AU XXème siècle, l’homme et son rapport au monde à travers la littérature et les autres arts.

J.M Basquiat, Autoportrait

Dimitrios : Quelque chose m’a turlupiné ces temps-ci, Kostas.
Kostas : Mais encore ?
Dimitrios : Tout cela a-t-il un sens, et quel est-il ?
Kostas : Tout cela quoi ?
Dimitrios : Tu sais bien, la vie, la mort, l’amour- la tarte et toute sa crème.
Kostas : Qu’est-ce qui te fait penser que tout cela aurait un sens ?
Dimitrios : Le fait que cela doit en avoir un. Sinon la vie serait purement et simplement…
Kostas : Quoi ?
Dimitrios : Si tu me servais un ouzo …

Tiré de Platon et son ornithorynque entrent dans un bar, T.Cathcart & D.Klein, Seuil, 2007 (P.9) 

Quelques mots d’introduction…

Le XXème siècle marque un tournant majeur dans le regard que l’homme porte sur le monde et sur lui-même.

A la fin  du XIXème, Nietzsche annonce la mort de Dieu. L’homme se retrouve seul face à sa condition. Seul face à son effroi : la Nature, la maladie, la mort, le mystère du monde …

De plus,   les évènements historiques du siècle vont montrer à l’homme le visage terrifiant de l’homme : guerres, exterminations, armes terrifiantes…

La science elle-même   a montré ses limites et ses dangers.

Que reste-t-il alors ? Il reste l’art. L’art comme médiation entre l’homme et ses angoisses, ses questionnements. Depuis les premières œuvres artistiques du néolithique jusqu’à aujourd’hui, l’homme tente à travers ses créations, de dire l’indicible, de trouver du sens.

Contexte: présentation du XX° siècle

Cet objet d’étude portera sur le rapport de l’homme au monde, à la nature, à l’autre et à la manière dont il exprime ce rapport dans l’art.

Séquence 1 : Ecce homo (être homme)

S.1 L’Homme et la nature

Texte 1 : Laurent Gaudé, Ouragan

Laurent Gaudé est né en1972. Auteur de théâtre et romancier. Il est notamment l’auteur du Soleil des Scorta pour lequel il a obtenu le Prix Goncourt

 

 

Moi, Josephine Linc. Steelson, négresse depuis presque cent ans, j’ai ouvert la fenêtre ce matin, à l’heure où les autres dorment encore, j’ai humé l’air et j’ai dit : “Ça sent la chienne.” Dieu sait que j’en ai vu des petites et des vicieuses, mais celle-là, j’ai dit, elle dépasse toutes les autres, c’est une sacrée garce qui vient et les bayous[1]vont bientôt se mettre à clapoter comme des flaques d’eau à l’approche du train. C’était bien avant qu’ils n’en parlent à la télévision, bien avant que les culs blancs ne s’agitent et ne nous disent à nous, vieilles négresses fatiguées, comment nous devions agir. Alors j’ai fait une vilaine moue avec ma bouche fripée de ne plus avoir embrassé personne depuis longtemps, j’ai regretté que Marley m’ait laissée veuve sans quoi je lui aurais dit de nous servir deux verres de liqueur – tout matin que nous soyons – pour profiter de nos derniers instants avant qu’elle ne soit sur nous. J’ai avant pensé à mes enfants morts avant moi et je me suis demandé, comme mille fois auparavant, pourquoi le Seigneur ne se lassait pas de me voir traîner ainsi ma carcasse d’un matin à l’autre. J’ai fermé les deux derniers boutons de ma robe et j’ai commencé ma journée, semblable à toutes les autres. Je suis descendue de ma chambre avec lenteur parce que mes foutues jambes sont aussi raides que du vieux bois, je suis sortie sur le perron et j’ai marché jusqu’à l’arrêt du bus. (…) Ce jour-là, donc, comme tous les autres depuis si longtemps, je suis montée dans le premier bus. Il y avait une place au premier rang à la droite du chauffeur et je m’y suis mise. “Une belle journée qui s’annonce, hein, miss Steelson ?…” a-t-il lancé. Et comme je n’aime pas parler pour ne rien dire, comme l’avis des autres m’importe peu, j’ai répondu, en articulant bien pour que tous les gens assis derrière entendent, j’ai répondu : “Ne crois pas ça, fils. Le vent s’est levé à l’autre bout du monde et celle qui arrive est une sacrée chienne qui fera tinter nos os de nègres…

[1]Marais, marécages

  1. Qui est la narratrice ? Quelles informations nous donne-t-elle sur elle-même ?

2. Qu’est-ce que cette « chienne » dont elle parle ?

3. Comment s’exprime-t-elle ?

4. Quelle attitude a-t-elle face à la catastrophe qu’elle sent venir ?

5. En quoi ce texte annonce-t-il la fragilité de la position de l’homme par rapport aux caprices de la nature ?

La correction ne sera disponible qu’après étude du texte

Etude d’une œuvre en lien avec la problématique de la séquence

HOKUSAI
Les Trente-six vues du mont Fuji
1re   « Sous la vague au large de Kanagawa » (Kanagawa-oki nami-ura)

Série de 46 planches, 36 estampes 
Vers 1829-1833

 

  1. Quelles impressions se dégagent de cet instantané ?
  2. Quelles impressions donne le Mont Fuji, au fond ?
  3. Quelles impressions se dégagent de la vague ?
  4. En quoi cette estampe illustre-t-elle la condition de l’homme face à la nature, à la vie ?

Phrase complexe

Opposition / Concession

Travail d’écriture

Voici un poème de Pablo Neruda

Le 22 mai 1960, un tremblement de terre d’une puissance incroyable   a touché  le sud du Chili sur 1000 km. Le séisme a détruit la ville de Valdivia, et fut suivi d’un tsunami qui  balaya les côtes de l’océan Pacifique. 

 

Je me suis réveillé au moment où le sol des rêves a manqué sous mon lit.

Une colonne de cendre aveugle titubaitau milieu de la nuit,

je te demande: Suis-je mort?

Tends-moi la main dans cette rupture de la planète

Tandis que la cicatrice du ciel violet se fait étoile

Ah! Mais je me souviens, où sont-ils donc? Où sont-ils donc?

Pourquoi la terre bouillonne-t-elle, avalant tant de morts?

Ô masques sous les gîtes éboulés, sourires

qui ne connurent pas l’effroi, êtres déchiquetés

Sous les solives[1], couverts par la nuit.

Et aujourd’hui, jour bleu, voici que tu te lèves

en costume de bal, avec ta traînée d’or

sur cette mer éteinte des décombres, feu

cherchant le visage perdu des morts sans sépulture.

 

[1]Les charpentes, les poutres

 

 

Consignes d’écriture

Réécrire ce poème de Pablo Neruda comme si les faits étaient racontés par Josephine Linc. Steelson, le personnage d’Ouragan

  • Utiliser la 1èrepersonne
  • Utiliser un style et un niveau de langue appropriés au personnage de Joséphine
  • Passer de la forme poétique à la prose

S 2 : MOI ET L’AUTRE, C’EST COMMENT ?

Texte 1  Sartre, Huis clos

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GARCIN

 Je suis mort trop tôt. On ne m’a pas laissé le temps de faire mes actes.

INÈS

On meurt toujours trop tôt – ou trop tard. Et cependant la vie est là, terminée; le trait est tiré, il faut faire la somme. Tu n’es rien d’autre que ta vie.

GARCIN

Vipère! Tu as réponses à tout!

INÈS

Allons! Allons! Ne perd pas courage. Il doit t’être facile de me persuader. Cherche des arguments, fais un effort! Eh bien. Eh bien? Je t’avais dit que tu étais vulnérable! Ah! Comme tu vas payer à présent. Tu es lâche, Garcin un lâche parce que je le veux. Je le veux, tu entends je le veux! Et pourtant, vois comme je suis faible, un souffle.  Je ne suis rien que le regard qui te voit, que cette pensée  incolore qui te pense. (Il marche vers elle, les mains ouvertes) Ha!  Elles s’ouvrent ces grosses mains d’homme. Mais qu’espères-tu? On attrape pas les pensées avec les mains. Allons! tu n’as pas le choix : il faut me convaincre. Je te tiens.

ESTELLE

Garcin!

GARCIN

Quoi?

ESTELLE

Venge-toi!

GARCIN

Comment?

ESTELLE

Embrasse-moi, tu l’entendras chanter.

GARCIN

C’est pourtant vrai, Inès. Tu me tiens, mais je te tiens aussi.

(Il se penche  sur Estelle, Inès pousse un cri)

INÈS

Lâche! Lâche! Va, va! Va te faire consoler par les femmes.

ESTELLE

Chante Inès. Chante!

INÈS

Le beau couple! Si tu voyais sa grosse patte posée à plat sur ton dos, froissant la chair et l’étoffe. Il a les mains moites; il transpire. Il laissera une marque bleu sur ta robe.

ESTELLE

Chante! Chante! Serre-moi plus fort contre toi, Garcin; elle en crèvera.

(…)

GARCIN

Il ne fera donc jamais nuit ?

INÈS

Jamais.

GARCIN

Tu me verras toujours?

INÈS

Toujours.

 

GARCIN (Garcin abandonne Estelle et fait quelques pas dans la pièce. Il s’approche du bronze.)

Le bronze… eh bien, voici le moment. Le bronze est là, je le contemple et je le comprends que je suis en enfer. Je vous dis que tout était prévu. Ils avaient prévu que je me tiendrais devant cette cheminée, pressant me main sur ce bronze, avec tous ces regards sur moi. Tous ces regards qui me mangent… Ha! Vous n’êtes que deux? Je vous croyais plus nombreuses. (Il rit.) Alors, c’est ça l’enfer. Je n’aurais jamais cru…Vous vous rappelez : le souffre, le bûcher, le gril …Ah! Quelle plaisanterie. Pas besoin de gril : l’enfer, c’est les Autres.

  

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  1. Relever dans le texte les expressions qui contiennent le mot « regard(s)». Qu’en concluez-vous ? 
  2. Quel effet ce regard a-t-il sur Garcin ?
  1. L’une des répliques d’Ines explique le pouvoir de ce regard. Laquelle ? 
  1. « L’enfer, c’est les autres ». Voici un commentaire que Sartre fait sur cette formule : « Quand nous pensons sur nous, quand nous essayons de nous connaître, au fond nous usons des connaissances que les autres ont déjà sur nous, nous nous jugeons avec les moyens que les autres ont, nous ont donné, de nous juger. Quoi que je dise sur moi, toujours le jugement d’autrui entre dedans. Quoi que je sente de moi, le jugement d’autrui entre dedans. Ce qui veut dire que, si mes rapports sont mauvais, je me mets dans la totale dépendance d’autrui et alors, en effet, je suis en enfer. Et il existe une quantité de gens dans le monde qui sont en enfer parce qu’ils dépendent trop du jugement d’autrui. Mais cela ne veut nullement dire qu’on ne puisse avoir d’autres rapports avec les autres, ça marque simplement l’importance capitale de tous les autres pour chacun de nous.

A partir delà, comment peut-on expliquer la dernière phrase ; « L’enfer, c’est les autres ! »

 

Texte 2a : Albert Cohen, Belle du Seigneur

BELLE DU SEIGNEUR est le récit de la passion entre Solal, juif séducteur, ironique et grand prince et d’Ariane d’Auble jeune aristocrate protestante, qui s’ennuie avec Adrien Deume, le petit bourgeois étriqué qu’elle a épousé. Leur passion se désagrège peu à peu, et les conduira au suicide.

 

Ô débuts, jeunes baisers, demandes d’amour, absurdes et monotones demandes. Dis que tu m’aimes, lui demandait-il, et pour mieux prendre ses lèvres il s’appuyait sur elle, s’appuyait sur une cuisse, et elle rapprochait aussitôt les genoux, se refermait devant l’homme. Dis que tu m’aimes, répétait-il, accroché à l’importante demande. Oui, oui, lui répondait-elle, je ne peux te dire que ce misérable oui, lui disait-elle, oui, oui, je t’aime comme je n’ai jamais espéré aimer, lui disait-elle, haletante entre deux baisers, et il respirait son haleine. Oui, aimé, je t’aime autrefois, maintenant et toujours, et toujours ce sera maintenant, disait-elle, rauque, insensée, dangereuse d’amour.

Ô débuts, deux inconnus soudain merveilleusement se connaissant, lèvres en labeur, langues téméraires, langues jamais rassasiées, langues se cherchant et se confondant, langues en combat, mêlées en tendre haine, saint travail de l’homme et de la femme, sucs des bouches, bouches se nourrissant l’une de l’autre, nourriture de jeunesse, langues mêlées en impossible vouloir, regards, extases, vivants sourires de deux mortels, balbutiements mouillés, tutoiements, baisers enfantins, innocents baisers sur les commissures, reprises, soudaines quêtes sauvages, sucs échangés, prends, donne, donne encore, larmes de bonheur, larmes bues, amour demandé, amour redit, merveilleuse monotonie.

Ô mon amour, serre-moi fort, je suis à toi purement toute, disait-elle. Qui es-tu, qu’as-tu fait pour m’avoirprise ainsi, prise d’âme, prise de corps ? Serre-moi, serre-moi plus fort, mais épargne-moi ce soir, disait-elle. D’intention je suis ta femme déjà, mais pas ce soir, disait-elle. Va, laisse-moi seule, laisse-moi penser à toi, penser à ce qui m’arrive, disait-elle. Dis, dis, dis que tu m’aimes, balbutiait-elle. Ô mon amour, disait-elle, bienheureuse et en larmes, personne, ô mon amour, personne avant toi, personne après toi. Va, mon aimé, va, laisse-moi seule, seule pour être plus avec toi, disait-elle. Non, non, ne me quitte pas, suppliait-elle en le retenant des deux mains, je n’ai que toi au monde, je ne peux plus sans toi, suppliait-elle égarée, à lui agrippée.(…)

Texte 2b : A. Cohen, Belle du Seigneur

Il vint s’asseoir en face d’elle, commenta sans verve le roman, vit bientôt dans les yeux de sa maitresse le petit malheur gentil et souriant des femmes bien élevées qui ne savent pas qu’elles s’ennuient. Il se tut. Certes, elle l’adorait toujours, mais combien son inconscient s’embêtait en leur merveilleuse passion ! Lui, il ne s’ennuyait pas parce qu’il avait un ter­rible passe-temps, il assistait au lent naufrage de la caravelle.

Il la regarda. Oh, ce sourire posé comme un dentier, cette façon d’être assise sagement, impeccablement et sans vie, tout hurlait un ennui à mourir qu’elle baptisait sans doute malaise physique ou tris­tesse sans cause. Elle mordit sa lèvre et il comprit que c’était un bâillement arrêté à temps. Non, pas tout a fait arrêté, elle se débrouillait pour bâiller à l’intérieur avec l’aide de ses narines écartées. Il fallait agir d’urgence, pour elle, par amour pour elle. Il la regarda pour provoquer une question.

— A quoi pensez-vous, aimé? Sourit-elle.

— Je pense que je m’ennuie, dit-il. (Ajouter avec vous? Non, inutile.)

Elle devint blanche. C’était la première fois qu’il lui disait cela. Pour compléter son travail, il entreprit la fabrication d’un bâillement réprimé et d’autant plus significatif. Sur quoi, elle éclata en sanglots. Alors, il haussa les épaules et sortit.

Chez lui, il se sourit devant la glace. Elle vivait de nouveau, sa chérie. Il y avait eu dans ses yeux un éclat d’intérêt qu’il n’avait pas vu depuis des jours. Lorsqu’il lui disait qu’il l’aimait ou qu’elle était belle, elle faisait son sourire de dentier. Mais les étincelles de tout à l’heure dans ses yeux, c’était du sérieux, du tout chaud. Elle vivait de nouveau, sa chérie.  (…)

S’approchant de la porte, il l’entendit qui sanglotait. Il sourit de nouveau. Elle pleurait, sa chérie, elle avait un passe-temps, elle ne songeait plus à réprimer des bâillements. Dieu merci, elle pleurait, savait plus que jamais combien elle l’aimait, savait qu’elle ne s’.ennuyait jamais avec lui, elle. Sur la pointe des pieds, il retourna dans sa chambre. Sauvé, il était sauvé. Et surtout, il l’avait sauvée, elle. Peu après, on happa doucement, et une pauvre voix enchifrenée se fit entendre derrière la porte. Écoutez, il fait beau maintenant, dit la petite voix. Il se frotta les mains. L’opération avait réussi. Elle se préoccupait de l’amadouer. Elle avait un but de vie. Et alors quoi ? demanda-t-il avec une hargne voulue. Ne voulez-vous pas que nous sortions? dit la petite voix mouillée. Non, j’aime mieux sortir seul, répondit-il. Mon trésor, lui dit-il en lui-même, et il caressa le bois de la porte derrière laquelle elle vivait de nouveau.

 

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Lire les deux textes. Quatre cents pages séparent ces deux moments du roman.

  1. Que montre le 1ertexte ?
  1. Que montre le texte 2 ?
  1. Quelle est la « stratégie» de Solal ? Dans quel but ?
  2.   Au fond, que disent ces deux textes ?

 

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Texte 3 : G. de Maupassant, Solitude, 1884

Depuis quelque temps j’endure cet abominable supplice d’avoir compris, d’avoir découvert l’affreuse solitude où je vis, et je sais que rien ne peut la faire cesser, rien, entends-tu ! Quoi que nous tentions, quoi que nous fassions, quels que soient l’élan de nos cœurs, l’appel de nos lèvres et l’étreinte de nos bras, nous sommes toujours seuls.

(…)

    Eh bien, l’homme ne sait pas davantage ce qui se passe dans un autre homme. Nous sommes plus loin l’un de l’autre que ces astres, plus isolés surtout, parce que la pensée est insondable.
    Sais-tu quelque chose de plus affreux que ce constant frôlement des êtres que nous ne pouvons pénétrer ! Nous nous aimons les uns les autres comme si nous étions enchaînés, tout près, les bras tendus, sans parvenir à nous joindre. Un torturant besoin d’union nous travaille, mais tous nos efforts restent stériles, nos abandons inutiles, nos confidences infructueuses, nos étreintes impuissantes, nos caresses vaines. Quand nous voulons nous mêler, nos élans de l’un vers l’autre ne font que nous heurter l’un à l’autre.
 (…)    Ce sont les femmes qui me font encore le mieux apercevoir ma solitude.
    Misère ! Misère ! Comme j’ai souffert par elles, parce qu’elles m’ont donné souvent, plus que les hommes, l’illusion de n’être pas seul !

    Quand on entre dans l’Amour, il semble qu’on s’élargit. Une félicité surhumaine vous envahit. Sais-tu pourquoi ? Sais-tu d’où vient cette sensation d’immense bonheur ? C’est uniquement parce qu’on s’imagine n’être plus seul. L’isolement, l’abandon de l’être humain paraît cesser. Quelle erreur ! (…)
     Elle et moi, nous n’allons plus faire qu’un, tout à l’heure, semble-t-il ? Mais ce tout à l’heure n’arrive jamais, et, après des semaines d’attente, d’espérance et de joie trompeuse, je me retrouve tout à coup, un jour, plus seul que je ne l’avais encore été.

    Après chaque baiser, après chaque étreinte, l’isolement s’agrandit. Et comme il est navrant, épouvantable.
    Un poète, M. Sully Prudhomme, n’a-t-il pas écrit :

Les caresses ne sont que d’inquiets transports,
Infructueux essais du pauvre amour qui tente
L’impossible union des âmes par les corps…

 
 

(…)    Et pourtant, ce qu’il y a encore de meilleur au monde, c’est de passer un soir auprès d’une femme qu’on aime, sans parler, heureux presque complètement par la seule sensation de sa présence. Ne demandons pas plus, car jamais deux êtres ne se mêlent.

31 mars 1884

Mise en relation

  1. Que retrouvons-nous dans le texte de Maupassant qui correspond à ce que dit SolaL ?
  2. En quoi ces deux toiles d’E.Hopper pourraient-elles illustrer la thématique de cette séance ?

 

Repère culturel : Edward Hopper (1882-1967)

Peintre qui ne milite dans aucun mouvement même si son œuvre a  des liens forts avec l’hyperréalisme, l’œuvre d’Hopper  entretient aussi des liens étroits avec le cinéma américain qui l’influence et qu’il influence (Voir vidéo Télérama). Il a par ailleurs dépeint  une Amérique profonde « revisitée », ou des personnages souvent seuls « regardent ailleurs ». Parfois on sent bien aussi le poids de la solitude, de l’incommunicabilité

L’œuvre d’Edward Hopper est frappante par la simplicité de ses sujets  mais cette simplicité la rend  énigmatique et d’une  profondeur intérieure forte qui  pousse à s’interroger sur la réalité, laplace de l’homme dans cette réalité et son rapport à ce monde et aux autres.
 Connu pour ses  profonds silences lorsqu’on un journaliste l’interrogeait, Edward Hopper avait souvent coutume de répondre: “SI VOUS POUVIEZ LE DIRE AVEC DES MOTS, IL N’Y AURAIT AUCUNE RAISON DE LE PEINDRE”.

 

  1. En quoi ces deux toiles d’E.Hopper pourraient-elles illustrer la thématique de cette séance ?

 

https://www.arte.tv/fr/videos/086616-000-A/le-new-york-melancolique-de-edward-hopper/

SÉANCE 3 : L’HOMME ET LE MAL  

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TEXTE 1 LOUIS FERDINAND CÉLINE, VOYAGE AU BOUT DE LA NUIT,1932

 

Donc pas d’erreur ? Ce qu’on faisait à se tirer dessus, comme ça, sans même se voir, n’était pas défendu ! Cela faisait partie des choses qu’on peut faire sans mériter une bonne engueulade. C’était même reconnu, encouragé sans doute par les gens sérieux, comme le tirage au sort, les fiançailles, la chasse à courre !… Rien à dire. Je venais de découvrir d’un coup la guerre tout entière. J’étais dépucelé. Faut être à peu près seul devant elle comme je l’étais à ce moment-là pour bien la voir la vache, en face et de profil. On venait d’allumer la guerre entre nous et ceux d’en face, et à présent ça brûlait ! Comme le courant entre les deux charbons, dans la lampe à arc. Et il n’était pas près de s’éteindre le charbon ! On y passerait tous, le colonel comme les autres, tout mariole qu’il semblait être et sa carne ne ferait pas plus de rôti que la mienne quand le courant d’en face lui passerait entre les deux épaules.

Il y a bien des façons d’être condamné à mort. Ah ! combien n’aurais-je pas donné à ce moment-là pour être en prison au lieu d’être ici, moi crétin ! Pour avoir, par exemple, quand c’était si facile, prévoyant, volé quelque chose, quelque part, quand il en était temps encore. On ne pense à rien ! De la prison, on en sort vivant, pas de la guerre. Tout le reste, c’est des mots (…)

Combien de temps faudrait-il qu’il dure leur délire, pour qu’ils s’arrêtent épuisés, enfin, ces monstres ? Combien de temps un accès comme celui-ci peut-il bien durer ? Des mois ? Des années ? Combien. Peut-être jusqu’à la mort de tout le monde, de tous les fous ? Jusqu’au dernier ? 

TEXTE 2 ERICH MARIA REMARQUE, A L’OUEST RIEN DE NOUVEAU (1928),

Le narrateur, Paul, un jeune soldat allemand, vient de poignarder un soldat français qui s’était réfugié dans le même trou d’obus que lui pour se protéger des bombardements.  Après avoir agonisé toute la nuit, l’homme meurt à trois heures de l’après-midi.

 

Je parle, il faut que je parle. C’est pourquoi je m’adresse à  lui, en lui disant : .Camarade, je ne voulais pas te tuer. Si,  encore  une fois,  tu  sautais dans  ce  trou, je  ne  le ferais  plus, à   condition que  toi  aussi tu  sois raisonnable. Mais d’abord tu n’as été pour moi qu’une idée, une combinaison née dans mon cerveau et qui a suscité une résolution ; c’est cette combinaison que j’ai poignardée. . A présent je m’aperçois pour la première fois que tu es un homme comme moi. J’ai pensé à tes grenades, à ta baïonnette et à tes armes; maintenant c’est ta femme que je vois, ainsi que ton visage et ce qu’il y a en nous de commun. Pardonne-moi, camarade.

Nous voyons les choses toujours trop tard. Pourquoi ne nous dit-on pas sans cesse que vous êtes, vous aussi, de pauvres chiens comme nous, que vos mères se tourmentent comme les nôtres et que nous avons tous la même  peur  de la  mort,  la même  façon  de mourir  et  les mêmes  souffrances  ? Pardonne-moi,  camarade ; comment as-tu pu être mon ennemi ? Si nous jetions ces armes et cet uniforme tu pourrais être mon frère, tout comme Kat et Albert. Prends vingt ans de ma vie, camarade, et lève-toi … Prends-en davantage, car je ne sais pas ce que, désormais, j’en ferai encore. .

Erich Maria Remarque, A l’Ouest rien de nouveau (1928), traduit de l’allemand par A. Hella et O. Bournac . Ed. Stock.

 

 

Comparer les textes 1 & 2 en complétant le tableau ci-dessous

 Tenter de comprendre ce que ces deux œuvres disent du rapport que l’homme entretient avec le mal.

Maurizio Cattelan, Him, 2002
F. Goya, Cronos dévorant ses enfants

Cette œuvre de F. Goya s’inspire de la mythologie. Cronos (Saturne)  a  été averti que l’un de ses propres enfants le détrônerait de la même façon qu’il avait, lui-même, détrôné et tué son père. Pour échapper à cette malédiction, Cronos    avalait donc ses enfants au fur et à mesure qu’ils naissaient. Sauf un,le futur Zeussauvé par sa mère. Ce qui fait que (comme pour Œdipe), la prophétie s’accomplira.

Maurizio Cattelan,  est un artiste contemporain provocateur.

 Him est une statue en cire d’A. Hitler que le visiteur de l’exposition découvre d’abord de dos et qu’il lui faut contourner pour reconnaitre le dictateur. L’oeuvre donne une impression de très forte réalité.

Mais Hitler est représenté avec un corps d’enfant et il est à genoux, en prière. 

 

 

 

QUESTIONNEMENT

Etude comparée 

 Quelles sont vos  impressions premières.

  1. Décrire le tableau de Goya :
  2. Décrire la staue de M L.Catellan
  3. Que peut-il y avoir de choquant dans ces représentations ? Quels liens entretiennent-elles avec la problématique de la séance ?

ETUDE D’UNE OEUVRE D’OTTO DIX   : RUE DE PRAGUE, 1920, 

Otto Dix

Proche du mouvement Dada* et de l’expressionnisme*, Otto Dix a  29 ans lorsqu’il peint  la Rue de Prague. On est en 1920. La guerre est finie mais l’Europe est meurtrie par ce premier grand conflit mondial. Lui-même a été soldat, confronté à l’horreur de la guerre et à ses conséquences. 

 L’intention du tableau appartient à une thématique expressionniste : expression des  angoisses et de la révolte face à une situation tragique.le collage est une technique dada.

 

 1.REPÉRER LES ÉLÉMENTS DE CETTE COMPOSITION COMPLEXE

 1.Repérer les éléments qui composent le tableau

2. Quelle est l’atmosphère générale qui se dégage de la toile ? Quels sentiments  provoque-telle en nous ?

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S.4

SÉANCE 4 : TOUT N’EST-IL QUE VANITÉ ?

MARGUERITE YOURCENAR, LES MÉMOIRES D’HADRIEN(INCIPIT), GALLIMARD, PLÉIADE, P.288

1903- 1987 Marguerite Cleenwerck de Crayencour(Yourcenar est l’anagramme de Crayencour).  Auteur de nombreux romans et essais, elle sera la première femme élue à l’Académie Française (1980).

Roman historique paru en 1951.Les Mémoires d’Hadriense présente comme une lettre que l’empereur Hadrien (76-138)  vieillissant adresse à son petit-fils adoptif de dix-sept ans,  Marc Aurèle, qui lui succédera.. Dans cette « méditation écrite d’un malade qui donne audience à ses souvenirs » Hadrien, sur le ton de la confession, fait le bilan de sa vie. 

ANIMULA VAGULA BLANDULA[1]

[1]propre épitaphe de l’empereur Hadrien   : « Petite âme errante, douce,/Hôtesse et compagne de mon corps,/Qui bientôt partira en des lieux/Pâles, raides et nus,/Tu n’y donneras plus tes reparties habituelles. »

 

Mon cher Marc,

Je suis descendu ce matin chez mon médecin Hermogène, qui vient de rentrer à la Villa après un assez long voyage en Asie. L’examen devait se faire à jeun : nous avions pris rendez-vous pour les premières heures de la matinée. Je me suis couché sur un lit après m’être dépouillé de mon manteau et de ma tunique. Je t’épargne les détails qui te seraient aussi désagréables qu’à moi-même et la description du corps d’un homme qui avance en âge et s’apprête à mourir d’une hydropisie du cœur. Disons seulement que j’ai toussé, respiré et retenu mon souffle selon les indications d’ Hermogène, alarmé malgré lui par les progrès si rapide du mal, et prêt à en rejeter le blâme sur le jeune Iollas qui m’a soigné en son absence. Il est difficile de rester empereur en présence d’un médecin, et difficile de garder sa qualité d’homme. L’œil du praticien ne voyait en moi qu’un monceau d’humeurs, triste amalgame de lymphe et de sang. Ce matin, l’idée m’est venue pour la première fois que mon corps, ce fidèle compagnon, cet ami plus sûr, mieux connu de moi que mon âme n’est qu’un monstre sournois qui finira par dévorer son maître.(…)

Ne t’y trompe pas : je ne suis pas encore assez faible pour céder aux imaginations de la peur, presque aussi absurdes que celles de l’espérance, et assurément beaucoup plus pénibles. (…) Je n’en suis pas moins arrivé à l’âge où la vie, pour chaque homme, est une défaite acceptée. Dire que mes jours sont comptés ne signifie rien ; il en fut toujours ainsi ; il en est ainsi pour nous tous. 

  1. Qui parle dans cette lettre ? A qui ?
  1.  Quel est le sujet de la lettre ?
  1.  Comment comprenez-vous cette phrase  :
  2.  En quoi ce texte écrit par un empereur romain aurait-il pu tout aussi bien être écrit aussi par un esclave ? Que peut-on en conclure sur la condition humaine ?
  3. Dans la phrase « Ce matin, l’idée m’est venue pour la première fois que mon corps, ce fidèle compagnon, cet ami plus sûr, mieux connu de moi que mon âme n’est qu’un monstre sournois qui finira par dévorer son maître »,quelle impression donne la mise entre virgule de « ce fidèle compagnon »? Comment appelle-t-on cette forme d’écriture ? Relevez-en trois autres exemples dans le texte.
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Repère culturel :  Les Vanités  

Ces œuvres, très en vogue à l’époque baroque (XVIe et XVIIe siècles) viennent rappeler à l’homme  que la Mort triomphera des richesses et des plaisirs de l’existence. « Mémento mori »(Souviens-toi que tu vas mourir) nous dit la vanité et souviens-toi aussi que tout est vanité.« Vanitas vanitatum et omnia vanitas »(«Vanité des vanités, tout est vanité.» Écclésiaste, 1.2) 

Ces œuvres utilisent à peu près toujours les mêmes objets symboliques de la vie terrestre et de ses plaisirs : livres, cartes à jouer, couronne, pièce de monnaie, carafe de vin, armes …  et les symboles du Temps, de la Mort : crâne humain, sablier, fleurs fanés pour suggérer la fragilité de l’existence humaine, sa fin inéluctable.

On retrouve l’esprit des vanités dans des œuvres plus modernes et dans l’art contemporain.

Voici trois vanités réalisées entre 1610 et 2010.

  1. Repérez les éléments qui composent chacune d’elles.
  2. En quoi illustrent-elles ce qui est dit dans les textes de F.Pessoa et M.Yourcenar ?