J.L Lagarce, Juste la fin du monde.

Crise personnelle, crise familiale

Issu d’un milieu modeste de province, J.L Lagarce passe son enfance à Valentigney, dans le Doubs, où ses parents sont ouvriers aux usines Peugeot.  

Il suit des études de philosophie  à Besançon.

Parallèlement il est élève au conservatoire régional d’art dramatique de 1975 à 1978.

 

 En 1977, il fonde avec d’autres étudiants une compagnie de théâtre amateur,« Le Théâtre de la Roulotte ».

À partir de 1981, sa compagnie théâtrale devient professionnelle et il réalise une vingtaine de scénographies en alternant des créations d’auteurs classiques et des mises en scène de ses propres textes.  Il débute également la rédaction d’un Journal qu’il tiendra jusqu’à la fin de sa vie, à 38 ans.

En 1990, il réside six mois à Berlin grâce à une bourse d’écriture (Villa Médicis hors les murs, Prix Leonard de Vinci). C’est là qu’il écrit Juste la fin du monde, le premier de ses textes à être refusé par tous les comités de lecture. Il arrête d’écrire pendant deux ans, se consacrant à la mise en scène, écrivant des adaptations et répondant à des commandes. il mettra notamment en scène Le Malade Imaginaire de Molière

 Il est aussi l’auteur de   trois romans, un livret d’opéra et un scénario pour le cinéma. La maladie, l’adieu avant la mort, le retour hantent son œuvre.   

Il meurt brutalement en septembre 1995 alors qu’il venait d’achever son dernier texte, Le Pays lointain.

Reconnu de son vivant comme metteur en scène, il ne le sera pleinement comme auteur qu’après sa mort où la scène révélera des chefs-d’œuvre. Jean-Luc Lagarce est aujourd’hui un auteur culte, le contemporain le plus joué en France au XXIe siècle, traduit en trente langues. 

 

Journal vidéo de

Jean-Luc Lagarce

Extrait du journal de J.L Lagarce

Samedi 23 juillet 1988
Paris. 23 h 35.

La nouvelle du jour, de la semaine, du mois, de l’année, etc., comme il était « à craindre et à prévoir » (à craindre, vraiment ?).

Je suis séropositif mais il est probable que vous le savez déjà.

Regarde (depuis ce matin) les choses autrement. Probable, je ne sais pas.

Être plus solitaire encore, si cela est envisageable.

Ne croire à rien, non plus, ne croire à rien.

Vivre comme j’imagine que vivent les loups et toutes ces sortes d’histoires.

Ou bien plutôt tricher, continuer de plus belle, à tricher.

Sourire, faire le bel esprit. Et taire la menace de la mort – parce que tout de même… – comme le dernier sujet d’un dandysme désinvolte. 

 

L'OEUVRE

Lecture de la pièce par

la Comédie Française

CONTEXTE

  « Comment créer avec la mort, que faire de la mort ? »

Au cours du XXe siècle, le théâtre va connaître des bouleversements importants.

Dans les années 50, au lendemain de la deuxième guerre mondiale et de ses atrocités, nait le mouvement de l’absurde. On le retrouve dans le roman mais aussi dans le théâtre. Ce théâtre de l’absurde est un anti théâtre qui va bouleverser la vision que le spectateur a de l’action, du personnage, de dialogue… Parmi les noms emblématique de ce théâtre, celui de Samuel Beckett, auteur entre autres, de En attendant Godot, Oh les beaux jours… dans les pièces de bécane généralement il ne se passe rien. Les personnages de En attendant Godot… attendent Godot ! Et dans Oh les beaux jours, on ne sait pas trop ce qu’attend Minnie sinon la fin…

 Les personnages n’ont plus rien du héros traditionnel. Chez Beckett, il est même la plupart du temps un être abîmé, éclopé, à la dérive moralement ou socialement. Et seul.

 Avec Eugène Ionesco, la scène devient le lieu où le langage ne signifie plus rien. Impossible de communiquer, nous sommes voués à débiter des banalités que de toute façon l’autre n’écoute pas. 

 

Samuel Beckett
Eugène Ionesco
Caligula de Camus

C’est un théâtre de la condition humaine, d’un homme confronté au silence au monde qui ne lui donne aucune réponse. C’est l’image du Caligula de Camus, trouvant la vie à ce point absurde qu’il décide de se substituer au destin… Un destin à la cruauté et à l’aveuglement sans limite.

Lagarce est l’héritier de ces dramaturges. On retrouve chez lui la banalité des personnages, une action insignifiantes, une incommunicabilité…

Lagarce est aussi influencé par Anton Tchekov, écrivain russe de la fin du XIX°. A props de son œuvre il écrit  « La nouveauté de ce théâtre est dans l’abandon, et de fait, dans le risque de cet abandon, des procédés dramatiques conventionnels. […] Le temps reste en suspens, et « l’action » toute relative qui sous-tendait la représentation cesse comme elle a commencé, sans que vraiment grand-chose d’exceptionnel ait pu arriver ».

Juste avant la fin du monde est. une pièce profondément marquée par l’art du dialogue et utilise une grammaire   particulière qui montre un renouveau dans le dispositif théâtral contemporain. Le langage  en construction, est inscrit au premier plan de l’intrigue. Le retour du fils prodigue libère les paroles, les pensées longtemps enfouies.

Anton Tchekov

GENESE DE LA PIECE

Jean-Luc Lagarce

Genèse de Juste avant la fin du monde

Début 1988, Jean-Luc Lagarde envisage d’écrire une pièce qu’il intitule Les adieux. Elle a pour sujet le retour d’un fils dans sa famille alors qu’il sait qu’il va mourir.

Le 23 juillet de la même année, il apprend sa séropositivité. Il écrira : « Je suis allé boire un café comme je le ferais en d’autres circonstances et pour d’autres événements, mais, et c’est de cet instant-là que cela date, je regardai le Monde et ses habitants autrement. »

 Il reprend ce texte début 90 alors qu’il est à Berlin, et la pièce, après s’être appelée Quelques éclaircies deviendra Juste avant la fin du monde. C’est sans aucun doute aujourd’hui la pièce la plus connue et la plus jouée de Lagarce mais ce succès est venu plus tard. Elle a d’abord été refusée partout !

Xavier Dolan l’adapte pour le cinéma en 2016.

Extrait du journal de J.L Lagarce

Jeudi 11 février 1988
Paris. Edgar-Quinet. 13 h 30.

Je vais m’atteler très vite à une pièce. Une pièce courte qui me trottait dans la tête depuis quelque temps.
Cela s’appelle Les Adieux. 
Cinq personnages, la mère, le père, la sœur, le fils et l’ami du fils.
Le fils vient, revient. Il va mourir, il est encore jeune. Il n’a jamais vraiment parlé. Il vient écouter. Il est avec un homme. Ils passent une journée là à ne pas faire grand-chose. Ils écoutent.
La mère parle tout le temps. Éviter le silence, faire comme si de rien n’était.
On ne le dit pas, mais on sait que l’on ne se reverra jamais. 

Samedi 26 mai 1990
Berlin. 13 h 30.

J’ai un peu avancé sur Quelques éclaircies que je songe à rebaptiser Juste à la fin du monde. Bon. Ça vous fascine ?
Et puis, je bute à nouveau, je pense qu’il y a là quelque chose d’important, tout près que je n’arrive pas à atteindre. C’est la première fois que je prends les choses avec autant de clairvoyance, ceci dit. Ce n’est pas bien, je recommence, je recommence. Appliqué. (Trop ?) C’est ma dernière pièce aussi, ou encore, si on veut être plus optimiste : après celle-là, si je la termine, les choses seront différentes.

Mercredi 6 juin 1990
Berlin. 9 h 30.

Avancée, percée assez décisive sur Juste la fin du monde (ex-Quelques éclaircies). Je ne dis pas que c’est gagné, c’en est loin, mais il y a là comme le début de quelque chose, la trace même imparfaite de mon projet. 

Samedi 9 juin 1990
Berlin. 23 heures.

Nouveau cahier. Suite du précédent, terminé cet après-midi.

J’avance un peu sur Juste la fin du monde, mais ce n’est pas ça, non, ce n’est pas ça.

Ce cahier est plus épais que les précédents. J’avais ça sous la main et je n’en faisais pas usage. Mais puisque je le pense, je le note, je songe qu’il sera le dernier puisqu’il suffira à me conduire aux extrémités. Nous verrons. Rendez-vous au volume XVII. 

Dimanche 8 juillet 1990
Hambourg. 14 heures.

Ai terminé – et me suis offert cette balade de fait – Juste la fin du Monde. Mais c’est très décevant.

Visite du port – dans une sorte de petit bateau pour touristes –, belles images vidéo, je crois. Et jeu étrange avec une jeune femme, photographe, assise à côté de moi. Ma mère, est-ce que je ne serais pas hétéro ?… 

GENRE

 Entre héritage antique et modernité

Il y a dans Juste la fin du monde un certain nombre d’éléments qui appartiennent à la tragédie, mais qui sont imbriqués avec des éléments qui eux appartiennent en propre au théâtre contemporain. 

Héritage antique   

L’utilisation d’un prologue.

Dans le théâtre antique, c’est le discours qui précède (pro-logos) le début de la pièce. Et ici on retrouve le monologue, l’adresse au public et l’exposition du sujet. L’idée de destin auquel Louis ne peut échapper est aussi inscrite dans ce prologue : « c’est à cet âge que je mourrai ». Louis est un héros confronté à quelque chose qui est plus fort que lui.

Le messager

Louis est venu apporter un message. Certes, il sera empêché, il ne pourra pas délivrer le message qu’il est venu apporter. Et c’est cela, autant que la mort même, qui est tragique. Dans le théâtre grec, la fonction du messager est de faire le recit des évènements censés avoir lieu hors de scène.

 Une rivalité biblique

 Le conflit entre Antoine et Louis rappelle

  • Caïen et Abel et leur rivalité fraternel.(Voir thèmes)
  • Néron et Britannicus (cf. Lecture linéaire complémentaire)

Les unités

  • Unite de temps : « un dimanche »
  • Unité de lieu:  « la maison familiale »
Phèdre

 Un héros confronté à son destin

Certes, il s’agit d’un héros du quotidien. Mais en même temps Louis est un prénom de roi, porté par trois membres mâles de la famille : le père, le fils, le petit-fils. Or dans la tragédie les personnages sont de haute lignée quand ils ne sont pas des héros de l’histoire ou de la mythologie.

Quant à la mère, elle peut incarner la figure de la régente

Quoi qu’il en soit, Louis est un héros qui ne peut échapper à la mort.   Il s’est fixé un but, il ne l’atteindra pas.

 Modernité

Typographiquement, le texte de Lagarce fait souvent penser à des versets[1]

Dans le verset, il y a unité de souffle et de rythme. 

LOUIS. — Plus tard, l’année d’après

– j’allais mourir à mon tour –

j’ai près de trente-quatre ans maintenant et c’est à cet âge que je mourrai,

l’année d’après, […]

[1] Le verset est, dans un texte sacré, un petit paragraphe de quelques lignes qui ont un sens complet. Et dans un texte poétique il est composé d’une phrase ou d’une suite de phrases formant une unité rythmique 

Mise en scène Raskine

Dans la pièce, la parole est sans cesse contrôlée, réajustée. Inutilement puisque l’essentiel n’est jamais dit. Il y a une impossibilité à communiquer autrement   qu’en échangeant des banalités(sauf dans les monologues) et en ce sens le rapport au langage résonne avec celui qu’il entretient dans le théâtre de Beckett par exemple.

On retrouve aussi chez Lagarce d’autres éléments propres au théâtre de l’absurde et au Nouveau théâtre :  la représentation de la banalité, dans l’existence et dans les personnages, une action ramenée au minimum ; en fait l’intrigue disparaît au profit d’une atmosphère. On retrouve aussi un style qui utilise beaucoup la musicalité.  

Juste la fin du monde correspond assez bien à ce que Pierre Sarrazac nomme drame-de-la-vie  (qu’il oppose au drame-dans-la-vie  et qui correspond à la tragédie définie par Aristote, ou l’on voit le héros basculer du bonheur au malheur). Dans le drame-de-la- vie, « quelque chose suit son cours » comme l’écrivait Beckett. Là, plus de grande catastrophe mais une série de petites. Ce n’est plus « la fin du monde » mais « juste la fin du monde ». Une fin du monde dans la banalité de l’existence. Dans ce drame-là domine le conflit intime avec soi et/ou avec l’autre, parfois à peine perceptible.

  Chez Lagarce, la famille de Louis et lui-même sont des personnages sans qualité particulière, ils n’ont rien d’exceptionnel.    La pièce nous donne à voir la banalité d’une famille et de ses névroses mais ce monde-là est vu par la subjectivité de Louis, être en sursis, venu dire ce qu’il ne dira pas !  Nous voyons le monde tel que Louis le perçoit. Tout particulièrement dans le prologue et l’épilogue.  Et c’est à partir de ce regard que se structure la pièce.

Nathalie Sarraute

Nathalie Sarraute, elle-même grande dramaturge d’un Nouveau théâtre qui se dédouane de la tradition définit ce qu’elle appelle le logodrame (drame de la parole) comme « un théâtre du langage. Il produit à lui seul l’action dramatique véritable, avec des péripéties, des retournements, du suspense, mais une progression qui n’est produite que par le langage ».Or, c’est bien ce à quoi on assiste dans Juste la fin du monde. Ce qui mène l’action, ce qui la fait rebondir, ce sont les phrases, les mots prononcés, les hésitations même du langage.

Une ironie en filigrane…

Le sujet a beau être grave, on rit parfois et on sourit aussi devant Juste à la fin du monde. Il y a  chez Lagarce une ironie vis-à-vis de ses personnages, une distanciation qu’on ne trouve pas dans la tragédie antique ou classique.

Le décalage entre ce que sait le spectateur, à savoir que Louis vient d’annoncer sa mort, et l’attitude des membres de cette famille est à la fois tragique et en même temps il fait parfois sourire, justement par l’ironie grinçante qui s’en dégage.

 Antoine, malgré ou à cause de son tempérament agressif, donne parfois des images drôles : ainsi, lorsqu’il compare Suzanne à un épagneul parce qu’elle manifeste sa joie à l’arrivée de Louis !

Il arrive que le personnage ne sachant plus quoi dire, dise n’importe quoi :  c’est le cas de Catherine qui décrivant sa fille, précise qu’elle a des cheveux !  Vous en trouverez d’autres…en fonction de votre sens de l’humour !

« ...annoncer, dire, seulement dire ma mort prochaine et irrémédiable »

 Une écriture musicale

L’écriture de Lagarce   repose sur le ressassement, la répétition. C’est comme si chaque phrase était une correction de la phrase qui précède.

C’est une phrase musicale au sens d’une partition dans la mesure où c’est la répétition qui construit une histoire, une mélodie.

Ouverture surprenante par un prologue, forme héritée du théâtre antique, paroles à la marge du texte et qui de surcroît ici mélangent les temporalités.

Louis, le personnage principal y annonce le motif de son retour dans le giron familial : « annoncer, dire, seulement dire ma mort prochaine et irrémédiable »

Malgré la dimension tragique de la situation, l’écriture reste assez neutre, presque froide dans ce prologue. La structure des phrases est hésitante, comme lit aussi Louis. Mais c’est aussi une langue poétique, qui utilise l’image notamment lorsqu’il s’agit de dénoncer la situation de Louis devant la maladie « comme on ose bouger parfois à peine, devant un danger extrême »

Les modèles

Abel et Caïn : ils étaient les fils d’Adam et Eve… ça date !

Caïn tuant Abel, Anoonyme

D’après le récit biblique, Caïn est le fils aîné d’Adam et Ève. Il est paysan, et a un frère Abel qui est berger. Un jour, les deux frères apportent chacun une offrande à Dieu : Caïn offre des fruits de la terre, tandis qu’Abel présente des premiers-nés de son troupeau de moutons et leur graisse. Dieu préfère ostensiblement l’offrande d’Abel. Puis il perçoit la colère et la tristesse de Caïn, et lui enjoint de bien agir et dominer le péché. Mais Caïn, jaloux, échoue. Un peu plus tard, il invite son frère à sortir dans les champs, se jette sur lui et le tue. C’est le premier meurtre inscrit dans la Bible

Dieu interpelle Caïn au sujet du meurtre, celui-ci lui répond par une question : « suis-je le gardien de mon frère ? »8, puis Dieu lui apprend qu’il est maudit par le sol qui a recueilli le sang versé. Ainsi il ne pourra plus récolter. Dieu le chasse de la terre fertile dont il jouissait et le condamne à errer sur la terre.  .(Wikipedia)

La lutte entre les fils d’Œdipe, Étéocle et Polynice 

 

 A  la mort d’Œdipe, ses deux fils, Étéocle et Polynice, règnent à tour de rôle sur Thèbes. Mais quand vient le tour de Polynice, Etéocle refuse de lui laisser la place. Les deux frères s’entretuent…

Le retour du fils prodigue

Rembrandt, Le Retour du fils prodigue

Contrairement au texte biblique, dans Juste la fin du monde  , c’est le fils aîné qui est parti et qui revient – non le fils cadet. Au départ de Louis, Antoine endosse  alors d’une certaine façon le rôle du chef de famille, de celui qui se sent responsable de tous.

De plus, chez Lagarce, Louis n’est pas réintégré à la famille, c’est même sur une rupture irrémédiable que se clôt la pièce.

Néanmoins, au retour du fils, on le fête et celui qui est resté ne reçoit aucune reconnaissance. D’où sa colère, son agressivité et la tension qui augmente au fil, de la pièce.

Le retour d’Ulysse à Ithaque

Le retour d’Ulysse à Ithaque, à travers la réplique   d’Antoine « on dirait un Épagneul » rappelle la joie du chien Argos au retour de son maître… Son chien Argos, comme la nourrice savent voir au-delà de l’apparence du mendiant. 

RESUME-STRUCTURE

Huis clos à cinq personnages, la mère, sa fille, ses deux fils, la femme de l’un des fils, « un dimanche, évidemment » dans la maison où vivent la mère et sa fille Suzanne.

 Louis, âgé de 34 ans, revient dans sa famille pour annoncer sa mort. Mais ce retour déséquilibre l’espace familial, chacun veut prendre la parole et dire ce qui n’a pas été dit. Plus les autres parlent, plus Louis se tait. Il repartira sans avoir dit ce qu’il avait décidé de dire.    

La pièce débute par un prologue et se clôt par un épilogue

Dans le prologue, Louis (nous) annonce sa mort prochaine et sa volonté de l’annoncer à ceux qu’il nomme « eux », sa famille. Il repartira sans l’avoir dit.

Entre les deux :

  • une première partie (onze scènes) avec plusieurs monologues (scène 3 : Suzanne, scène 5 : Louis, scène 8 : la Mère, scène 10 : Louis) ;
  • un intermède (neuf scènes),
  • une deuxième partie (trois scènes) la première est un monologue de Louis

Dans l’épilogue, Louis, mort, revient raconter un souvenir marquée par le regret

Il y a donc en réalité cinq parties dans cette pièce, même s’il n’y a pas d’acte. Or la tragédie classique s’organise en cinq actes.

Plus on avance dans la pièce  plus les parties se restreignent (11 pour la 1° partie /9 pour les intermèdes/ 3 seulement pour la dernière partie) comme si peu à peu , l’effort annoncé dans le prologue pour dire la mort à venir s’asphyxier. 

Quasiment pas d’indications spatiales et temporelles

Le prologue

Voir la lecture linéaire n°1

PREMIERE PARTIE

Scène 1

Moment très important. Fonctionne comme une scène d’exposition. C’est-à-dire qu’elle permet aux spectateurs de connaître les informations nécessaires. Ici, à travers le prologue, il a déjà eu l’information essentielle. Dans cette scène d’ouverture, il découvre les personnages.

Suzanne présente Catherine à Louis.

Scène 2

La mère ne se souvient plus que Louis ne connaît pas Catherine : bien pratique pour faire   passer l’info aux spectateurs.

Scène permet aussi de mettre en place une atmosphère lourde, tendue par l’agressivité d’Antoine  . Ses répliques sont   des rappels à l’ordre, des agressions 

Suzanne parle pendant 7 pages tandis que son frère reste silencieux. Il n’y a pas de place pour la parole de Louis.

  Suzanne rappelle d’abord les éléments passés et notamment le départ de Louis. Ensuite elle va tenter de lui parler des cartes postales elliptiques qu’il a envoyées.  (Voir lecture analytique 2)    

Puis elle parle de sa vie présente, dans la maison de la mère.

La deuxième partie de la tirade de Suzanne bascule dans le présent : Louis ne parle toujours pas. On sait qu’il est là parce qu’elle s’adresse à lui. Sorte de fantôme…    

Scène 3

Scène 4

Tous les personnages sont présents. Récit rétrospectif de la mère au sujet des dimanches. Le passé est envahissant. On apprend que les deux frères jouer déjà « à se battre ».

On a au milieu de la première partie, le monologue de Louis. Le personnage s’extrait en quelque sorte de la maison, de la famille. C’est une pause. 

Le sujet en est sa décision de venir voir les siens. Même confusion temporelle que dans le prologue. « L’année d’après » se transformant en « cela fait un an ».

On perçoit à nouveau la difficulté de Louis à utiliser les mots. Sa solitude au milieu des autres, depuis toujours. Ils sont dans un entre-deux entre la vie et la  mort.

Le premier monologue de Louis (I, 5)

Le deuxième monologue de Louis (I, 10)

C’est le plus long. Louis y fait le récit rétrospectif des états d’âme qui l’ont traversé les derniers mois. C’est, en quelque sorte, le récit d’une crise qui nous est fait. Les souvenirs sont plutôt douloureux. On est en plein lyrisme. C’est une plainte qui s’adresse à lui-même.  

 Là aussi, le temps est confus.  

Il revient d’abord sur le moment où il apprend qu’il va mourir. Passage en lien avec la fin du monde, tout disparaîtrait avec lui

Ensuite ce qu’il se passerait quand il ne serait plus là… Ce qu’on dirait.  

Puis surgit une volonté de reprendre le contrôle

Il se voit donnant la mort au lieu de la subir.  C’est le ressassement de la haine

Enfin  la fuite. Voyager physiquement pour échapper à la mort. Le temps du mensonge, c’est un rôle qu’il joue.

Le pronom « nous » associe Louis à la mort , tentative et ou illusion de maîtrise

 Il évoque “les grands coups d’ailes qui font se fracasser la tête contre les vitres » rappelle les chauves-souris baudelairienne dans Spleen 78  

Avant-dernier moment, retour à la réalité . La fuite n’est pas possible. Personnification de la mort qui s’exprime au discours direct.

Et pour finir, résignation, acceptation. Mise en ordre et à nouveau   idée du rôle

Confrontation entre les deux frères. Louis raconte à Antoine son arrivée, l’attente à la gare ; il semble vouloir créer un lien, adoucir les choses.   Mais Antoine ne le perçoit pas ainsi.  Il  finit par refuser de l’écouter et quitte la scène en lui disant qu’il se tait « pour donner l’exemple ».

Scène 11,  première partie

DEUXIEME PARTIE

Le troisième monologue de Louis (II, 1)

Anticipe le départ de Louis 

Louis est un personnage conscient d’être un personnage… (shakespeare, la vie est un théâtre)

Le conflit est latent entre les deux frères dès la première scène mais il éclate ici et dans la deuxième partie.

Le conflit avec Antoine (  II, 2 et II, 3)

Scène 2, deuxième partie 

On prépare le départ de Louis. Suzanne reproche à Antoine d’être désagréable. Celui-ci se met en colère, il menace son frère de mort : « tu me touches je te tue »  

Ici le parallèle est possible avant les grandes figures bibliques   Caïn et Abel ou  mythologique, avec Etéocle et Polynice. C’est aussi  Néron assassinant Britannicus  

  Antoine accuse Louis d’avoir toujours joué un rôle, ce que Louis lui-même avait dit dans le monologue précédent. 

C’est Antoine qui a la parole : il la garde très longtemps (plusieurs pages) dans lequel il se plaint qu’on lui ait tout pris pour le donner à son frère malheureux.

La dernière scène  (avant l’Épilogue)

L’Épilogue

C’est à Louis  que revient aussi l’épilogue.      

Le texte se compose de trois mouvements d’inégales longueurs.

Premier mouvement : revient sur le départ de Louis,   définitif, et  sa mort  à venir. Il y a à nouveau ambiguïté avec les temps verbaux, comme dans le prologue. La mort est dite  au présent.

Il donne l’impression que Louis est déjà mort ; c’est comme si Louis s’adressait à nous depuis l’au-delà.

La deuxième partie est le récit d’un souvenir racontée au présent de narration (hypotypose). Les frontières du temps sont effacées, on ne distingue plus présent et passé. La temporalité est bouleversée

La scène a une dimension symbolique très importante.

Le cri qui n’est pas poussé est l’image de l’annonce qui n’a pas été faite.

Ce n’est pas un dénouement puisque il ne se passe rien de plus que ce qui a déjà été dit, à savoir que justement rien n’a été dit

La dernière phrase laisse la fin ouverte, au futur mais quel futur pour un homme qui est déjà mort ? La phrase, mystérieuse, refuse de clôturer la pièce mais laisse celle-ci plutôt en suspens, en montrant le personnage repartir.

THEMES

La parole

Le thème dominant est celui de la parole. Tous les personnages ont du « mal à dire »

Les crises, qu’elles soient familiales et/ou personnelles, qu’elles éclatent ou non, ont toujours partie liée avec la parole.  

Dans Juste la fin du monde, les mots ne viennent pas facilement. C’est une parole qui se cherche, on ne sait pas tout de suite ce que l’autre essaye de formuler et quelques fois cela reste en suspens. Dans les discours des personnages il y a beaucoup d’épanorthoses, c’est-à-dire de reprise, d’autocorrection de leur propre langage, qui est en fait une recherche du mot « juste », de la précision, de l’adéquation entre l’idée et le mot. Mais cette recherche de précision finit par parasiter l’information, le message. Et c’est tellement compliqué, que parfois ils abandonnent : « je ne sais comment l’expliquer,/comment le dire,/alors je ne le dis pas » Suzanne (I, 3) »

Plus que la mort elle-même, dans cette pièce, la tragédie c’est de ne pouvoir dire cette mort.

C’est par un prologue que débute cette pièce, dans lequel on apprend le motif du retour : « annoncer, dire, seulement dire ma mort prochaine et irrémédiable »

Mais cette parole ne sera pas dite à ceux auxquels elle devait s’adresser.

Les intermèdes offrent de nombreux exemples d’échanges ratés. L’autre se tait (Suzanne/ Louis), l’écoute est déceptive…Bref « on s’entend mal ».

Les personnages se parlent mais souvent soit ils disent ce que l’autre ne veut pas entendre, soit ils ne disent pas ce qu’on attend qu’ils disent…

Ainsi, la famille de Louis voudrait que celui-ci dise son manque mais lui  va  juste dire qu’il est arrivé dans la nuit – révélation dont Antoine ne veut pas : « Pourquoi est-ce que tu me racontes ça?/ Pourquoi est-ce que tu me dis ça? »  . La confidence spécifiquement adressée, imprévue, semble suspecte, irrecevable. Antoine la rejette d’autant qu’il ne veut plus  écouter et a choisi de se taire « pour donner l’exemple »  

Par ailleurs, la parole a toujours besoin d’être reprise, elle voudrait avancer mais dans un apparent souci d’exactitude elle se met à se démultiplier et devient inaudible.  Ce sont les symptômes de la fragilité de la communication. Il y a refus- ou impossibilité-  d’aller droit au but. Il faut toujours nuancer, d’où les répétitions  ou les épiphores qui finalement empêche l’expression personnelle . Cette oralité parasitée est l’exacte contraire des « cartes postales elliptiques » que Louis envoie « « Je vais bien et j’espère qu’il en est de même pour vous». • 

«  Le secret est au cœur même de l’écriture, dans la façon dont les personnages prennent la parole et partagent la même quête de l’infinie précision», (Ryngaert)

Maïa Bouteillet écrit dans Libération du  7 novembre 2003 

« Ni incarnée ni abstraite, l’écriture de Lagarce apparaît ainsi dans sa dimension paradoxale, faussement quotidienne, allégorique, inspirée des mouvements de l’oralité mais davantage musicale que parlée, universelle bien au-delà de l’autobiographie […]. Entre le prologue et l’épilogue tenus par Louis […] pas de dialogues, mais des tentatives toujours avortées. Le ressentiment, le manque, la frustration, les fantasmes, la solitude, l’amour, tout cela et bien plus : chaque mot qui perce se cogne au silence des familles. Jusqu’au dernier monologue d’Antoine, garçon à jamais blessé : assurément le plus beau rôle, les plus belles pages de la pièce. »

On notera que les personnages ne se touchent quasiment jamais et quand ils le font, c’est soi poussés par Suzanne (pour que Catherine et Louis qui ne se connaissent pas s’embrassent) ou quand Antoine  est entrain de vider son sac et qu’il lance à Louis « Si tu me touches, je te tue ».

Le retour

« Devrions-nous jamais revenir un jour là où nous avons vécu, où nous étions auparavant, nos rivages anciens, le lieu de notre jeunesse et de notre apprentissage, le beau secret de nos premières hésitations, ces lieux où nous prétendons toujours que nous avons été heureux, devrions-nous y retourner, que nous ne pouvons ignorer le danger qui nous guette, que nous ne pouvons, lâchement, ignorer que, déjà, peut-être, nous nous trompons nous-mêmes. »

Jean-Luc Lagarce, « Dire ce refus de l’inquiétude », in Du luxe et de

 

Le retour est sans cesse présent , pas seulement sur le plan thématique  (thème du retour du fils prodigue, retour d’Ulysse à Ithaque, mais aussi  au niveau du langage puisque  chaque phrase semble revenir sur elle-même pour   se commenter, se reformuler, se rétracter ; chaque retour à la ligne par le choix du verset, dit la difficulté à s’exprimer, à mettre en mots la pensée.

L’être ailleurs, le départ, l’absence

Les trois enfants   de la Mère semble vouloir être ailleurs.

Suzanne aimerait « aller loin et vivre une autre vie [… ] dans un autre monde » (37),

Antoine « ne veut pas être là »  

Louis est toujours en partance, sur le point de renouveler la séparation•

La présence semble toujours menacée, jamais acquise, il semble qu’il faille en permanence la confirmer : « Où est-ce que tu  vas?  »,  « Où est-ce qu’ils  sont? [… ] Où est-ce que vous allez? » sont des interrogations récurrentes dans la pièce  

Mais Louis cette fois est là et c’est son frère qui « semble vouloir [le] faire déguerpir» (62), sa belle-sœur qui lui conseille de partir, sa mère qui lui demande de les «laisser» (66). Rien n’est donc plus paradoxal que la présence dans cette pièce : les présents se voudraient ailleurs, le grand« parti» n’a jamais été autant là et tout se passecomme si cette présence frontale, incontournable, si longtemps espérée, se révélait insupportable et suscitait des réflexes de fuite, dans la remémoration du premier départ ou l’anticipation du prochain. Si bien que, pour chaque personnage, la présence ne semble vivable que d’être doublée d’une absence

PERSONNAGES

Les personnages de Juste la fin du monde,  qui ne sont nommés que par « eux » dans le prologue ont toutefois chacun une identité déterminée.. 

La manière dont ils apparaissent dans la liste des personnages est déjà en soi une information. 

LOUIS

Louis, 34 ans, est le fils aîné, il est écrivain et il est le seul à avoir tenté de s’inventer, à être parti.(cf Parabole du retour du fils prodigue)

Par son retour, il vient troubler l’ordre qui avait été établi en son absence.

Le spectateur connait la cause de sa venue, sa famille l’ignore.

On sait qu’il va mourir mais on ne sait pas de quoi. On sait seulement que cela va arriver. 

Alors que ce retour fait qu’il est le centre d’intérêt,  que tous les autres personnages ne s’intéresse qu’à lui, et que l’on ne parle que de lui,  paradoxalement, plus la parole de l’autre se fait envahissante, plus il s’efface.  Dans la scène 3 par exemple, avec Suzanne , sa parole est totalement silence. Il n’existe que par ce que Suzanne en dit : « tu ris »

Sa parole se fait de plus en plus rare et il finira par repartir sans n’avoir rien dit.

Louis partage son prénom avec le père absent et le fils d’Antoine.

SUZANNE

Suzanne est la plus jeune, elle a 23 ans  

Elle attend ce retour depuis longtemps et c’est elle qui dirige la cérémonie du retour, infléchit les actions (1ere rencontre entre Catherine et Louis).

Dans la scène 3, elle revient avec une parole intime mais Louis n’arrive pas à parler. Suzanne y fait le récit de son existence. On y perçoit des regrets, des manques, des failles. C’est le tragique du quotidien… elle insiste aussi sur l’écriture, sur sa déception de ne recevoir que des cartes elliptiques. Or « elliptique » est un adjectif qui peut aussi qualifier l’écriture de Lagarce.

ANTOINE

Antoine, fils cadet, a 32 ans et travaille dans une usine d’outillage

Il se sent méprisé, ignoré par le retour de son frère…

Il a appelé son fils Louis

LA MERE

La Mère n’a pas de prénom. Elle est désignée par sa fonction de mère. On connaît son âge, 61 ans.   

Dès le début, que ne veut-t-elle pas entendre lorsqu’elle dit « ils ne se connaissent pas… Ne me dites pas ça, ne me dites pas ça »

CATHERINE

Catherine, est une pièce rapportée, elle est la femme d’Antoine  

On sent l’absence du père.

CADRE SPATIO-TEMPOREL

A minima :

  • Spatial : la maison de la mère
  • Temporel : « un dimanche évidemment »

 

Spatial : la maison de la mère

Il n’y a pas de précision de décor, on sait qu’on est dans la maison de la mère. Cette maison est le dénominateur commun entre des personnages que tout sépare. Excepté la mère et Suzanne qui elle, habite le deuxième étage qui est un hors-scène, tous les autres ne sont là que de passage : Antoine et sa femme Catherine habitent dans « une petite maison … à quelques kilomètres ».

Louis vient d’un ailleurs qui n’est même pas nommé.

 Temporel : « un dimanche évidemment »

Juste la fin du monde à la Comédie française

Mais sur le plan temporel il y a quand même un flou.

On lit à la fin de la didascalie initiale : « un dimanche évidemment ou bien encore durant près d’une année entière »

La   temporalité est donc très ambiguë, elle prend visiblement en compte un hors scène temporel, un hors temps ; cette temporalité qui dépasse le ici et maintenant est particulièrement visible dans le prologue qui mélange passé et présent, et dans l’épilogue qui énonce un temps et une parole d’après la mort.

De façon plus générale, le discours des personnages est constamment envahi par le passé

ACTION

On peut avoir l’impression que rien ne se passe. D’autant plus que, le seul événement annoncé, n’a pas lieu, à savoir, l’annonce de la mort de Louis.

En fait le présent est sans cesse envahi par le passé et   ce ressassement empêche l’avènement de l’événement… finalement, ce n’est pas qu’il ne se passe rien mais tout ce qui se passe se passe dans le langage. 

LE TITRE

Il y a à priori un lien oxymorique entre les termes du titre :« La fin du monde » suggère l’apocalypse, la catastrophe absolue. L’adverbe « juste » par contre vient atténuer fortement cette idée de cataclysme.

Comment le justifier ?

La fin du monde ici, c’est la fin de Louis, sa mort. Juste sa mort, pas l’apocalypse.

On peut donc entendre ce titre comme un écho à l’expression familière « ce n’est pas la fin du monde ! » quand un événement arrive auquel on donne peut-être trop d’importance.

CRISE PERSONNELLE - CRISE FAMILIALE

 Dès le prologue nous savons à quelle crise personnelle terrible est confronté Louis. C’est « la chronique d’une mort annoncée »…  Il nous donne à voir, notamment dans le prologue et l’épilogue, ce qu’il porte en lui de troubles, de souffrance…C’est cette crise personnelle qui pousse Louis à « revenir sur (ses) traces ». A prendre « malgré tout » la décision d’aller annoncer sa mort prochaine aux siens.

Mais ce retour va à son tour déclencher une crise familiale.

Chacun des protagonistes va connaître un moment de crise.

  • Suzanne d’abord, qui par une logorrhée tente de faire face au silence de son frère.
  • Antoine, le plus agressif, éclate à plusieurs reprises.
  • Puis la mère, prisonnière d’un passé quelque peu idéalisé qui se comporte en mère, conseillant son fils sur sa manière d’être avec ses frères et sœurs.

Par son retour, Louis  a déclenché chez chacun la nécessité de parler mais c’est souvent sous forme de logorrhée que cette parole s’écoule.

Paradoxalement, plus la parole des autres se libère, plus celle de Louis est empêchée. Au point qu’il ne dira rien de ce qu’il était venu dire.

 Absent depuis longtemps, Louis par son retour vient perturber l’équilibre familial qui avait été instauré.

 Au départ de Louis, Antoine s’est substitué au frère aîné, à celui auquel revenait le rôle de chef de famille. Son retour met en danger ce statut, d’où l’agressivité d’Antoine.

Existe alors une rivalité fraternelle qui fait résonner le conflit biblique entre  Caïen et Abel. Mais ici, le frère cadet n’aura pas besoin de mettre à mort le frère aîné, il sera mort avant…

 Pour chacun des personnages, ce qui joue c’est une crise de la parole. Tous peinent à mettre les mots au service de leurs pensées. Tout ce temps à chercher, à tenter de trouver le mot juste, la plupart du temps sans y parvenir. Il faut beaucoup de temps à Suzanne pour arriver à formuler le reproche qu’elle fait à son frère quant à ses « cartes postales elliptiques ». Mais quand les mots ne permettent plus d’exprimer la pensée, le personnage se tait. C’est ce qui arrive à Louis. Il ne dira rien.

LECTURES LINEAIRES

 Lecture linéaire N°1 : Prologue

Lecture linéaire N°2 : I, 3 Suzanne-Louis (« Parfois tu nous envoyais des lettres… »

Lecture linéaire   N°3 :

Lecture linéaire complémentaire N°1 : Racine, Britannicus

GRAMMAIRE

Etude grammaticale lecture linéaire 1

Etude grammaticale lecture linéaire 2

Etude grammaticale lecture linéaire 3

Etude grammaticale lecture linéaire 3

MISES EN SCENE

Mises en scène comparées

FILM de X. DOLAN

En 2016, Xavier Dolan présente au Festival de Cannes son dernier film Juste la fin du monde.

 

Il choisit de soumettre la langue de Jean-Luc Lagarce à sa propre esthétique. Il raccourcit, modifie, supprime certains passages, notamment l’intermède, non conciliable avec son scénario. Il intègre la mise en scène dans un paysage audiovisuel profondément marqué par le vintage et le kitsch. Il choisit aussi de modifier certaines caractéristiques des personnages, notamment l’âge de Louis. Ainsi, dans les pièces de Lagarce et Berreur, Louis se présente comme le frère ainé ; or ici, le héros est le plus jeune des frères.

Dans une même démarche que Jean-Luc Lagarce, Dolan introduit l’intrigue de son film avec un long monologuede Louis qui voyage en avion. Il évoque, de manière philosophiq ue, son retour dans le foyer familial, sescraintes et le souhait d’annoncer sa mort.

Le protagoniste, jeune écrivain, revient voir sa famille après douze années d’absence pour parler de sa mort prochaine. Ces retrouvailles, entrecoupées par des scènes de flashbacks, de souvenirs lointains ravivent et créent des tensions.

Étudié comme un huis clos, le long- métrage possède de nombreuses scènes de disputes qui necessent de monter crescendo. Le film se clôture par un ultime conflit, le plus violent, où rien n’a été dit et où tout reste en suspens. La dernière image représente Louis qui quitte la maison familiale.

Contrairement à Lagarce et à Berreur, les personnages reflètent davantage des personnalités. Dès les premières images, le spectateur découvre différents traits de caractère : l’extravagance de la Mère, la pudeur de Louis,l’impulsivité d’Antoine, l’innocence de Suzanne et la timidité de Catherine.

De plus, le cinéaste dévoile deux détails importants sur Louis : il est metteur en scène et homosexuel. Comme un hommage au dramaturge, Dolan attribue au protagoniste deux traits identitaires lagarciens.