Petite histoire de la question de l’homme

Le texte argumentatif est la défense, par un écrivain, d’une thèse[1].

Il permet de s’interroger, poser des questions dont les réponses ne sont pas évidentes et nécessitent une réflexion.  La question de l’homme, intitulé de votre objet  d’étude, pose évidemment la question de l’identité : Qu’est-ce qu’un homme ? Interrogation  anthropologique qui prend des formes diverses. 

[1] Thèse : Proposition ou théorie que l’on tient pour vraie et que l’on soutient par une argumentation pour la défendre contre d’éventuelles objections. Avancer, appuyer, confirmer, contredire, défendre, infirmer, réfuter, renverser, soutenir une thèse;

Il s’en suit une autre question, et pas des moindres : quel est le sens de notre vie ?

d’autres interrogations en découlent :

  • Existence de Dieu ?
  • Valeurs humaines à défendre ?
  • Possibilité du bonheur ?
  • Relations aux autres ?

La liste est longue et complexe…

L’individu, la société et la réflexion politique

L’homme étant comme le dit Aristote « un animal politique », réfléchir sur l’homme implique de réfléchir sur la société dans laquelle il vit. Sur les liens qu’il entretient avec elle et avec les autres membres de la communauté.

Comment nous intégrons-nous dans une communauté ? Quelles places nous y occupons ? Quels types de sociétés peut-on imaginer, construire ? ( utopie – contre utopie)

L’argumentation est le type de texte privilégié pour développer des thèses, faire la critique ou l’éloge de certains modes de pouvoir et de certaines valeurs.

On trouvera souvent dans les textes argumentatifs, des réflexions sur la justice, le pouvoir, la tolérance…

Le grand siècle de l’argumentation est le XVIII° (siècle des Lumières) pour des écrivains philosophes comme Montesquieu, Voltaire, Diderot, Rousseau… observent leur époque d’un œil  critique et proposent d’autres modes de fonctionnement.

Diderot
Montesquieu
Voltaire

Les fléaux, La guerre,  l’inhumain…

 Les situations   qui mettent l’homme face aux fléaux de la nature (tremblements de terre, éruptions volcaniques, tsunami, épidémies…) Ou aux fléaux que l’homme s’inflige à  lui-même (guerres, génocides, crimes, terrorisme…) sont des thèmes très fréquents de la littérature argumentative, sous des formes très variées : récits, satires, théâtre, poésie…

Réfléchir sur l’homme c’est aussi réfléchir sur ce à quoi il est confronté, et comment il s’y confronte.

 En réalité, les sujets argumentatifs  touchent tous les domaines et confrontent toutes les époques. Les questions de Platon (antiquité grecque), celles de Montaigne (XVIe siècle) et de bien d’autres trouvent encore un écho en nous, lecteurs du XXIe siècle puisque ces questions  nous concernent toujours.

La question de l’homme au cours des siècles

XVI° L’idéal humaniste 

L’humanisme est hérité de  l’Antiquité.   Mouvement culturel européen  qui voit le jour en Italie au XVème siècle.

Par humanisme, on entend une nouvelle conception de l’homme et de l’univers qui, en s’appuyant sur l’étude de l’antiquité gréco-latine, source de la culture occidentale, met l’homme au centre de ses préoccupations et tend vers un épanouissement de ses qualités intellectuelles et morales.  

Les humanistes de la Renaissance rejettent les valeurs du Moyen-Age et placent l’homme au centre de leur réflexion. Ils retiennent l’idée antique d’une harmonie nécessaire entre corps et esprit. Ils croient en une nature humaine universelle.

Les atrocités des guerres de Religion et de la colonisation introduisent un doute sur l’homme et sur la « misère de notre condition ».

Avec le poète Pétrarque, l’Italie redécouvre les textes antiques.

D’autres événements historiques permettent de retrouver cette culture antique qui jusqu’à la fin du 16e va nourrir l’idéal humaniste. Notamment la prise de Constantinople (aujourd’hui Istanbul) par les Ottomans (Turcs) en 1453, puisque alors, de nombreux savants se réfugièrent en Occident emportant avec eux des manuscrits anciens.

Par ailleurs vers 1455 Gutenberg met au point l’imprimerie, ce qui bien sûr va faciliter grandement la circulation des livres et donc des connaissances.

Quelques idées :

  • supériorité de l’homme sur l’animal (l’homme est capable d’acquérir des connaissances, à l’animal; il est un être moral, pas l’animal).
  • Vision anthropocentrique de l’homme : ainsi pic de la Mirandole considère que l’homme est libre et qu’il occupe une place à part dans la nature :

,« Ô très haute et très merveilleuse félicité de l’homme,   À lui seul est accordé le pouvoir de posséder ce qui lui plaît d’être ce qui lui semble bon ”   

Quelques auteurs…

Rabelais (1494-1553):

 On trouve chez Rabelais une illustration des idées humanistes. Dans Pantagruel (1534), il propose un programme d’éducation humaniste qui s’oppose à l’éducation du Moyen âge qui faisait ingurgiter à l’élève une somme de connaissances indigestes.

 

« Maintenant toutes les disciplines sont restaurées, les langues mises à l’honneur : le grec, sans lequel il est honteux qu’on se dise savant, l’hébreu, le chaldéen, le latin. Des livres imprimés, fort élégants et corrects, sont utilisés partout, qui ont été inventés à mon époque par inspiration divine, comme inversement l’artillerie l’a été par suggestion du diable. Le monde entier est plein de gens savants, de précepteurs très doctes, de bibliothèques très vastes… »

Rabelais, Pantagruel, Chap VIII

Montaigne : Les Essais

Michel de Montaigne (XVIe siècle) 1533- 15   

Membre du Parlement puis maire de Bordeaux. La publication de ses Essais en 1580 , illustre cette introspection de l’homme qui cherche à se repositionner par rapport au monde, à 

L’auteur revendique une écriture très personnelle.

  • Pour caractériser le genre de l’essai tel qu’il est pratiqué par Montaigne, il faut être attentif au sens du mot lui-même : c’est une « tentative », qui ne se donne pas pour aboutie mais qui, au contraire, revendique un caractère non fini.
  • Ce qu’il veut montrer dans ses Essais, c’est une pensée en action, une pensée vivante. Il écrit :

 

« Ce sont ici mes humeurs et mes opinions ; je les donne pour ce qui est en ma croyance, non pour ce qui est à croire ; je ne vise ici qu’à découvrir moi-même qui serait autre demain si un nouvel apprentissage me changeait… »

XVII° : LE TEMPS DES MORALISTES

Entre 1560 et 1715, des événements divers contribuent à voir le retour d’une pensée morale très forte.

Il y a deux conceptions religieuses de l’homme et du monde qui s’opposent. 

  • Pour les jésuites, l’homme peut exercer sa liberté, son libre-arbitre sur terre pour gagner son salut.
  • Pour les jansénistes, Dieu a déterminé de toute éternité qui sera sauvé ou damné : l’homme lui est soumis.
  •  Blaise Pascal ,janséniste, rappelle  à l’homme dans ses Pensées, la misère qui attend celui qui ne suit pas les préceptes de Dieu car « le cœur de l’homme est creux et plein d’ordures ».

Et il y a deux grandes périodes :

Période baroque d’abord (1560 – 1640)

La vision baroque est une vision du monde instable dans lequel l’homme est maitre de son destin.

Une forme picturale se développe particulièrement : la Vanité.Elle est là pour rappeler à l’homme qu’il est mortel, et que ses distractions comme sa vie sont éphémères.

 

Pietr Claez, Vanité, 1630
David Bailly, Autoportrait
Jean Racine

Pendant la période classique (1660 – 1715) qui correspond globalement au règne de Louis XIV, le théâtre tragique se veut lui aussi moralisateur. « Instruire et plaire » sera sa devise et même la comédie, sous la plume de Molière, se pliera à cette maxime.

La réaction assez pessimiste des classiques appuie sa réflexion sur la notion de nature humaine permanente et universelle. Il dépend de la volonté de Dieu. Il est aussi victime des passions qui le trompent mais peut atteindre à une certaine grandeur. Le modèle social idéal est l’honnête homme qui fuit les attitudes extrêmes et soumet tout à sa raison.

Le mouvement, la complexité, l’imbrication du baroque s’opposent à la fixité et à la rigueur géométrique du classicisme.

Jean de La Fontaine

Quant à Jean de La Fontaine, même si par ailleurs il écrit des contes licencieux, il n’en reste pas moins le grand moralisateur des fables. 

Or la fable est un apologue. C’est-à-dire un récit plaisant mais qui a un but argumentatif et qui aboutit à une morale. elle permet donc à la fois d’instruire et de plaire

Voici ce qu’en dit La Fontaine : « c’est proprement un charme : il rend l’âme attentive,/ou plutôt il la tient captive ».

D’autres moralisateurs comme  La Rochefoucauld ou La Bruyère peindront d’une plume acérée les travers de leurs contemporains et de leur siècle.

Dans les Caractères, La Bruyère  peint  nature humaine dans ce qu’elle a d’immuable. L’auteur montre tous les travers humains : l’insuffisance, la distraction, l’égoïsme la fausse dévotion l’impudence du riche, la complaisance du pauvre…

Les portraits peuvent prendre la forme d’un récit ou d’un dialogue.

La Bruyère se révolte aussi contre l’injustice sociale et la misère du peuple  et pratique aussi la satire politique de la Cour.

Ainsi au 17e, l’argumentation se met au service de la morale et… du roi ! Mais continue de parler de l’homme et à l’homme.

  XVIIIe siècle

Le XVIIe siècle était moralisateur, satirique, critique à l’égard de son temps mais ne remettait pas en cause les fondements du système politique.

Avec le XVIII°, débute le déclin du pouvoir absolu, la remise en cause de tous les privilèges…qui mènera à la Révolution de 1789

Les Lumières désigne un mouvement européen, il s’agit des lumières de la raison que l’homme doit exercer librement pour accéder à l’indépendance intellectuelle et morale. Les hommes des Lumières prennent conscience de la diversité de l’homme selon les lieux et les temps et de la relativité des mœurs, des lois, de la morale, de la littérature.

Ce qui va caractériser le XVIII°, c’est :

  • La confiance accordée à la RAISON (capacité de l’homme à raisonner, intelligence, logique) ; L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert
  • La confiance dans le PROGRES qu’il soit scientifique ou social.
  • La question du BONHEUR terrestre  qui devient une question essentielle
  • La lutte contre l’OBSCURANTISME, l’INTOLERANCE, le DESPOTISME

Le philosophe éclairé, homme citoyen contestataire :
L’homme idéal des Lumières est le philosophe, homme social, qui par son usage de la raison remet tout en cause. Il veut vulgariser les connaissances humaines et les débats philosophiques. Il veut construire un monde meilleur fondé sur la tolérance, la paix, le recul de l’ignorance, la liberté de penser, le pluralisme religieux, le progrès scientifique. Son but est que l’homme connaisse sur terre le bonheur et le bien-être matériel.

  On va aussi beaucoup utiliser la fiction (L’APOLOGUE) pour argumenter, défendre de nouvelles idées. C’est à la fois un moyen d’échapper à la censure et de capter l’intérêt du lecteur.

 

LES CONTES PHILOSOPHIQUES DE VOLTAIRE

Voltaire

À travers les pérégrinations de personnages hauts en couleur, et en usant d’une ironie féroce, les contes voltairiens vont offrir aux lecteurs l’occasion de se distraire mais aussi de réfléchir aux grandes questions de l’homme. Qu’il s’agisse de Candide, de Zadig, de Micromégas, il s’agit toujours de l’homme… De son goût pour le pouvoir, de sa bêtise, de sa méchanceté, de sa souffrance… Il s’agit de lutter pour la tolérance, contre l’obscurantisme et le despotisme.

Au théâtre : Marivaux,  Diderot , Beaumarchais

Figaro, le valet de Beaumarchais, celui qui ose lancer à son maître « vous ne vous êtes donné que le mal de naître », brille par son intelligence et les questions qu’il pose à la société de son temps, sur l’individu et la justice sociale.

Marivaux va moins loin que Beaumarchais mais lui aussi utilise le théâtre pour pointer les injustices. (Voir  L’Île des esclaves) 

Quelque soit l’époque, la fiction est donc toujours l’alliée de l’argumentation. Elle permet de la rendre plus légère, plus accessible, plus « digeste ».

XIX° Siècle

Le XIXe siècle : l’individu et ses passions

  • Le romantisme (1820-1850) :

Les romantiques, même s’il refuse la prédominance de la raison au profit de l’émotion et du rêve,  ne sont pas préoccupés que d’eux- mêmes… la plupart d’entre eux sont très engagés politiquement et socialement.

Hugo en est l’un des  meilleurs exemples.  Ainsi, dans Le Dernier Jour d’un condamné, Hugo s’interroge-t-il sur  les derniers instants d’un condamné à mort , les questions qui le taraudent. Il défend ainsi son refus de la peine de mort.

 

  • Le réalisme et le naturalisme (1848-1890) :

Il apparait en réaction contre l’idéalisme romantique car la révolution industrielle change le regard sur l’homme. L’homme est décrit comme le produit de son hérédité et de son environnement socioculturel. La littérature veut soit reproduire fidèlement la réalité dans sa dimension quotidienne (réalisme) soit analyser les êtres humains et la société en appliquant les méthodes des sciences expérimentales (naturalisme).  

Des   auteurs comme Zola vont  mettre leur plume au service de leurs idées. L’événement le plus connu est sans doute le « j’accuse » (1898), que Zola lance au président de la république en première page de l’Aurore lors de l’affaire Dreyfus. Bel exemple d’argumentation directe destinée à convaincre, à persuader, à faire adhérer

Le symbolisme (1885-1900) :

Les symbolistes refusent d’expliquer le monde par la science. Pour Verlaine, Rimbaud et Mallarmé, le monde apparent masque des réalités mystérieuses, invisibles. Les symbolistes s’attachent à les décrypter et à exprimer les profondeurs cachées de l’être humain, la réalité spirituelle.

Puis de Chavanne, Le Rêve,1883

Le XXe siècle :

 

 

Déshumanisation, nouvel humanisme

Boris Taslitzky-Le petit camp, Buchenwald, février 1945

Le XXe siècle a été le siècle de tous les traumatismes : deux guerres mondiales, invention et utilisation de l’arme atomique, extermination de millions de personnes, perte du sentiment religieux, changement des valeurs, progrès technologiques fulgurants … l’homme est alors confronté à l’absurdité de son existence. Trouver un sens  sera le questionnement de nombreux auteurs du 20e : Camus, Beckett, Sartre…

Mais parallèlement c’est aussi le siècle de l’engagement, de la résistance à l’oppression et souvent de la victoire de la liberté sur le despotisme et la barbarie.

Les combats en faveur de l’humanité se multiplient : reconnaissance des droits des femmes par Simone de Beauvoir, défense d’une identité noire par aimé Césaire…

Siècle contrasté donc…

 

Hiroshima,1945

Les progrès technologiques et scientifiques ont nourri une foi en l’homme mais aussi une angoisse face à l’exploitation immorale et inconsciente éventuelle des découvertes modernes. Les écrivains incitent à dépasser ce sentiment de l’absurde, à donner un sens à l’existence par l’engagement politique et un humanisme moderne fondé sur la résistance et la solidarité.

La photographie et le cinéma dénoncent et se mettent au service de l’argumentation.

source : éditions Hatier année 2011

Avec le Théâtre de l’absurde les auteurs mettent en scène des personnages en quête perpétuelle de sens. Incapable de raisonner d’expliquer leur raison d’exister, il se contente de subir les événements .

Par exemple, les pièces de Beckett comme En attendant Godot)

Ou les pièces d’Ionesco comme La Cantatrice chauve ou  Rhinocéros…

 Albert Camus  et Jean Paul Sartre utilisent toutes les formes littéraires : Essais, théâtre, roman… pour défendre leurs idées.

 

 Ainsi, beaucoup d’écrivains incitent à dépasser ce sentiment de l’absurde, à donner un sens à l’existence par l’engagement politique et un humanisme moderne fondé sur la résistance et la solidarité.

Primo Levi et Robert Antelme refuse de soutenir la logique de   déshumanisation des camps de concentration. L’écrivain devient alors une figure de résistant. En poésie, René Char, et beaucoup de  surréalistes.  C’est le siècle de la littérature engagée.

La photographie et le cinéma dénoncent aussi et se mettent au service de l’argumentation.

XXI° siècle :

Net recul de la figure de l’intellectuel même si quelques-uns se mobilisent pour de nombreuses causes .  A suivre…

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