LES DANGERS
DE LA LECTURE

ALBERTO MANGUEL, PINOCCHIO & ROBINSON
Biographie d’Alberto Manguel

Alberto Manguel est né en 1948, en Argentine. Il a passé son enfance en Israël où son père était ambassadeur. Une nurse tchèque lui apprend l’anglais et l’allemand. Puis de retour en 1955 en Argentine, il fait, adolescent, la rencontre de l’écrivain Jorge Luis Borges, aveugle, auquel il fait la lecture pendant 2 ans. Cette rencontre déterminera sa vie.
Il a vécu au Canada (il en prend la citoyenneté en 1985), en Angleterre, en Italie, en Allemagne, à Tahiti.
En 2001, il se fixé dans le Poitou où il a acheté un presbytère dont l’ancienne grange a été transformée en bibliothèque pour accueillir ses quelques 30 000 livres. Autodidacte, érudit, bibliophile, polyglotte, essayiste, romancier, traducteur et lecteur avide, il a été journaliste (presse, radio, télévision), il a publié cinq romans, parmi lesquels Dernières nouvelles d’une
terre abandonnée . Mais il est aussi l’auteur de plusieurs essais, dont Le Dictionnaire des lieux imaginaires ; Une histoire de la lecture (prix Médicis essai) ; La Bibliothèque la nuit.
Et bien sûr Pinocchio et Robinson (2000). Il a reçu un grand nombre de prix littéraires dans plusieurs pays.
Son œuvre explore la façon dont l’histoire du livre et celle de la littérature enrichissent les consciences.
L' oeuvre
Pinocchio et Robinson est un petit livre composé de 3 courts essais :
• Comment Pinocchio apprit à lire (2003), dénonce l’expérience superficielle de la lecture lorsque les livres ne servent qu’à apprendre et non pas à explorer.
• La bibliothèque de Robinson (2000) dénonce l’utilisation du livre comme instrument de pouvoir et de prestige.
• Vers une définition du lecteur idéal (2003).

Titre
Pinocchio & Robinson, pour une éthique de la lecture
Un titre basé sur deux grandes figures de la littérature, connues de tous.
Pinocchio : le pantin de Collodi qui devient petit garçon… (19°)
Defoe, publié en 1719. Roman d’aventure par excellence, Robinson devient le symbole de
l’homme qui réussit à survivre dans une nature sauvage, grâce à son courage et à son travail.
Il devient un mythe qui sera repris par de nombreux écrivains dont Michel Tournier dans
Vendredi ou les limbes du Pacifique, dans une version plus philosophique.
Ici cela signifie qu’ il existe une « responsabilité dans notre manière de lire, un engagement
à la fois politique et privé dans le fait de tourner les pages et de suivre les lignes. […] Parfois,
au–delà des intentions de l’auteur et au–delà des espoirs du lecteur, un livre peut nous rendre meilleurs et plus sages ».
Genre
L’essai est un ouvrage à travers lequel l’auteur expose ses idées, ses réflexions ainsi que ses opinions personnelles sur un ou plusieurs sujets donnés. Il n’a pas vocation à traiter du sujet dans sa totalité, comme c’est le cas dans le traité. Il va plutôt en donner une version partielle et subjective, traduisant l’état de la pensée de l’essayiste.
Il peut toucher différents domaines allant de la philosophie à la science, en passant par l’histoire ou la politique, rendant ce genre très vaste et polymorphe.
L’essai est apparu au XVIͤ siècle avec Les Essais de Michel de Montaigne, considéré comme le précurseur de ce genre. À travers ses écrits, Montaigne souhaite laisser libre cours à sa pensée, sans établir de règles prédéfinies, afin d’en préserver l’authenticité, la valeur et la qualité. Il aborde ainsi une multitude de sujets tels que l’éducation, l’amitié, la vie, la mort, en prenant soin de relier sa réflexion à ses expériences vécues.
Très prisé au XVIIIͤ siècle par les philosophes des Lumières tels que Voltaire, Montesquieu ou Rousseau. (la justice, la liberté, l’égalité, l’esclavage)
Au XIXème et XXème siècles, de nombreux essais sont publiés, portant sur des sujets d’actualité politiques, historiques, moraux mais aussi artistiques et scientifiques.
Ce genre, qui était auparavant dominé par des écrivains littéraires, se popularise et touche désormais tous les domaines.
Il s’agit d’argumentation DIRECTE : l’auteur ne passe pas par la fiction.
C’est un ouvrage, de forme assez libre, dans lequel l’auteur expose ses opinions (cf.
Montaigne, Les Essais) ;
L’essai relève de la délibération
Essai =
• tentative de réflexion (la pensée n’est pas forcément achevée)
• mise à l’épreuve : examiner la validité d’une idée
• Exercice de réflexion : faire évoluer la pensée
• Enonciation : « je » engage l’énonciateur en tant que personne
Montaigne, le père des Essais...
L’essai est une forme libre – lecteur assiste à l’élaboration de la pensée, en suit les
mouvements, les contradictions, les hésitations.
L’essai peut prendre la forme de la lettre.
COURS SUR L’ARGUMENTATION
Le Pinocchio de Collodi
Biographie de Collodi


Collodi, de son vrai nom Carlo Lorenzini, est né à Florence en 1826.
Ses parents étaient au service d’ un aristocrate florentin. Il prendra en charge les études de prêtrise du jeune Carlo. Celui-ci poursuivra ses études au lycée de Florence, où il apprendra le Français. À dix-huit ans, commis d’une librairie , il se met à lire énormément.
Ensuite, il fonde un journal, devient parallèlement agent à la bibliothèque du Sénat et fonde un nouveau journal Lo Scaramuccia (Scaramouche). Il commence à publier plusieurs livres qu’il signe sous le nom de « Collodi». Il écrit également des pièces de théâtre.
En 1875, il traduit les Contes de Perrault , et cette expérience Cette expérience le conduit à s’intéresser à la littérature pour enfants. Mais c’est à la retraite, en 1881, à cinquante-cinq ans, qu’il accepte de collaborer au Giornale per i bambini. Il envoie donc pour publication, le 7 juillet, le premier chapitre de la Storia di un burattino, l’Histoire d’un pantin. Il en poursuivra jusqu’en janvier 1883 l’écriture. Les trente-six chapitres sont réunis en volume et publiés, par l’éditeur Paggi, avec ce double titre : Les Aventures de Pinocchio. Histoire d’un pantin.
L’étymologie de « Pinocchio» vient sans doute de la pigne de pin (pinus, pinunculus), le pinolo (pignon) au sens d’écorce de bois.

Pinocchio, du livre au film…
Extrait n°1
J’ai lu pour la première fois Les Aventures de Pinocchio il y a bien des années, à Buenos Aires, quand j’avais huit ou neuf ans, dans une traduction espagnole approximative illustrée des dessins originaux en noir et blanc de Mazzanti. J’ai vu le film de Disney quelque temps après, et il m’a mécontenté par les nombreux changements que j’y constatais : le requin asthmatique quiavale Pinocchio était devenu Monstro la Baleine ; le grillon, au lieu de disparaître et de réapparaître, avait reçu le nom de Jiminy Cricket et ne cessait de poursuivre Pinocchio de ses bonsconseils ; le maussade Gepetto s’était transformé en un aimable vieillard possédant un poisson rouge nommé Cléo et un chat nommé Figaro. Et beaucoup des épisodes les plus mémorables manquaient. A aucun moment, par exemple, Disney ne dépeignait Pinocchio (comme l’avait fait Collodi dans ce qui était pour moi la scène la plus cauchemardesque du livre) témoin de sa propremort quand, après qu’il a refusé de prendre son médicament, quatre lapins « d’un noir d’encre » viennent pour l’emporter dans un petit cercueil noir. Dans la version originale, le passage de Pinocchio du bois à la chair représentait pour moi une quête aussi passionnante que celle d’Alice s’efforçant de sortir du Pays des Merveilles ou celle d’Ulyssecherchant à retrouver son Ithaque bien aimée. Sauf à la fin : quand, dans les dernières pages, Pinocchio est récompensé par sa métamorphose en « un beau garçon aux cheveux châtains et aux yeux bleu clair, j’applaudissais, et pourtant j’éprouvais une étrange insatisfaction.

- Qui parle ?
- A quoi le voyez-vous ?
- Que reproche Manguel à l’adaptation de Disney ?

Vous parait-il bien que les livres soient « adaptés » librement au cinéma ? Quels en sont les avantages et les inconvénients ?
Extrait n°2

1. Pour Manguel, Pinocchio est le récit d’un apprentissage. Mais quel est le paradoxe de tout apprentissage selon lui ? Qu’en pensez-vous ?
2. Selon Manguel, pourquoi Pinocchio ne parviendra-t-il pas à être « celui qu’il est vraiment » ?
Je ne le savais pas alors, mais je crois que j’aimais Les Aventures de Pinocchio parce que ce sont des aventures d’apprentissage. La saga du pantin est celle de l’éducation d’un citoyen, cetancien paradoxe d’un personnage qui souhaite entrer dans la société humaine commune tout en s’efforçant de découvrir qui il est réellement, non tel qu’il apparaît au regard des autres maisen lui-même. Pinocchio veut devenir un « vrai garçon », mais pas n’importe quel garçon, pas une petite version docile du citoyen idéal. Pinocchio veut être celui qu’il est vraiment sous le boispeint. Malheureusement (parce que Collodi a arrêté l’éducation de Pinocchio juste avant cette épiphanie), il n’y parvient jamais tout à fait. Pinocchio devient un bon petit garçon qui a appris à lire, mais Pinocchio ne devient jamais un lecteur.
Extrait n°3
Au début, l’histoire promet. Dès le premier chapitre, Collodi met en scène un conflit entre Pinocchio le rebelle et la société dont il souhaite faire partie. Avant même d’être sculpté en forme de pantin, Pinocchio se montre un morceau de bois révolté. Il n’est pas d’accord d’être « vu mais pas entendu » (la devise du XIXe siècle pour les enfants), et il provoque une dispute entreGepetto et son voisin (encore une scène supprimée par Disney). Il pique ensuite une crise lorsqu’ildécouvre qu’il n’y a rien à manger que quelques poires, et quand il s’endort devant le feu, qui luibrûle les deux pieds, il compte que Gepetto (le représentant de la société) lui en sculpte de nouveaux. Affamé et estropié, Pinocchio le rebelle ne se résigne pas à rester sous- alimenté et handicapé dans une société qui devrait lui procurer nourriture et soins de santé.

Relevez tous les mots qui qualifient l’attitude de Pinocchio dans ce passage. Qu’en déduisez-vous ?
Extrait n°4

1.Dans ce passage, relevez ce qui prouve l’importance de l’école dans la société de Collodi ?
2.Trouver des exemples de pays ou l’école demande d’énormes sacrifices.
Il est conscient aussi, toutefois, que ce qu’il exige de la société doit avoir sa réciproque. Et c’est ainsi qu’après avoir reçu à manger et des pieds neufs, il dit à Gepetto : « Pour te rembourser de tout ce que tu as fait pour moi, je vais commencer l’école tout de suite. »
Dans la société de Collodi, l’école est le lieu où l’on commence à se montrer responsable. C’est leterrain où l’on s’entraîne à devenir une personne capable de « rembourser » les soins attentifs de la société. Voici le résumé qu’en fait Pinocchio : « Aujourd’hui même, à l’école, je veux apprendre àlire ; demain j’apprendrai à écrire et après-demain à compter. Alors, grâce à mon savoir, je gagnerai beaucoup d’argent et, avec le premier argent que j’aurai dans ma poche, j’achèterai à mon père un beau veston de laine. Mais que dis-je, de laine ? Je lui en trouverai un d’argent et d’or, avec des boutons de diamant. Et le pauvre homme le mérite vraiment car, aprèstout, afin de m’acheter des livres et de me faire instruire, il reste en bras de chemise… en plein hiver ! » Parce que, afin d’acheter à Pinocchio un abécédaire (essentiel pour aller à l’école),Gepetto a vendu son unique veston. Gepetto est un homme pauvre mais, dans la société de Collodi, l’instruction exige des sacrifices.
- Version integrale : https://dailymotion.com/video/x2ixb7l


Après avoir imaginé les conditions dans lesquelles ce jeune indien se rend à l’école, essayez d’exprimer ce qu’il en attend ?
Extrait n°5
La première étape, donc, pour devenir un citoyen, consiste à apprendre à lire. Mais qu’est-ce quecela signifie, « apprendre à lire » ? Plusieurs choses.
— D’abord, le processus mécanique d’apprentissage du code de l’écriture dans laquelle est enregistrée la mémoire d’une société.
- Ensuite, l’apprentissage de la syntaxe qui régit un tel
- Troisièmement, l’apprentissage de la façon dont les inscriptions faites selon ce code peuvent, de façon profonde, imaginative et pratique, servir à la connaissance de nous-mêmes et du monde qui nous entoure. Ce troisième apprentissage est le plus difficile, le plus dangereux et le plus puissant – et celui que Pinocchio n’atteindra jamais. Des pressions de toutes sortes – les tentations par lesquelles la société le détourne de lui-même, les moqueries et la jalousie de sescondisciples, l’indifférence de ses précepteurs – engendrent pour Pinocchio une séried’obstacles quasiment insurmontables à l’acquisition de la lecture.

1.Comment comprenez-vous : « Troisièmement, l’apprentissage de la façon dont les inscriptions faites selon ce code peuvent, de façon profonde, imaginative et pratique, servir à la connaissance de nous-mêmes et du monde qui nous entoure. »
2.Quelles sont les trois étapes de l’apprentissage de la lecture selon Manguel ?
3.Quelles sont les raisons pour lesquelles Pinocchio n’apprendra jamais à lire vraiment ? Qu’en pensez-vous ?
Vous parait-il juste de dire que « l’apprentissage de la façon dont les inscriptions faites selon cecode peuvent, de façon profonde, imaginative et pratique, servir à la connaissance de nous-mêmes et du monde qui nous entoure » ?

Extrait 6
La lecture est une activité qui a toujours été considérée avec un enthousiasme mitigé par ceux qui nous gouvernent. Ce n’est pas un hasard si, aux XVIIIe et XIXe siècles, on a promulguédes lois interdisant la lecture aux esclaves, même celle de la Bible, car (soutenait-on avec justesse), qui peut lire la Bible peut lire aussi un tract abolitionniste. Les efforts déployés et les stratagèmes inventés par les esclaves dans le but d’apprendre à lire démontrent assez la relation entre la liberté civile et les pouvoirs du lecteur, ainsi que la peur suscitée par cette liberté et ces pouvoirs chez les princes de toutes sortes.
Mais, dans une société soi-disant démocratique, avant de prendre en considération les possibilités d’apprendre à lire, les lois de cette société ont l’obligation de satisfaire un certain nombre de besoins fondamentaux : alimentation, logement, soins de santé. Dans un essai très émouvant, écrità peu près au même moment que les Aventures, Collodi a ceci à dire sur les efforts républicains visant à instaurer en Italie un système d’instruction obligatoire : « A mon avis, nous avons jusqu’ici pensé plus aux têtes qu’aux ventres des classes nécessiteuses et affligées.Pensons maintenant un peu plus « aux ventres. » Pinocchio, pour qui la faim n’est pas uneétrangère, est manifestement conscient de cette exigence primaire. Lorsqu’il imagine ce qu’il pourrait faire s’il avait cent mille écus et devait devenir un homme riche, il se souhaite un beaupalais avec une bibliothèque « bourrée de fruits confits, de tartes, de panettoni, de gâteaux auxamandes et de rouleaux feuilletés fourrés de crème fouettée. » Les livres, Pinocchio le sait bien, neremplissent pas un ventre vide. Quand les méchants compagnons de Pinocchio lui lancent leurs livres à la tête en visant si mal que les livres tombent à la mer, un banc de poissons arrive en hâte à la surface pour grignoter les pages détrempées et les recrache bientôt, en pensant : « Ceci n’est pas pour nous ; nous sommes habitués à bien meilleure chère. »
Dans une société où les besoins fondamentaux des citoyens ne sont pas satisfaits, les livres sont piètre nourriture ; mal employés, ils peuvent devenir mortels. Quand l’un des garçons lance sur Pinocchio un gros manuel d’arithmétique, au lieu de frapper le pantin, le livre heurte à la tête un autre garçon et le tue. Non utilisé, non lu, un livre est une arme dangereuse.
Autodafés
AUTODAFES : quelques exemples parmi des milliers !
Heinrich Heine « Là où on brûle des livres, on finit par brûler des hommes » (1817)
10 mai 1933
Hitler est nommé chancelier le 30 janvier 1933.
Dès le 2 février toute publication pouvant contenir des informations inexactes est interdite. Commence sur-le-champ la préparation du bûcher du 10 mai par les bibliothécaires, tandis que la «Ligue de combat pour la culture allemande » transmet aux associations d’étudiants les instructions visant à débarrasser le pays du « poison judéo-asiatique ». Dans ses confidences à Hermann Rauschning, le Führer l’affirmera : « Nous sommes des barbares et c’est ce que nous souhaitons être. Le mot est honorable. »
Le 10 mai 1933 à 22 heures donc, sur la place de l’Opéra à Berlin, « une délégation d’étudiants défila, précédée d’une musique des Sections d’assaut […] étudiants revêtus du costume de gala de leurs corporations, tous porteurs de torches. Les pompiers arrosèrent le bûcher avec du pétrole et y mirent le feu. Les camions apportèrent alors les livres et les étudiants firent la chaîne pour les jeter dans la flamme » (Le Temps du 12 mai 1933).
« À chaque nouveau paquet de livres livré à la flamme, une voix clamait le nom de l’auteur incriminé et énonçait la sentence d’exécution :
- Premier héraut : contre le matérialisme et la lutte des classes, pour une unité du peuple et une conception idéale de la vie, je livre à la flamme les écrits de Marx et de Kautsky.
- Deuxième héraut : contre la décadence morale, pour les bonnes mœurs, pour un esprit de famille et pour un esprit d’État, je livre à la flamme les écrits de Heinrich Mann, Ernst Gläser et Erich Kästner.
- Troisième héraut : contre les sentiments mesquins et la trahison politique à l’égard du peuple et de l’État, je livre à la flamme les écrits de Friedrich Wilhelm Förster.
- Quatrième héraut : contre la corruption spirituelle, l’exagération et une complication malsainede la sexualité, pour l’anoblissement de l’âme humaine, je livre à la flamme les écrits de Sigmund Freud.
- Cinquième héraut : « contre la falsification de notre histoire et la profanation des grandes figures historiques, pour le respect de notre passé, je livre à la flamme les écrits d’Emil Ludwig et de Werner Hegemann.
- Sixième héraut : contre les journalistes étrangers et contre leurs tendances judaïco- démocratiques, pour un travail conscient et une coopération à l’œuvre de la reconstruction nationale, je livre à la flamme les écrits de Theodor Wolff et de George Bernhard.
- Septième héraut : contre la trahison littéraire à l’égard des soldats de la grande guerre, pour une éducation du peuple dans les principes sains, je livre à la flamme les écrits de Erich Maria
- Huitième héraut : contre la mutilation de la langue allemande, pour l’entretien de ce patrimoine précieux de notre peuple, je livre à la flamme les écrits d’Alfred Kerr.
- Neuvième héraut : contre l’effronterie et l’arrogance, pour le respect et la vénération de l’immortalité de l’esprit allemand, je livre à la flamme les écrits de Tucholsky et d’Ossietzky. » Les mêmes actes s’étaient produits simultanément dans plusieurs grandes villes et que les mêmesactes s’étaient produits simultanément dans plusieurs grandes villes et que « désormais, la liberté de penser n’existe plus » en Allemagne.
Un article de L’Illustration du 1er juillet titre « Quels furent les livres brûlés à Berlin ? ». Dans cet article l’auteur rapproche le bûcher de ceux de l’Inquisition espagnole et de Savonarole. Àl’exception notable de Romain Rolland ou Barbusse, « peu d’intellectuels français s’émurent dès 1933 de ce mouvement qui annonçait bruyamment la couleur et, pire que tout, menaçait leurs droits d’auteur.
Sigmund Freud, lui, avait ricané : « Seulement nos livres ? Autrefois ils nous auraient brûlés avec. »
À peine les bûchers de 1933 éteints, Goebbels consacre à grand fracas « le Livre, arme de l’esprit allemand ! » La mainmise sur les bibliothèques publiques du Reich est d’autant plus totale qu’un grand nombre de leurs remarquables directeurs souhaitent demeurer à leur poste afin de prolonger leur œuvre au service de la lecture ou ne pas interrompre leurs propres recherches savantes . La littérature de propagande la plus niaise s’installe donc sur des structures solides et consentantes où elle tentera d’occuper le vaste vide que laisse l’épuration systématique des auteurs désignés par le feu.
Les exactions dans les bibliothèques des territoires occupés sont immédiates et encore plus brutales, sans le caractère festif. En janvier 1934, Alfred Rosenberg est chargé du contrôle des publications, de la propagande et bientôt du pillage, l’un entraînant l’autre.
L’Einsatzstab Rosenberg créé en 1939 est autorisé à inspecter toutes les bibliothèques et autres établissements culturels, de tout confisquer en vue de réaliser les objectifs du parti.
En Tchécoslovaquie, les étudiants ont ordre dès 1939 de se trouver un travail manuel définitif dans les quarante-huit heures. Un décret de l’automne 1942 enjoint aux bibliothèques universitaires de remettre à l’occupant tout ouvrage ancien et toute édition originale qu’elles détiendraient. Sont spécifiquement recherchées les œuvres des écrivains tchèques, contemporains ou non . Nonseulement les œuvres des écrivains tchèques et juifs mais aussi les traductions d’auteurs anglais,français ou russes quels qu’ils soient sont retirées des rayons, qui du coup doivent se trouver bien dégarnis dans les quatre cent onze institutions touchées. Le ministre d’État et Reichskommissar du protectorat, K.H. Frank, l’a annoncé d’emblée : « Les Tchèques sont faits seulement pour servir d’ouvriers ou de valets de ferme. » Comme les Polonais.
En Pologne, le 13 décembre 1939, le Gauleiter de la Warthegau publie l’ordre selon lequel chaque bibliothèque publique ou privée doit être déclarée. Aussitôt qu’elles sont en règle, toutes leurs collections sont saisies
Et c’est ainsi dans 102 bibliothèques, à Cracovie, à Varsovie, comme pour les 38 000 beaux volumes du parlement de Pologne ; quant aux archives du diocèse de Pelilin, riches de manuscrits du XIIe siècle, ils servent à chauffer les fourneaux d’une raffinerie de sucre.
Le cas de la Pologne est comparativement le plus grave de tous les pays spoliés : près de seize millions de volumes, de soixante-dix à quatre-vingts pour cent, disparaissent des bibliothèques
publiques, le reste est rassemblé dans une archive unique où il perd son identité ; la moitié des imprimeries est hors d’usage.
Pendant cinq ans aucune publication n’est autorisée (mille deux cents titres trouvant néanmoins le moyen de paraître clandestinement), de façon, explique avec une épaisse candeur la Verordnungsblatt du 5 novembre 1940, à mieux « satisfaire les besoins primitifs de distraction et d’amusement, dans le but de détourner le plus possible l’attention des cercles intellectuels de la conspiration et des débats politiques, qui pourraient encourager le développement d’un sentiment anti-allemand ».
La fin de l’aberration fut pire encore[…] » « : le soulèvement de Varsovie entraîna l’action des Brandkommandos, soldats du feu dont la mission et la spécialité consistaient à incendier les bibliothèques.
En octobre 1944 la Krasinski disparut ainsi avec tous les livres du XVe au XVIIIe siècle qui avaient été rassemblés dans ses cinq étages de sous-sols.
Les escouades incendiaires détruisirent de même la Biblioteka Publiczna et ses 300 000 volumesen janvier 1945. Entre-temps, les bibliothécaires de la Narodova, la nationale, avaient laborieusement déménagé en lieu sûr 170 000 ouvrages sur ordre et sous la conduite des officiers allemands, qui y mirent le feu en partant.
Dans la propriété-musée où Léon Tolstoï est né et a vécu, Yasnaja Polyana, les soldats l’occupent six semaines, apparemment à ne rien faire d’autre que détruire tous les livres, manuscrits et jusqu’aux restes de l’auteur d’Anna Karénine sortis de terre[…] « La même désacralisation estinfligée aux maisons de Pouchkine et de Tchekhov, sans parler de celles des musiciens.
La soldatesque pave de plusieurs couches d’encyclopédies la rue principale, boueuse, pour faciliter le roulage des véhicules militaires. Vision d’Épinal à classer entre celle des Mongols à Bagdad en 1258 et les charrettes autrichiennes de 1785.
A paris, des listes d’interdiction (liste Bernhard, 143 titres et 700 000 exemplaires confisqués, puis listes Otto 1, 2 et 3, établies avec le concours sans doute forcé des maisons Hachette et Filipacchi, environ 3 000 titres) furent promulguées, imposées jusqu’aux bouquinistes sur les quais.
EN CHINE
le 18 août 1966, Mao enfile à son tour le brassard des gardes rouges et, le 23, la une du Quotidiendu peuple les félicite de balayer ainsi « la poussière des vieilles idées et les habitudes culturelles des exploiteurs ». Feu vert pour l’anarchie : deux mois plus tard 4 922 des 6 843 sites historiques pékinois sont déjà endommagés, 33 695 maisons ont été investies et fouillées à la recherche de ce qui dénote une attitude bourgeoise, les livres en premier, les peintures anciennes en second. La province suit. Après avoir fait payer leurs crimes aux catégories dites
« noires » : les riches paysans ou les contre-révolutionnaires, on va s’en prendre aux « zones grises», les intellectuels : 140 000 Pékinois auront à en souffrir, 7 682 en meurent. Comme les gardesrouges voyagent aux frais de l’État, ils vont pouvoir sillonner la Chine pour la vigoureuse application de la pensée Mao Zedong, « directive suprême » ; et accessoirement celui-ci peut enpasser en revue treize millions en trois mois depuis son balcon de Tiananmen. Il voulait
seulement écarter un rival politique, il faudra l’armée pour éradiquer le nouveau cataclysme national qu’il a déclenché. Et à la suite duquel, le sabbat politique ayant été prolongé de nombreuses années, la culture chinoise aura été mise à feu et à sang pour beaucoup plus longtemps qu’on ne le croit.
Mao était bibliothécaire en 1919 à Pékin. De là vient sa découverte de Marx, disent fièrement les hagiographes. De là vient peut-être sa haine des livres et des lettrés, sans doute à la suite d’une frustration ou d’une humiliation encore ignorée. Dès 1950 il y a eu autodafé des livres jugésréactionnaires et ennemis du peuple ; « un signe de faiblesse », s’insurge noblement le New YorkTimes. Mais ces destructions sont encore timides, ou peu publiées. À partir de 1963, Mao est puissamment aidé par son épouse Jiang Qing à qui il a concédé la culture, « par son épouse Jiang Qing à qui il a concédé la culture, vu qu’elle fut actrice : l’un après l’autre les périodiques savants et autres publications universitaires sont supprimés. « Mieux vaut des travailleurs incultes que des exploiteurs savants » est son leitmotiv. À une réunion de bibliothécaires : « La culture de la période entre la Renaissance et la Révolution culturelle en Chine peut être qualifiée de videtotal. » Son inquiétant acolyte Zhang Chunqiao proclame à la bibliothèque de Shanghai : « Sur les millions de livres qui sont ici, deux étagères seulement peuvent être conservées » « Yao Wenyuan,autre ineffable membre des Quatre : « Qui acquiert des connaissances devient un bourgeois ! »Ainsi le possesseur d’une collection de livres est-il traîné dans la rue pour « faire l’avion » avec un bonnet d’âne, frappé en public jusqu’à l’aveu de ses fautes et envoyé aux corvées les plus crasseuses chez des agriculteurs ravis à qui il doit clamer sa culpabilité chaque matin s’il veut manger.
Heureux, disait-on, celui qui n’a pas d’enfants à protéger : il peut au moins se suicider.
D’un régime aussi hostile à l’accumulation du savoir on ne peut espérer qu’il épargne les bibliothèques » : il est de fait que, l’intellectuel même bien en cour étant ramené au rang de chaudronnier du verbe au service des masses, c’est-à-dire du Parti, la bibliothèque ne peut que tomber au niveau de la machine-outil. Pour résumer la pensée de Zhang Chunqiao : avant 1949 tousles livres chinois sauf marxistes sont féodaux, de 49 à 66 la plupart[…] » « la plupart sont révisionnistes, quant à tout ce qui s’imprime à l’étranger c’est forcément capitaliste, ou alors révisionniste. On extrait donc des institutions de lecture publique ou académique des millions de livres rares ou moins rares qui n’ont plus rien à y faire et finissent au pilon : à l’époque, personne ne semble s’être demandé d’où sortait le papier du petit livre rouge, imprimé à au moins autantd’exemplaires que d’habitants jeunes et vieux dans un pays qui manque même de riz. Loin desgrandes villes le message est encore plus radicalement entendu : on brûle tout, tout de suite. C’est lecas du Yunnan, des bibliothèques publiques du Fujian, région où 224 023 des 464 964 ouvrages ontflambé, et dans le Hubei pour le district de Jingzhou, à l’ouest de Wuhan (400 000 livres etpériodiques détruits) . La province du Liaoning a perdu deux millions et demi d’ouvrages dès le mois de mai 1966 « selon des statistiques encore incomplètes ». À Lushan, dans le Jiangxi, les gardes rouges choisissent la bibliothèque pour en faire leur dortoir : les employés changent de métier, les livres sont empilés dans des resserres humides où diverses bestioles entreprennent de s’en repaître ; quand l’odeur de moisi sera intenable on brûlera le tout. Il est également possible delire de nombreux témoignages d’anciens gardes rouges comme celui-ci : « Il y avait surtout des idoles et des livres : tous les livres — les jaunes, les noirs, les vénéneux — qui avaient été confisqués dans les bibliothèques de la ville au début juillet et déposés au Palais de la culture desouvriers. La plupart étaient des vieux livres reliés à la main. Le Lotus d’or, Le Rêve du pavillonrouge, Au bord de l’eau, Le Roman des trois royaumes, Les Contes racontés dans un cabinet de travail — tous attendaient d’être brûlés. Peu après six heures, on versa cinquante kilos dekérosène sur les tas d’objets, puis on y mit le feu. Les
flammes montèrent jusqu’à une hauteur de deux étages. […] Les flammes de la lutte des classes ne s’éteindront jamais . »
Les photos très officielles prises par un Li Zhensheng dans le Heilongjiang restèrent longtemps secrètes, de même que d’autres, qui finiront par sortir et donner enfin des visages à cette
« nation peuplée de complices et de victimes muets ». Elles montrent la haine obtuse, « le plaisir public d’humilier et d’abîmer : « séances de luttes » alternent avec brûlement des Écritures bouddhistes, qui « ne sont que pets de chiens », et bibliothèques .
Cambodge
Les bandes de Khmers rouges exercèrent soudain à partir de 1975 un absolutisme sanguinaire detrois ans, durant lesquels un tiers de la population trouva la mort dans un climat proprement halluciné où les enfants étaient promus « instruments de la dictature du Parti ». Seuls les enseignants qui parvinrent à se faire passer pour des imbéciles en réchappèrent : les autres avaient droit au sac en plastique. La stratégie de Saloth Sar, dit Pol Pot, ou de Khieu Thirith, son «ministre de l’action sociale », était de dresser une armée d’adolescents dans la haine de tous les repères de l’ancienne société : ancêtres, bouddhistes, professeurs et jusqu’à leurs propres parents.En conséquence de ce principe, 5 857 écoles, 1 987 pagodes, 108 mosquées et églises, 796 hôpitaux furent détruits. On déclara la guerre au papier : la monnaie fut supprimée, de même queles documents d’identité ; posséder une photo entraînait la mort. Bien entendu le livre fut désignécomme un ennemi mortel, aisément reconnaissable, manuscrits sur feuilles de latanier pour lavieille culture comme imprimés venus de l’étranger et, dès les premiers jours de cet épisodeahurissant et unique au monde qu’est l’évacuation forcée de Phnom Penh, les jeunes vêtus de noir se sont rués aux bibliothèques. En premier lieu la Nationale. « Dans la cour, une montagne depapier brûlé, d’où émergeaient des reliures rouges, vertes ou blanches, incomplètement consumées.Des feuilles détachées jonchaient les escaliers et le sol des différentes pièces. Les précieux documents que les érudits venaient consulter de tous les coins du monde, piétinés, trempés par les pluies qui étaient tombées les jours précédents, maculés de boue, déchirés, étaient éparpillés dans les jardins et dans la rue devant la façade […] À l’Institut bouddhique, l’un des centres d’études les plus importants du pays, les 70 000 volumes de documents en khmer et en pali avaient été réduits en cendres et déchiquetés. Il en allait de même pour les facultés de lettres, de sciences, de pédagogie : de gigantesques amoncellements de livres avaient été l’objet d’un autodafé près de la salle de conférences Chakdomukh.
En France
Dans les bibliothèques municipales d’Orange, Vitrolles et Marignane, on constate après 2002
« la quasi-disparition du personnel qualifié », une baisse drastique des budgets et de la fréquentation (huit pour cent de la population d’Orange, contre soixante pour cent à Cavaillon par exemple), l’application d’un « ordre moral » : Houellebecq oui, Catherine Millet non, distingue un adjoint à Vitrolles. Et si les rayonnages font maintenant la part plus belle aux théoriciens etéditeurs qu’affectionne le FN-MNR, leur littérature faiblement folichonne attire moins de liseurs qu’on ne le croit. Les bibliothèques de l’obédience savent d’ailleurs que leur électorat n’est pas unlectorat et organisent plus volontiers des « animations » au sujet finement choisi, comme le remarque Gilles Eboli : « l’Atlantide, la sophrologie, les mégalithes, le nombre d’or, lesymbolisme du Graal » ou encore le langage des elfes. C’est dans le recours
systématique à ces hochets que se trouve la « menace pesant sur la mission même des bibliothèques publiques ».
L’association des professionnels a conséquemment créé un dossier « Ressources Liberté » sur son site abf.asso.fr ; il est censé concentrer et vitaliser la mobilisation après que le vide bibliothécaires’est fait dans les trois cités. La situation se gèle donc : les serviteurs de la lecture contraints au départ tandis que l’hôtel de ville se désole de n’attirer que des incompétents. Un but du totalitarisme est atteint : engluer l’ennemi dans une contradiction insurmontable.
Extrait de: Lucien X. Polastron. « Livres en feu. »
A partir des éléments ci-dessus , vous devrez pouvoir :
- Expliquer ce qu’est un autodafé
- Donner des exemples tristement célèbres de cette pratique
- Expliquer en quoi cette pratique montre la force des livres (pour cela vous devez trouver au minimum 3 arguments et 3 exemples pris dans les docs proposés)

Censurer et bruler des livres vous semble-t-il une solution envisageable pour apporter a paix sociale dans un pays ?
Peut-on mourir pour des idées ?

Atelier cinéma
Fahrenheit 451
Faites des recherches sur ce film (Thème, cadre, message…) et proposez une mini vidéo de présentation. (Voir fiche)
Le livre en audio
Film 1, François Truffaut, 1966
Film 2 : Ramin Brahani, 2018
La voleuse de livres
Texte complémentaire: Voltaire, de l'horrible danger de la lecture
- Voltaire, De l’horrible danger de la lecture, 1765
Nous Joussouf-Chéribi, par la grâce de Dieu mouphti1 du Saint-Empire ottoman2, lumière deslumières, élu entre les élus, à tous les fidèles qui ces présentes verront, sottise et bénédiction. Comme ainsi soit que Saïd-Effendi, ci-devant ambassadeur de la Sublime-Porte3 vers un petit État nomméFrankrom4, situé entre l’Espagne et l’Italie, a rapporté parmi nous le pernicieux usage de l’imprimerie5, ayant consulté sur cette nouveauté nos vénérables frères les cadis et imansde la ville impériale de Stamboul6, et surtout les fakirs connus par leur zèle contre l’esprit, il a semblé bon à Mahomet et à nous de condamner, proscrire, anathématiser ladite infernale invention de l’imprimerie7, pour les causes ci-dessous énoncées.
Cette facilité de communiquer ses pensées tend évidemment à dissiper l’ignorance, qui est la gardienne et la sauvegarde des États bien policés.
Il est à craindre que, parmi les livres apportés d’Occident, il ne s’en trouve quelques-uns surl’agriculture et sur les moyens de perfectionner les arts mécaniques, lesquels ouvrages pourraient à la longue, ce qu’à Dieu ne plaise, réveiller le génie de nos cultivateurs et de nos manufacturiers, exciter leur industrie, augmenter leurs richesses, et leur inspirer un jour quelque élévation d’âme, quelque amour du bien public, sentiments absolument opposés à la saine doctrine.
Il arriverait à la fin que nous aurions des livres d’histoire dégagés du merveilleux qui entretient la nation dans une heureuse stupidité. On aurait dans ces livres l’imprudence de rendre justice aux bonnes et aux mauvaises actions, et de recommander l’équité et l’amour de la patrie, ce qui est visiblement contraire aux droits de notre place.
Il se pourrait, dans la suite des temps, que de misérables philosophes, sous le prétexte spécieux, mais punissable, d’éclairer les hommes et de les rendre meilleurs, viendraient nous enseigner des vertus dangereuses dont le peuple ne doit jamais avoir de connaissance. Ils pourraient, en augmentant le respect qu’ils ont pour Dieu, et en imprimant scandaleusement qu’il remplit tout de sa présence, diminuer le nombre des pèlerins de la Mecque, au grand détriment du salut des âmes.
Il arriverait sans doute qu’à force de lire les auteurs occidentaux qui ont traité des maladies contagieuses, et de la manière de les prévenir, nous serions assez malheureux pour nous garantir de la peste, ce qui serait un attentat énorme contre les ordres de la Providence.
À ces causes et autres, pour l’édification des fidèles et pour le bien de leurs âmes, nous leur défendons de jamais lire aucun livre, sous peine de damnation éternelle. Et, de peur quela tentation diabolique ne leur prenne de s’instruire, nous défendons aux pères et aux mères d’enseigner à lire à leurs enfants. Et, pour prévenir toute contravention à notre ordonnance, nous leur défendons expressément de penser, sous les mêmes peines ; enjoignons à tous les vrais croyants de dénoncer à notre officialité quiconque aurait prononcé quatre phrasesliées ensemble, desquelles on pourrait inférer un sens clair et net. Ordonnons que dans toutes lesconversations on ait à se servir de termes qui ne signifient rien, selon l’ancien usage de la Sublime-Porte.
Et pour empêcher qu’il n’entre quelque pensée en contrebande dans la sacrée ville impériale, commettons spécialement le premier médecin de Sa Hautesse8 né dans un marais de l’Occident septentrional ; lequel médecin, ayant déjà tué quatre personnes augustes de la famille ottomane, est intéressé plus que personne à prévenir toute introduction de connaissances dans le pays ; lui donnons pouvoir, par ces présentes, de faire saisir toute idée qui se présenterait par écrit ou de bouche aux portes de la ville, et nous amener ladite idée pieds et poings liés, pour lui être infligé par nous tel châtiment qu’il nous plaira.
Donné dans notre palais de la stupidité, le 7 de la lune de Muharem, l’an 1143 de l’hégire 9.
1 Mouphti : docteur de la loi musulmane
2 Empire Turc, très puissant à l’époque de Voltaire
3 Métonymie pour parler du gouvernement ottoman
4 Royaume de France
5 On imprima à Constantinople dès la fin du xve siècle
6 Ancien nom d’Istanbul ( Cette ville a eu 3 noms : Byzance, Constantinople, Istanbul)
7 . Au moment où Voltaire écrivait, l’imprimerie turque était depuis huit ans entièrement anéantie à Constantinople
8 Médecin de l’impératrice Marie-Thérèse d’Autriche.
9 Correspond à l’année 622, naissance de l’Islam
Extrait 7
En même temps qu’elle instaure un système destiné à satisfaire ces demandes fondamentales tout en assurant l’instruction obligatoire, la société offre à Pinocchio des distractions qui l’en détournent, des tentations d’amusement sans réflexion et sans effort. D’abord sous la forme du Renard et du Chat, qui disent à Pinocchio que l’école les a aveuglés et estropiés ; ensuite avec la création du Pays des joujoux que Lucignolo, l’ami de Pinocchio, décrit en ces termes flatteurs : «Il n’y a pas d’écoles, là ; il n’y a pas de maîtres ; il n’y a pas de livres… Voilà le genre d’endroit qui me plaît ! C’est comme ça que devraient être tous les pays civilisés ! »
Les livres sont très justement associés, dans l’esprit de Lucignolo, avec la difficulté, et la difficulté (dans le monde de Pinocchio comme dans le nôtre) a acquis un sens négatif qu’elle n’a pas toujours eu. L’expression latine per ardua ad astra, par la difficulté atteignons les étoiles, estpresque incompréhensible pour Pinocchio (comme pour nous) puisqu’on est censé pouvoir tout obtenir au moindre coût possible.

Comment comprenez-vous la phrase : « Les livres sont très justement associés, dans l’esprit de Lucignolo, avec la difficulté, et la difficulté (dans le monde de Pinocchio comme dans le nôtre) a acquis un sens négatif qu’elle n’a pas toujours eu ».
Atelier débat-réflexion
o Pourquoi précisément, les pays civilisés ne peuvent pas correspondre à la définition qu’endonne Lucignolo : « Il n’y a pas d’écoles, là ; il n’y a pas de maîtres ; il n’y a pas de livres… Voilà le genre d’endroit qui me plaît ! C’est comme ça que devraient être tous les pays civilisés ! »
- Et vous comment comprenez-vous l’expression « par la difficulté atteignons les étoiles » ? Qu’en pensez-vous ?

Extrait 8
La société n’encourage pas cette recherche nécessaire de la difficulté, ce surcroît d’expérience. Lorsque Pinocchio, après ses premières mésaventures, accepte l’école et devient bon élève, les autres gamins commencent à lui reprocher d’être ce que nous appellerions « une andouille » et à se moquer de lui parce qu’il « écoute le maître ». « Tu parles comme un livre imprimé », lui disent-ils. Qu’est-ce que ceci veut dire ?
Il s’agit de deux visions opposées du langage comme instrument de communication. Nous savons que le langage peut permettre au parleur de rester à la surface de la réflexion, en prononçant des slogans dogmatiques et des lieux communs en noir et blanc, en transmettant des messages plutôt que du sens, en plaçant le poids épistémologique sur l’auditeur (comme dans « tu vois ce que je veux dire ? »). Ou bien, il peut tenter de recréer une expérience, de donner uneforme à une idée, d’explorer en profondeur et non pas seulement en surface l’intuition d’une révélation. Pour les compagnons de Pinocchio, cette distinction est invisible. Pour eux, le fait que Pinocchio parle « comme un livre imprimé » suffît à le marquer comme un étranger, un traître, un reclus dans sa tour d’ivoire.
Atelier réflexion débat

Faut-il toujours craindre le regard des autres et agir en fonction de leur jugement ?
Construisez votre argumentation :
Dans l’introduction, vous expliciterez les mots du sujet qui vous paraissent importants, et vous reformulerez la question que l’on vous pose.
Pour le corps de votre réponse, vous devrez trouver des arguments qui vont valider votre opinion et les enrichir d’exemples précis.
Extrait 9
Enfin, la société place sur le chemin de Pinocchio un certain nombre de personnages qui doivent luiservir de guides moraux, autant de Virgile dans son exploration des cercles infernaux de ce monde.Le grillon, que Pinocchio écrase contre un mur dans un des premiers chapitres mais qui survitmiraculeusement pour lui venir en aide bien plus tard dans le livre ; la fée bleue, qui apparaît d’abord à Pinocchio comme une petite fille aux cheveux bleus lors d’une série de rencontrescauchemardesques ; le thon, un philosophe stoïcien qui conseille à Pinocchio, après que le requinles a avalés, « d’accepter la situation et d’attendre que le requin nous digère tous les deux. » Mais tous ces « maîtres » abandonnent Pinocchio à son propre malheur, peu désireux delui tenir compagnie lorsqu’il semble perdu dans les ténèbres. Aucun d’entre eux n’apprend à Pinocchio à réfléchir sur sa propre condition, aucun ne l’encourage à découvrir ce que signifie son désir de « devenir un garçon. » Comme si elles récitaient des manuels scolaires sans faire appel àdes lectures personnelles, ces figures magistrales ne sont intéressées que par l’apparence académique de l’enseignement, dans laquelle l’attribution des rôles -maître et élève – est censée suffire pour que l’instruction se fasse. En tant que professeurs, ils ne servent à rien, car ils ne se croient responsables qu’envers la société, non envers leur élève.
En dépit de toutes ces contraintes – diversion, dérision, abandon – Pinocchio réussit à grimper les deux premiers échelons de l’échelle de l’instruction dans la société : l’apprentissage de l’alphabetet celui de la lecture superficielle d’un texte. Là, il s’arrête. Les livres deviennent alors des endroits neutres où appliquer ce code savant afin d’en extraire à la fin une morale conventionnelle. L’école l’a préparé à lire de la propagande.

1.Cherchez à quelle œuvre littéraire fait référence cette phrase : «, autant de Virgile dans son exploration des cercles infernaux de ce monde. »
2.Pour Alberto Manguel, qu’est-ce qui manque dans cette éducation ?
3.Quelle critique de l’éducation est contenue dans cette phrase : « ces figures magistrales ne sont intéressées que par l’apparence académique de l’enseignement, dans laquelle l’attribution des rôles -maître et élève – est censée suffire pour que l’instruction se En tant que professeurs, ils ne servent à rien, car ils ne se croient responsables qu’envers la société, non envers leur élève. » ?
- Qu’est selon vous une « morale conventionnelle » ?
- Comment expliquez-vous la dernière phrase : « L’école l’a préparé à lire de la propagande »
- Que peut-on attendre de l’éducation ?
Extrait 10
Parce que Pinocchio n’a pas appris à lire en profondeur, à pénétrer dans un livre et à l’explorer jusqu’à ses limites parfois hors d’atteinte, il ignorera toujours que ses aventures personnelles ont de profondes racines littéraires. Sa vie (il ne le sait pas) est en vérité une vie littéraire, un composite de récits anciens dans lesquels il pourrait un jour (s’il apprenait vraiment à lire) reconnaître sa propre biographie. Et cela est vrai de tout lecteur digne de ce nom.
Les Aventures de Pinocchio font écho à une multitude de voix littéraires. C’est un livre sur la recherche d’un fils par son père et sur celle d’un père par son fils (trame secondaire de l’Odyssée, que Joyce allait découvrir un jour) ; sur la quête de soi, comme la métamorphose matérielle du héros d’Apulée dans L’âne d’or et la métamorphose psychologique du prince Hal dans Henry IV ; sur le sacrifice et la rédemption enseignés dans les histoires de la Vierge Marie etdans les sagas de l’Arioste ; sur des rites de passage archétypiques, comme dans les Contes de Perrault (que Collodi a traduits) et dans la Commedia dell’Arte ; sur les voyages dans l’inconnu, comme dans les chroniques des explorateurs du XVIe siècle et chez Dante.
Parce que Pinocchio ne voit pas dans les livres des sources de révélations, les livres ne le renvoient pas à son expérience personnelle. Vladimir Nabokov, apprenant à ses étudiants à lire Kafka, leur faisait remarquer que l’insecte en lequel Grégoire Samsa est métamorphosé est en réalité un coléoptère ailé, un insecte pourvu d’ailes sous son dos blindé, et que si seulement Grégoire s’en était aperçu, il aurait pu s’envoler. Et d’ajouter alors : « Bien des Jeannots et desJeannettes grandissent comme Grégoire, sans se rendre compte qu’ils ont des ailes et qu’ils pourraient voler.
Grégoire Samsa est un personnage d’une œuvre de Kafka, laquelle ? Lisez un résumé de ce roman.
Lecture audio de La Metamorphose
- « Pour le lecteur idéal, tout livre se lit, dans une certaine mesure, comme son autobiographie. » Alberto Manguel.
Qu’en pensez-vous ?

- « Bien des Jeannots et des Jeannettes grandissent comme Grégoire, sans se rendre compte qu’ils ont des ailes et qu’ils pourraient voler » : que signifie cette comparaison ?
L’un des personnages ci-dessous a des rêves mais n’osent pas les vivre : imaginez quel est son rêve et ce qui l’empêche de « s’envoler », de le réaliser !

Donnez un prénom, un âge, une nationalité à votre personnage. Imaginez son histoire familiale, éventuellement les contraintes du pays où il vit…
Racontez son rêve à la 1ère personne et les raisons que le personnage se donnent pour ne pas le vivre !



Extrait 11
De cela, Pinocchio non plus ne s’en rendrait pas compte s’il tombait sur La Métamorphose. Tout ce dont Pinocchio est capable, après avoir appris à lire, c’est de répéter comme un perroquet lediscours de son livre. Il assimile les mots vus sur la page mais ne les digère pas : les livres ne lui appartiennent pas vraiment parce qu’il est encore, à la fin de ses aventures, incapable de les appliquer à son expérience de lui-même et du monde. Le fait d’avoir appris l’alphabet lui permet, au dernier chapitre, de renaître sous une identité humaine et de contempler avec une satisfaction amusée le pantin qu’il a été. Mais, dans un livre que Collodi n’a jamais écrit, Pinocchio doit encore affronter la société avec un langage imaginatif que les livres auraientpu lui apprendre grâce à la mémoire, aux associations, à l’intuition, à l’imitation. Passé la dernière page, Pinocchio est enfin prêt à apprendre à lire.
Pourquoi Manguel écrit-il que Pinocchio « assimile les mots vus sur la page mais ne les digère pas » ?
Quels pouvoirs Manguel donne-t-il au livre dans la phrase suivante :« Pinocchio doit encore affronter la société avec un langage imaginatif que les livres auraient pu lui apprendre grâce à la mémoire, aux associations, à l’intuition, à l’imitation » ?

Extrait 12
Cette expérience superficielle de la lecture qu’est celle de Pinocchio est exactement opposée à celle d’un autre héros errant, ou plutôt d’une héroïne. Dans l’univers d’Alice, le langage est rendu à la richesse de son ambiguïté essentielle et n’importe quel mot (si l’on en croit Humpty-Dumpty : « Par gloire j’entends dire “un bel argument sans réplique” ») peut être contraint de dire ce que son utilisateur veut dire. Bien qu’Alice refuse des affirmations aussi arbitraires («Mais gloire ne signifie pas bel argument sans réplique », objecte-t-elle), cette épistémologie àl’usage de tous est la règle au Pays des Merveilles. Alors que dans le monde de Pinocchio le sens d’un mot imprimé est dépourvu d’ambiguïté, dans celui d’Alice la signification de « Jabberwocky10 », par exemple, dépend de la volonté du lecteur.
10 Le Jabberwocky est un poème de Lewis Caroll, qui apparaît dans De l’autre côté du miroir. Dans ce conte, Alice trouve un poème, imprimé à l’envers, qu’il faut lire dans un miroir.Le poème est écrit avec des mots-valises, si bien que beaucoup de mots n’existent pas, mais ont des sons familiers : le lecteur peut alors imaginer ce que sont les mots, ce qui donne une dimension fantastique au poème. Le poème raconte l’histoire d’un monstre terrifiant et mystérieux, le Jabberwock.
Atelier d’écriture

- adulescent, d’adulte et adolescent ;
- alicament, d’aliment et médicament ;
- bobo, de bourgeois et bohème ;
- Brexit, de Britain (Grande-Bretagne) et exit (sortie) ;
- démocrature, de démocratie et dictature
- franglais, de français et anglais
- infox, de information et intox ;
- informatique de information et automatique ;
- motel, contraction de motor et hotel
- tapuscrit, de taper et manuscrit ;
A votre tour, créez 2 mots-valises que vous emploierez dans une phrase complexe.
Extrait 13
Quand je parle d’apprendre à lire (au sens le plus plein), je veux parler de quelque chose qui se trouve entre ces deux styles de philosophie. Celle de Pinocchio correspond aux contraintes de lascolastique qui, jusqu’au XVIe siècle, était la méthode d’enseignement officielle en Europe.Dans une salle de classe scolastique, l’élève devait lire comme le dictait la tradition, en fonction de commentaires immuables acceptés comme faisant autorité.
La méthode de Humpty-Dumpty est une exagération des interprétations humanistes, un pointde vue révolutionnaire selon lequel tout lecteur doit s’engager dans le texte sous ses propres termes. Umberto Eco a utilement réduit cette liberté en observant que « les limites de l’interprétation coïncident avec les limites du bon sens » ; à quoi Humpty-Dumpty pourraitbien sûr répliquer que ce qui est pour lui de bon sens ne l’est pas nécessairement pour Eco. (…)
Mais, pour la plupart des lecteurs, la notion de bon sens conserve une certaine évidence commune qui doit suffire. Apprendre à lire consiste donc à acquérir les moyens de s’approprier untexte (comme le fait Humpty-Dumpty11) et aussi de prendre part à l’appropriation des autres (comme aurait pu le suggérer le professeur de Pinocchio). C’est dansce domaine ambigu, entre possession et reconnaissance, entre l’identité imposée par d’autres et l’identité découverte par soi-même, que se situe, à mon avis, le fait de lire.
11 Humpty Dumpty est un personnage qui dialogue avec Alice dans De l’autre côté du miroir de Lewis Carroll. Humpty-Dumpty discute du sens des mots avec Alice. « Quand j’utilise un mot, dit Humpty Dumpty avec un certain mépris, il signifie exactement ce que j’ai décidé qu’il signifie, ni plus, ni moins » ; à l’objection d’Alice qui demande si on peut donner autant de sens différents àun mot, Humpty Dumpty répond « la question est de savoir qui est le maître – c’est tout »
Que signifie le mot “scolastique” ?

Le terme de « scolastique », et son dérivé « schola », provient du grec « scholê » au sens d’oisiveté, de temps libre, d’inactivité, qui a donné le verbe « scholazô », lequel, à une période un peu plus tardive, a signifié « tenir école, faire des cours ».
La raison en est qu’ au Moyen Age, seuls les religieux avaient la « scholê », c’est-à-dire le
loisir d’étudier, laissant à d’autres le soin dévalorisé de s’occuper des affaires matérielles.
« Il est préférable d’écrire des livres que de planter des vignes ; celui-là entretient son âme, celui-ci son ventre ». (Secrétaire de Charlemagne) Ne l’interprétez pas comme une justification du fait qu’à l’école on ne fait rien !
L’éducation scolastique n’admet aucune évolution puisqu’elle est fondée sur des dogmes, des préceptes divins. On apprend donc par cœur, sans forcément comprendre ce qu’on apprend ! Le sens critique n’a pas sa place dans l’éducation scolastique. Il ne s’agit pas de réflexion, de construction d’un avis personnel bien argumenté ; il faut tout accepter et tout apprendre. Il n’y a pas de remise en cause possible.
Qu’est-ce qu’une éducation humaniste ?
Une instruction moderne et efficace était pour les humanistes un moyen de métamorphoserl’homme (« on ne naîtpas homme, on le devient », Erasme).
L’élève, plutôt que de se contenter d’apprendre par cœur le contenu des livres, doit expérimenterles choses « en vrai » et qu’il est nécessaire qu’il accumule le plus de savoirs possibles, afin de posséder une connaissance universelle et totale du monde.


À partir des deux explications données ci-dessus sur la scolastique et l’humanisme, expliquez pourquoi :
- La méthode de « Pinocchio correspond aux contraintes de la scolastique »
- « La méthode de Humpty-Dumpty est une exagération des interprétations humanistes, »
Comment comprenez-vous la phrase : « C’est dans ce domaine ambigu, entre possession et reconnaissance, entre l’identité imposée par d’autres et l’identité découverte par soi-même, que se situe, à mon avis, le fait de lire. »

Extrait 14
Il existe un ardent paradoxe au cœur de tout système scolaire. Une société doit impartir à ses citoyens la connaissance de ses codes afin qu’ils puissent y devenir actifs ; mais la connaissance deces codes, outre la simple capacité de déchiffrer un slogan politique, une publicité ou un manuel d’instructions primaires, donne à ces mêmes citoyens celle de mettre la société en question, de découvrir ses défauts et de tenter de la changer.C’est dans le système qui permet à une société de fonctionner que gît le pouvoir de la subvertir, pour le meilleur ou pour le pire. De sorte que le professeur, la personne chargée par cette société de révéler à ses nouveaux membres les secrets de ses vocabulaires communs, devient de fait un danger, un Socrate capable de corrompre la jeunesse, quelqu’un qui doit, d’une part, continuer inlassablement à enseigner et, de l’autre, se soumettre aux lois de la société qui l’a placé à ce poste d’enseignant – se soumettre jusqu’à s’auto-détruire, comme ce fut le cas de Socrate.
Un enseignant est toujours pris dans ce double nœud : enseigner de manière à apprendre aux étudiants à penser par eux-mêmes, enseigner en fonction d’une structure sociale qui impose sa loi à la pensée.
L’école, dans le monde de Pinocchio et dans la plupart des nôtres, n’est pas un terrain d’entraînement où devenir un enfant meilleur et plus accompli, mais un lieu d’initiation au monde des adultes, avec ses conventions, ses exigences bureaucratiques, ses accords tacites et son système de castes. Il n’existe pas d’écoles pour anarchistes et pourtant, en un sens, tout professeur devrait enseigner l’anarchisme, apprendre aux étudiants à s’interroger sur les règles et les règlements, à chercher des explications aux dogmes, à faire face à des obligations sans céderaux préjugés, à exiger l’autorité de ceux qui sont au pouvoir, à trouver un endroit d’où ils puissent exprimer leurs propres idées, même si cela signifie une opposition et même, en définitive, l’élimination du professeur.
Dans le premier paragraphe, quel est le paradoxe dont parle l’auteur ?
« C’est dans le système qui permet à une société de fonctionner que gît le pouvoir de la subvertir », que signifie cette phrase ?

Extrait 14
Dans certaines sociétés où l’activité intellectuelle a un prestige qui lui est propre, comme dans de nombreuses sociétés primitives à travers le monde, l’enseignant (ancien, chaman, instructeur,gardien de la mémoire tribale) a la tâche plus facile pour remplir ses obligations puisque la plupart des activités dans ces sociétés sont subordonnées à l’enseignement. Mais dansbeaucoup d’autres l’activité intellectuelle est dépourvue de tout prestige : le budget alloué à l’éducation est le premier que l’on réduit ; la plupart de nos leaders savent à peine lire ; nos valeursnationales sont purement économiques. On rend hommage du bout des lèvres à la notion de culture et on y célèbre les livres, officiellement, mais en réalité on n’y croit pas. Dans les écoles et les universités par exemple, toute l’aide financière qui peut être obtenue est investie dans deséquipements électroniques (ardemment encouragés par l’industrie) plutôt que dans des imprimés,sous le prétexte consciemment erroné que le support électronique coûte moins cher et est plus durable que le papier et l’encre. En conséquence, nos bibliothèques scolaires perdent rapidement un terrain essentiel. Nos lois économiques favorisent le contenant de préférence au contenu, car le premier peut être commercialisé de façon plus productive et paraît plus séduisant,et notre élan économique est donc placé à la suite de la technologie électronique.
Pour le vendre, nos sociétés font valoir deux qualités principales : sa rapidité et son caractère immédiat. « Plus rapide que la pensée », affirmait la publicité pour un certain Powerbook : un slogan que l’école de Pinocchio aurait sans nul doute adopté. L’opposition est valable, puisque la pensée exige du temps et de la profondeur, deux qualités essentielles dans la lecture.
L’enseignement est un processus lent et difficile, deux adjectifs qui sont, en notre temps, devenus des tares au lieu d’être des louanges. Il semble presque impossible, aujourd’hui, de convaincre la plupart d’entre nous des mérites de la lenteur et de l’effort délibéré. Et pourtant, Pinocchion’apprendra que s’il n’est pas pressé d’apprendre et ne deviendra un individu accompli que grâce à l’effort d’apprendre lentement. Que l’on se trouve comme Collodi au temps des textes scolaires répétés par cœur ou, comme nous, à celui d’une quasi-infinité de données régurgitées disponibles au bout de nos doigts, il est relativement facile d’être superficiellementcultivé, de suivre un sit-com, de comprendre une plaisanterie publicitaire, de lire un slogan politique, de se servir d’un ordinateur. Mais pour aller plus loin et plus en profondeur,pour avoir le courage d’affronter nos peurs, nos doutes et nos secrets cachés, pour mettre en question le fonctionnement de la société à notre égard et à celui du monde, il nous faut apprendreà lire autrement, différemment, afin d’apprendre à penser. Pinocchio peut devenir un garçon à la fin de ses aventures, mais tout bien considéré, il pense encore comme un pantin.
Presque tout, autour de nous, nous engage à ne pas réfléchir, à nous contenter de lieux communs,d’un langage dogmatique qui partage le monde clairement en blanc et noir, bien et mal, eux et nous. C’est le langage de l’extrémisme, qui surgit de tous côtés aujourd’hui, nous rappelant qu’il n’a pas disparu. A la difficulté de réfléchir aux paradoxes et aux questions ouvertes, aux contradictions et à un ordre chaotique, nous réagissons avec le cri séculaire de Caton lecenseur au Sénat romain : Cartago delenda est !, il faut détruire Carthage, – ne pas tolérer l’autre civilisation, éviter le dialogue, imposer sa loi par l’exclusion ou l’élimination. C’estun langage qui prétend communiquer mais, sous des déguisements variés, se contente de brutaliser; il n’attend d’autre réponse qu’un silence docile. « Sois raisonnable et bon, dit la Fée bleue àPinocchio à la fin, et tu seras heureux. » Bien des slogans politiques peuvent être réduits à ce conseil malhonnête et inepte.
Passer de ce vocabulaire étroit, correspondant à ce que la société considère comme « raisonnable et bon », à un vocabulaire plus vaste, plus riche et, surtout, plus ambigu, est terrifiantparce que cet autre domaine des mots est sans limites et équivaut parfaitement à la pensée, à l’émotion, à l’intuition.

Expliquez : « Imaginer, c’est dissoudre les barrières, ignorer les frontières, subvertir la vision du monde qui nous est imposée ».
« toute crise de société est une crise de l’imagination » : comment comprenez-vous cette phrase ?.
Pensez-vous que les livres puissent nous aider à mieux comprendre les autres, nous-même et le monde ?
Vous devrez d’abord présenter le sujet dans une introduction.
Puis dans le corps du devoir vous utiliserez arguments et exemples pour défendre votre point de vue. (vous devrez citer des exemples de livres que vous avez lus…)
N’oubliez pas une petite conclusion…

Le genre du texte


- A quelle forme d’argumentation correspond Pinocchio & Robinson d’Alberto Manguel ?
- À quel genre peut-on l’associer ?
- Donnez une courte définition du genre.