Molière, Monsieur de Pourceaugnac, Comédie-ballet, 1669

Molière, Monsieur de Pourceaugnac, Comédie-ballet, 1669

L e texte intégral en lecture ici : http://www.toutmoliere.net/IMG/pdf/monsieur_de_pourceaugnac.pdf
 

Monsieur de Pourceaugnac, comédie-ballet en trois actes en prose, agrémentée de musique et de danse, a été joué pour la première fois le 6 octobre 1669 au château de Chambord. Versailles n’était encore qu’un vaste chantier et la cour nomade du jeune roi Louis XIV cherchait les forêts giboyeuses pour s’adonner au « divertissement de la chasse », sport automnal favori des gentilshommes. Afin de délasser cette brillante compagnie, on avait aussi coutume de lui donner le divertissement des spectacles. La querelle du Tartuffe était désormais terminée et la faveur du roi, totalement acquise à Molière. On fit donc appel à la troupe du Roi, qui quitta Paris le 17 septembre pour passer un mois dans la résidence royale. Naturellement le talent de Lully fut aussi mis à contribution pour les nombreux spectacles de ce séjour. 

Le décor, construction éphémère de fête, était simple, si l’on en croit le Mémoire de Mahelot : « Il faut deux maisons sur le devant et le reste du théâtre est une ville ». Pas de mobilier sinon les « trois chaises ou tabourets » pour asseoir Pourceaugnac entre ses médecins. Ce qui compte, en revanche, c’est l’attirail médical, neuf « seringues », et les deux « mousquetons » des Suisses. Molière, qui joue le rôle principal, est vêtu d’un costume aux couleurs criardes, « consistant en un haut-de-chausses de damas rouge garni de dentelle, un juste-au-corps de velours bleu garni d’or faux, un ceinturon à frange, des jarretières vertes, un chapeau gris garni d’une plume verte […] » et pour le déguisement de l’acte III « une jupe de taffetas vert garni de dentelle et un manteau de taffetas noir ». La mascarade pouvait commencer. Elle était inspirée sans doute de canevas de la commedia dell’arte. Celui qui tire les ficelles, Sbrigani, n’est-il pas Napolitain ? La musique et la chorégraphie relayaient les lazzis et donnaient aussi le rythme de ce tourbillon carnavalesque, où Lully lui-même, interprète d’un des deux musiciens italiens en médecins grotesques, participa aux poursuites endiablées, armé d’un seringue à clystère. 

Molière éblouit la cour, il l’étourdit. Il la fit rire aussi, non seulement grâce aux performances physiques des comédiens, mais aussi à un comique de farce très caustique. En effet, quoi de plus efficace pour plaire à la haute aristocratie que de lui exposer les déconvenues d’un hobereau de province égaré dans la capitale, victime de sa crédulité et de la grossièreté de son éducation ? Ne dit-on pas d’un « homme venu depuis peu de la Province, qu’il encore l’air de la Province, pour dire qu’il n’a pas encore pris l’air du grand monde et de la Cour » ? Molière avait déjà raillé la province à travers George Dandin et ses beaux-parents, monsieur et madame de Sottenville. Il se sert du même ressort dramatique en forçant le trait avec Léonard de Pourceaugnac. Grimarest rapporte qu’il s’est inspiré d’un « gentilhomme limousin, qui, un jour de spectacle et dans une querelle qu’il eut sur le théâtre avec les comédiens, étala une partie du ridicule dont il était chargé. » Mais Pourceaugnac n’est pas le seul à détonner. D’autres types provinciaux agrémentent la pièce : Lucette, la Languedocienne et Nérine, la Picarde, que leur dialecte dénonce. Si l’on y ajoute l’italien et le français déformés de Sbrigani et des Suisses, le jargon des médecins et des juristes, le spectacle forme un ensemble bigarré et grotesque propre à égayer le public de Chambord, mais aussi celui de Paris où la pièce fut présentée à partir du 15 novembre avec succès. À la Cour et à la Ville, on se pique de parler un français bien différent, conforme aux règles de « l’usage » que définissent progressivement la jeune Académie française, des hommes de lettres comme Vaugelas ou Ménage et les salons comme celui de Madame de Rambouillet. Par la langue, « l’honnête homme » se distingue du commun. 

Après Monsieur de Pourceaugnac, outre le remboursement des frais occasionnés à la troupe, le Roi accorde à Molière une gratification exceptionnelle de mille livres « en considération de son application aux belles-lettres et des pièces qu’il donne au public. » Les trois comédies suivantes sont encore créées à la cour : Les Amants magnifiques à Saint-Germain-en-Laye, Le Bourgeois gentilhomme à Chambord et Psyché aux Tuileries. Mais il y a une ombre dans ce fastueux tableau : Molière fait des envieux et Molière est malade. En janvier 1670 paraît une comédie de M. le Boulanger de Chalussay, intitulée Elomire hypocondre ou les médecins vengés. L’anagramme ne cache pas la véritable identité de celui qui est portraituré dans cette pièce. Une correspondance cruelle s’établit entre la physionomie d’Elomire « les yeux enfoncés », « le visage blême », un corps qui n’a « presque plus rien de vivant et qui n’est presque plus qu’un squelette mouvant » et « cette habitude du corps, menue, grêle, noire et velue » de Pourceaugnac (I, 8). La farce, attaque féroce contre les médecins, est aussi l’œuvre d’un homme que sa maladie tourmente, situation que le public retrouvera, trois ans plus tard, avec Le Malade imaginaire. 
 
 Joël Huthwohl 
Conservateur-archiviste de la Comédie-Française (extraits)
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Résumé de l’oeuvre (Source Le Comptoir littéraire)

Deux jeunes amoureux, Éraste et Julie, vivent à Paris. Ils se rencontrent en secret de peur que le père de Julie découvre leur relation. Celui-ci, Oronte, a donné sa fille en mariage à un certain Léonard de Pourceaugnac, gentilhomme qui exerce quelque profession juridique à Limoges, mais qu’il n’a jamais vu. 
Dégoûtés par cette idée, les deux amoureux contrariés décident de se venger du malheureux provincial en l’engageant dans une cruelle machination, pour laquelle ils font appel à deux personnages picaresques qui font métier de duper les autres : une entremetteuse, Nérine, et un fourbe napolitain, Sbrigani. Ceux-ci se font fort de contraindre M. de Pourceaugnac à regagner Limoges au plus vite. Il arrive à Paris, où son costume extravagant, ses allures singulières I’exposent aux moqueries de la populace. Il tombe sur Sbrigani, qui se déclare son ami, et se propose de le protéger. Survient Éraste qui, bien qu’ils ne se soient jamais vus, dit reconnaître en monsieur de Pourceaugnac un ancien ami, lui parle de sa famille si habilement que le provincial est obligé de convenir qu’il le connaît fort bien. De ce fait, il accepte l’hospitalité qui lui est offerte, et le pauvre homme est ainsi pris dans un engrenage.
Or, après avoir gagné sa confiance, Sbrigani et Éraste, toujours en feignant de le protéger, emploient de multiples moyens pour se débarrasser de lui. Ils persuadent deux médecins qu’il est fou. Ceux-ci raisonnent, doctement et ridiculement, de la terrible maladie de ce prétendu malade, qui ne comprend rien à toutes ces bizarreries ; plus il se prétend sain d’esprit et proteste, plus ils sont convaincus de son déséquilibre mental, lui imposent saignées et lavements, ce qui donne prétexte à un ballet burlesque. Et il échappe de justesse à une phlébotomie (saignée) complète.
Un faux marchand flamand annonce alors au père de Julie que son futur gendre  est ruiné, criblé de dettes. 
Peu après, Sbrigani vient trouver le Limousin pour l’inciter à ne pas épouser Julie, car elle serait une vilaine coquette. Cette dernière entre alors soudainement en scène, et, jouant ce rôle avec un naturel inquiétant, affirme être follement amoureuse du malheureux homme qui, persuadé de la fausseté de sa promise, reçoit très froidement ses avances, et refuse de l’épouser. 
Mais, au moment où il veut quitter la scène, il est en butte aux criailleries (en patois picard et en provençal) de deux campagnardes déguisées (en fait, Nérine et la servante Lucette) qui se prétendent ses épouses, s’acharnent sur lui en affirmant qu’il est le père de leurs ribambelles d’enfants qui lui sautent au cou en l’appelant «papa». De faux «exempts» s’emparent du gentilhomme, qui, accusé de polygamie, va être pendu. Il n’a alors qu’une dernière possibilité : la fuite. Et c’est vêtu en femme que, sur les conseils de Sbrigani, qu’il prend pour un honnête homme jusqu’à la fin, il réussit à échapper à la justice, non sans que, obligé de jouer la dame du monde, il risque de se faire violer par des gardes suisses. Berné et amer, dégoûté de la capitale et du mariage, il rentre à Limoges, 
Sbrigani convainc alors Oronte que monsieur de Pourceaugnac lui a enlevé sa fille. Éraste feint de la sauver et, en reconnaissance du service rendu, obtient la bénédiction du père qui accepte enfin le mariage des deux amoureux.

 


 

Le mariage forcé dans M. de Pourceaugnac

 Comme dans à peu près toutes les comédies de Molière, on retrouve dans M. de Pourceaugnac, le thème du mariage forcé.

Et comme à chaque fois s’opposent le désir d’une jeunesse amoureuse et rusée au pouvoir d’une vieillesse autoritaire et oppressante.
Ainsi, Monsieur de Pourceaugnac et Oronte, le père de Julie  veulent contraindreceux qui s’aiment (Éraste et Julie), par leur âge et leur pouvoir, les faibles et les opprimés  : les femmes, les fils et les valets .

L’amour est sauvé par les valets ou leurs équivalents, de petites gens rusés.
Dans la comédie (par opposition à la tragédie), c’est le désir qui change l’ordre du monde.
 
La pièce est une comédie parce qu’on rit de Monsieur de Pourceaugnac :  

De son nom d’abord : la référence au cochon et le suffixe “ac” qui évoque la France profonde.

De son caractère

De ses manières et de son “look” : naïf, crédule qui ne comprend rien à ce qui lui arrive. On en rit aussi parce que le personnage est ridicule dans ses habits démodés de provincial, avec ses manières “exotiques” qui l’opposent en tous points aux us et coutumes d’une Cour où ne compte que l’apparence et où chaque mot, chaque geste peut vous faire monter ou descendre, naitre ou disparaitre. (Voir Ridicule de Leconte- scène du soulier). Mais la pièce va au-delà de la moquerie du Limousin :on  se moque aussi des personnages qui utilisent de parlers régionaux : le commerçant flamand, les paysannes picarde et provençale.

On se moque de celui qui est différent. On fait de lui un fou, un pervers sexuel .  
On va lui faire subir des vexations, des sévices, on l’oblige même à se travestir en femme, pour bien démonter jusqu’à son identité  , pour aboutir à sa déconstruction.   une suite de complots, de machinations plus cruelles, plus sadiques les unes que les autres visent à sa destruction.

Ces coups sont montés de façon burlesque mais la méchanceté, le refus de la différence, le rejet de l’autre  transforment   en cauchemar le séjour du provincial dans la capitale… Le sort de Monsieur de Pourceaugnac, victime innocente, ahurie et impuissante, est donc, somme toute, assez tragique .

Et, comme dans la tragédie, la violence est à la base du comique.  Comme le personnage tragique, le  personnage comique est martyrisé sur scène, mais là,  on ne peut que rire de ses malheurs … qui sont interrompus par des ballets bouffons : ceux des médecins, ceux des épouses et ceux des soldats.  

 Il ne faut pas oublier que Monsieur de Pourceaugnac  est une comédie-ballet,   Cette pièce semble marquer, plus que les autres, la totale réussite de la collaboration entre Molière et Lully : la dramaturgie du texte théâtral et celle du texte musical sont intimement liées. La comédie-ballet allait donner naissance à l’opéra français.

Avec l’intervention des médecins, dont la consultation est la reproduction à peine chargée des pratiques médicales de l’époque, Molière fit un nouveau pas dans sa satire des médecins qui allait atteindre son apogée avec sa dernière pièce, Le malade imaginaire

Ainsi,  Monsieur de Pourceaugnac  est une grosse farce  burlesque et d’une brutalité et d’une cruauté qui surprennent.  

 

Les médecins et la médecine dans M. de Pourceaugnac

A l’acte I scène 8 l’apothicaire vante ainsi les qualités du médecin qu’Eraste vient consulter :

“C’est un homme qui connaît la médecine à fond comme je sais ma croix de par Dieu et qui quand on devrait crever ne démordrait pas d’un iota des règles des anciens. Il suit toujours le grand chemin et ne va point chercher midi à quatorze heures ; et pour tout l’or du monde, il ne voudrait pas avoir guéri une personne avec d’autres remèdes que ceux que la faculté permet”. 

Eraste poursuit : “Il fait fort bien. Un malade ne doit point vouloir guérir que la faculté n’y consente” et, plus loin “Il y a plaisir à être de ses malades et j’aimerais mieux mourir de ses remèdes que de guérir de ceux d’un autre…. et quand on meurt sous sa conduite, vos héritiers n’ont rien à vous reprocher”.

Puis, “Voilà trois de mes enfants dont il m’a fait l’honneur de conduire la maladie, qui sont morts en moins de quatre jours et qui, entre les mains d’un autre auraient langui plus de trois mois.”

Le premier des deux médecins auxquels Eraste a demandé d’examiner monsieur de Pourceaugnac qui arrive de Limoges et qu’il leur a présenté comme un peu troublé d’esprit, étale son cynisme “Je l’irai visiter dans deux ou trois jours ; mais s’il mourait avant, ne manquez pas de m’en donner avis ; car il n’est pas de la civilité qu’un médecin visite un mort (acte I –scène 8)”.

C’est la soif du pouvoir qui conditionne leur mode de pensée. Ce pouvoir passe par la rétention de l’information, l’absence de dialogue et le refus de discuter la moindre opinion différente et la vie dans un monde clos.   Le manque de retenue et la colère quand le patient refuse les soins, l la tenue vestimentaire, la mise en scène, le recours à l’apparence … S’ajoute à cela  la rapacité, la cupidité, l’amour immodéré de l’argent, le manque de scrupules moraux,, l’immoralité, le sentiment d’impunité, la suffisance et la vanité complètent le tableau.

Le langage se montre plutôt ésotérique, ampoulé, impénétrable, abscons. Le raisonnement est vicié dans son principe.  Un recours au latin, au grec, à un hébreu plus ou moins fantaisistes ou à des termes techniques peu connus, les réponses toutes faites et toutes prêtes, répétant un dogme et s’appuient sur des auteurs anciens respectables, dont les emprunts qui sont faits à leurs textes, sont soit faux, soit mal interprété, soit déformé soit appliqué faussement à la situation actuelle.  

Le médecin moliéresque est habité de morgue, d’autosatisfaction, de pédantisme, d’ignorance, de vénalité, de sottise. Gavé de théorie usée et de formules rituelles, il devient fou furieux si on met en doute ses compétences. 

Mais chez Molière, médecine et philosophie ont partie liée et il ne faut pas réduire la satire de la médecine chez Molière au compte personnel qu’il aurait à régler avec les médecins. Derrière la critique, la satire, se profilent des questions philosophiques :Résolument en lutte contre une société figée, Molière se bat contre toute forme de pensée formaliste, à laquelle il oppose sa foi dans la raison, le progrès, et les forces de vie de la jeunesse et de la nature. Ceux qui ont raison dans ses pièces, sont du côté des jeunes

Quand Molière fait dire à Béralde dans Le Malade imaginaire : « Les ressorts de notre machine sont des mystères jusques ici inconnus», il affirme également son rattachement au scepticisme qui remettait en cause, depuis Montaigne, les certitudes de la faculté de médecine, pour soutenir que de nombreuses découvertes restaient à faire et que jusque là la médecine avait relevé plus de la superstition que de la science. Ainsi les attaques de Molière contre la médecine de son temps ciblent les mêmes enjeux politiques, idéologiques et philosophiques que ses attaques contre les dévots dans Tartuffe et la superstition dans Dom Juan. Les médecins comme les dévots exploitent sans scrupule la crédulité humaine et la peur de la mort et de l’au-delà. 

 

Lecture analytique n°1 : I,8


LECTUES ANALYTIQUES M. de POURCEAUGNAC

MOLIERE, Monsieur de Pourceaugnac , Acte I, fin de la scène 8 

 

MONSIEUR DE POURCEAUGNAC : Messieurs, il y a une heure que je vous écoute. Est-ce que nous jouons ici une comédie ?

PREMIER MEDECIN : Non, Monsieur, nous ne jouons point.

MONSIEUR DE POURCEAUGNAC : Qu’est-ce que tout ceci ? et que voulez-vous dire avec votre galimatias et vos sottises ?

PREMIER MEDECIN : Bon, dire des injures. Voilà un diagnostique qui nous manquait pour la confirmation de son mal, et ceci pourrait bien tourner en manie.

MONSIEUR DE POURCEAUGNAC : Avec qui m’a-t-on mis ici ? (Il crache deux ou trois fois.)

PREMIER MEDECIN : Autre diagnostique : la sputation fréquente.

MONSIEUR DE POURCEAUGNAC : Laissons cela, et sortons d’ici.

PREMIER MEDECIN : Autre encore : l’inquiétude de changer de place.

MONSIEUR DE POURCEAUGNAC : Qu’est-ce donc que toute cette affaire ? et que me voulez-vous ? PREMIER MEDECIN : Vous guérir selon l’ordre qui nous a été donné.

MONSIEUR DE POURCEAUGNAC : Me guérir ?

PREMIER MEDECIN : Oui.

MONSIEUR DE POURCEAUGNAC : Parbleu ! je ne suis pas malade.

PREMIER MEDECIN : Mauvais signe, lorsqu’un malade ne sent pas son mal.

MONSIEUR DE POURCEAUGNAC : Je vous dis que je me porte bien.

PREMIER MEDECIN : Nous savons mieux que vous comment vous vous portez, et nous sommes médecins, qui voyons clair dans votre constitution.

MONSIEUR DE POURCEAUGNAC : Si vous êtes médecins, je n’ai que faire de vous ; et je me moque de la médecine.

PREMIER MEDECIN : Hon, hon : voici un homme plus fou que nous ne pensons.

MONSIEUR DE POURCEAUGNAC : Mon père et ma mère n’ont jamais voulu de remèdes, et ils sont morts tous deux sans l’assistance des médecins.

PREMIER MEDECIN : Je ne m’étonne pas s’ils ont engendré un fils qui est insensé. Allons, procédons à la curation, et par la douceur exhilarante de l’harmonie, adoucissons, lénifions, et accoisons l’aigreur de ses esprits, que je vois prêts à s’enflammer.

 

MOLIERE, Monsieur de Pourceaugnac, Acte I, fin de la scène VIII

 

Lecture analytique n°2 : II,6


MOLIERE, Monsieur de Pourceaugnac , Acte II, scène 6

 

JULIE, ORONTE, MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.

 

JULIE.— On vient de me dire, mon père, que Monsieur de Pourceaugnac est arrivé. Ah le voilà sans doute, et mon cœur me le dit. Qu’il est bien fait! qu’il a bon air! et que je suis contente d’avoir un tel époux! Souffrez que je l’embrasse, et que je lui témoigne…

ORONTE.— Doucement, ma fille, doucement.

MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.— Tudieu, quelle galante! Comme elle prend feu d’abord!

ORONTE.— Je voudrais bien savoir, Monsieur de Pourceaugnac, par quelle raison vous venez…

Julie s’approche de M. de Pourceaugnac, le regarde d’un air languissant, et lui veut prendre la main.

JULIE.— Que je suis aise de vous voir! et que je brûle d’impatience…

ORONTE.— Ah, ma fille, ôtez-vous de là, vous dis-je.

MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.— Ho, ho, quelle égrillarde!

ORONTE.— Je voudrais bien, dis-je, savoir par quelle raison, s’il vous plaît, vous avez la hardiesse de…

MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.— Vertu de ma vie!

ORONTE, à part.— Encore, Qu’est-ce à dire cela?

JULIE.— Ne voulez-vous pas que je caresse l’époux que vous m’avez choisi?

ORONTE.— Non: rentrez là-dedans.

JULIE.— Laissez-moi le regarder.

ORONTE.— Rentrez, vous dis-je.

JULIE.— Je veux demeurer là, s’il vous plaît.

ORONTE.— Je ne veux pas, moi; et si tu ne rentres tout à l’heure, je…

JULIE.— Hé bien, je rentre.

ORONTE.— Ma fille est une sotte, qui ne sait pas les choses.

MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.— Comme nous lui plaisons!

ORONTE.— Tu ne veux pas te retirer?

JULIE.— Quand est-ce donc que vous me marierez avec Monsieur?

ORONTE.— Jamais; et tu n’es pas pour lui.

JULIE.— Je le veux avoir, moi, puisque vous me l’avez promis.

ORONTE.— Si je te l’ai promis, je te le dépromets.

MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.— Elle voudrait bien me tenir.

JULIE.— Vous avez beau faire, nous serons mariés ensemble en dépit de tout le monde. ORONTE.— Je vous en empêcherai bien tous deux, je vous assure. Voyez un peu quelvertigo  lui prend.

MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.— Mon Dieu, notre beau-père prétendu, ne vous fatiguez point tant; on n’a pas envie de vous enlever votre fille, et vos grimaces n’attraperont rien.

ORONTE.— Toutes les vôtres n’auront pas grand effet.

MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.— Vous êtes-vous mis dans la tête que Léonard de Pourceaugnac soit un homme à acheter chat en poche? Et qu’il n’ait pas là-dedans quelque morceau de judiciaire88 pour se conduire, pour se faire informer de l’histoire du monde, et voir en se mariant, si son honneur a bien toutes ses sûretés?

ORONTE.— Je ne sais pas ce que cela veut dire: mais vous êtes-vous mis dans la tête, qu’un homme de soixante et trois ans ait si peu de cervelle, et considère si peu sa fille, que de la marier avec un homme qui a ce que vous savez, et qui a été mis chez un médecin pour être pansé?

MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.— C’est une pièce que l’on m’a faite, et je n’ai aucun mal. ORONTE.— Le médecin me l’a dit lui-même.

MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.— Le médecin en a menti; je suis gentilhomme, et je le veux voir l’épée à la main.

ORONTE.— Je sais ce que j’en dois croire, et vous ne m’abuserez pas là-dessus, non plus que sur les dettes que vous avez assignées sur le mariage de ma fille.

MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.— Quelles dettes?

ORONTE.— La feinte ici est inutile, et j’ai vu le marchand flamand, qui, avec les autres créanciers, a obtenu depuis huit mois sentence contre vous.

MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.— Quel marchand flamand? quels créanciers? quelle sentence obtenue contre moi?

ORONTE.— Vous savez bien ce que je veux dire.

 

 

 

Lecture analytique n°3 : III,5


MOLIERE, Monsieur de Pourceaugnac , Acte III, scène 5

 

Un Exempt, deux Archers, Premier et Second Suisses, Monsieur de Pourceaugnac

L’EXEMPT : Qu’est-ce ? Quelle violence est-ce là ? et que voulez-vous faire à Madame ? Allons, que l’on sorte de là, si vous ne voulez que je vous mette en prison.

PREMIER SUISSE : Parti, pon, toi ne l’avoir point.

SECOND SUISSE. : Parti, pon aussi, toi ne l’avoir point encore.

MONSIEUR DE POURCEAUGNAC : Je vous suis bien obligée, Monsieur, de m’avoir délivrée de ces insolents.

L’EXEMPT : Ouais ! voilà un visage qui ressemble bien à celui que l’on m’a dépeint.

MONSIEUR DE POURCEAUGNAC : Ce n’est pas moi, je vous assure.

L’EXEMPT : Ah ! ah ! qu’est-ce que je veux dire ?

MONSIEUR DE POURCEAUGNAC : Je ne sais pas.

L’EXEMPT : Pourquoi donc dites-vous cela ?

MONSIEUR DE POURCEAUGNAC : Pour rien.

L’EXEMPT : Voilà un discours qui marque quelque chose, et je vous arrête prisonnier.

MONSIEUR DE POURCEAUGNAC : Eh ! Monsieur, de grâce !

L’EXEMPT : Non, non : à votre mine, et à vos discours, il faut que vous soyez ce Monsieur de Pourceaugnac que nous cherchons, qui se soit déguisé de la sorte ; et vous viendrez en prison tout à l’heure.

MONSIEUR DE POURCEAUGNAC : Hélas !

Acte III Scène V : L’Exempt, Archers, Sbrigani, Monsieur de Pourceaugnac

SBRIGANI : Ah ! Ciel ! que veut dire cela ?

MONSIEUR DE POURCEAUGNAC : Ils m’ont reconnu.

L’EXEMPT : Oui, oui, c’est de quoi je suis ravi.

SBRIGANI : Eh ! Monsieur, pour l’amour de moi : vous savez que nous sommes amis il y a longtemps ; je vous conjure de ne le point mener en prison.

L’EXEMPT : Non ; il m’est impossible.

SBRIGANI : Vous êtes homme d’accommodement : n’y a-t-il pas moyen d’ajuster cela avec quelques pistoles ?

L’EXEMPT, à ses archers : Retirez-vous un peu.

SBRIGANI : Il faut lui donner de l’argent pour vous laisser aller. Faites vite.

MONSIEUR DE POURCEAUGNAC : Ah ! maudite ville !

SBRIGANI : Tenez, Monsieur.

L’EXEMPT : Combien y a-t-il ?

SBRIGANI : Un, deux, trois, quatre, cinq, six sept, huit, neuf, dix.

L’EXEMPT : Non, mon ordre est trop exprès.

SBRIGANI : Mon Dieu ! attendez. Dépêchez, donnez-lui-en encore autant.

MONSIEUR DE POURCEAUGNAC : Mais…

SBRIGANI : Dépêchez-vous, vous dis-je, et ne perdez point de temps : vous auriez un grand plaisir, quand vous seriez pendu.

MONSIEUR DE POURCEAUGNAC : Ah !

SBRIGANI : Tenez, Monsieur.

L’EXEMPT : Il faut donc que je m’enfuie avec lui, car il n’y aurait point ici de sûreté pour moi. Laissez-le moi conduire, et ne bougez d’ici.

SBRIGANI : Je vous prie donc d’en avoir un grand soin.

L’EXEMPT : Je vous promets de ne le point quitter, que je ne l’aie mis en lieu de sûreté.

MONSIEUR DE POURCEAUGNAC : Adieu. Voilà le seul honnête homme que j’ai trouvé en cette ville.

SBRIGANI : Ne perdez point de temps ; je vous aime tant, que je voudrais que vous fussiez déjà bien loin. Que le Ciel te conduise ! Par ma foi ! voilà une grande dupe. Mais voici…

 

 

Théâtre et représentation


Quelques mises en scène de M. de Pourceaugnac

  •  1985,  mise en scène de Michel Mitrani (pour la TV) avec Michel Galabru.  
  • 2001, Philippe Adrien mit la pièce en scène avec Bruno Raffaelli, Denis Podalydès, Anne Kessler.  Il tira Molière du côté du fantastique, ce qui fit apparaître la pièce dans sa juste lumière, cette farce ténébreuse étant à mi-chemin entre le bouffon et le sacrificiel : les médecins étaient des cousins de la famille Adams, et l’apothicaire un fils de Nosferatu. Comedie française

voir un extrait : https://vimeo.com/55025025

  • 2008 :  Avignon. mise en scène Isabelle Starkier .  

 Un Pourceaugnac Noir,  digne et séduisant (belle prestance, beau costume blanc avec jabots, dentelles et perruque XVIIe siècle, toute blanche elle aussi), le seul a ne pas porter de masque et à jouer franc jeu, le seul à bien s’exprimer,  à avoir de la sincérité et une identité vraie, le seul capable d’estime et de fidélité.   Comme Pourceaugnac est joué par un acteur noir, la maladie que lui découvrent les médecins est justement la mélancolie ou «humeur noire» dont ils veulent le purger. La comédie finit mal… Menottes au poignets de Pourceaugnac et  son d’un «charter» qui décolle. La mise en scène d’Isabelle Starkier dénonçe donc la cruauté de la manipulation, la cruauté d’une société fondée sur des faux semblants et des artifices. Le rejet de l’Autre.

 voir un extrait http://www.caspevi.com/monsieur-de-pourceaugnac/

Travail autour de la mise en scène :


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Travail autour de la mise en scène :

Extrait 1:

Rédigez les conseils de mise en scène de cet extrait (comme si c’était vous qui l’aviez pensée) 4’10 à 5’35


 

Extrait 2 

 Proposez une mise en scène différente (époque, lieux, costumes, musique, lumières, déplacement des personnages, tons…) de cet extrait. (croquis, schéma…bienvenus)

Acte I, scène 9

L’APOTHICAIRE, MONSIEUR DE POURCEAUGNAC, DEUX MUSICIENS, HUIT MATASSINS70.

L’APOTHICAIRE.— Monsieur, voici un petit remède, un petit remède, qu’il vous faut prendre, s’il vous plaît, s’il vous plaît.

MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.— Comment? Je n’ai que faire de cela.

L’APOTHICAIRE.— Il a été ordonné, Monsieur, il a été ordonné.

MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.— Ah, que de bruit.

L’APOTHICAIRE.— Prenez-le, Monsieur, prenez-le: il ne vous fera point de mal, il ne vous fera point de mal.

MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.— Ah.

L’APOTHICAIRE.— C’est un petit clystère, un petit clystère, bénin, bénin; il est bénin, bénin: là, prenez, prenez, prenez, Monsieur; c’est pour déterger, pour déterger, déterger…

 

Piglia-lo sù

Signor Monsu, Piglia-lo, piglia-lo, piglia-lo sù,

Che non ti farà male, Piglia-lo sù questo servitiale,

Piglia-lo sù

Signor Monsu, Piglia-lo, piglia-lo, piglia-lo sù

( point de mal, ce remède; prends-le vite, Seigneur Monsieur, prends-le, prends-le vite!» «Prends-le vite, Seigneur Monsieur, prends-le, prends-le, prends-le vite, il ne te fera POINT DE MAL)

MONSIEUR DE POURCEAUGNAC, fuyant.— Allez-vous-en au diable.
L’Apothicaire, les deux Musiciens, et les Matassins le suivent, tous une seringue en main. 74.