendre la morale de la raison et de sa capacité à élever la maxime de l’action à l’universel, la responsabilité de l’agent s’adresse à la fois à sa conscience et à l’humanité toute entière.

Pour Kant, chaque action doit être précédée de la question suivante : que deviendrait l’humanité si nous agissions tous comme je m’apprête à le faire? Si je pense voler: qu’arriverait-il si l’humanité entière se mettait à voler? Plus personne ne se ferait confiance et la société, idéalement basée sur les relations de confiance, n’aurait plus de raison d’être. Poser un geste qui pourrait briser l’idée même de société, est un non sens, selon Kant. Pour cela, cette action serait immorale.

 

La pensée écologique, éveillée notamment par Hans Jonas, auteur du Principe responsabilité, étend la responsabilité à la prise en compte des effets de l’action sur les générations futures.

En politique, dans l’ouvrage rédigé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale La Culpabilité allemande, Karl Jaspers défend l’idée d’une responsabilité collective de tout le peuple allemand (et pas seulement des dignitaires nazis ou de leurs partisans), dans les crimes commis contre les minorités au nom d’une idéologie raciste.

Du point de vue de l’action gouvernementale, Max Weber, lui, distingue l’éthique de conviction et l’éthique de responsabilité, qui oblige à assumer les conséquences prévisibles d’un acte.  

QCM VIDEO

Le film de Disney Wall-E (2008) illustre ce qui pourrait arriver à l’homme s’il poursuivait sa marche… Après que les humains ont transformé la terre en décharge géante, ils se sont exilés dans l’espace. Wall-E le petit robot nettoyeur continue pourtant son travail sur la terre, suivi par le seul insecte encore vivant.  Un jour, le robot Eve arrive  envoyé par les hommes pour vérifier si un retour sur la planète est possible. Quand elle repart , Wall-E la suit . 

On découvre alors ce que les hommes sont devenus: leur vie dépend totalement de machines, ils ne font plus rien eux-mêmes, n’ont plus de muscles et restent rivés derrière des écrans, sont totalement formatés..

LA TECHNIQUE : LIBERATION OU ASSERVISSEMENT DE L’HOMME ?

D’abord il faut différencier l’outil de la machine :

L’outil : 

Il est en lien direct avec le corps, c’est par lui qu’il se met en mouvement.

C’est l’esprit de l’homme qui se projette à l’extérieur.

La machine :

La machine  effectue les tâches sans intervention de l’homme.  Elle n’a plus besoin de l’énergie du corps humain.

Depuis le XX°, la machine devient capable par programmation de contrôler son propre mouvement (pilote automatique par exemple ou voiture sans chauffeur)

La technique est donc ambivalente puisque son double aspect est d’être à la fois le moyen d’une vie plus heureuse pour l’homme par les progrès qu’elle induit dans tous les domaines mais en même temps elle est à l’origine de catastrophes humaines et environnemental dans le 20e et XXIe siècle regorgent.

Dans quelle mesure la technique peut-elle nous libérer et de quoi ?

L’homme, par la technique a transformé son milieu naturel pour répondre à ses besoins, et s’est ainsi assuré les conditions de sa survie. En facilitant ses conditions de vie, il s’est donné plus de liberté.

  • La maitrise technique libère de la domination naturelle :

Mythe de Prométhee, Aristote, Descartes…

  • La technique libère les capacités humaines en développant l’intelligence

Michel Serres , Beauvoir

  • La technique libère du travail, augmente le temps de loisirs

Bergson

Il va de soi que des compétences techniques permettent d’améliorer considérablement les conditions de vie de l’homme. La technique a permis à l’homme de se libérer en partie de sa charge matérielle pour se consacrer à des fins spirituelles.

D’un point de vue plus pragmatique, c’est grâce à l’invention des machines à laver que la vie des femmes a pu changer. Ce   qui a permis la fin de l’esclavage, ce n’est pas seulement les grandes idées humanistes de certains mais avant tout, l’apparition de la machine qui a rendu leur force de travail moins rentable.

D’une manière générale la technique permet à l’homme de produire plus en produisant moins d’efforts humains. L’outil est ce qui permet la libération de l’homme et sa conquête du monde.  

La technique est pour l’homme le moyen de contrôler son univers, de le projeter dans le futur.

Par ses inventions il se construit et construit le monde dans lequel il vit et dans lequel il va vivre.

L’homme peut reconnaître son humanité dans ses productions dans la mesure où elles sont à la fois le fruit de son inventivité, c’est-à-dire la mobilisation de son intelligence et de sa créativité, mais également dans la mesure où il est parvenu à la réalisation concrète de ses projets.

On peut également ajouter que ces productions ont pour but d’assurer sa survie (Simone de Beauvoir prend l’exemple de la nourriture avec la chasse, la pêche et la cueillette), mais il le fait en s’organisant à grande échelle, en modifiant profondément son environnement et en prévoyant les solutions à très long terme. C’est ce point, plus que la mise en œuvre d’un geste technique ou d’un instrument, qui distingue l’homme de l’animal.

Lorsque Descartes écrivait que l’homme doit se rendre « comme maitre et possesseur de la nature », il ne l’envisageait pas comme une supériorité absolue de l’homme sur le monde. D’abord parce que Descartes était déiste et que l’homme ne peut ni maîtriser ni être possesseur de la création de Dieu, d’où le « comme » ; ensuite parce que d’une certaine façon il répondait à l’invitation de la Genèse « emplissez la terre et soumettez- là » .  Descartes  défend  l’idée que la nature est constituée uniquement de matière, elle n’a pas de but. Et elle répond à des mécanismes. Et en comprenant ces mécanismes par les lois mathématiques, l’homme pourra se rendre « comme maitre et possesseur de la nature ». L’homme dés lors n’est plus comme un enfant soumis aux caprices intentionnels de la Nature.  Descartes voit donc dans la technique une façon pour l’homme d’accomplir sa destinée sur un plan spirituel et sur un plan plus matériel, il s’agit bien sûr grâce à la connaissance d’améliorer les conditions d’existence de l’homme, sur le plan de la santé ou du travail, pour la recherche de plus de liberté et de bonheur..

René Descartes (1596-1650)

Les recherches scientifiques et techniques doivent être tournées vers un seul but : la résolution de nos problèmes pratiques et l’amélioration de nos conditions de vie. 

 Mais, sitôt que j’ai eu acquis quelques notions générales touchant la physique […] elles m’ont fait voir qu’il est possible de parvenir à des connaissances qui soient fort utiles à la vie, et qu’au lieu de cette philosophie spéculative, qu’on enseigne dans les écoles[1] , on peut en trouver une pratique, par laquelle connaissant la force et les actions du feu, de l’eau, de l’air, des astres, des cieux et de tous les autres corps qui nous environnent, aussi distinctement que nous connaissons les divers métiers de nos artisans, nous les pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres et ainsi nous rendre comme[2] maîtres et possesseurs de la nature. Ce qui n’est pas seulement à désirer pour l’invention d’une infinité d’artifices, qui feraient qu’on jouirait, sans aucune peine, des fruits de la terre et de toutes les commodités qui s’y trouvent, mais principalement aussi pour la conservation de la santé, laquelle est sans doute le premier bien et le fondement de tous les autres biens de cette vie ; car même l’esprit dépend si fort du tempérament et de la disposition des organes du corps que, s’il est possible de trouver quelque moyen qui rende communément les hommes plus sages et plus habiles qu’ils n’ont été jusqu’ici, je crois que c’est dans la médecine qu’on doit le chercher.

René Descartes, Discours de la méthode, 1637. 

[1] Philosophie enseignée au Moyen Âge dans les universités. Elle repose sur la théologie chrétienne et sur une partie de la philosophie d’Aristote. 

[2] Ce « comme » sous-entend que le seul maître et possesseur est Dieu.

 Il ne viendrait bien sûr à l’idée de personne (à l’exception de quelques sectes…) de penser que la technique n’a pas amélioré la vie de l’homme. Couplée à la science, elle a permis des progrès remarquables dans tous les domaines et particulièrement dans la santé, ce qui était l’un des soucis premiers de Descartes.

Michel Serres évoque dans Petite poucette,la naissance d’une nouvelle génération d’humains nés avec l’ère digitale qui vont développer de nouvelles capacités cognitives.

La technique n’est plus naturelle mais elle est devenue une seconde nature qui s’impose à lui et avec lequel il va devoir composer.

Néanmoins, les modifications apportées par la technique ont transformé le monde et sans doute aussi l’homme…

Au XIXe siècle, au moment de la révolution industrielle, la mécanisation du travail, la substitution de la machine au geste humain a souvent déshumanisé ce travail. Marx dénoncera cette aliénation de l’homme, de l’ouvrier par la machine. C’est la vision donnée par Charlie Chaplin dans Les Temps modernes. La technique devient un asservissement pour l’homme et particulièrement avec le taylorisme puis le fordisme (vidéo)

Hannah Arendt montre dans Condition de l’homme moderne, que la machine oblige l’homme à suivre sa cadence de jour comme de nuit. L’outil de libération ne deviendrait-il pas asservissement ?

La machine, contrairement aux outils, impose aux hommes un rythme et une adaptation. 

 On ne s’était jamais demandé si l’homme était adapté ou avait besoin de s’adapter aux outils dont il se servait : autant vouloir l’adapter à ses mains. Le cas des machines est tout différent. Tandis que les outils d’artisanat à toutes les phases du processus de l’œuvre restent les serviteurs de la main, les machines exigent que le travailleur les serve et qu’il adapte le rythme naturel de son corps à leur mouvement mécanique. Cela ne veut pas dire que les hommes en tant que tels s’adaptent ou s’asservissent à leurs machines ; mais cela signifie bien que pendant toute la durée du travail à la machine, le processus mécanique remplace le rythme du corps humain. L’outil le plus raffiné reste au service de la main qu’il ne peut ni guider ni remplacer. La machine la plus primitive guide le travail corporel et éventuellement le remplace tout à fait.

Hannah Arendt, Condition de l’homme moderne, 1958, trad. G. Fradier, Calmann-Lévy, 1961.

 

 Si la technique est vue comme une libération par un certain nombre de philosophes, elle est aussi source d’esclavage :

 Depuis l’invention du GPS, combien d’entre nous font encore appel à leur sens de l’orientation ? On attend de la Machine qu’elle nous conduise là où nous voulons aller…Les machines plus douées que nous, nous dispensent de développer nos aptitudes… 

La question qu’on finit par se poser, c’est de savoir si le progrès technique est toujours au service des valeurs supérieures de l’humanité   (La liberté , le bonheur, la paix, l’égalité….) ou s’il n’est pas  devenu à lui-même sa propre fin … Sans compter les effets collatéraux de ce progrès :   pollution, destruction des équilibres naturels …

Mais au XVIIIéme Rousseau considère déjà qu’ elle affaiblit les capacités humaines :

C’est l’aspect négatif du progrès : l’homme est dépendant des outils qu’il utilise.    

Le corps de l’homme sauvage étant le seul instrument qu’il connaisse, il l’emploie à divers usages, dont, par le défaut d’exercice, les nôtres sont incapables, et c’est notre industrie qui nous ôte la force et l’agilité que la nécessité l’oblige d’acquérir. S’il avait eu une hache, son poignet romprait-il de si fortes branches? S’il avait eu une fronde, lancerait-il de la main une pierre avec tant de raideur? S’il avait eu une échelle, grimperait-il si légèrement sur un arbre? S’il avait eu un cheval, serait-il si vite à la course? Laissez à l’homme civilisé le temps de rassembler toutes ses machines autour de lui, on ne peut douter qu’il ne surmonte facilement l’homme sauvage; mais si vous voulez voir un combat plus inégal encore, mettez-les nus et désarmés vis-à-vis l’un de l’autre, et vous reconnaîtrez bientôt quel est l’avantage d’avoir sans cesse toutes ses forces à sa disposition, d’être toujours prêt à tout événement, et de se porter, pour ainsi dire, toujours tout entier avec soi .

Rousseau, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (1755)

 L’esclavage de l’homme à l’heure de la société technicienne  

La technique n’est plus aujourd’hui seulement un outil permettant à l’homme de se dépasser, elle est désormais dotée d’une autonomie qui tient l’homme en esclavage.(Ellul) 

Pour Ellul  dans La technique, « Le phénomène technique est la préoccupation de l’immense majorité des hommes de notre temps de rechercher en toutes choses la méthode absolument la plus efficace »

Ainsi, la modernité se caractérise par l’accession progressive au monopole d’un seul et unique critère de jugement, l’efficacité.

«Mais cette course à l’efficacité modifie la société et les hommes. La technique est ce qui permet de   ” transformer toute chose en moyen ». Par ailleurs, toute découverte en appelle d’autres …et la technique croit par elle-même.

Elle modifie l’homme et la société parce qu’en développant l’automatisation, elle aliène l’homme, donne à l’Etat une place grandissante puisque la technique moderne ne peut se répandre sans son soutien. Et trop de technique peut vite faire basculer l’État démocratique en un État totalitaire (voir Chine).

Par la technologie, l’Etat   intervient alors dans tous les domaines (armement, communication, santé, transports, réseaux électriques, etc.) et tente de diriger l’opinion par une propagande qui ne dit pas son nom. 

Anders et l'obsolescence de l'homme

  Günter Anders, dans L’Obsolescence de l’homme (1956) traite notamment du   décalage entre la perfection des machines et la faiblesse humaine.

Le titre de L’Obsolescence de l’homme indique déjà qu’il y a quelque chose de périmé en l’homme, quelque chose hors sujet, à savoir son humanité. L’homme perd ses caractéristiques qui constituaient en propre son humanité : la liberté, la responsabilité, la capacité d’agir, la capacité à se faire être. 

Anders se demande à partir des années 1940 dans quelle mesure nous vivons l’époque historique qui réalise l’obsolescence de l’homme par la technique.

Il réalise que l’homme n’est plus entouré «d’abeilles, de crabes et de chimpanzés, mais de postes de radio et d’usines »

Dès le début des années 1940, il bâtit une œuvre envisageant l’homme, non plus du point de vue de la nature, mais de la technique.

Il cherche à penser la technique alors même que l’homme se dote des moyens de son propre anéantissement :  Auschwitz puis Hiroshima qui marquent l’avènement de la techno-science.  

Pour lui, la technique fonctionne à partir de la fameuse loi de Gabor[1]:  ».Tant que l’on peut avoir la dernière version de l’homme, on doit le faire, et honte à ceux qui ne s’adaptent pas ! C’est ce qu’Anders appelle « la honte prométhéenne ».

 

[1] Dennis Gabor, physicien, a donné son nom à une loi affirmant que « ce qui peut être fait techniquement le sera nécessairement ». En réalité, il critiquait avec cette phrase le progrès fulgurant des techniques au XXe siècle et leur application aveugle dans le milieu industriel afin de tirer toujours plus de profit, sans se soucier des conséquences éthiques. Il reprenait, au fond, l’avertissement de Rabelais : « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme ». Cette position, hostile à une production technique non soucieuse des conséquences, a été adoptée par le biologiste français Jacques Testart. Avec son équipe, il parvient en 1982 à réaliser une fécondation in vitro, donnant naissance à Amandine, le premier bébé-éprouvette français. Il poursuit pendant quelques années ses recherches, mais décide soudainement d’y mettre un terme pour des raisons éthiques. Aujourd’hui, ce sont les penseurs technocritiques qui refusent que l’on réalise tout le champ du possible au nom de la rentabilité économique. Les solutions techniques que nous développons peuvent engendrer des doutes quant à leur intérêt social ou éthique.

« Rien ne nous aliène à nous-mêmes et ne nous aliène le monde plus désastreusement que de passer notre vie, désormais presque constamment, en compagnie de ces être faussement intimes, de ces esclaves fantômes que nous faisons entrer dans notre salon d’une main engourdie par le sommeil – car l’alternance du sommeil et de la veille a cédé la place à l’alternance du sommeil et de la radio – pour écouter les émissions au cours desquelles, premiers fragments du monde que nous rencontrons, ils nous parlent, nous regardent, nous chantent des chansons, nous encouragent, nous consolent et, ne nous détendant ou nous stimulant, nous donnent le la d’une journée qui ne sera pas la nôtre. Rien ne rend l’auto-aliénation plus définitive que de continuer la journée sous l’égide de ces apparents amis : car ensuite, même si l’occasion se présente d’entrer en relation avec des personnes véritables, nous préférons rester en compagnie de nos portable chums, nos copains portatifs, puisque nous ne les ressentons plus comme des ersatz d’hommes mais comme de véritables amis ».

Si l’homme veut garder le contrôle, ne pas se laisser dominer par la technique, il doit travailler sur l’éthique

  • ci-dessus :Bergson et le supplément d’âme, Ellul, Jonas

Le sentiment de puissance technique semble   transformer ce qui devrait être une efficacité au service de l ‘homme en une fin en soi. Et surtout à oublier le souci de la valeur et du sens de ces développements et innovations techniques.   D’où l’appel de  Bergson à  « un supplément d’âme !”

En effet, la technique devrait rester un moyen et comme tout moyen, ne valoir que par les fins qu’elle sert: “Science sans conscience n’est que ruine de l’âme”!   

L'Evolution technologique nous rend-elle bête ?

LE TRAVAIL

” (…) tous les talents resteraient à jamais enfouis en germe, au milieu d’une existence de bergers d’Arcadie, dans une concorde, une satisfaction, et un amour mutuel parfaits; les hommes, doux comme les agneaux qu’ils font paître, ne donneraient à l’existence guère plus de valeur qu’en leur troupeau domestique (…) toutes les dispositions naturelles excellentes de l’humanité seraient étouffées dans un éternel sommeil. (L’homme) veut vivre commodément et à son aise,; mais la nature veut qu’il soit obligé de sortir de son inertie et de sa satisfaction passive, de se jeter dans le travail et dans la peine pour trouver en retour les moyens de s’en libérer sagement”.

Kant, Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique, extraits de la 4e proposition

Karl Marx, le travail et la technique

“Le travail est de prime abord un acte qui se passe entre l’homme et la nature. L’homme y joue lui-même vis-à-vis de la nature le rôle d’une puissance naturelle. Les forces dont son corps est doué, bras et jambes, tête et mains, il les met en mouvement, afin de s’assimiler des matières en leur donnant une forme utile à sa vie. En même temps qu’il agit par ce mouvement sur la nature extérieure et la modifie, il modifie sa propre nature, et développe les facultés qui y sommeillent. Nous ne nous arrêterons pas à cet état primordial du travail où il n’a pas encore dépouillé son mode purement instinctif. Notre point de départ c’est le travail sous une forme qui appartient exclusivement à l’homme. Une araignée fait des opérations qui ressemblent à celles du tisserand, et l’abeille confond par la structure de ses cellules de cire l’habileté de plus d’un architecte. Mais ce qui distingue dès l’abord le plus mauvais architecte de l’abeille la plus experte, c’est qu’il a construit la cellule dans sa tête avant de la construire dans la ruche. Le résultat auquel le travail aboutit, préexiste idéalement dans l’imagination du travailleur. Ce n’est pas qu’il opère seulement un changement de forme dans les matières naturelles; il y réalise du même coup son propre but dont il a conscience, qui détermine comme loi son mode d’action, et auquel il doit subordonner sa volonté.”

Marx, Le Capital(1867), traduction de j. Roy, Éd. Sociales, 1950.

Le travail à l'heure des technologies post Covid

VOCABULAIRE

ALIENATION

Désigne le fait d’être dépossédé de ses caractéristiques humaines au profit des techniques. L’aliénation revêt alors deux aspects :

  • d’une part, la technique pense et agit à la place de l’homme ;
  • d’autre part, elle le rend dépendant de son usage. 

 

OBJET

Il est le résultat de la production technique. Il se distingue à la fois de l’outil, qui sert à produire, et du sujet producteur, à qui une production est utile. Si l’homme de l’époque industrielle devient objet parmi les objets, il est aliéné.

OUTIL/ MACHINE/ROBOT

Un outil est un instrument artificiel produit par l’homme et qui lui permet d’accroître l’efficacité de son travail.  

  • L’outil est un objet naturel ou artificiel manipulé dans le but de transformer un autre objet. 
  • La machine est un objet artificiel qui transforme la force physique qu’elle reçoit.
  • Le robot est une machine programmée pour réagir par elle-même à une situation en y apportant une réponse adaptée.

SAVOIR-FAIRE

Ce mot désigne une aptitude dans un domaine pratique. Le savoir-faire c’est savoir utiliser à la fois ses connaissances théoriques et son habileté acquise par l’expérience et l’entraînement.

TECHNIQUE

Le terme « technique » vient du grec technè signifiant fabriquer, produire, construire.  Deux domaines relèvent de la technè : l’art et l’artisanat. En effet, la différence n’est introduite qu’au XVIIe siècle, lorsque l’on décide d’instaurer une hiérarchisation entre les productions qui visent l’utile (Arts mécaniques) et celles qui visent le beau (Beaux arts).  

TECHNOCRATIE

Au sens premier du mot, la technocratie est le pouvoir (cratos) de la technique. Ce terme désigne aujourd’hui l’ensemble des pouvoirs que les objets techniques peuvent avoir sur l’homme qui en dépend, mais aussi le pouvoir politique en tant qu’il peut faire usage des objets techniques afin de contrôler les hommes.

TECHNOLOGIE

Au sens premier du mot, la technologie est l’étude (logos) de la technique (technè). Par extension, on appelle aujourd’hui « technologies » l’ensemble des techniques avancées fondées sur l’électronique ; au sens philosophique, elle désigne l’étude scientifique et philosophique des outils et des techniques.

TRANSHUMANISME

Ce courant philosophique apparu dans les années 1960 promeut l’utilisation des sciences et des techniques dans le but d’augmenter les performances physiques et intellectuelles de l’homme, lui assurant ainsi de meilleures conditions de vie.